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Steppe by steppe

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Bill me dit que je fais jamais d’introduction dans mes textes. D’habitude je plonge directement les lecteurs et lectrices dans l’action, brute de décoffrage, façon Rambo – sans préliminaires.

Alors, cette fois ci, pour toi, Bill, je vais répondre à ces deux questions :

 

1) Où est-ce que c’est que ça se passe ?

 

Sur la Terre, en Asie Centrale, au Kazakhstan, entre Astana et Pavlodar, à bord d’une voiture qui fonce, fonce à travers les steppes.

 

2) Qu’est-ce que je fous là ?

 

Comme je le disais à Armelle qui s’inquiétait de pas voir Marlène dans mon avant-dernier texte, en me demandant « Elle est où Marlène ? », et quand je lui avais répondu que « Marlène elle était chez sa mère », eh bien en fait j’ai un peu mitonné – en fait Marlène elle était chez sa lointaine tante.

Conversation sur Facebook avec Armelle

Conversation sur Facebook avec Armelle

Sa vieille tante qu’elle voit pas souvent.

Sa tante qui est une « Allemande de la Volga ».

Sa tante qui vit au Kazakhstan, à Pavlodar plus exactement.

Sa tante chez qui je suis le bienvenu.

 

Alors moi, tu me connais, quand on me dit « viens », et quand j’en ai l’occasion, je me jette dans le premier moyen de transport venu – avion, paquebot, limousine, étalon des plaines – et j’arrive en deux-deux.

 

Et la manière dont Marlène m’a dit de venir. « Viens, viens… », langoureusement… comment ne pas succomber à ce genre de trucs…

 

Et en plus, gros coup de bol – depuis quelques jours, plus besoin de visa pour les ressortissants Français pour des séjours de moins de quinze jours ( – bon, tu me connais, avec la veine que j’ai, ce n’est que quand je me suis déplacé à Paname, et que j’avais devant moi la secrétaire de l’Ambassade du Kazakhstan, que j’ai été au courant de cette information…)

 

En bref, tous les signes étaient là – c’est comme si le Kazakhstan m’ouvrait grand les bras.

 

Train – avion – escale à Minsk – avion de nouveau – 15 heures de gamberge, quatre heures de décalage horaire, et j’arrive à l’aéroport d’Astana à 3h du mat’.

Marlène m’a dit qu’elle serait là, qu’elle m’attendrait à la sortie. Je la crois – mais ça m’empêche pas de flipper : est-ce qu’elle sera là ? Qu’est-ce que je vais faire si elle est pas là ? Attendre le premier bus, me rendre à la gare – mais j’ai même pas de thunes et je sais même pas comment ça se dit « gare » en kazakhe…

 

Je montre patte blanche au contrôle des passeports, je récupère mon bagage en soute et je sors de la zone d’arrivée. Et Marlène est bien là, elle vient juste d’arriver, elle aussi – mais pas de temps à perdre, on sort de l’aéroport et on se dirige vers un parking. Sur lequel nous attend une Lada Largus ( pour les connaisseurs/connaisseuses ) presque neuve. Et dedans : sa tante et le copain de celle-ci, qui sont venus jusque là uniquement pour venir me chercher.

Je fais un signe de tête à la тетя (1) de Marlène, qui dort profondément sur le siège passager. Son copain sort de la voiture – jogging, tricot de corps, treillis militaire, cheveux poivre et sel clairsemés sous sa casquette, rides qui tracent des sillons plein d’histoires sur son visage, moustache bien fournie, à la Nietzsche (pour les connaisseurs/connaisseuses), petits yeux noirs cachés par des binocles à gros verres. S’il y a quelqu’un qui a le même style que lui, c’est bien mon père. Marlène me présente : « B.Howl, voici Igor Vapatrovitch. »

Igor Vapatrovitch sort un paquet de clopes de la poche de son treillis, en met une à sa bouche, m’en propose une mais je refuse – j’essaie d’arrêter. Et il me tend la main pour me saluer.

