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Mon prochain voyage

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Début 2015 – à peine remis du nouvel an, un soir – ou une nuit, comme vous voulez… – avant de tomber dans les bras de Morphée j’erre et je pagaie pénard dans mon lit king-size. Je me dis que ça fait un bail que j’ai pas pris de vacances. Des vraies vacances, je veux dire, ce qui veut dire partir loin – si possible à l’étranger – quitter la routine du quotidien et vagabonder dans les ailleurs aux sonorités différentes.

Bon, d’accord… C’est pas que je commence à tourner en rond, hein, mais… Où aller ? En plus les nuits sont longues, il fait froid – moi j’ai besoin de SOLEIL ! – Histoire de me rafraîchir les idées… Et si je partais, disons en février, disons dans le sud de l’Espagne ? L’Andalousie !

Arf, j’imagine déjà Cordou, Grenade, l’Alhambra – et les doux rayons du soleil qui tapent sur ma peau… – car j’imagine que le soleil pointe le bout de son nez, là-bas, hiver ou pas, contrairement à ce qui s’est passé dans ce putain de désert où je me suis retrouvé, gelé de la tête aux pieds, avec les vêtements d’été que j’avais emportés parce que j’avais cru bien faire.

Et je m’endors, enthousiaste à mort.

Le jour d’après le réveil sonne, j’ouvre les yeux – et alors que mes paupières sont à demi-ouvertes – ou encore à demi-closes, comme vous voulez – une vision m’apparaît. Une vision – un peu comme celle que j’ai eue avec mon ukulélé. Une vision – juste un nom, en neuf lettres majuscules : LJUBLJANA.

Ljubljana, une vision… – il en faut pas beaucoup plus pour me dire que c’est là que le destin veut que je vienne passer mes prochaines vacances.

Ljubljana – la « Petite Venise » : pourquoi ce nom, cette ville m’apparaissent et résonnent en moi de bon matin ? C’est vrai qu’il y a quelques mois, j’ai accueilli chez moi deux nanas, des Slovènes, pendant deux nuits – bien sympa au demeurant – elles m’ont parlé de Ljubljana, bien sûr, elles m’ont parlé de ses charmes et de la nature environnante – mais à part ça, j’ai strictement AUCUNE IDÉE de la raison pour laquelle cette ville m’apparaît en flash ce matin là.

C’est écrit, c’est tout.

Le soir même au café je bois un verre pénard avec Camille. Les voyages, ça nous connaît, avec nos 4000 Km parcourus en stop ! Je lui expose tout de go mon idée de partir pour la Slovénie et de visiter sans savoir trop pourquoi Ljubljana. « Ah c’est super », elle me fait, « tu pourras prendre un vol direct et passer un gros week-end là-bas ! »

Ouais, ouais, c’est super, mais moi, un gros week-end ça suffit pas, j’ai besoin de partir une semaine minimum. Je sais que la ville en elle-même, elle est pas trop grande et deux trois jours suffisent pour y faire le tour et bien l’explorer.

Et là tout s’enchaîne dans ma tête – comme si c’était écrit : les lettres du mot Ljubljana qui sont apparues devant mes yeux matinaux, le fait d’être assis avec Camille, avec qui j’ai partagé tant de lifts…

Ljubljana, c’est en AUTO-STOP que je vais y aller.

L’année dernière, j’étais pourtant parti en stop à Łódź en me disant sincèrement que ce serait ma dernière fois, que je m’étais prouvé ce que j’avais à me prouver, que j’avais désormais tourné la page et qu’il était temps que je passe à autre chose.

Mais à chaque fois que je suis en voiture sur l’autoroute, quand ma tête est collée au carreau embué et que je contemple les paysages qui défilent, ou dès que je passe à côté d’une aire d’autoroute, je peux pas m’empêcher de me souvenir de tout ça, de la route, et je ressens comme un appel.

C’est pas fini.

Alors que je discute avec Camille, cet enchaînement se fait très vite dans mon esprit – bien plus vite que le temps qu’il vous a fallu pour lire les trois derniers paragraphes – ça fuse dans tous les sens, mais l’idée de l’auto-stop est lancée comme une évidence, comme si c’était prévu depuis le début.

Le pire, c’est qu’à l’instant où j’en parle à Camille, je sais même pas la distance qui me sépare de Ljubljana, ni quel chemin prendre pour y arriver.

La réponse à cette question, je l’ai quand je rentre chez moi et que je squatte fiévreusement Google Maps. 1400 Km, même pas. Du gâteau après Łódź. En plus, aucune ville m’intéresse sur le trajet. Une fois que je serai lancé sur l’autoroute, j’irai gaiement de station-service en station-service, et ce sera relativement facile d’accoster les véhicules pour demander à leur conducteur/conductrice s’il/si elle accepte un lift. Car, comme tout auto-stoppeur le sait – ou le découvre, les deux trucs les plus difficiles en stop, c’est 1) sortir d’une ville, et 2) rentrer dans une ville.

Bref, je pense qu’il faudra compter deux jours pour y aller.

Pour des tas de raisons, je dois décaler mes congés. Moi qui pensais prendre une semaine en février pour aller profiter d’un temps clément en Europe du Sud, j’ai finalement la possibilité de partir la première semaine d’avril – et ça m’arrange doublement : les jours rallongent de plus en plus, et il fera de moins en moins froid. Traduire: lever le pouce sera plus facile, et je serai visible plus longtemps.

Les jours passent, et j’imagine la pancarte que je vais fabriquer pour le trajet. Est-ce que je vais faire la liste de tous les endroits par lesquels je vais passer pour atteindre Ljubljana – comme j’avais fait pour Łódź – ou est-ce que je vais seulement afficher SLOVENIJA – LJUBLJANA et ensuite, advienne que pourra et vogue, vogue la galère ?

