Archives de catégorie : Le Coin de Ben Howl

Allez, on va au p’tit coin!

Mal de dos et premières lectures

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Dimanche 14 janvier 2018. Non – lundi 15 janvier 2018.

Merde 3h31 du matin je fais en regardant l’heure sur mon portable posé sur la table de nuit.

Je suis dans mon pieu – insomnie ? Non. Putain de mal de dos à la con. J’ai mal.

 

Je pensais que c’était passé. Que ça avait disparu. Ces derniers jours – non ces dernières nuits – plus aucune douleur. Mais non. J’ai sans doute été trop optimiste – ou trop naïf. Comme d’habitude.

Cette nuit le même cirque que mardi – non, mercredi – dernier – réveil à peu près à la même heure, pas moyen de me rendormir fait chier.

La solution ça avait été de prendre mon ordi de descendre dans la cuisine et d’écrire écrire écrire jusqu’à l’aube en buvant du café froid.

Là je suis littéralement incapable de bouger du lit. J’entends le bruit de la nuit de banlieue – moteurs de bagnoles, sirènes de pompiers – c’est peut-être les flics ? – et je scrute le paysage urbain par la fenêtre – horizon défiguré par les barres d’immeubles, quelques fenêtres éclairées, ciel violacé. Toujours pas d’étoile.

Je soupire – blasé.

3h37.

Je m’étire mais la douleur part pas. Je me mets sur le côté. Ma joue heurte quelque chose de semi-mou – ou semi-dur peu importe. Un livre. Je l’avais posé là hier et je me suis endormi dessus.

Haruki Murakami – L’éléphant s’évapore et autres nouvelles.

Haruki Murakami – L’éléphant s’évapore et autres nouvelles.

Avec un bouquin aussi chelou je comprends maintenant pourquoi mes rêves étaient si chelou. J’ai rêvé que mes dents étaient tombées – de façon assez sale d’ailleurs – mais elles étaient en train de repousser – comme des dents de lait. J’ai aussi rêvé d’une certaine Rachel – ou Raquel je sais plus – dont j’ai jamais vu les traits du visage.

Donc Rachel [Raquel ?], si tu nous lis…

Je suis incapable de reprendre la lecture du bouquin où je l’avais laissé avant de sombrer dans les bras de Morphée.

Je suis persuadé qu’il m’a joué un tour. Envoûté. Ça m’étonnerait pas, c’est bien le genre d’Haruki.

Dans la pénombre mouvante de la chambre la tête dans les vapes je pense au destin. Au Fatum. À la Μοῖρα.

Je compte les moutons – électriques ?

Je regarde le livre. La couverture. Ces pages. Je les contemple. Je les sens, je les hume. Odeur d’encre sur papier fin, de bouquin directement sorti de l’imprimerie et placé sur les rayons d’un temple de la consommation culturelle. Odeur bien caractéristique. Odeur qui varie pas.

La même odeur que mes premières lectures.

Je regarde le livre. Il me tire, je le sens – il m’aspire. D’abord un peu rien qu’un peu. Puis de plus en plus fort – il me transporte et la pénombre dans laquelle je suis enveloppé s’efface en tremblant – se divise plutôt – noir d’un côté blanc de l’autre – et se métamorphose en lettres qui s’assemblent sur le grain de pages laiteuses.

C’était quoi le premier livre que j’ai lu ?

Ratus et ses amis

Ratus et ses amis

Ah tiens, salut toi !

Nan je t’ai pas oublié, mon bon Ratus.

Enfin si mais t’es toujours là dans les tréfonds de ma mémoire. Toi et tes potes. Et ta salade. Je me souviens plus de tes histoires, juste de ta tête de rat.

Et franchement je te félicite pas.

C’est en pensant à toi que j’ai demandé un rat pour mes 7 ans.

Que j’ai obtenu, que j’ai appelé Ratus II et qui m’a mordu et m’a foutu la main à feu et à sang.

Lulu chez les Zog-Zog

Lulu chez les Zog-Zog

Wow Lulu !

Ça alors !

Qu’est-ce que tu deviens mon grand ? Et le savant Dagobert ? Et les zog-zogs, ils vont bien dans leur forêt amazonienne ?

Et les extraterrestres de la planète Axa ?

Lulu sur la Planète Axa

Lulu sur la Planète Axa

Sacré Lulu…

Avec Indiana Jones et tellement d’autres c’est lui qui m’a donné envie de voyager et d’explorer le monde, et surtout d’affronter mes peurs et de toujours croire que tout va aller mieux.

Et j’adorais ses pompes. Ses chaussures bateau que je retrouvais aux pieds de Marc, un copain à la cour de récré de l’école primaire – toutes élimées. Je trouvais qu’elles avaient du vécu, du cachet, et donc par extension que Marc en avait aussi.

Je sais pas ce qu’il est devenu Marc…

Donc Marc, si tu nous lis…

Ahhhh mon mal de dos ça recommence douleur lancinante et intempestive je voudrais que ça s’arrête…

Un truc donnez moi un truc –

atténuer la douleur vite n’importe quoi……………

 

Dr House et son tube de Vicodin

Dr House et son tube de Vicodin

 

MERCI.

Reprenons donc… Où on en était?

À l’époque j’allais à la médiathèque dès que j’avais un moment de libre et je prenais les cartes de toute la famille – une famille nombreuse. En tout je pouvais ramener 36 livres à la maison.

Tu m’étonnes que maintenant j’ai le dos niqué avec tout ce que je transportais dans mon sac à l’époque.

Je me souviens de Loup Solitaire – une série d’histoires de la série Le Livre dont vous êtes le Héros.

Le concept c’est que tu crées ton personnage avec ses aptitudes grâce à des dés – comme pour un Jeu de Rôle – et tu décides toi même des aventures et des combats qu’il devra mener tout au long de l’histoire. C’était assez puissant ça partait loin avec plein de monstres lovecraftiens et ça m’a donné envie d’en raconter moi même, des histoires.