Ah chouette ! Je vais pouvoir montrer à Marlène mes talents cachés en Russe, que je me galère à apprendre depuis quelques semaines – je vais l’épater ça c’est sûr.

« Здравствуйте! как прошла поездка? » Igor Vapatrovitch me dit.

«  Да да ! », je réponds, tout fier. (2)

 

Marlène me propose du café dans un thermos et une banane, et j’accepte – histoire de tenir le coup pendant le trajet.

Le trajet – Astana – Pavlodar, ça fait 437 Km (merci Google Maps).

Pour être à l’aéroport d’Astana à 3h du mat’, Marlène me dit qu’ils ont dû partir à 20h de Pavlodar. Si je fais le calcul rapidos, on en a donc pour à peu près sept heures de route – mais après 250 Km en train et 5700 Km en avion je suis plus à ça près.

 

En voiture Simone !

On embarque dans la Lada, on quitte le parking et on s’éloigne rapidement des voies rapides qui jouxtent l’aéroport, direction à l’Est toute ! Il est à peine 4h du mat’ et déjà l’aurore darde ses rayons d’argent à travers les écharpes de brume (à 1:10, pour les non-connaisseurs/non-connaisseuses)

Igor Vapatrovitch parle Russe, et Marlène me traduit ce qu’il dit en direct. Et Igor Vapatrovitch dans la bouche de Marlène dit qu’à son âge avancé on a pas besoin de beaucoup dormir, et à part la sieste de dix minutes qu’il vient de faire en m’attendant sur le parking de l’aéroport, ça fait 48 heures qu’il a pas dormi.

Puis Igor Vapatrovitch se tait, et Marlène me glisse une réflexion personnelle : « Igor Vapatrovitch, c’est tout un phénomène. »

Devant cette affirmation, et ce personnage, je ne peux qu’acquiescer et rester coi.

 

On passe tout près d’un poste de police. Marlène m’explique que les flics qui sont là-dedans n’arrêtent que les voitures étrangères – histoire de soutirer un peu d’argent à leur conducteur. Heureusement, la Lada a une plaque d’immatriculation kazakhe et Igor Vapatrovitch continue de rouler tranquillou…

 

Tranquillou ?

J’ai les yeux rivés sur le compteur – l’aiguille pointe quasiment tout le temps à plus de 120 Km/h. Ensuite, mon regard se pose sur la route. La route – totalement défoncée – j’ai pas vu une route autant défoncée depuis le Bénin – et Igor Vapatrovitch – ce bon gaillard, ce vieux bougre ! – mène la Lada tambour battant, et évite pied au plancher les trous et les bosses.

 

Давай Давай ! (3)

 

Je suggère – j’exige! – qu’Igor Vapatrovitch soit sacré champion automobile dans les plus brefs délais.

 

Moi j’ai peur, je me cramponne comme je peux, je panique, je vois le compteur, je vois Igor Vapatrovitch hyper-confiant, je flippe comme un porc – c’est horrible je suis un gros peureux, une fiotte! – je revois le compteur, je revois Igor Vapatrovitch hyper-confiant – alors je me calme: tout va bien se passer.

 

Marlène me calme aussi… Elle pose un cousin sur mes genoux et pique un roupillon. J’essaie de faire la même chose, accoudé à la fenêtre, mais pas moyen, malgré la fatigue. On est trop chahutés. Je suis tellement chahuté, ouais, et tellement fatigué que j’ai l’impression d’avoir déjà vécu les scènes qui s’offrent à moi – la route, cette carlingue dans laquelle on est chamboulés de toutes parts. Une réminiscence ou un souverêve ? Je divague…

 

Je caresse les cheveux de Marlène, je lui masse le crâne en contemplant les paysages qui défilent tout autour de nous. Les steppes. Des centaines de kilomètres carrés d’herbes plus ou moins hautes, plus ou moins séchées – des buissons, des arbustes tordus par les vents – mais aucun arbre. Et au loin les montagnes. Et au dessus le ciel changeant, instable, dont les couleurs se font parfois joyeuses, et parfois menaçantes. Et au milieu de tout ça, sur la route capricieuse quasi-déserte, la Lada. Comme si on avait rien à faire là. Comme si on allait à contre-courant.