Il y a quelques jours je discute avec un collègue – je lui raconte mes plans pour Ljubljana – car forcément, plus les jours passent, et plus je suis fébrile à l’approche du départ. Je m’aperçois alors que même si j’y arrive en stop, je passerai là-bas beaucoup plus de temps que les deux trois jours qui seraient selon moi nécessaires pour visiter la ville. Ok, je peux bien sûr explorer Ljubljana en profondeur, aller dans les faubourgs, dans la campagne ou dans la forêt slovènes – et en profiter un peu aussi pour me reposer. Mais je peux aussi – pourquoi pas soyons fous ! – pousser le stop plus loin… 600 Km plus au sud – Jusqu’à SARAJEVO !

J’ai toujours rêvé de poser le pied à Sarajevo. Me demandez pas pourquoi… Simplement, pour moi il y a deux villes en Europe qui symbolisent le XXème ciel : Berlin et Sarajevo. Ces deux villes ont connu la folie et l’horreur des hommes, tous les courants, tous les tourments. Elles ont été bousculées, tiraillées, défigurées, mais aussi unies… l’Europe…

Berlin, j’y suis déjà allé quelques fois.

Alors ce sera Sarajevo.

En passant par Ljubljana.

En auto-stop.

On verra bien.

Berlin Berlin – Partie 2

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Et 30 minutes plus tard, Camille est parée pour l’aventure. On marche un peu dans Moabit. Le quartier me dit quelque chose… mais quoi… ?

Moabit

Moabit

Surtout cette rue là-bas… Putain ! C’est la rue où habitait Julius ! Cette nuit, j’ai dormi à deux rues d’écart de l’endroit où j’avais passé ma toute première nuit Berlinoise !

Je comprends désormais la raison pour laquelle l’agencement de l’appart’ de Jens me rappelait quelque chose : Julius vivait – vit toujours ? – dans un appart’ semblable…

Berlin Berlin – facétieuse Berlin.

Tu caches bien ton jeu, tu me donnes des frissons et tu joues des tours à ma mémoire – car le problème dans tout ça, tu sais, Berlin Berlin, c’est que j’aimerais bien revoir mon ancien corres, j’aimerais bien savoir ce qu’il devient, ou même s’il habite encore ici, mais je suis incapable de me souvenir du numéro de l’immeuble de Julius – et bien sûr, pour ne rien arranger à l’affaire, dans sa rue, et dans ma mémoire après 13 années, tous les immeubles se ressemblent.

Berlin Berlin – actes manqués qui déchirent mes entrailles.

Ces regrets de ne pas avoir pu me mesurer au passé me collent un air maussade, heureusement Camille me fait changer d’horizon. On empreinte le métro, on descend à Kleistpark par hasard et on finit par arriver au cimetière de Sankt Mathäus – vas savoir ce qu’on fout là… – où les frères Grimm sont enterrés.

"T'es allé voir quoi à Berlin? - Les tombes des frères Grimm..."

« T’es allé voir quoi à Berlin?
– Les tombes des frères Grimm… »

Beau patchwork de couleurs – une palette allant du vert foncé des feuilles au gris-noir du macadam humide – et des raies de soleil qui frappent le sol dans les allées quasi-désertes.

Mais tout va vite, très vite – et peu après, nous voilà dans un Lidl où on fait escale pour faire nos provisions.

Camille : « Les Allemands sont capables de dépenser des millions pour des voitures mais niveau bouffe ils achètent de la merde. » – et les saucisses impérissables enturbannées dans du cellophane qui s’étalent entre les melons et les yaourts lui donnent raison.

La journée est déjà bien avancée – il est 14h – et on doit en profiter à fond, parce que demain on lève déjà le camp direction Poznań

On va à l’ancien aéroport de Tempelhof – créé par les nazis et rendu ensuite célèbre par le pont aérien lors du blocus soviétique de 1948-49. Maintenant c’est un grand parc – les gens ont pris possession du terrain mais on sent que la ville est en train de récupérer tout ça, de le réorganiser pour pas perdre la main dessus.

Tempelhof

Tempelhof

Tempelhof

Tempelhof

Berlin Berlin je soupire – j’ai l’impression que tu es encore cool pour quelques années mais ça a déjà atteint son Hauptpunkt (1) et son déclin est déjà amorcé niveau fuck it up et dynamisme. Tes squatts – enfin ceux qui ont pas fermé – ne sont plus que des vieilles reliques et ta contre-culture bouillonnante qu’on trouvait à chaque coin de rue il y a 12 ans est plus qu’un souvenir – pas si lointain, OK, mais un souvenir quand même.

Les boîtes de nuit alternatives – Jens me l’a dit ce matin – la GEMA, cette pute, elle a augmenté les taxes que ces discothèques peuvent plus se permettre de payer – du coup elles ferment une après l’autre et les clubbers se cassent à Tel Aviv.

Kreuzberg

Kreuzberg

À Kreuzberg on se mange un kebab-dürüm fait maison on a de la farine plein les doigts.  Et ensuite c’est reparti – on marche, on marche, on arrête pas de marcher entre usines bizarres et quartier boboïsé. On se fait tirer nos portraits en noir et blanc dans un photomaton de hipsters.

Photoausgabe in 5 Minuten

Photoausgabe in 5 Minuten

Plus tard, quand on aura fini tout notre périple, je me dis que ces portraits de nous, ils seront aussi cultes que celui de Marty Mc Fly et du Doc dans Retour Vers le Futur III.

On passe sur un pont de la Spree – L’Oberbaumbrücke – où des scènes du film Lola rennt ont été tournées.

U-Bahn und Oberbaumbrücke

U-Bahn und Oberbaumbrücke

Lola Rennt!

Lola Rennt!

Et on arpente le Mur du côté de la East-Side Gallery – Mur coloré, peint, tellement vu et revu qu’il est inutile de décrire – mais désormais, les œuvres d’art sont presque toutes taguées et dégueulasses.

On culpabilise un peu que Jens soit pas avec nous. Mais il révise, ou il est au lac et il est désormais trop tard pour qu’on puisse le rejoindre. On prend le tram à Ostbahnhof, direction Alexanderplatz où on pose en panoramique devant l’horloge universelle Urania et autour de la Fernsehturm.

Du haut de la Fernsehturm, j’ai la preuve que tout a changé. Les grues – celles dont le nombre il y a 12 ans symbolisait la vitalité de la ville – sont beaucoup plus clairsemées.