De la médiathèque je ramenais aussi plein de BD.

Je me souviens plus particulièrement de l’une d’entre elles – Angelot du Lac.

Une BD moyenâgeuse sur un enfant orphelin très courageux. Je l’aimais beaucoup.

Angelot du Lac

Angelot du Lac

Niveau BD moyenâgeuse, un jour je suis tombé sur Les Aigles Décapitées. Si je me souviens bien ça racontais une histoire qui se déroulait pendant les Croisades.

La couverture d’un des tomes de la BD représentait une femme un peu pas trop vêtue qui allait chercher une épée.

Les Aigles Décapités Tome III

Les Aigles Décapités Tome III

Ma mère est tombée sur cette BD et m’a bien engueulé : « Tu devrais pas lire ça à ton âge blabla… » Du coup j’ai jamais pu finir ce Tome III.

Donc si tu as lu ce Tome III spoile pas merci…

Cachez moi ce sein que je ne saurais voir

et après c’est garanti vingt piges de frustration sexuelle.

En plus rien que le titre de la saga aurait dû lui mettre la puce à l’oreille…

Eheh.

Et maintenant c’est mon neveu qui lit les bouquins que je lui offre.

Les temps changent, les habitudes restent intactes.

L’Autre et le Manque

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Une clope.

Il me faut une clope. Maintenant.

« Сейчас – это сейчас. »

Dès la correspondance à Minsk envie de fumer.

Prier pour tenir tout le séjour.

Dix jours au Kazakhstan.

Et la suite ?

« Mouais… Je vois pas trop ce que tu veux dire mais en russe ça veut pas dire grand-chose. »

Astana – je sors juste du train.

Dernier jour.

Fin juillet – temps totalement dégueulasse et

je me souviens entre Autre de cette conversation avec Marlène.

« Maintenant c’est maintenant » –

la formule que j’assène comme une révélation

depuis la Pologne – Teraz jest teraz

et que je traduis en russe.

« Mouais… Je vois pas trop ce que tu veux dire mais en russe ça veut pas dire grand-chose. »

Marlène se marre – ça lui semble

ridicule.

« Peut-être que ça veut pas dire grand-chose, mais pour moi ça

veut dire beaucoup. »

Je veux juste fumer une clope.

On est dans son salon, après une heure de jogging sur les rives de l’Irtych. Pendant toute la course

Сейчас – это сейчас

flottait autour de moi.

Tout en sueur, après avoir partagé cette trouvaille linguistique entre Autre

on fait l’amour.

Et la suite ?

Le train Kazakhe

Ce matin Marlène m’emmène au train.

Sur le quai entre les lignes elle m’enlace – légèrement.

Pas de départ larmoyant – tant mieux. On est tous les deux pas très doué pour les adieux.

À quoi bon de toute façon – puisque ce sont pas des adieux.

Juste des au revoir

et on se reverra

dès son retour en France dans moins de deux mois et

Entre Autre on s’enlacera de nouveau et on refera l’amour et rien

aura changé.

Depuis j’ai envie de fumer.

Et je suis à la limite du Manque

depuis dix jours –

Entre Autre

Manque

elle me

Manque

déjà.

Et la suite ?

Le trajet en train – impressionnant.

À travers les steppes impression

que le ciel comme mon cœur se déchirent.

D’un côté ciel limpide – bleu diamant.

Plein d’envolées lyriques et de bonheur promis.

De l’autre nuages noirs – ciel tourmenté.

Orageux.

Et au milieu

des rails

et moi perdus.

Je déraille.

J’aimais bien

entre Autre

sentir son parfum

caresser sa peau

et l’observer les yeux fermés quand elle s’oubliait

ma queue ceinte dans sa chatte.

Manque.

Le Manque parfois

dans mon esprit s’insinue.

Heureusement Marlène me propose souvent certaines activités

sexuelo-ludiques

qui me détournent souvent de cette idée.

Dix-sept heures.

Manque.

Café Costa dans l’une des artères d’Astana.

Je sais pas où je suis.

La pluie dehors.

Glaciale.

Qu’est-ce qui leur a pris de foutre leur nouvelle capitale

au milieu de nulle part.

Partout la capitale

littéralement CAPITALE

sent le fake et le décor de cinéma.

Je commande un espresso.

À ma droite au fond du café – une fille – même

style vestimentaire, même

posture droite, même

frange… – Marlène ?

Elle m’a suivi jusqu’ici ?

Manque –

Je déraille – car

c’est pas elle – évidemment…

La fille sourit – rit parfois.

Cet instant me trouble – et mon cœur bat la chamade.

Ce rire est le rire de notre

bonheur futur.

Et la suite ?

Je quitte l’endroit le cerveau sur off

et je marche jusqu’au centre-ville.

Des buildings somptueux désignés par les plus grands architectes contemporains, le

quartier des affaires, les ambassades –

des maisons de style néo-victorien

bon chic bon genre

le fake du fake

cerclé par des grilles immenses –

et toujours ce même

ciel noir.

Fake fake fake

Manque.

Entre Autre je me sens déprimé –

je suis un chien errant dans les ruelles boueuses et ternes

je me sens seul

en évitant les flaques d’eau.

Flaque flaque flaque

Marlène

est pas là.

Manque.

Il y a quelques mois devant le cinéma :

« Je retourne chez moi au Kazakhstan cet été.

Tu viens me rendre visite ? »

Découvrir sa famille

l’endroit où elle a vécu

toutes ces années –

sa chambre dont

les murs gèlent l’hiver

ses lieux de vie.

Et surtout la chance qui s’offre à moi

de rentrer un peu plus

au cœur de sa vie.

Je suis sous-alimenté en nicotine

et parfois le Manque prend

le dessus.

On est allongé dans son lit –

câlins brûlants au clair de Lune.

Je lui caresse la chatte

j’entends ses gémissements étouffés

je rugis déjà à l’idée de

pénétrer en elle.