 

Давай Давай !

 

 

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1) Tata

2) Bonjour ! Comment s’est passé ton voyage ?

– Oui oui !

3) Allez allez !

Un vendredi soir au Dynamo

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« Allez on y va Ben ! » lance la sweet Candy Sweet.

OK – Quand faut y aller faut y aller ! – je lève mes fesses du lit où je me suis vautré je me prépare fissa et on court dans les couloirs de l’immeuble. On essaie de chopper le bus de nuit mais quand on arrive à l’arrêt on le voit s’échapper. Sans nous. La lose. Alors on s’embarque à deux sur le vélo – sans lumières, sans réflecteurs – dans la nuit finlandaise on trace. Montées descentes on traverse la nationale à toute berzingue. Destination : le Dynamo. Une boîtes de nuit alternative ici – à Turku.

TurkuÅbo, son ancien nom suédois.

On est des Åborigènes et on a peur de rien.

Le Dynamo – un ancien cinéma de quartier – quatre salles – reconverti en discothèque.

Ce soir comme tous les troisièmes vendredis du mois – concert.

Un ancien cinéma et l’entrée coûte aussi cher qu’une place de ciné justement.

Hors de question de mettre mon manteau aux vestiaires – le prix est dissuasif. Mon manteau je vais le poser là sur le canap’ personne pensera à le voler. Une doudoune de mémé en faux poils trouvée dans une boutique de seconde main – achetée moins cher que l’entrée au Dynamo – qui fait parfois office de manteau de pirate sur le retour – et qui tient chaud surtout – parce que moi comme un con j’ai emporté mes vêtements d’été en oubliant qu’en règle générale plus tu t’approches du Pôle Nord et de l’Hiver plus tu te gèles les miches – réchauffement climatique mon cul !

Avec ma doudoune et ma démarche… chaloupée je ressemble à un mac.

Les bières aussi sont hors de prix – heureusement la mémé maquerelle a de grandes poches et dedans quelques canettes en rab pour nous ravitailler quand il se fera soif. Faut juste savoir s’y prendre pour faire ça discretos.

Le concert – y’a pas foule autour de la scène – Whaou ! Ça s’est du rock fort ! Ça bouge ça pulse ça sature ça larsen ça bat bat bat dans tous les sens. Pourtant le public reste stoïque. Des statuts. Hey les gars faut se réveiller là ! Hop hop hop la semaine est finie c’est le week-end alleeeeeez on se sort les doigts du cul, là, et plus vite que ça !

Le temps de décapsuler ma bière et je suis à toi sweety – viens rapproche toi qu’on se fasse un pogo survolté. Chocs frontaux jambes pliées PRENDS GAAAARDE !!! Coups d’épaule et dommages collatéraux « Fais gaffe ! » fait Candy. « Ouais sweetheart t’inquiète j’ai pas oublié je vais pas le fracturer une seconde fois, ton bras! »

Lumières nordiques. Bleues nuit puis rouges carmin – soleil incandescent. Crépustulaire.

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Le groupe : « We’re Hell’s Horses and we are from New-York !

– Ah bah ! New-York » je chuchote à l’oreille maintes fois piercée de la Candy, « Tu m’étonnes qu’y soient dézingués comme ça ! »

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Le mec, là, qui chante et qui gueule – chemise pâle à motifs. Jean noir slim un peu poussiéreux sous les genoux. Il ressemble au Professeur Rogue dans Harry Potter.