Berlin, Berlin…

Où est ta frénésie ?

Elle est partie

À Tel-Aviv ou ailleurs ?

On marche vers le Rotes Rathaus, puis vers la Gedächtniskirche.

Usé, hein, sale rouge à lèvres de catin qui a perdu ses attraits flamboyants !

On prend le métro jusqu’à Rosa Luxemburg Platz. Prenzlauer Berg est très bourgeois – on se perd dans un cour d’anciennes usines reconverties en bar et boîtes. On boit quelques bières – de la Hefe Weissen et je ne me souviens plus si on prend un Jägermeister – Bah quoi ? Faut bien me consoler, Berlin – cette fois ci, tu m’as pas transcendé ! J’irai la trouver ailleurs, la leçon de vie que j’attendais ! Sur des routes craquelées ou entre les jambes charnues ou félines d’une belle de nuit – peu importe, Berlin, je peux partir ou te tromper – ton charme est rompu.

Fini de diverger, le métro Berlinois nous dépose à Turmstraße – sans rancune et au plaisir ! – de là on rentre chez Jens et ses colocs, et le sommeil me happe – Berlin, à quoi bon rester éveillé des nuits entières si tu proposes rien ?

Quand je me réveille, pareil qu’hier, Jens est en train de se préparer le petit déj. Plus précisément, il découpe en lamelle des kiwis et des bananes et se les verse dans un bol qui remplit avec du fromage blanc et du Müsli.

Son iPod est branché sur les enceintes.

Dans deux heures Camille et moi on lève le camp.

Dans deux heures on se casse, Berlin. Mais écoute, Berlin, écoute : dans les enceintes de la cuisine de chez Jens la chanson qui passe c’est la même qu’hier et c’est celle-là :

Jeunesse disparate.

Je pensais que tu allais me déflorer une deuxième fois, Berlin, comme tu l’avais fait dans ma jeunesse.

Jeunesse disparate, ouais.

Mais pour me déflorer une seconde fois, faudra que je parte faire mon éducation

ailleurs.

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(1) paroxysme

Berlin Berlin – Partie 1

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Berlin, Berlin

J’ai été amoureux de toi,

j’en été amoureux en toi –

Berlin Berlin

plusieurs fois…

Et désormais je suis perdu.

Berlin Berlin tu m’as ouvert les yeux cette fois là, et j’ai compris à 13 ans le corps et l’âme – bouleversés – que je ratais l’essentiel, je me défilais face à la vie qui défilait devant moi, qui s’étalait, et j’étais trop con pour la croquer, cette putain.

Berlin Berlin où tout courait, vrombissait, tournoyait, craquait, s’élevait, se bousculait aux sons méta-jazziques des cadors d’antan.

Berlin Berlin, qu’es-tu devenue ?

Que suis-je devenu ?

Pourquoi ton charme n’agit plus ?

Berlin Berlin…

On déboule Camille et moi à Berlin Berlin dans une nuit sans étoiles de mi-septembre. C’est un déménageur Breton – je te jure ! – Michel, qui nous prend en lift à l’entrée du Ring et pour les 20 derniers kilomètres, dans un camion Hertz qu’il a loué.

Berlin Berlin première escale de notre périple en auto-stop jusqu’en Pologne. Je te raconte pas l’état dans lequel on est : ça fait 36h qu’on a pas dormi – ou si peu – 2h dans un abri-bus entre 3 et 5h du mat’ la veille à Dortmund, puis une heure au bord d’un champ entre Dortmund et Unna entre 9 et 10h.

En tout donc, même pas 1000km, 15 chauffeurs et 36h de route dont 12h à tournoyer à la sortie de Dortmund pour finir par revenir au même spot – et des rencontres et situations bien zarbos – notamment Roman, l’Ukrainien qui transporte des trucs un peu chelous entre l’Italie et son pays, des Turcs qui nous prennent sur quelques kilomètres à 5h du mat’ à la fin de leur soirée et qui trouvent rien de mieux à faire que de nous filer des baklavas pour nous donner du courage, et un gars totalement ravagé qui a pas hésité à faire demi-tour au milieu d’une route nationale – heureusement à ce moment là peu fréquentée – pour nous prendre alors qu’on était coincés à un spot pourri où on pensait qu’aucune voiture ne pourrait s’arrêter. Le mec en question, musique techno à fond de balle, nous dit que Unna, sa ville, « c’est pas dangereux, parce qu’il y a pas beaucoup d’étrangers », envisage de nous déposer sur l’autoroute, puis finit par nous dropper dans un coin louche de la zone industrielle de Unna qui se trouve – par chance – se situer juste derrière une aire d’autoroute.

Dans son camion Hertz, Michel nous raconte qu’il déménage, il retourne en France parce qu’il vivait à Berlin Berlin avec sa copine, mais depuis qu’elle l’a quitté, il a plus rien à foutre ici.

C’est sur ces paroles que, même si je suis submergé par le sommeil, je fronce les sourcils : dans mon souverêve, Berlin, il y avait tellement de trucs à faire, à découvrir, que tu étais obligé d’y rester, même seul et abandonné de tous.

Il est minuit quand Michel nous dépose à Moabit, juste en face de là où habite Jens, le gars qui nous héberge Camille et moi pour les deux nuits qu’on reste sur place, avant de reprendre la route et de s’attaquer à la Pologne.

On lui fait signe, mais le camion Hertz est déjà loin sur la Turmstraße – demain, Michel doit être en forme pour entasser ses dernières affaires dans le camion Hertz et conclure ainsi sa trépidante et délicate vie Berlinoise.

On perd pas le nord et on sonne chez Jens. Il est là, il nous attend : « Montez ! » il nous dit à l’interphone dans un français assez maîtrisé. En arrivant chez lui, on lui offre le reste des baklavas plus très frais, on se fait une vieille soupe en sachet qui traînait au fond de nos sacs et on discute un peu. Après ses exams, Jens part à Tel Aviv : « C’est là que la fête a lieu !

– Quoi ? » je fais, « et Berlin alors ?

