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Le Shaman Vaudou du Marché de Dantokpa

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04 décembre 2004 – vers neuf heures du mat’ – en plein dans les bouchons de Cotonou – à respirer les brumes épaisses des vapeurs de l’essence frelatée des voitures et des zems zigzagants qui nous frôlent – dans le taxi qui nous emmène Naïma et moi au marché de Dantokpa. Le chauffeur a une tête marrante, il sourit tout le temps et veut même engager la conversation avec nous : « Qu’est-ce que vous faîtes ici ? » et toutes les questions typiques pour touristes auxquelles on a eu droit depuis notre arrivée.

Je laisse Naïma lui répondre. Je contemple les paysages qui s’offrent à nous au travers des vitres sales- en me disant que j’aurais bien pris un troisième café-lait concentré sucré. Ici je vois ce qui doit être une église, avec une grande banderole de tissus déployée au premier étage du bâtiment : « SI TU CRAINS DIEU, VENEZ ICI ». Là, au milieu d’un rond-point mille fois plus bordélique que celui de l’étoile à Paris – mais sans tout son décorum – un rond-point vide – un sapin de Noël. Je suis pas en train d’halluciner. Un sapin de Noël… 28°C , aux portes du désert. Normal.

Je me dis que le nombre d’accidents de zems dans la capitale économique du Bénin est horrifiant, je me dis qu’au moins dans cette voiture, dans cette carcasse de métal on est plus ou moins en sécurité. C’est alors que je me tourne vers Naïma sur le siège arrière et que je vois le sol moitié bitume moitié terre battue défiler. Il y a un trou sous ses pieds ! – d’une bonne soixantaine de centimètres de diamètre. C’est aussi à ce moment que le taxi s’arrête à un stop et que j’entends un bruit fracassant devant nous. Au delà du pare-brise fissuré, la tôle du capot se fend en deux sous mes yeux et se fait éjecter comme un indésirable sur le bas côté. J’inspire profondément. J’essuie la sueur de mon front. Tout va bien. Tout va bien.

Le taxi nous dépose au marché de Dantokpa – le plus grand marché à ciel ouvert d’Afrique de l’Ouest. Notre excursion touristique de la journée. Premier réflexe de Yovo yovo : trouver un guide. Parmi ceux qui attendent là, au coin d’une allée, à alpaguer les touristes pour mieux les arnaquer, on en choisi un – chétif, mignon et innocent. Déodat, six ans – quand on vient à sa rencontre il nous raconte tout de go qu’il se fait appeler Zizou parce qu’il est né le jour de la finale de la coupe du monde – celle de 1998 bien sûr. Six ans le gamin – et c’est en sa compagnie qu’on part se perdre dans la foule de ce trouve-tout gargantuesque et vertigineux.

Zizou et ses copains

Zizou et ses copains

Naïma et Déodat. Faut pas que je les perde de vue. Faut pas que je les perde de vue. Et ça se bouscule tout partout autour de moi, ça se serre tout contre moi. Un autre café-lait concentré sucré pour me tenir alerte – il m’en faut un. Parfois je dois courir rastas au vent dans ce labyrinthe pour rattraper Naïma.

À un stand de bouffe qui pue la friture et la viande laissée au soleil depuis trop longtemps elle me dit : «  On est comme une pointe de lait dans un océan de café. ». Cette phrase me marque et me détend – je suis plus à même de lutter contre la marée humaine qui m’attend à chaque allée, dans chaque coin.

Ici des fabricants de djembés qui s’attellent à la tache – un stand pour touristes – façonner le bois, tirer la peau, la nouer dessus – tout ça pour épater les péquins.

Fabrication d'un djembé

Fabrication d’un djembé

 

Là des animaux. Des lézards. Un petit singe – tout mignon, tout à fait majestueux.

 

Hé mec, tu veux ma photo?

Hé mec, tu veux ma photo?

 

Là des kilomètres de tissus – en tas, plié, déployé. Explosion de couleurs africaines. Du wax. [ou de LA wax?]. Là encore, des pierres plus ou moins précieuses – des fauteuils en bambou ou en ébène gravé. des statues africaines.