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La bassiste – toutes de flammes vêtue. Et un corset pour tenir ses poumons qu’on dirait sorti tout droit de Beate Uhse. Je la soupçonne d’avoir la même coiffeuse-maquilleuse que Blondie.

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Mais quand elle tient les cordes – crispées – quand elles rugissent – je comprends qu’il faut éviter les remarques désobligeantes.

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Je bloque un temps sur leurs godasses. Des talons hauts pour Madame, des Creepers en damiers pour Monsieur.

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Et Blondie et Rogue seraient rien sans leur batteur qui se déchaîne là sur ses cymbales et sa grosse caisse – il ressemble à mon ami Bill. C’est frappant. Tiens du coup je l’appelle, Bill. Je veux lui faire partager ce son – parfois haché à la Led Zeppelin, parfois criant à la AC/DC – et parfois même planant-flottant, atmosphérique à la Pink Floyd. Mais soit pas de réseau ici, soit Bill le salaud me raccroche au nez – de toute façon il doit rien entendre ici – avec le tumulte ambiant…

Même pas une demie-heure qu’on est arrivés au Dynamo et déjà les dernières notes. Candy : « C’est nul y’a même pas de rappel.

– Bah généralement y’a pas de rappel pour les premières parties.

– Mais c’est pas la première partie… »

Ah merde… Les Hell’s Horses remballent leur matos on se console en rejoignant les statues qui bougent enfin pour s’accouder sur le zinc.

« Tiens, goûte moi ça ! » Candy sweety m’invite à boire un verre.

« C’est quoi ? » je demande – sans méfiance : ce soir je serais même capable de boire la cigüe.

« Du Salmiakki – une spécialité d’ici. »

Une sorte de liqueur de réglisse trop bizarre et écœurante. « Kippis ! » – Hop – cul sec – une grimace de dégoût, un petit cri de victoire – et on repart danser on continue notre folle épopée dans la longue nuit Turku-oise.

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Le jour où la nuit brûle – partie 3

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Nous revoilà Bill et moi – votre illustre conteur B.Howl – pour cet ultime épisode – repartis dans la nuit après le parc et les rives du canal – maintenant je veux emmener l’autre coyote dans un autre parc – le parc aux grilles rouges où je fais de temps à autres, en été, de délicieux pique-niques dans l’herbe fraîche. On se dandine sur les trottoirs du vieux quartier – le quartier chic maintenant – il y a vingt ans un vrai taudis entre les dingues et les paumés les putes et les camés quand la pipe s’évaluait encore en francs et quand l’héro était moins coupée – trottoirs couverts d’aiguilles et de capotes de fortune. Les temps ont changé – le présent c’est maintenant et soudain dans cette rue remplie de bars Bill stoppe net – à l’affût des boum boum de la musique et du bruit. On entre dans un bar gay et lesbien et rien à foutre on commence à se déchaîner parce que ce son qui nous vrille les tympans c’est juste qu’on en a besoin là maintenant. Quelques minutes plus tard en dansant sans faire exprès je bouscule quelqu’un. Je me retourne dis pardon le mec a un billet de vingt entre les mains. Le barman. Il nous fixe des yeux : « Faut consommer maintenant. » C’est pas ce qu’on a prévu alors on prend nos affaires et on se casse de là sans rechigner.

En marchant « Tu sais Bill, un jour j’ai eu une vision. Faire le tour du monde avec toi. Je nous ai vu marcher le long des chemins. Ton côté mystique. Chamane. Je nous voyais vagabonder près des églises orthodoxes bourlinguer sur les rives du Gange nous deux à la recherche ultime du Dharma. J’ai voulu t’en parler mais ce jour là quand je t’ai appelé tu étais occupé. Et puis depuis j’ai jamais osé discuter de ça avec toi… » Tu me réponds sans hésiter : « Non mec, c’est pas dans mes plans. » Message reçu – le rêve était plaisant en tout cas.