– Quatsch… » (1)

Berlin, la place numéro un de la fête, remplacée par une ville israélienne sans prétention ? OK, autre signe que pas mal de choses ont changé depuis 12 ans…

Il est tard, Jens est déjà en pyjama et il semble aussi crevé que nous, alors Camille et moi on se décrasse un peu – on pue quand même l’essence, le macadam et l’air pas très vivifiant des autoroutes – et on va se coucher.

Berlin Berlin

Ma première nuit Berlinoise depuis 12 ans.

Ma première nuit Berlinoise est courte – je me réveille à 4h – le bruit désagréable des bagnoles et du chemin qu’on a parcouru jusque là comme un Ohrwurm (2) dans les oreilles.

Ma nuit Berlinoise est courte et j’observe la ville depuis la fenêtre de la chambre. Berlin Berlin à l’aube d’un nouveau jour.

Je contemple l’appartement – son agencement me rappelle quelque chose. Mais quoi ?

Je pousse un soupir et je me rendors tant bien que mal.

À 9h, j’entends Jens qui se réveille et se dirige vers la cuisine. Je sors des draps et je viens à sa rencontre. Il se fait un petit déj’ et en prépare un pour ses colocs. On discute un peu des choses qu’il y a à faire dans le coin, des trucs à visiter que j’aurais pas déjà vus ou faits il y a 12 ans.

Son iPod branché sur les enceintes passe une musique. Mais j’ai pas le temps de dégainer mon carnet et un stylo pour me souvenir de hein quoi qu’est-ce ? – qu’il a déjà repris son iBidule et s’apprête à partir à la fac pour réviser ses exams. « Peut-être que ce soir, on ira nager dans un lac si ça vous dit ?

– Peut-être, j’en parlerai à Camille et on te tiendra au courant par téléphone.

– Ça marche. Bonne journée. Profitez bien. »

Je me douche, je profite encore de la cafetière Senseo de Jens puis je retourne dans la chambre.

Berlin Berlin– un nouveau jour et Camille qui dort à poings fermés, je sens qu’elle est partie pour nous faire une grasse mat’. J’essaie tant bien que mal de la secouer. Au bout de cinq minutes d’une bataille d’oreillers farouche avec son corps inerte, elle commence enfin a lever les paupières.

« Alleeeeez Camille, Yalla!, on a d’autres chats à fouetter. Et à Berlin, de jour comme de nuit, les chats sont multicolores.

Enfin, je crois…

Enfin, il y a 12 ans, il étaient multicolores… »

À suivre…

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1) Ici, pourrait se traduire par « Sornette! » ou « N’importe quoi! »

2) littéralement, « ver d’oreille », quand on a une musique qui reste en tête

Big in Berlin

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Les souvenirs – ils vont, ils viennent

comme des roses qu’on sèche avant qu’elles se fanent totalement. On les préserve mais l’éclat – la flamme – reviendra jamais complètement.

Comment décrire ça ?

Comment raconter Berlin – la claque de ma vie, le changement si radical, si profond qui s’est opéré en moi après avoir croqué Berlin ?

Printemps 2001 – un an après avoir croisé la route d’Alexis Markowicz.

Un an, et j’ai pas changé – maladivement timide, introverti, je dessine dans mon coin des histoires de science-fiction absolument absurdes, et je me plonge dans les livres et je me passionne pour le Big Bang et la théorie des cordes.

Printemps 2001 – et on est pas encore vraiment plongé dans le XXIème siècle, à l’ombre des tours mortes.

Printemps 2001 – échange scolaire, une semaine chez mon corres à Berlin.

Printemps 2001 – et un Deutsche Mark = 3,45 Francs.

Printemps 2001 – et à la Gare du Nord toute la classe monte dans un train de nuit direction Berlin Hauptbahnhof.

Le trajet est le plus long de ma jeune vie. La nuit, je me réveille plusieurs fois et je, je sors de ma couchette et je scrute les rails et les paysages qui défilent par la fenêtre. Dans mes souverêves je compte – et vers 4h du mat’ j’ai l’impression que ça fait la septième fois qu’on passe là, à Bruxelles.

Je me réveille tant bien que mal au milieu du quai – mes sens sont pas du tout en alerte – et cette langue que tous les voyageurs baragouinent autour de moi en me bousculant souvent – cette langue c’est de l’Allemand. Première fois que j’entends vraiment parler Allemand. Et moi qui maudissait mes parents d’avoir choisi pour moi Allemand LV1, tout ça pour me retrouver dans une bonne classe !

Printemps 2001 – et je monte pour la première fois dans un S-bahn aux couleurs du soleil couchant. Un peu plus tard, je suis happé par mon corres, qui vient me récupérer à l’école où on a rendez-vous. Julius, il s’appelle. Je préfère pas lui dire que j’ai appelé ma gerbille pareil. Dès qu’il me cueille, on galope jusqu’au métro, et on embraye sur douze stations, deux changements, avant d’arriver chez lui. Et dire que moi, j’habite à dix minutes du collège et mon père m’y dépose devant tous les matins…

À l’appart’, Julius me dit, en parlant doucement et en employant le plus de mots français qu’il peut, que sa mère est pas encore rentrée du travail. Il me laisse poser mes affaires dans la chambre d’amis – je me souviens qu’il y a une revue MAD sur une étagère, et puis quand je le rejoins il est dans sa chambre il joue à Diablo II. 17H30 – visiblement il est l’heure de manger parce qu’il fait des va-et-vient dans la cuisine et y ramène du pain industriel grillé et du beurre de cacahuètes. Il mange ses tartines en continuant sa partie. Je le regarde jouer.

Pour m’y préparer, j’ai lu pas mal de bouquins sur les jeux d’héroic-fantasy.

Printemps 2001 – et, le lendemain et les jours suivants, avec ma classe on visite Berlin. Le Pergamon Museum, la Fernsehturm, la Gedächtniskirche en forme de rouge à lèvres, le quartier de Prenzlauer Berg, et surtout, le gros piège à touristes – Checkpoint Charlie. Le Reichstag vient d’inaugurer sa coupole panoramique. Dans le ciel au dessus de Berlin, je compte les grues – il y en a au moins une vingtaine et pour la première fois de ma vie je sens que tout bouge autour de moi, je sens que je suis au beau milieu de l’Histoire en train de se faire.