Soudain

Quelqu’un !

Une présence entre

elle

et moi –

un fantôme, un spectre, une chimère.

Une distance.

Impossible à franchir.

Je le sens –

l’Autre à ses côtés.

Et moi je

déraille –

Manque –

je nage en plein délire.

Qu’est-ce que je fous là ?

Physiquement dans

son lit

et dans son cœur

il y a une place pour moi ?

Au cœur de sa vie.

Je sens soudain son cœur

battre à travers sa poitrine –

il bat pas pour moi.

Un remplaçant. Un

Imposteur. Un

choix par défaut parce que

l’Autre est pas là.

Je déraille –

vague abondante –

vagabonde désormais seul –

même le chien errant m’a

abandonné

dans les ruelles de cette improbable capitale

aux monuments – comme elle – trop somptueux pour être

réels.

Et où le ciel pleure avec vous mon effroyable douleur,

ma folie et ma solitude.

Et la suite ?

Je quitte cet endroit morne et tourmenté.

Satanée Astana.

Dernier bus pour l’aéroport

où je finis par craquer –

je demande une clope à un chauffeur de taxi qui

voyant ma triste gueule

et mon cœur déchiré

me file tout un paquet.

Et la suite ?

La suite c’est

la nuit dans cet aéroport

Marlène de retour en France,

et cette présence toujours – je

la ressens derrière moi

un fantôme, un spectre, une chimère

et deux ans d’une histoire qui

en dents de scie

s’est poursuivie

sur une pente toujours descendante.

La suite c’est

le Manque –

le Manque et l’amour.

L’amour malsain qui vous ronge et vous consume.

toi et l’Autre

Jusqu’au mur – au fracas final.

On était pas fait l’un pour l’Autre.

Histoires de L’Oncle Ben – 2

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Et voici où en est venue notre histoire la dernière fois que mon neveu – S. , 5 ans – m’a rendu visite.

Il faisait moche ce week-end là – donc hors de question pour nous de passer beaucoup de temps dehors. Et chez moi, je n’ai pas vraiment de quoi occuper un enfant de cinq ans – en tout cas, c’était ce que je pensais.

De mon époque aux beaux-arts, il me restait quelques grandes feuilles – format raisin, 50x60cm – des crayons, des fusains, des pastels, des pinceaux et de l’encre de Chine. J’ai aussi ressorti de mes cartons de vieilles fresques que j’avais réalisées avant que j’arrête le dessin. Et l’une d’entre elle représente un combat contre un dragon – assez apocalyptique.

fresque d'un combat contre un dragon

fresque d’un combat contre un dragon

Mon neveu s’est figé et n’a pas fait un bruit pendant deux minutes, le temps de voir toute l’histoire qu’il avait devant lui, sur la feuille de papier que je lui montrais.

Puis il a posé sa feuille sur la table basse du salon, s’est accroupi autour, a saisi les crayons de couleur qu’il avait ramenés, et il a dit: « Moi aussi je vais dessiner un dragon! »

Je pensais que cette envie soudaine de dessiner allait lui durer une heure et qu’il finirait par se lasser. Je cherchais même quel dessin animé on pourrait regarder après – et j’avais une préférence pour « Le Roi Lion » d’autant plus que ça faisait vingt ans que je ne l’avais pas vu.

Mais non. Mon neveu a tenu bon. Et même plus: le lendemain matin, dès son réveil, il n’avait qu’une envie: poursuivre le dessin qu’il avait commencé la veille.

Voilà le résultat de notre première œuvre d’art à quatre mains.

Notre fresque avec mon neveu

Notre fresque avec mon neveu

Remarquez Igor l’ogre, Hector le dragon-poulet inoffensif, Dragonstan le dragon de S., un dragon à deux têtes avec un méga-poing et un méga-poing trop puissant et une armure anti-mitraillette, un château-fort avec des remparts, un pont-levis des mitraillettes et une caméra de surveillance, et une super-mitraillette

Les enfants sont formidables…

Aussi, avant de s’endormir, il m’a demandé: « Dis, Tonton, comment ça se fait que tu es devenu chasseur de dragons? »

C’était une excellente question.

Je suis resté silencieux quelques instants, le temps que les idées fusent dans ma tête et que je puisse broder une histoire qui tienne la route.

Je me suis lancé – sans trop savoir où j’irais – et surtout, sans imaginer une seule seconde que le récit que j’allais être assez crédible pour S. :

« Tu te rappelles mes dessins de dragons que je t’ai montrés? Un jour, alors que je participais à une expo, un gars est venu vers moi et il m’a demandé: « Ça vous dirait d’en voir en vrai, des dragons? » Alors, tu me connais, j’ai dit: « Bien sûr! » Il m’a alors expliqué qu’il était capitaine d’un bateau et qu’il cherchait quelqu’un pour faire à manger, à lui et ses matelots, quand ils parcouraient les sept mers à la recherche des derniers dragons sauvages.

– Wow!

– Ouais… C’était une chouette période de ma vie… » j’ai fait en soupirant – me remémorant d’innombrables souvenirs qui devenaient réels au moment où je les racontais.

« Pourquoi tu as arrêté?

– Parce que le capitaine se faisait vieux et qu’il a dû revendre son bateau.

– Ah ouais? Et qui est-ce qui possède son bateau maintenant?

– Un milliardaire Russe, je crois bien…

– Et tu leur faisais quoi à manger, aux hommes qui étaient sur le bateau avec toi?

– Boarf… Des patates, des poissons frits… Un peu la même chose que ce que je vais te préparer demain midi… »

L’imagination et la curiosité de mon neveu, pourtant déjà bien aiguisées, s’agitaient et fusaient de partout.

« Oncle Ben! Je sais qu’il y a des dragons dans la mer!

– Oui! Ça s’appelle des léviathans.

– Tu en as vu quand tu étais sur le bateau?

– Non, malheureusement… Ils sont beaucoup plus difficiles à dénicher que les requins ou les dauphins.