On arrive vers la place devant les terrasses bondées des restos qui se veulent chics mais où la bouffe est dégueu – des pièges à touristes. Et au milieu des gens avec des guitares un accordéon et un djembé. On se joint à eux tout naturellement. Bill déballe pas sa gratte il observe note contemple. Moi je veux faire du tssi-tssi mais avant que je retrouve la petite bête au fond de mon sac les musicos sont sur le point de se barrer. Cinq minutes avant ils s’exclamaient : « Vous voulez nous suivre ? » et là ils se taillent et nous ignorent. Classique. Encore une fois restez, côtoyez nous mais pas trop – après on risque de se mélanger et ça craint. Et encore une fois on reprend notre chemin – éclairé par la nuit qu’on veut percer. On passe dans une rue piétonne et commerçante. À cette heure là elle est vide mais les enseignes clignotent encore. Bill appelle une pote et s’éloigne un peu de moi. Une pote qui arrive pas à expliquer ce qu’il lui arrive – elle vient de tomber amoureuse. Leur conversation dure huit minutes. Moi ça me dérange pas je m’en fous mais je commence mine de rien à sentir la fatigue et finalement j’ai pas envie d’aller traîner au parc aux grilles rouges – en plus il doit être fermé à cette heure ci. Je veux aller dans mon bistrot préféré mais quand Bill raccroche au téléphone il est pas motivé. « Alors on rentre chez moi ? » « Ouais. »

On baisse les bras – mais vaut mieux – la nuit en a encore pour un bout de temps avant de se faire jour mais c’est pas du dépit et ça veut pas dire qu’on a abandonné. On a percé la nuit ouais – d’aussi loin qu’on pouvait. Camille  – Double Merlu et leur bande – le serveur du bar pas sympa – les musicos près de la place – ça fait déjà une bonne plâtrée de noctambules… On remettra ça une autre fois quand j’aurai de nouveau le plaisir d’héberger l’ami Bill. « C’est trop fort B.Howl comment tu abordes les gens… Jamais je ferais ça tout seul. » « Moi non plus Bill – c’est parce que je suis avec toi. ». Dans les cinq cent derniers mètres qui séparent la nuit de la ville à mon chez-moi on croise un gars qui me taxe une clope. « Flo » il dit qu’il s’appelle il a l’air un peu défoncé. Bill s’étonne : « Pourquoi tu portes une étoile de David comme pendentif ? » Flo : « Ah ! La croix ? » « Ouais… Enfin l’étoile… » « Bah je sais pas ce que ça représente. C’est juste un pote qui me l’a donné une fois – et je la porte depuis qu’il est mort. » Bill lui explique ce que ça signifie. Il est très intéressé par les religions et la spiritualité, Bill – très mystique aussi: « Ça représente deux triangles inversés qui s’imbrique l’un à l’autre. Fusion de l’univers visible et de l’univers invisible. » Flo se sent un peu gêné un peu inculte mais il écoute avec attention. Faut pas être gêné on est toujours l’inculte de quelqu’un. Et ce qui compte c’est d’être curieux de tout. On s’assoit sur le trottoir à côté des pipis de chiens et on discute. On parle de karma, de bouquins et d’expériences sensorielles de hasard-qui-n’existe-pas et de vies après la mort. Et on parle de bonheur – aussi. Tout à fait le genre de conversations que peuvent avoir quelques oiseaux de passage flamboyants à une heure avancée de la nuit. Le présent c’est maintenant. Et on quitte Flo qui doit rejoindre ses potes et chacun de nous repart en ayant appris des trucs. Une fois arrivés chez moi je tire la nuit comme un rideau et je repars la brûler – les paupières closes, rêve-éveillé.