Pour m’y préparer, j’ai lu pas mal de bouquins sur l’Histoire de Berlin.

Berlin -les grues

Berlin -les grues (2001)

Berlin - Fernsehturm

Berlin – Fernsehturm (2001)

Berlin - Alexanderplatz

Berlin – Alexanderplatz (2001)

Printemps 2001 – j’ai 13 ans et il pleut. Et je passe à côté de Bahnhof Zoo –sans vraiment visiter le zoo – sans vraiment voir la faune et la flore de la gare et de ses alentours – et bizarrement, Christiane F., on l’a jamais étudié en cours d’Allemand.

Pour m’y préparer, j’ai lu pas mal de bouquins sur les enfants de Bahnhof Zoo.

Printemps 2001 – j’ai 13 ans et il pleut. J’ai 13 ans et ce qui est le plus mémorable dans ce séjour – comme dans tous les séjours scolaires j’imagine – c’est quand les profs sont pas là et qu’on est libre de faire toutes les conneries du monde. Et les conneries c’est la visite inopinée d’un blockhaus, un cache-cache dans le Ka-De-We. Et les conneries c’est aussi le Sony Center, tour de verre et de métal érigée au beau milieu de l’ancien no-man’s land de Potsdamer Platz – symbole du capitalisme triomphant – le Sony Center et son lac artificiel – son lac artificiel où je plonge les pieds, et où je crois marcher sur l’eau – et surtout au bord duquel les filles me regardent ‘un œil chelou – genre « Qu’est-ce qu’il fait, lui, là ? ».

Pour m’y préparer, j’ai lu pas mal de bouquins sur les gens qui font n’importe quoi.

Printemps 2001 – je fais ce que je veux – avec insouciance, sans aucune contrainte – et ma prof de français aurait pu le leur répéter, à ces filles tout juste pubères : «  Le ridicule ne tue pas, sinon Ben Howl serait déjà mort. » Elles s’attendent, c’est sûr, à ce qu’on les surprennent, mais pas trop quand même – et surtout pas comme ça !

Printemps 2001 – j’ai 13 ans et je découvre le jazz. Mon corres joue du tuba dans un Band et il se donne en concert à la Kunstfabrik Schlot – le dimanche matin, dans une ambiance feutrée.

Le seul problème, c’est que je suis imperméable à ces relents de Chet Baker, de Duke Ellington et de Count Basie qui me bercent pourtant les oreilles. Pourquoi ?

Parce que, visiblement, je suis encore trop jeune. Et que j’ai pas encore eue la Révélation jazzique.

Parce que, visiblement, la veille, c’était la BOUM. Ouais, la boum, avec ces filles, ces adolescentes de Berlin ou d’ailleurs qui veulent danser avec tout le monde, même avec moi quand les garçons de la classe sont pas dispo pour le quart d’heure américain de Berlin. Ma première boum – dans un lieu de culte protestant, prêté pour l’occasion par le père d’un des corres. Une boum – où les panaché se boivent sous le manteau. Une boum où passe de la musique dégueulasse et où je me sens un peu transparent. Une boum où les filles se sont faites toutes belles, pour, qui sait ? connaître leurs premiers émois.

Une boum, cerise sur le gâteau de tout le séjour, qui me fait devenir grand à Berlin, parce qu’elle me fait prendre conscience, dans la frustration et l’indifférence – moi, pauvre garçon interminablement cloué sur mon banc, de cette impitoyable leçon de vie :

Ce que tu vis est plus important que ce que tu lis.

Hannover Garbsen – Partie 2

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Toujours 3h du mat’, toujours bloqué dans la nuit encre de Chine sur cette putain d’aire d’autoroute Hannover-Garbsen, et avant de me faire interrompre par Monsieur H. et son texte – qui est, de vous à moi, le fruit d’un travail d’orfèvre – j’étais en train de vous raconter comment j’en étais arrivé là.

Donc, il y a tout d’abord Louis et mon « covoiturage spontané », concept que j’ai inventé pour dire que j’ai foiré l’autostop en beauté en acceptant lâchement de me faire véhiculer moyennant finances. Je sais que Camille aurait pas du tout approuvé ça – pour elle le stop c’est « Si tu me fais payer, je monte pas avec toi. » Heureusement, béni soit Kerouac, qui, quand il a sillonné les routes américaines en large et en travers, a dû, parfois, filer quelques dollars pour faire quelques miles.

Louis me dépose sur l’aire de Lipperland Süd sur les coups de 23h. De là il va à Minden, puis il retourne à Essen. Et demain, et les jours suivants, il fera pareil, ce saint impitoyable.

Adios l’ami ! – je lui fais signe quand il démarre – mais il s’en fout. Les bandes blanches et la vitesse l’attendent.

Pause pipi de nouveau – ce serait dommage de me faire dessus sur la route en salissant le cuir d’un siège passager. Pause bouffe – bananes et petits-beurre, et pause café également – jusqu’à Łódź, ça peut être long.

Si je fais le calcul rapidos, je dirais que j’ai déjà encaissé un tiers des 1600 Km qui me séparent de ma destination. Hanovre est à 100 Km, Berlin à 400 Km. Et ensuite Poznań et la Pologne, enfin…

Pancarte

Pancarte

Je stationne devant la station-service Aral. Je réarrange ma pancarte, la réduis de moitié en retirant tous les endroits que j’ai déjà franchi.

 Pas le temps de finir ma clope, un camion rouge s’arrête devant moi. Le chauffeur descend et s’approche : « I can drive you to Hannover.

– Let’s do that ! »

Avec des signes il m’explique que je dois abandonner ma « pancarte de rechange », un carton sur lequel j’ai rien écrit, histoire d’avoir quelque chose sous la main au cas où j’aurais dévié de ma route. Je suis d’abord réticent, puis je me dis que si je dévie, je ferai avec les moyens du bord. Alors il m’aide à mettre mes sacs dans la cabine et on embarque.