– Et il s’appelait comment, ton Capitaine?

– Corto Maltese. »

Corto Maltese

Corto Maltese – (c) Hugo Pratt, Casterman

Mon neveu connaissait pas ce nom – chez moi très familier. Alors je lui ai montré ma collection de BD Corto Maltese. Quand mon neveu a vu le « vrai » Corto sur la couverture, il a demandé:

« C’était ton Capitaine?

– Non. [il faut rendre à Hugo Pratt ce qui appartient à Hugo Pratt] Mon capitaine a pris le nom de « Corto Maltese » quand il est devenu Capitaine, en hommage à ce gars là. »

J’ai laissé mon neveu s’émerveiller sur quelques pages, et j’ai poursuivi mon histoire – une histoire qui me dépassait largement – et j’étais pas au bout de mes peines.

« Tu vois, les boucles d’oreille de Corto Maltese sont en or, parce qu’il était capitaine. Moi, mes boucles d’oreille sont en argent, parce que je n’avais qu’un petit rôle, j’étais seulement le cuisinier du bateau… »

Le regard de mon neveu s’est posé sur une page. Sur cette page.

Corto et le magicien Vaudou

Corto et le magicien Vaudou – (c) Hugo Pratt, Casterman

« Tu as vu Tonton, là, le monsieur, il a un masque! C’est rigolo!

– Non, c’est pas rigolo… C’est un magicien Vaudou.

– C’est quoi, un magicien Vaudou? »

Alors j’ai ouvert mon ordinateur et je lui ai raconté le Bénin, le Vaudou, tout ce que j’avais vu, senti, mangé, vécu là-bas pendant les deux semaines de mon séjour, je lui ai montré toutes les photos qu’on avait faites de tous ces festivals, ces carnavals, ces rites Vaudou, ces fêtes de villages. Et, parce que je suis un oncle j’ai conclu en disant: « Bon, allez, c’est l’heure d’aller se coucher! »

J’ai éteint la lumière, on a dormi comme des pierres. Mais des semaines, des mois plus tard, il y a encore une partie de nous deux qui écume les mers avec Corto Maltese, à la recherche de dragons sous les tropiques.

Histoires de l’Oncle Ben

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« C’est toujours un succès! »

« C’est toujours un succès »

Il paraît que commencer un texte par une petite blague, ça détend tout de suite l’atmosphère…

J’ai raconté la semaine dernière l’histoire de dragons que je venais juste d’inventer et d’improviser à mon neveu sur le chemin de l’école – du coup je me devais de déterrer ce texte, écrit l’année dernière à l’approche de Noël.

Je ne sais pas d’où c’est venu,

si c’est lui, si c’est moi –

quoiqu’il en soit,

pour mon neveu –

S. , 5 ans,

je suis un chasseur de dragons.

Du coup notre relation tourne autour des dragons. Quand je lui offre un cadeau, c’est souvent des peluches, des bouquins, des Lego ou des Playmobil… dragons. Quand je pars en voyage – et Dieu sait si ça m’arrive souvent – j’essaie toujours de lui trouver une carte postale avec un (ou des) dragon(s) dessus…

Il y a certains endroits plus faciles que d’autres pour ça, comme à Ljubljana où j’ai traversé le Zmajski most (« pont des dragons ») sur la rivière Ljubljanica – le dragon étant le symbole de la ville – ou à Cracovie, au pied du Mont Wawel, où autrefois, d’après la légende, un dragon vivait dans une grotte – bon, d’après cette même légende, ce dragon dévorait les jeunes filles, mais ça, je ne lui dis pas, à mon neveu…

Zmajski most – le pont aux dragons à Ljubljana

Extraits choisis d’échanges avec mon neveu – pour construire une histoire – un mythe! – qui évolue, qui grandit en même temps que lui.

1) « Tu sais, S. , je suis un chasseur de dragons. Mais je ne leur fais aucun mal. Je ne les capture pas. Je veux juste les observer dans leurs milieux naturels. Je ne suis pas un braconnier. » – Ces phrases, je les ai prononcées assez tôt dans l’histoire, afin de rassurer le petit, qu’il puisse se dire « Mon tonton chasse les dragons, mais il est gentil avec eux. » Et d’ailleurs, je le rassure aussi de l’inverse: « Et les dragons sentent que tu viens en ami, ils restent sauvages, farouches, mais ils ne te craignent pas. »

En ce temps là, j’avais en tête les vestiges d’un film que j’adorais regarder quand j’étais gamin: Cœur de dragon

2) Autre jour… « Tonton, tonton!

– Yep! Qu’est-ce qu’il y a?

– Les dragons, ça existe pas! »

Ouch… Je savais que ce moment là allait arriver. Mais je pensais que ça viendrait bien plus tard, et pas de la bouche d’un garçon de quatre ans qui croit encore au Père Noël. Je me suis trouvé désemparé. Comment ne pas me faire griller? Comment conserver la flamme dans ses yeux lorsque je lui parlais de tous ces endroits, de par le monde, des déserts espagnols aux steppes kazakhes, où j’avais vu des dragons?

« Pff… Tu dis n’importe quoi! BIEN SÛR que les dragons existent!

– Non! C’est faux!

– Ah ouais?! Regarde! »

J’ai dégainé mon smartphone, cliqué sur l’application Youtube, et lancé une recherche pour les termes « DRAGONS DU COMODO » en indiquant bien à mon neveu ce que je tapais sur le clavier tactile.

Et mon neveu a découvert, les yeux écarquillés, le cœur battant la chamade, que je lui mentais pas: les dragons existaient bel et bien.

Ça ne l’a pas empêché de s’exclamer: « Mais ils n’ont pas d’ailes!