 

Le jour où la nuit brûle – partie 2

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Et là sans transition nous voilà Bill et moi en chemin direction le canal où la nuit s’offre à nous pour de nouvelles aventures. En marchant je reçois un SMS de Camille – ravie d’avoir vue Bill et de lui avoir parlé. J’avais pas remarqué qu’ils s’étaient échangés quelques mots – à ce moment là j’étais sûrement en train de mettre nos quelques déchets dans une poubelle. « Vous avez discuté de quoi Camille et toi ? » je demande. « De ses études », il me répond. Camille est en stage de fin d’études – une période charnière – et elle traîne des tas de questions derrière elle – la plus importante devant être « Qu’est-ce que je fais APRÈS ? » . Camille… – elle se pose toujours beaucoup de questions. Et Bill aussi – et il écoute aussi. Au canal y’a plein de monde sur les berges – à tel point que je sais pas on va se mettre pour continuer notre délicieux délire nocturne. On marche on avance parmi les gens – et on se fait accoster par deux gars. Y’en a un qui s’appelle « Double » – surnom trop chelou – parce que de multiples déformations de son nom – que j’ai pas du tout retenu – ont donné au fil des âges « Brou » puis « Brou Brou » puis « Double Brou » et enfin « Double ». Hyper-logique et encore plus compliqué que les pirouettes pyrotechno-lexicales qui ont donné « B.Howl ». Son compagnon de fortune s’appelle Merlu – parce que son prénom à lui c’est Colin. Ils traînent là avec leur bande de potes – ils picolent de la vodka dans des bouteilles de Volvic avec leur BMX et leur radio ils écoutent du reggae et du dubstep. Ça me rappelle une nuit de grand n’importe quoi avec Camille justement où on a fini au Batofar sur les bords de Seine – pour une grosse soirée dubstep jusqu’au petit matin avec du son qui pulsait pulsait des basses qui bourrinaient bourrinaient – à en faire trembler le navire ! L’eau sombre du canal luit – les lampadaires. Ronds incandescents feux immobiles dans le noir de l’eau et du monde tout autour. On parle de barbes mal rasées. « La mienne », je fais, « c’est un ACCIDENT, OK ??!! » – pas le temps de me raser ça pousse tellement vite ces trucs là – et surtout pas de lumière dans ma salle de bain depuis quelques mois maintenant.

Merlu : « Je viens bientôt rejoindre ma copine. »

Bill : « Elle s’appelle comment ? »

Merlu : « Mina. »

Bill : « La mienne aussi ! »

Votre aimable serviteur : « C’est peut-être la même… »

Vérification faîte – non.

Avec Double on parle tags. Ce mec tague partout. « Des beaux trucs ou des graffitis ? » je demande un peu connement. « De tout » il me répond. « Mais je fais gaffe à pas faire chier les gens. Tu comprends – la ville est à nous et y’a des types qui nous imposent à tout bout de champ leurs merdes architecturales qui enlaidissent le paysage urbain. Alors je me permets tout modestement de remettre un peu de désordre de chaos dans tout ça. Je me réapproprie la ville. Je marque mon territoire. »

Montrer à la ville que tu existes… Flash – je me retrouve l’histoire d’un instant à Five Pointz – NYC.

Je sens encore qu’il nous faut partir – j’ai du mal à rester sur place – et j’ai tellement de trucs à voir à vivre à montrer à Bill. On rejoint la bande de potes de Double et Merlu qu’on avait pas approchée jusque là pour leur dire au revoir. Ils sont chargés – et pas qu’à blanc. Ils s’enregistrent en faisant du rap avec une GoPro. On écoute un gars qui crache son slam – vas-y vas-y – mais à la fin on s’aperçoit que c’est pas une impro – dommage… En deux temps trois mouvements la vidéo se retrouve sur Youtube. À toi de la trouver si tu veux, mec. Si t’es brave tu pourras même me filer le lien du clip dans les commentaires. Merci d’avance. Ces zozios de la nuit me font penser à Stupeflip – vite ! En concert un grand pogo – pire que ça – une vraie boucherie. J’étais avec Candy au premier rang c’était hardcore le public était déchaîné j’ai failli être écartelé-écrabouillé sur les barrières qui séparaient la scène du public. Je sais pas comment Nana a fait pour supporter tout ça. J’ai failli aussi perdre mes lunettes plusieurs fois – et quand j’en ai eu marre – c’est à dire assez vite et que j’ai voulu m’extirper de tout ce bordel j’ai marché sur un truc dur – ça a fait « Crouic ». Je crois que ma Dr Marten’s a écrasé une main.