Wow un camion – ça faisait un bail

Mon chauffeur, Carshie (?) me propose du Red Bull et du café – sa glacière est à portée de main et la machine à espresso sur le tableau de bord. Il laisse son paquet de clopes à proximité et me fait comprendre que je peux me servir comme je veux. Un ange ! – un ange qui écoute de la musique pop Bulgare – quand je lui pose des questions il baisse le son pour me répondre.

« Ça fait combien de temps que tu es chauffeur routier ?

– 25 ans.

– Qu’est-ce que ton camion transporte ?

– En général, du courrier et des colis. Je bosse pour Fedex. Mais pour l’instant, rien du tout. Je dois récupérer une cargaison à Berlin et la déposer à l’aéroport d’Hanovre, d’où je viens de partir.

– Tu as de la famille, des enfants ?…

– Ouais, j’ai deux filles. L’aînée a 22 ans. Elle fait des études de droit en Bulgarie. La plus jeune a 17 ans, elle est au lycée à Cologne. »

Dans le camion on domine la route en fonçant dans la nuit. C’est très calme, j’ai pas l’impression qu’on dépasse les 100 Km/h. Mais je suis en forme, enthousiaste et bien confortable sur mon siège. Dans la direction opposée, on aperçoit trois accidents – et les embouteillages qui les accompagnent.

Carshie a les muscles saillants, sa peau est parsemée de tatouages. Je l’observe du coin de l’œil – sa route est encore longue mais il sourit. Après ma série de questions il remet la musique à fond. Première fois de ma vie que j’écoute ces airs traditionnels remixés à la sauce électro – de la Tchalga – et figurez vous que je trouve ça génial…

Vers 1h du mat’ Carshie me dépose sur l’aire d’Hannover-Garbsen. Il a l’air vraiment désolé quand il me dit qu’il peut pas m’amener plus loin. Un grand signe, et c’est un autre ange de la route qui s’obscurcit en s’éloignant.

Voilà, je vous ai raconté comment j’en suis arrivé là. Maintenant ça fait deux heures que je poirote comme un con ici. Il fait un peu froid, adossé aux vitres de la station-service, j’enfile mon sweat-shirt. Le mec de la station-service me fixe des yeux – il s’est d’abord méfié de moi, maintenant il me regarde d’un air attendrissant.

Vue de la station-service

Vue de la station-service

Au niveau des pompes, je roule ma bosse et ma clope – oui, on fait avec l’humour qu’on a – seul à 3h du mat’ sur une aire d’autoroute paumée dans un pays qui n’est pas le sien.

L’aire d’autoroute est immense, pourtant aucune voiture s’arrête pour mettre de l’essence – aucune voiture sauf des « microbus » – des espèces de fourgonnettes sans fenêtres qui traversent l’Allemagne et la Pologne, remplies de passagers entassés dedans. Je les vois sortir des véhicules, hagards, fumer des clopes et se dégourdir les jambes pendant que les chauffeurs font le plein. À chaque fois, leur regard se pose sur moi, rempli de regrets – ils pourront pas me véhiculer.

Tant pis… Mon attention – enfin… toute l’attention que je suis capable d’avoir à cette heure avancée de la nuit – s’est reportée ailleurs. Vers une voiture solitaire qui traîne en plein milieu du parking devant le restoroute. Une voiture immatriculée en Pologne – et dedans, qui dort : mon sauveur.

mon sauveur?

mon sauveur?

J’attends qu’une chose, c’est qu’il se réveille. Quand ce sera le cas, il me verra, et là, c’est obligé, il va me prendre et m’emmener direct jusqu’à Łódź. Je le sais, c’est comme ça que ça va se passer.

En attendant, je fais des rondes dans le coin des camions, où je vois les chauffeurs se garer comme ils peuvent, sortir quelques instants pour vérifier leur cargaison, puis rentrer et tirer les rideaux de leur cabine – avant de se reposer quelques heures pour reprendre la route de nouveau.

Ronde de nuit

Ronde de nuit

Je commence à broyer du noir – sévère. Je me sens comme au milieu de nulle part, comme cette fois à Dolna Grupa. Sauf que cette fois pas de Camille, pas de Candy Sweet, pas de Lola, pas de Marlène non plus – je suis seul – désespérément seul. Et traîner là au milieu de ses mastodontes d’acier, ça commence à me faire flipper grave.

Je regarde leur plaque d’immatriculation, à mes camions, et j’essaie de deviner d’où ils viennent et quelles routes les a menés jusqu’ici. Mais ce jeu dure pas bien longtemps – j’angoisse et je commence à avoir sommeil.

Énième pause clope à la station-service à côté des microbus compatissants qui défilent à la chaîne, puis j’entame une énième ronde dans le coin des camions. Mon sauveur là-bas seul dans sa caisse est toujours pas réveillé.

Tout à coup, alors que je suis au bout de la troisième rangée de camions, près de la sortie de l’aire d’autoroute, un vrombissement. Soudain, rapide et violent. Et je vois sa voiture filer à toute berzingue. Putain, mon sauveur vient de se casser !

Le chien !

Je misais tout sur lui.

Qu’est-ce que je vais foutre maintenant bordel ?

Je maugrée toute ma misère en traînant des pieds jusqu’à la station-service, où je m’écoule sur le béton, froid et qui pue l’essence. Faut que j’en fasse mon refuge – parce que si ça se trouve, je partirais pas d’ici avant l’aube.

Mais une bagnole déboule. Une vieille merco-benz blanche – début des années 80 je dirais. Immatriculée 75. Paris ! Un Français ! Alors que je me remets debout, son conducteur se pointe vers moi. Et il me dit un truc – un charabia incompréhensible – du polonais ? « Nie mówię po polsku… » je fais. Alors, dans un français sans faille, il me dit : « Je m’appelle Michał. Je vais jusqu’à Poznań. Si ça te dit, je te dépose par là… »

Bien sûr que ça me dit !

Hop, je grimpe et je fous tout mon barda à l’arrière.