– Normal!… »

Oui, j’avais une explication à tout, même à ça…

En fait, jusqu’au Moyen-Age, on chassait énormément les dragons – et pas de façon gentille comme moi. On les chassait pour leur sang et leurs oeufs – on disait que se baigner dans du sang de dragon ou manger leurs œufs rendait immortel ou éternellement jeune. On chassait tellement de dragons qu’à la fin, il en restait très peu – c’était une espèce en voie de disparition. Maintenant, les dragons sauvages se cachent aux hommes et il faut être un fin aventurier pour trouver leurs repères.

Mais alors les dragons sauvages se faisaient de plus en plus rares, les hommes ont commencé à les domestiquer. Ils ont bouché leurs narines de manière à ce qu’ils ne puissent plus cracher du feu, et ils leur ont couper les ailes de manière à ce qu’ils ne puissent plus voler. Au fur et à mesure, de génération en génération, les dragons domestiqués ont fini par ne plus cracher de feu et par avoir des ailes de plus en plus petites, jusqu’à ce que celles-ci disparaissent. C’est ces dragons domestiques – dont les dragons du Komodo sont un exemple – que mon neveu a vu sur les vidéos que je lui ai montrées ce jour là. Des dragons sans ailes qui se baladaient tranquillement en plein milieu des villages d’Indonésie à la recherche de nourriture.

3) Un beau jour, mon neveu s’est pris de passion pour l’archéologie. Il s’amusait avec son petit marteau à casser des briques dans le jardin, jusqu’à ce qu’il finisse par trouver une « dent de dinosaure » – même si elle était en plastique. Ce qui m’a permis de lui affirmer, le plus sereinement du monde, que les dragons « sont les descendants des dinosaures.

– Mais Tonton! Les dinosaures ont pas d’ailes.

– Bah si mon grand! Les ptérodactyles ont des ailes!

– Mais les dragons n’ont rien à voir avec les ptérodactyles! Ils ont pas de bec!

– Mmmm en fait c’est un mélange entre les ptérodactyles, les tyrannosaures et les triceratops. »

Ou comment faire un mix entre Jurassik Park et Cœur de Dragon…

Il y a aussi la fois où j’ai tenté l’expérience de me faire un tatouage. Mais pas n’importe lequel.

Pour celles et ceux qui ne comprennent pas, ce sont des sinogrammes qui signifient « Menu 56 sans épices ». Bien pratique pour commander sans parler le menu numéro 56 dans tous les restos chinois du monde.

Menu 56 sans épice

Quand j’ai montré ce tatouage à mon neveu, j’ai pu évoquer avec lui des tas d’histoires sur les vénérables dragons chinois qui survolent encore de nos jours la Grande Muraille…

Et enfin 4) – et on va conclure là dessus pour aujourd’hui – il y a cette fois où, à Tenerife – me demandez pas pourquoi j’ai atterri aux Îles Canaries, c’est pittoresque en plus d’être complètement con, je sais pas encore si ça vaut ou non le coup d’être l’objet d’une prochaine histoire… – à Tenerife, donc, j’ai entendu parler d’un dragonnier millénaire. Cet arbre est le plus vieil arbre de l’île – et comme c’est un dragonnier, un « arbre à dragons », j’ai décidé d’aller le voir, pour le montrer en photo à mon neveu. De Puerto de la Cruz, où je séjournais, j’ai donc décidé de me rendre à Icod de los Vinos, où l’arbre se dresse face aux visiteurs imprudents. En voiture ou en transports en commun, ce serait trop facile donc j’ai opté pour l’ajout d’une difficulté supplémentaire histoire de pimenter mon périple: j’y suis allé à pied. 27Km de rando, sans plan – mais avec l’imprim’ écran de l’itinéraire Google Maps sur mon smartphone qui ne disposait pas d’une connexion 3G – sur les chemins qui bordent la côte nord de l’île.

rando à Tenerife à la recherche du dragonnier d’Icod de los Vinos

Une belle épopée – qui s’est finie de façon assez misérable: après moultes péripéties et un trajet bien plus long que ce à quoi je m’attendais, je suis tombé de fatigue au beau milieu d’un bar juste devant l’entrée du parc où se situe l’arbre tant convoité. Un regain d’énergie m’a permis d’y accéder, mais le regain en question a duré deux minutes – juste le temps qu’il m’a fallu pour faire le tour du dragonnier et le prendre en photo sur toutes les coutures.

Évidemment, toutes les images sont floues.

Mais ça a fait une belle expérience – et une histoire de plus à raconter au neveu: « Tonton a fait le tour de l’arbre à dragons! »

dragonnier millénaire d’Icod de los Vinos

dragonnier millénaire d’Icod de los Vinos

dragonnier millénaire d’Icod de los Vinos

Isköör le dragon du Nord

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Isköör est le nom de ce dragon qu’on peut parfois croiser – quand on est chanceux – sur la plage de Ruissalo, en Finlande, à quelques encablures de Turku.
Quand j’étais chasseur de dragons, j’ai eu cette chance.
Isköör était impressionnant – non pas qu’il était énorme, non pas qu’il était immense – non, rien de tout cela. En tant que spécimen de l’espèce des Dragons du Nord, il avait certes des écailles plus épaisses, ce qui lui permettait de ne pas avoir froid malgré les basses températures – non, ce qui était impressionnant, c’était son calme souverain.
Posé, le gars.
Je n’avais jamais vu un tel flegme chez un dragon auparavant.
Il se tenait là, à quelques mètres de moi, dans l’eau peu profonde du rivage.
Il prenait un bain – tranquille.
Pourquoi n’allait-il pas plus loin, là où la mer et le ciel se croisent?
Non pas qu’il ne savait pas nager. C’est juste que depuis que les Humains ont livré une guerre sans merci contre les dragons et les ont décimés, les derniers dragons sauvages se méfient de tout et prennent leurs précautions.
Si Isköör se baignait plus loin, ses ailes recouvertes d’eau seraient plus lourdes et il aurait plus de difficultés pour voler et fuir en cas de danger.
Et puis, le fait d’être au bord de la plage lui permettait se se rouler dans le sable, et ainsi lustrer ses écailles.
Sacré Isköör! L’un de mes souvenirs les plus impérissables de Finlande – lui et le Salmiakki bien sûr! N’est-ce pas Candy?