On finit en aparté avec Merlu à parler communisme/marxisme, les extrêmes, fondamentalisme religieux, Palestine, communautarisme vs. œcuménisme.

La nuit est noire – l’air est chaud – brûlant.

Bill et moi on se tire avant d’évoquer la paix dans le monde et dans les ménages.

 

Suite et fin la semaine prochaine…

Le jour où la nuit brûle – partie 1

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Bill squatte chez moi depuis quelques jours. Ce matin petit-déj’ fissa fissa et métro pour aller au boulot. Dans les souterrains je pense à ce soir – la fin de la journée, la fin de la semaine et sa dernière soirée ici. Faudra bien se la faire – vivre à fond la nuit la ville sans fond. Cette perspective me réjouit – hop je dégaine mon portable et lui envoie un SMS : « Ugh ! Comment ça se passe en la casa ? Beatbox ce soir au bord du canal ? Avec harmonica ukulélé et deux illustres troubadours distingués à l’air vespéral ? ». Ouais du beatbox – comme la fois où on en a improvisé sur le belvédère qui dominait la ville et ça a duré des heures des heures on savait parler toutes les langues de Babel après la tour et d’outre-Quiévrain. Anglais-Français-Allemand-Russe-Esperanto- des « Mmmm » et de « Tsss » et des « Bop » aussi. Et la fois où on en a fait aussi – en plein jour cette fois – et en public parmi les hautes herbes pas folles dans les jardins de ce château.

Bill – sa réponse : « Hell yeah ! » – rock’n’roll.

Je suis de bonne humeur énergique et joyeux toute la journée. En rentrant chez moi Bill a déjà fait les courses. Repas simple frugal mais bon – du pain de la sauce provençale qu’on tartine dessus et qu’on saupoudre de comté râpé. Une idée de recette qui vient de Mina, la copine de Bill – Serbe, pianiste, belle comme une déesse et intelligente en plus. Comme dessert des yaourts à la rhubarbe délicieux – Bill en est devenu fan.

On prend nos affaires Bill prend ma guitare qui me sert pas je compte la revendre bientôt je pense et peut-être m’en prendre une autre.

J’embarque:

– mon ukulélé fruit d’une de mes visions il y a plus d’un an qui m’a happé alors que je rentrais chez moi après une soirée sous le soleil au zénith

– mon harmonica qui date de mon séjour assez récent en Bretagne fruit de ma frustration de pas avoir pu embarquer le uké – pas assez de place dans mon sac de bidasse

– un « tssi-tssi » vu que je sais pas comment ça s’appelle fruit de mon week-end à Hambourg en décembre dernier rejoindre dans le froid Anna la Russe – quelle beauté – qui m’avait invité à voir un concert – mais moi c’était pour la voir elle que je me tapais dix-neuf heures de trajet – l’aller ! – et une nuit dehors.

Et c’est bon on part.

Deux grands dadais dadaïstes en bermuda pantalon japonais sandales Converses chemise en lin – ou c’est du chanvre, Bill ? – t-shirt rock’n’roll et chapeau à plume – des pèlerins le regard qui se perd au loin tellement il est à l’affût. B.Howl votre bien dévoué serviteur ici présent – et Bill Burroughs/Graham/ce-que-tu-veux. C’est toi qui voit mec ! B.Howl et Bill. J’en suis particulièrement fier, de celle là…