Les sauveurs sont jamais ceux qu’on croit et Michał l’ange met les gaz trace la route direction la Pologne.

Frénésie du départ

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« Durant la semaine qui précéda le départ pour Arrakis, alors que la frénésie des ultimes préparatifs avait atteint un degré presqu’insupportable, une vieille femme vint rendre visite à la mère du garçon, Paul. »

Dune, Frank HERBERT

 

Hier soir tard écroulé en étoile sur le lit prêt à rejoindre les bras de Morphée à défaut des tiens mon portable vibre. Lola du fin fond de sa banlieue lyonnaise un SMS aux chauds accents d’Amérique latine – j’espère que tu vas bien elle me dit, et je sais que tu vas partir bientôt en voyage (…) et la route est la voie de la vie.

Si tu savais Lola si tu savais…

J’en suis quasiment frénétique je te jure j’ai que ça à la bouche et dans mes yeux lumineux – comme des phares de camions. Morphée veut pas me tendre les bras à la place elle me dit clair et net d’aller me faire foutre. Parce que même Morphée je la saoule avec ça. Parce que ça revient sans cesse. Une valse. Frénétique. Une obsession.

 

Depuis le temps que j’en parle depuis le temps que j’en rêve – sur les ponts au dessus du périph’  ou en voiture la tête penchée à la fenêtre – les bandes blanches qui défilent elles s’espacent elle s’étirent elles m’appellent. Persistance rétinienne c’est ces mêmes bandes blanches qui défilent dans mes rêves – des rêves éveillés parce que Morphée refuse cette nuit encore de m’accueillir – rêves de goudron et de gaz d’échappement.

Rêve réveillé aussi quand je passe en métro au dessus de l’endroit où mon périple va commencer. Dans quatre semaines maintenant. Je me vois à ce spot au petit matin le pouce levé le sourire aux lèvres avec mes godasses mes guenilles mes guêtres mes sacs et mes pancartes. Qu’est-ce que je vais écrire dessus ?

 

BELGIQUE

COLOGNE

BERLIN

ŁÓDŹ

Ou un truc comme ça on verra bien. Ce qui est sûr c’est que cette fois ci c’est à Łódź que je vais – à 1300 Km d’ici. Une invitation et un sourire breton une fois sur place ça se refuse pas – et puis je connais pas encore Łódź c’est l’occasion de découvrir.

Cette fois ci je me la joue cavalier seul et j’irai d’une traite – avaler d’un coup toutes ces bornes sans filet de sécurité je compte bien rester éveillé pendant 48h tenir à coup de café café café café –

au pire dormir sur mes cartons sur le seuil d’une station-service.

 

Si tu savais Lola comme je suis pressé… Dans quatre semaines ! Même du fin fond de ta banlieue lyonnaise tu dois sentir ça tu dois la sentir cette frénésie je le sais. Si tu savais aussi Lola comme j’ai peur comme j’ai les boules. Peur de jamais y arriver – peur surtout de baisser les bras. Tout se joue là Lola je veux savoir si j’en suis capable j’en ai besoin.

 

Et au delà de la route il y a quoi ? La route je commence à la connaître maintenant elle est familière – et je sais que même si c’est les mêmes mauvaises herbes sur le bas-côté les mêmes gaz d’échappement les mêmes bandes blanches qui défilent la route Lola elle est à chaque fois différente. Et si je la refais dans quatre semaines cette route polonaise c’est pour retrouver les sensations que j’ai eues à l’époque – et quelques bouts de moi aussi. Comme si la première fois comme le Petit Poucet j’avais semé des miettes de pain tout au long de l’E42, de l’A4, de l’A2 aussi, et de l’A10 également, mais encore de l’A12 et enfin de l’E30.

 

et de toutes les autres routes et que je devais les récupérer.

Ou plutôt Lola je me vois partir en repérage oui c’est ça un repérage des lieux de tournage d’un GRAND BORDEL – la vie. La vie on est en plein dedans et on y va plein gaz.

 

Si tu savais Lola comme il me tarde de les récupérer ces miettes de vie ces souvenirs en lambeaux comme il me tarde de grimper dans des voitures allez hop pied au plancher recule pas tout droit toujours tout droit – et t’arrêtes surtout pas ZAG ZAG – comme il me tarde de les toucher ses bandes blanches qui défilent comme il me tarde de PUER la sueur les gaz d’échappement le goudron la nuit solitaire le carton mouillé – comme un vieux chat de gouttière on se la refait pas hein Lola ? – un vieux chat de gouttière…

 

Comme il me tarde.

Comme des Chiens errants au milieu de nulle part

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On the Road, which I keep thinking about : [is] about two guys hitch-hiking to California in search of something they don’t really find, and losing themselves on the road, and coming all the way back hopefull of something else.

– Jack Kerouac, journal, 23/08/1948, première mention de « Sur la Route »

Lille-Berlin : à vol d’oiseau 900 Km – 37 heures, 15 chauffeurs (!)

Berlin-Poznań : 300 Km – 4 heures, 1 chauffeur

Poznan-Toruń : 200 Km – 7 heures, 2 chauffeurs

Toruń-… Presque 6 heures, 2 chauffeurs…

Teraz jest teraz.

Maintenant c’est maintenant.

C’était écrit sur la porte des chiottes d’un bar de Poznań.

Maintenant c’est maintenant. Ici c’est ici et voilà où on est…

Jeudi… Le 13 septembre 2012. Camille et moi on vient de se faire dropper là par un gars de Chełmno. Il nous a pris en lift le temps d’aller ramener sa fille du poney-club et de faire un tour de la ville – nous montrer la vraie ville des amoureux, là où aurait vécu le vrai Saint Valentin.

Teraz jest teraz et maintenant le plan c’est d’aller à Gdańsk.

Teraz jest teraz et maintenant on est sur le parking d’une sorte de restaurant Buffalo Grill au bord de la route. Le gars de Chełmno a voulait nous déposer au péage de l’Autostrada 1 qui mène droit à Gdańsk mais ça lui aurait fait un trop grand détour donc il a préféré nous laisser là.