Puis Déodat/Zizou nous embarque dans un coin « secret » de Dantokpa. Il raconte qu’il émmène jamais les touristes là-bas – je sais pas si on doit le croire ou pas. Naïma et moi on suit Déodat dans tout ce gros bordel ce dédale immense. Et on déboule sans mot dire en trombe vers midi la faim qui commence à nous tirailler le ventre en plein milieu… de centaines de crânes et de mains coupées.

« Humains ? » je demande en désignant ce qui s’étale sous nos yeux.

Le petit Déodat reste silencieux.

« Ça sert à quoi tout ça ? » je me penche vers Naïma.

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« Du vaudou… », elle répond.

Ces crânes – oiseaux singes… hommes ?… ces os, tous ces trucs là, exposés à l’air libre… C’est pour des sacrifices ? Des offrandes ?

Du vaudou… Je m’enlève de la tête l’image de la Lady Voodoo du jeu Monkey Island – ma première confrontation avec le vaudou – et je me remémore ce que j’en connais depuis notre escapade à Puerto Nuevo avant-hier. Le culte des dieux du peuple Fon. La célébration des forces de la nature….

Le marché l’univers si grouillant de monde si dynamique si bruyant se réduit se dilate – silence. Calme. Mi-apaisant mi inquiétant. Même le ciel a une autre couleur. De gris bleu il passe au jaune pale et sublime les nuages de coton. État second état bizarre.

On est entraînés dans un vortex interréél. Teintes bleutées. Lignes reptiliennes. On est là à Cotonou au marché de Dantokpa mais on est pas là. On est…

Ailleurs…

Et devant nous une apparition. La lèvre inférieure de Déodat tremble un peu quand il murmure : « Le shaman… ».

Il nous observe en silence pendant un long moment. Puis il nous fait signe de le suivre jusqu’à son stand. On obéit sans poser de questions. Au milieu des cranes et des os. Il va nous exorciser, faire jaillir nos démons intérieurs – il va nous libérer. Ou nous jeter un sort ? Yovo yovo – les blancs becs la pointe de lait dans cet océan de café – on sera condamnés éternellement à rester ici, à Cotonou.

Non.

Rien ne se passe.

Tout se passe.

On comprend rien.

On comprend tout.

Puis le shaman vaudou nous tend une carte.

Une carte de visite.

Joliment décorée.

Sur laquelle

il est écrit :

 

 

VICTOR DA SILVA – Assurances tous risques

 

Le shaman du marché de Dantokpa

Le shaman du marché de Dantokpa

Un petit déjeuner à Cotonou

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04 décembre 2004 –

Il doit être à peine six heures quand je me fais réveiller par les rayons du soleil qui perforent la moustiquaire de part en part. La tête dans le pâté je me sors de là tant bien que mal. J’accède au balcon, où je contemple le ciel du matin, un ciel blanc – pâle et laiteux – je m’attendais pas à ce teint là – la ville qui s’active déjà, les gens qui marchent – pagnes et boubous – patchwork aux couleurs bariolées – le stade, les panneaux publicitaires plus ou bien délabrés, les boutiques qui n’ont pas fermé de la nuit, un gars là-bas qui dort sur un toit – enveloppé dans sa moustiquaire de fortune, les voitures – qui en sont au moins à leur troisième ou quatrième vie – qui se noient dans la dense circulation –

 

Le Stade de l'Amitié vu de l'auberge de l'Amitié

Le Stade de l’Amitié vu de l’auberge de l’Amitié

Le dormeur du toit

Le dormeur du toit

 

J’entends le brouhaha des gens qui crient et qui papotent, le tumulte des freins qui crissent, des fourneaux qui crépitent, l’agitation de Cotonou après son énième nuit blanche. Je sens les odeurs de poissons grillés – je me dis que je suis pas si attentif aux sens d’habitude – mais je vois j’entends je sens surtout la poussière et la pollution.