Ma route ta route

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J’étais arrivé à une période de ma vie où je commençais à comprendre que le bonheur – le bonheur pur, constant, idéal –

existait pas.

C’était un état qui était sans doute perpétuellement

« à rechercher »

mais je savais pas par

où bordel commencer – je me posais

même pas cette question en

vérité – tout aveuglé comme j’étais de brûler la

vie par les deux bouts – le petit Ben aux allumettes – tout

flamboyant guettant pschhhhhhh des bâtons de dynamite – et en vérité aussi je

m’emmerdais grave.

« La route, la route… » je jurais que

par elle oh oui la route prenons la ensemble peu importe la

destination ce qui compte c’est la route et j’en ai

écrit des pavés sur la route – et je comprenais soudainement que pour toi ont était pas « sur » la route – on était

même pas « au bord de » la route – en fait cette route dont je

te parlais tout le temps un murmure un cri une litanie depuis le

jour où on s’était connu tu y

croyais pas.

Tu y avais jamais cru en vérité –

Tu t’étais engouffrée dans un

délire avec moi – un délire délicieux que je t’offrais sur un plateau – parce que c’était fun parce que ça

faisait des trucs à raconter plus tard au coin du feu à tes

petits enfants. C’était une aventure qui allait t’arriver qu’une

seule fois dans la vie – parce que c’était unique extraordinaire – parce que ça te changeait tellement de

ton train-train quotidien.

Mais tu y adhérais pas en vérité – tout ce que tu voulais après

nos voyages nos tracés sur le bitume – c’était y revenir – dans ton quotidien – et de t’y ancrer – jusqu’à la prochaine fois, la prochaine

folie.

Et moi en vérité j’y croyais. C’était tangible. On pouvait

passer toute notre vie comme ça – à bourlinguer – une vie faite d’amour de macadam et d’eau fraîche.

Quelle connerie!

Et le pire dans cette histoire c’est que tu m’avais donné l’envie et

les raisons d’y croire et en vérité tout était que chimère.

Mais est-ce que tu avais pas raison? Te fixer plutôt que

te détruire à cramer l’asphalte? Et vivre un peu de la vie dont on a un jour rêvé – l’avoir à

portée de main, la frôler du bout des doigts – des vagabonds sans étoiles, des bandits de grand chemin.

Il suffit d’y croire pour y être.

La VRAIE vie – où personne nous demande rien – où personne se met sur notre chemin. Où RIEN est

impossible.

Trente piges – memento mori

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Aujourd’hui – 00:00 heure française.

Trente piges.

Toutes mes dents.

Manque celles de sagesse..

Memento mori

21h ici – à São Paulo –

Seul.

Pour tout un tas de raisons je me

retrouve tout seul

dans une autre ville,

un autre pays,

sur un autre continent,

dans un autre hémisphère.

Tout seul – sans mes proches, ma famille, mes ami-e-s.

Les gens qui me manquent –

C’est ainsi – c’est moi qui ai choisi.

Et j’ai faim et j’ai envie de

marquer le coup

J’entre dans la pizzaria super classe

vêtu de haillons et guenilles

mon short de sport qui a pris le soleil

mon t-shirt préféré tellement mis et remis que les couleurs

sont passées et qu’il ressemble plus à

un paréo qu’un t-shirt

mes Dr Martens mais plus de chaussettes

mes tattoos mes anneaux ma barbe hirsute –

o gringo loco

clochard céleste guidé par la

Croix du Sud

si seulement on voyait les étoiles

à Bela Vista.

Trente piges.

Je bouffe la pizza en deux deux tellement je

crève la dalle

j’ai plus d’appétit

qu’un barracuda

j’ai commandé une bouteille de vin

marquer le coup

du vinho da casa, du vin brésilien, du « bordô »

et je bois et putain c’est quoi ce goût??

je checke l’étiquette et

C’EST QUOI CE BORDEL??!!

les bâtards ils ont foutu du sucre dedans –

bon je le bois quand même

Memento mori

marquer le coup.

Trente piges

c’est un peu nul comme âge –

entre 27 et 33 – pas d’intérêt

Trente piges

et j’aurais pu être ailleurs c’est vrai

mais je suis bien ici

dans la chaleur de la nuit d’été brésilienne

Trente piges

et je suis si loin de chez moi

dans un endroit imparfait

qui me convient très bien

où je sens aucune limite à

l’étendue des possibles

Memento mori

ici je peux me faire passer

pour n’importe qui

et maintenir ma couverture

pénard

ad vitam.

Trente piges

et je sais pas ce que je foutrais

ni même où je serai dans six mois

paumé, adulte

immature comme tu dis

je sais juste que

demain

en guise de cadeau je m’offre

un voyage dans un petit coin de Paraty

Trente piges

à la poursuite du bonheur

Trente piges

et j’ai plus de souvenirs que si j’avais mille ans

saloperie de mémoire eidétique

memory babe

trente piges

c’est aussi le milieu de ma vie

(plus ou moins)

je la fais au feeling là

totale impro

la rage de vivre

le cœur vaillant

trente piges

normalement l’heure du bilan

Maintenant j’comprends Ben-J que

Quand on était gamin on avait le

même itinéraire mais pas

le même destin

memento mori

je vois toutes ces années

défiler

entre les lignes

mais je m’en branle car

c’est devant nous que le plus intéressant se trouve.