19h45 – ça fait dix minutes qu’on attend sur le parking. Ciel vespéral, traînées orangées, le soleil est sur le point de se coucher. Il y a quelques voitures en stationnement. Sans doute des gens qui se ravitaillent avant de reprendre la route. Peut-être que parmi eux il y en a qui vont à Gdańsk? Croisons les doigts…

Un mec sort du resto. Il nous regarde, allume une clope et s’avance vers nous. On comprend qu’il nous propose de nous dropper à dix minutes de là sur la route 1. Si on le suit, do widzenia l’autoroute et la pensée agréable de rejoindre Gdańsk en une heure et demi. On hausse les épaules. Tant pis. On lui dit tak tak bardzo dobrze et on le suit jusqu’à sa caisse.

Tadeusz alias Teddy dispose d’un 4×4 avec son chien derrière – il transporte des bateaux et rentre chez lui près d’Ostróda, dans la région des mille lacs. Gentil comme tout, le bougre. Il nous propose même de l’accompagner là-bas, il peut nous offrir le gîte et le couvert. On hésite mais on refuse. Ça nous éloignerait trop de notre route. Et en plus on a pas de ceinture de sécurité. Et Camille a un peu de mal avec les clebs. Teddy nous jarte à une station-service EKO TANK. On est à moins de 100km de Gdańsk – le panneau qu’on vient de croiser, je crois bien qu’il indique « Dolna Grupa » mais ça figure pas sur ma carte Michelin.

EKO TANK

EKO TANK

Alors je crois surtout que je sais pas où on est.

Teraz jest teraz et à Gdańsk, on a pas d’hébergement pour ce soir.

Mais ça sert à rien de penser à ça.

Gdańsk, on y est même pas.

La station-service est plus ou moins déserte.

Les rares voitures qui s’arrêtent prendre de l’essence ici vont pas jusqu’à Gdańsk– ou ont pas l’intention de nous prendre. Mais on s’en fout. Je suis d’humeur positive – à défaut d’être vraiment optimiste – et il fait pas encore trop froid.

Je regarde tout autour de moi. À droite, la route 1 qui passe par Gniew pour aller jusqu’à Gdańsk. Devant, la forêt. Et derrière la station-service, ce qui doit être Dolna Grupa. Quelques maisons. Un hameau. Pas de lampadaires. Pas de trottoir.

Que dalle.

Je soupire.

Faut que je m’habitue à cet environnement. Peut-être que c’est là où on va passer la nuit.

Je me roule une clope.

Camille a faim. Elle va se chercher un truc dans la boutique de la station-service.

De derrière la vitre je la regarde prendre un paquet de chips et expliquer par geste à la caissière qu’elle voudrait bien aussi un hot-dog prosze ! La nana derrière son comptoir mâchouille son chewing-gum et commence à préparer son hot-dog. Je suis subjugué. Elle enfourche la saucisse dans une sorte de baguette, puis elle fout plein de ketchup dessus. On appelle ça Parówki par ici et je trouve le geste de la nana vachement sensuel, quasi-érotique.

Après 1600 Km d’autostop, un rien peut nous faire fantasmer.

 

Teraz jest teraz et la nuit nous enveloppe désormais. Les minutes, les heures passent, et il fait de plus en plus froid. Camille et moi on alterne : parfois on se met au bord de la route et on fait des signes, des trucs comme ça pour se faire remarquer quand des voitures passent – pour qu’on monte dans l’une d’entre elles et qu’on arrive à Gdańsk si possible avant demain. Mais bien souvent on attend dans la station-service, devant la boutique, là où il y a un peu de lumière.

Camille lit son Bescherelle pour parfaire son allemand. On est en Pologne et elle se met à apprendre son allemand. Alors qu’elle a pas ouvert le bouquin une seule fois quand on a traversé l’Allemagne. Normal…

Le Bescherelle

Le Bescherelle

Je sors mon ukulélé et je gratte quelques accords. Mais le cœur y est pas.

Je fais le tour de la station-service – une énième fois.

Je me roule une clope – une énième fois. Bientôt paquet vide. Et à sec niveau eau. À sec niveau bouffe. À sec niveau argent liquide.

Kurwa masz !

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Un chien s’approche de moi. Un chien errant. Je le contemple. Lui aussi me fixe du regard. Je vois très bien ce qu’il est en train de se dire. On est pareils que lui. Tous seuls au milieu de nulle part. C’est pas demain la veille que Dolna Grupa deviendra un lieu touristique.

Le chien errant

Le chien errant

« Désolé bonhomme » je fais au chien. « J’ai rien pour toi. Et moi aussi j’ai les crocs… »

La station-service, quasi-morte depuis plus d’une heure, commence à s’agiter. Des camions se garent pour passer la nuit ici. Une moto stationne devant la boutique. L’enfourneuse de Parówki sort d’un pas rapide. C’est son copain qui vient la chercher. Il lui file un casque, elle monte derrière lui et la moto démarre de façon tonitruante.

Allez ! Puisque même la Parówki-girl est partie, Camille et moi on se donne un peu d’énergie, on se dit que ça va le faire, on peut y arriver, teraz jest teraz, faut juste se bouger le cul et croire en notre bonne étoile. On se place devant la station-service et comme il fait noir, notre seul moyen de se faire remarquer c’est de chanter. Alors c’est tous nos classiques qui y passent – genre Radio Nostalgie.

Joe Dassin – Siffler sur la Colline et Aux Champs Élysées – pour garder la pêche.

 

22h30 – teraz jest teraz et dans la nuit froide je suis en train de chanter Le Chanteur quand un camion s’arrête et s’engouffre dans la station-service. Jusque là c’est plutôt classique – sauf que le camion en question nous klaxonne alors qu’il fait sa manœuvre. Encore un sauveur ! Il descend du véhicule, on coure vers lui, comme à chaque fois il baragouine un truc, on répond automatiquement « Nie mówię po polsku » – alors il nous montre sa carte. Il va pas à Gdańsk directement mais nous en approche grandement. On le regarde, on hoche la tête et on lui dit « OK ». Il nous fait signe de monter.

C’est parti !

Yalla !

À suivre…