Une douche rapide – à l’eau froide mais vu la température de l’air c’est pas gênant au contraire – je sens plus mes cheveux – les dizaines de mains des coiffeuses qui s’affairaient hier autour de moi quand elles m’ont fait mes tresses me les ont tellement tirés… –

Le salon de coiffure

Le salon de coiffure

 

Je m’habille en quatre-deux et je prépare mes affaires. Dans le couloir Naïma m’attend – déjà prête mais la tête encore plus dans le pâté que moi. Elle a encore fait la java avec les gens du coin dans la cour intérieure de l’auberge de l’amitié – à se déchaîner aux sons des djembés et des xylos jusqu’au bout de la nuit – toujours le même air qu’on finit par radoter, peu importe où on est…

On se dirige vers une maisonnette au toit de tôle – un snack qu’on a repéré avant-hier où ils font des bons petits-déjeuners. Le vieux poste de radio crache comme il peut du zouk bien fort bien grésillant – aux couleurs des matins de Cotonou.

On nous sert du café allongé mais encore amer, dans lequel on dilue tout un tube de lait concentré sucré. Le meilleur café que j’ai bu jusqu’à présent. Et même si le beurre est un peu bizarre – bien pâlot – il fond sur le pain croquant…

le lait concentré Peak.

le lait concentré Peak.

le  beurre pâlot

le beurre pâlot

Bon je vais pas m’éterniser sur mon petit déj’. Et puis au bout d’un moment cette musique ce zouk commercial me saoule.

Un deuxième café-lait concentré sucré pour la route et on est parti ! On marche dans la rue en terre battue parmi les vendeurs d’essence en jarre – importée illégalement du Nigeria voisin – et les vendeurs à la sauvette de poisson grillé.

De l'essence en jarre

De l’essence en jarre

« Qu’est-ce qu’on fait ? On prend un zem ? » je demande.

Un « zem » ou « zémidjan » c’est une mobylette qui fait office de taxi et qui permet de tracer vite vite dans la ville – en divagant entre les voitures. En les frôlant souvent – et parfois en rentrant carrément dedans.

Naïma regarde ses jambes, puis les miennes.

« Vaut mieux pas… »

Ouais… en prenant un zem avant-hier on a tous les deux, sans faire gaffe, collé nos jambes au pot d’échappement. Résultat on a vu un carré de notre peau partir littéralement en fumée et maintenant on a le mollet cramé – et malgré tous les antiseptiques qu’on vaporise, toutes les pommades réhydratantes qu’on passe dessus, nos plaies ont du mal à se résorber.

[Si vous voulez des photos de nos blessures de guerre, c’est en privé que ça se passe…]

« On va prendre une voiture, c’est mieux. »

Naïma lève le bras bien haut pour héler un taxi. Au bout de quelques secondes, on a cinq voitures qui s’immobilisent en cercle autour de nous. Forcément, avec tout notre barda, nos casquettes – enfin la casquette de Naïma, moi je ne peux pas foutre mes rastas nouvellement tressés dans une casquette, j’ai un foulard noué autour du crâne – nos shorts… on ressemble à des touristes. On EST des touristes. Et puis, on est blancs… On les entend souvent, surtout les gamins, nous guetter dans la rue, courir à nos trousses en criant « yovo, yovo ! » – des blancs, des blancs – ça commence un peu à nous saouler – ça veut donc dire qu’on a de l’argent et que pour le chauffeur qu’on choisira la course sera bien avantageuse. L’un d’entre eux hésite même pas à sortir de sa voiture et à dégager le gars qu’il était en train d’acheminer.

C’est pas celui là qu’on va prendre.

Un autre chauffeur nous fait signe – son sourire comme une banane au milieu de la tête. Il semble sympa, la voiture plutôt propre…

On monte dans le taxi.

Qui démarre en trombe.

Enfin… comme elle peut quoi…

La trombe africaine !

Et pendant qu’on déboule dans le dédale des ruelles de Cotonou, le chauffeur se tourne enfin vers nous:

« Vous allez où ?»

Et on répond en chœur: « Au marché de Dantokpa ! »

 

À suivre…