Et ce parc dans lequel on arrive et qu’on a tellement vu – la dernière fois déguisés intérieurement en peaux-rouges ou en Sioux. Ou en Navajos hi ho hi ho. On pose nos culs et notre attirail sur l’herbe humide. « Tu verras », Bill me dit « les gens vont venir ! ». Devant moi on voit Camille assise à flan d’arbre qui lit je crois – son vélo posé près d’elle. On s’approche d’elle – ça fait un bail qu’on s’est pas vus je suis ravi de la voir. Elle me regarde « Je suis en train de t’écrire une lettre B.Howl » elle me fait. Elle a reconnu Bill – elle l’a vu une ou deux fois – mais pas moi. J’ai tant changé que ça depuis la dernière fois ? On lui propose de se joindre à nous mais elle vient pas c’est pas le moment. Je comprends et on retourne s’asseoir dans notre coin. Les lumières tournoient autour de nous le soir tombe maintenant c’est les dompteurs de feu qui jouent à la flamme des dompteurs de feu des tournicoteurs. Plus loin des zombies aussi des allumés des gens à la coule. Pour s’échauffer on se fait à deux « Le lion est mort ce soir » puis Bill m’apprend « Little Boxes » la chanson du générique de Weeds. Mais c’est pas évident et ça finit par me gonfler.

Je lève la tête – les feux barbares bardent dardent dans la nuit – chantent s’envolent et crépitent. Ne s’épuisent jamais. Là-bas auprès de son arbre Camille écrit – jeux d’ombre et de lumière je me souviens de ses yeux de ses yeux de ses yeux – oniriques – à la lumière des bougies. Me demande si la lettre qu’elle est en train d’écrire je la lirai un jour… Bref j’essaie de pas y penser. J’attrape mon ukulélé et montre à l’habille Bill – je l’assume moins celle là – « Take a walk on the wild side ». Ensuite on se la refait – comme il y a deux ans quasiment jour pour jour. « Mais le matou revient ». Et puis on se tape un délire sur « Mais non mais non ce n’est pas une chanson monotone » – je te la ferai quand tu veux si on se voit un jour, mec. Puis Bill à la gratte accompagné par moi au tssi-tssi enchaîne sur des chants en espéranto en sanskrit en beatbox en n’importe quoi qui monte dans la nuit et disperse et brûle les ombres du ciel – qui finit comme au commencement par un « om »

OOOOOmmmmmmmmmMMMMMmmmmmmm

omni-tout.

Allez on se reprend sur « Armstrong je ne suis pas noir » et je me dis que c’est con que j’ai pas pris mon kazoo au cas où… – qui vient de Hambourg aussi pour ceux que ça intéresse, le magasin de musique presqu’en en face du musée des Beatles qui a fermé pour de bon genre quatre mois avant que dans cette ville je débarque tonitruant.

Un groupe deux filles deux gars passent : « Jouez nous quelque chose » Ah ouais Bill ça marche. On distingue pas trop leur visage il fait sombre maintenant. Une des nanas a sur son t-shirt la même photo que moi – les quatre garçons dans le vent traversant le passage piéton d’Abbey Road.

J’ai traversé ce même passage piéton il y a quatre ans. Comme la plupart des touristes qui passent par cet endroit je suppose. Sauf que j’ai aucune photo qui fête l’événement – y’avait personne d’autre que moi et je pouvais pas me prendre en photo tout seul – par contre j’ai signé sur le mur du studio – là aussi comme pas mal de touriste – les murs ont dû être repeints depuis – plusieurs fois.

Bill nous joue un truc qui selon lui « mettra tout le monde d’accord : « Les amants de Saint-Jean » et il se tape même une envolée lyrique à la fin. Le groupe nous quitte. Je sens que pour nous aussi il est temps de bouger. On s’ankylose à force de rester au même endroit. On remballe nos instruments – un dernier regard sur Camille et on prend congé de ce parc on disparaît on s’enveloppe dans le manteau de la nuit.

 

La suite la semaine prochaine…