trente piges

et demain je plongerai dans l’atlantique sud

en buvant de l’eau de coco

à la paille

trente piges

et demain je me

lèverai en pleine nuit

valse de moustiques

je chopperai le bus à la dernière minute

je m’offrirai des claquettes

je passerai la journée dans une carcasse roulante

air conditionné

claquettes - cadeau d'anniversaire

claquettes – cadeau d’anniversaire

j’arriverai à Paraty à la nuit tombée

je pourrai observer les étoiles à travers le ciel dégagé

je marcherai dans la boue avec mes claquettes

je suivrai des gens toute la nuit en buvant des bières

et je t’embrasserai

t’embrasserai

t’embrasserai

 

nos corps trempés dans

la gadoue

trente piges

et j’apprends lentement mais

sûrement qu’il y a pas

de bons ou de mauvais chemins pour mener sa vie

il y a seulement le tien, celui que tu choisis

tu dois t’accrocher mon grand

parce qu’il est majestueux

parce que tu y brilles

parce que ce chemin il y a que

toi qui peux le prendre

Consolação

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Rua Augusta

Consolação

Ses cheveux

bleus décolorés sur mon épaule

Ces yeux

magiques dont j’arrive pas à deviner la couleur

carpe noctem

Cette chanson en

fond sonore

J’ai 15 ans, 16 à nouveau

15 ans que t’as 15 ans

Elle – la peau crème

allongée

nos corps mélangés

Ses chats jumeaux

noirs

nous contemplent

nus sur la couette

Consolação

15 ans que t’as 15 ans

la femme piège

et tous ses tattoos

innombrables et

sans queue ni tête

sempre no meu sempre

et tous ses piercings

partout –

en vérité

plutôt l’allure de

Tank Girl

 J’ai 15 ans, 16 à nouveau

15 ans que t’as 15 ans

Demain

on ira à Ilhabela

 Demain

c’est ton anniversaire

Look like Bukowski

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Bukowski

You

look like Bukowski
She

said
I

was lying in bed
With

a glass of

wine
Red and dark
Old and sad
And I

remembered
A luminescent woman
Who once

wrote
BUKOWSKI
on her

breast
And all the

fuck
I did with

her
Good ol’ times
I thought
And I told

myself
All this

shit
Is over now
Now it’s

time
For some

change

 

Charles Bukowski – Post Office

Ljubljana – chez Aleks

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« Dans toute l’Amérique, lycéens et étudiants s’imaginent que Jack Duluoz a vingt-six ans, qu’il est toujours sur la route, à faire du stop, alors que je suis là, à quarante ans ou presque, éreinté et accablé d’ennui, dans une couchette de wagon-lit, longeant à toute vapeur le Grand-Lac-Salé »

Jack Kerouac – Big Sur

Nan mais c’est quoi ce bordel ?

Les trains se succèdent à longueur de journée. Au moins je peux dormir un peu – tant bien que mal – et me réchauffer.

Dans toute l’Europe, lycéens et étudiants s’imaginent que Ben Howl a vingt-trois ans, qu’il est toujours sur la route, à faire du stop, alors que je suis là, à trente ans ou presque, éreinté et accablé d’ennui, dans une cabine de wagon, longeant à toute vapeur les montagnes autrichiennes.

Suben – Puchheim – Salzburg – où à la gare perdue entre les massifs enneigés j’achète un cigare – Villach et enfin Ljubljana.

Mon panneau sur la vitre du train

Les paysages qui défilent et personne qui vient s’asseoir dans ma cabine. Je pue tellement que ça ? Sans doute les restes de l’odeur du gazole que j’ai versé dans la bagnole de Dan avec mon entonnoir de fortune.

14h31 – arrivée du train en gare de Ljubljana. Le train continue plus au sud – vers Zagreb – la Croatie. C’est si tentant de rester dedans et de voir ce que ça donne là-bas.

Nan mais c’est quoi ce bordel ? Mec – attends de voir un peu ce que ça donne ici au lieu de toujours vouloir aller plus loin. Pourquoi/pour quoi faire, hein ?

Ici c’est le soleil qui m’accueille. Sensation agréable mais je suis chargé comme un mulet et dois encore continuer à porter sur moi des tranches de vêtements qui sont plus nécessaires.

Je me pose dans le café de la gare et je commande… un café [original nan?].

La serveuse bien aimable me file une carte de la ville et m’explique les lignes de bus.

Aleks – mon hôte pendant quelques jours – vient de m’envoyer un message : « Take it easy. I won’t be there till 5pm. » Fort bien. Je regarde où est sa maison sur le plan et je décide de m’y rendre à pied – histoire de me donner un premier aperçu de la ville.

Je trimbale mon sac de bidasse comme une tortue sa carapace. J’allume mon cigare – bien mérité ? – je sais pas – et je trace sur la Dunajska Cesta – une avenue très longue et très large.

En face de moi, la montagne qui grandit jamais alors que je m’approche d’elle – comme une fata morgana. La montagne – c’est con, c’est ce qui me surprend le plus ici. J’ai tellement pas l’habitude d’en voir là d’où je viens…

Je croise la Ulica 7. septembra et je m’arrête dans un petit parc où je lis et je pionce sur un banc. Dans mes oreilles le battement des trains d’aujourd’hui sur les rails s’ajoute au bourdonnement des moteurs d’hier sur les routes.

Je (re)lis mon bouquin – Jack Kerouac, forcément – et cette fois ci Big Sur. Le bouquin dans lequel son double-narrateur Jack Duluoz part vraiment en live à la fin – après toutes les merdes qui m’arrivent depuis deux jours je me dis que c’est bien là un roman de circonstance.

J’envoie un SMS à Camille et à Mélanie et leur fait part de mes dernières – mauvaises – aventures. Peu après mon portable vibre : « T’as craqué »… M’en fous. Qu’est-ce que tu veux que je te dise ? Qu’est-ce que tu veux que je fasse ? C’était tellement difficile. Et j’étais tout seul. Bien sûr que ça m’enrage. Mais c’est ainsi. Au moins j’aurais essayé.

Soupir.

Take it easy.

17 heures – Il est temps de rejoindre Aleks.

Je trouve la maison d’Aleks après avoir un peu fait le tour du quartier. Un grande maison avec un jardin. Une voiture est garée à côté : un camtar Volkswagen jaune fluo – une ambulance allemande ou autrichienne j’imagine. Nan mais c’est quoi ce bordel ? Plus loin dans la cour il y a une moto – une Harley ? La porte est ouverte. Sur le seuil Aleks, 40 ans, cheveux dégarnis – plus petit que moi mais costaud et les yeux pétillants.

En une minute chrono les présentations sont faites – Aleks me dit que ma chambre m’attend à l’étage et qu’il va présentement voir son voisin. « Fais comme chez toi, fais ce que tu veux, take it easy. » OKAY.

Je cours à l’étage et je m’affale sur le lit sans même défaire mon sac de couchage. Je fais une sieste trop chargée pour me rappeler de tous les rêves que j’ai faits.

Ma chambre chez Aleks

Je me réveille une heure plus tard – dans le coltar – je mets quelques minutes à me rappeler de l’endroit où je suis.

Il y a une salle de bain à côté de la chambre. Je prends une douche bien méritée. Mais j’ai rien – pas de gel douche, de shampoing, de dentifrice. Et tout est rangé dans des armoires. Je fouille – et j’aime pas fouiller et me servir dans ce qui ne m’appartient pas. J’emprunte un peu ce que je crois être du shampoing. Je me frotte le corps avec du savon pour les mains – et me sert du dentifrice rangé dans l’armoire. Puis retour dans la chambre – je m’habille et sors mes affaires de mon sac de rando et je les range dans l’armoire – histoire de les aérer.

J’ai envie d’un café. Je me demande si Aleks est rentré de chez le voisin. Je descends tout paumé et pas encore bien réveillé à la recherche d’Aleks. Merde ! Par où je suis rentré, déjà ? J’ouvre une porte – la cuisine. Tout est impeccablement rangé. Il y a rien qui traîne, tout est dans les armoires. Après la cuisine je rentre dans une pièce. « Aleks ? Aleks, are you there ? » je fais. J’entends une voix. Il fait sombre. Je m’approche pour distinguer la forme qui se meut devant moi dans la pénombre.

Nan mais c’est quoi ce bordel ?

C’est une dame – très vieille – dans un lit d’hôpital. Elle me voit, elle me parle – mais en Slovène. Je tente un timide « Nie mówię po słoweńsku » à la mode polonaise – que je sais pertinemment faux mais pourquoi pas ?

Bon, j’aurais essayé – elle comprend pas, la vieille sur son lit d’hôpital – dont j’ai du mal à distinguer le visage – et j’imagine qu’elle aussi elle a du mal à me voir. Je veux pas lui faire peur, alors je lui montre un signe de paix, la main sur le cœur.

« Ben, Ben » j’entends, ailleurs dans la maison. Je dégage vite de là. J’ai dû la faire paniquer.

Finalement Aleks est là. Il sort d’une pièce dont la porte est celle que j’avais pas encore ouverte.

C’est son antre, sa garçonnière. Des canap’ un vidéoprojecteur, une toile, plein d’affiches, de drapeaux Jack Daniel’s sur les murs, et un frigo avec distributeur de glaçons – essentiel pour servir avec le Jack Daniel’s, et plein de bouteilles vides sur les étagères.

la garçonnière d’Aleks

Aleks voit que j’observe la pièce : « Moi ça me fait rien de boire toute une bouteille de Jack à moi tout seul. » OKAY.

Mais ce que je remarque surtout depuis tout à l’heure, c’est que ça sent la beuh à plein tube ! Nan mais c’est quoi ce bordel ?

Devant mon étonnement Aleks m’invite à m’asseoir dans l’un des canap’, me sert l’apéro – un Jack, évidemment – et me raconte son histoire.

Aleks est bodyguard. Et Biker. Il fait des bornes et des bornes pour aller à des meetings. Il fait partie des Hell’s angels. « Tu sais, je me suis déjà retrouvé un peu dans le même état que toi – la nuit sur une aire d’autoroute. Quand il pleut, mon astuce c’est que je m’abrite sous des cartons et des plastiques – ça tient chaud et c’est imperméable. »

Et il poursuit « Mais j’ai eu un accident il y a quatre, cinq ans. » Il souffre, qu’il me dit.

« Et c’est pour ça, l’ambulance à côté ?

– L’ambulance ? Ah ! Nan rien à voir » il rigole, « je suis en train de la retaper pour en faire un camper van.

– Cool ! Je pensais que c’était pour la vieille dame qui est dans un lit.

– C’est ma grand-mère. C’est sa maison ici. J’en hériterai quand… quand elle passera de l’autre côté. D’ici là, je m’occupe d’elle.

– D’accord.

– Tu as certainement dû sentir le cannabis en entrant dans cette pièce. »

Je hoche la tête. Aleks m’explique que les anti-douleurs classiques lui font plus rien – sauf à haute dose, mais ces remèdes pour chevaux le claquent. Le cannabis, c’est sa médecine alternative – son antalgique. « OKAY » j’acquiesce – en fumant une bonne petite taffe de derrière les fagots – et c’est vrai que c’est de la bonne.

« Homemade » il me fait. « J’en cultivais au sous-sol. Par contre désolé mec, je peux pas te montrer mes plants, il y a plus rien.

– Comment ça se fait ? » je demande.

Aleks me répond qu’il héberge plein de gens. Il y a une semaine, une de ses hôtes l’a dénoncé à la police pour possession et culture de plants de cannabis. Elle se servait de la chambre qu’Aleks lui offrait pour faire sa pute. Quand il l’a su, Aleks l’a menacé de la foutre à la porte. Alors elle s’est vengée. Les flics sont venus, ils ont tout démoli, foutu en l’air. « Heureusement il en ont laissé plein à terre. C’est comme ça que j’ai pu en sauver pas mal. »

Nan mais c’est quoi ce bordel ? Au sous-sol, Aleks cultivait du chichon alors qu’au rez-de-chaussée sa grand-mère est dans un état végétatif.

En tout cas, je suis tout stone et mon petit doigt me dit que je vais adorer ce séjour à Ljubljana.