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Guns of Brighton – Partie 2

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Évidemment, c’est qu’un rêve – ou une autofiction

Je m’avance vers la mer. M’enfonce sur les galets jusqu’à ce que les vagues soient à quelques mètres de moi. J’hésite à enlever mes chaussures pour tremper mes pieds dans la mer, mais je renonce – trop froid.Il fait trop moche pour que je puisse me baigner ici. Avec quelques degrés de plus, j’aurais osé. Je suis Olaf Orelsonn, rien ne m’arrête, mais les dieux sont contre moi.
Kler et moi on se promène sur la digue.
Ciel gris, mer grise, du gris partout, l’horizon est ténu, la ligne de démarcation gommée, ces bateaux perdus au loin, ils volent sur l’eau ou flottent dans les airs ? Aucune idée, je ressens que le vent qui me fouette le visage.
Sur la digue je prends des dizaine de photos. Une famille se promène, des Anglais téméraires, avec leur paire de chiens. Petits, mignons, enveloppés dans des manteaux créés pour eux, des fashion victims canines, ils s’amusent à se bouffer le cul l’un l’autre – pour se tenir chaud?

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Brighton

Dans le brouillard, là-bas, plus loin, un mastodonte se dessine dans la mer.
Un navire qui aurait heurté un rocher ?
Non, le West Pier – une structure métallique amarrée là, elle tombe en ruines, colonisée par les mouettes et les goélands, les oiseaux de passage, on les entend piailler, on distingue parfois les mouvements de leurs ailes.

Fascinants, ces barres d’acier encastrées les unes sur les autres, fusionnant avec ces morceaux de tôle rouillée, ce chantier au point mort qui a rien à faire là.

Brighton West Pier

Brighton West Pier

Ma Dalton et Lucky Luke entrent au Great Eastern. Ma a son sac à main kitschissime, Luke son balluchon en bandoulière. Avec nos looks respectifs, on peut rentrer dans une banque et la faire sauter, ou dans l’office du Sheriff pour le faire plumer.
Kler commande un whisky-coca. Ils ont toute une flopée, de whiskies, de bourbons et de scotchs, je trouve dommage que Kler dilue du coca dedans, ça gâche le goût subtilement fourmillant, l’arôme complexe du malt distillé.
J’opte pour une bière légère sud-africaine, au fût.
Je bois ma Ale en regardant la pluie crépiter par la fenêtre embuée du pub, tic plic ploc tac tic plic ploc, pendant qu’un groupe de Folk joue. Ça swingue pas mal, le pub est bondé et je suis pas très réceptif à la musique. Je sais juste que le son est plaisant à l’oreille, parfois ça me donne envie de me lever et de danser devant tout le monde, mais je reste assis sur ma chaise, ne me levant que pour aller cloper dans la petite cour derrière le pub, commander une autre bière et me rendre aux toilettes.
Je discute avec des gens – l’alcool aidant, on finit par parler la même langue. Un gars me dit qu’il est « vacuum engineer ». En quoi consiste son boulot, je préfère pas trop poser de questions. « And you? » il me demande.
Je suis dans une ville que je ne connais pas, avec des gens qui ne me connaissent pas. J’ai plus d’identité, je peux être qui je veux, je peux m’appeler Bruno et être marchand de glaces, ou Bernard, enchanté, je fais pousser des salades et des courgettes dans des champs radioactifs, et toi, tu t’appelles comment ?
Le gars vit chez la mère de sa copine. Il les a ramené toutes les deux au pub. Et il se paie des coups devant elles, il finira complètement fait et elles devront le ramasser à la petite cuillère.

Les toilettes du pub valent bien une petite visite. Elles sont joliment décorées. En y entrant, on se retrouve nez-à-nez avec un panneau en zinc des années 1950, indiquant les directions des lignes de métro de Paris. Je pisse entre Ménilmontant et Place de Clichy.

Toilettes du Great Eastern

Pisser entre Ménilmontant et Place de Clichy

Dans la cour, la nuit commence à tomber. J’allume une clope, enveloppé dans un ciel bleu roi, je me sens bien. Je discute encore avec des gens, une dernière pint et on rentre chez Kler.

Plus tard, autre part, le dimanche après-midi, Ma Dalton et Lucky Luke sont dans un parc. Ma visite touche à sa fin et Kler maugrée : « Mais il est pourri, ce parc ! »
Faut dire qu’on cuve de la veille, on est pas au top de notre forme et on déprime un peu.
Ok, ce parc est un peu nul. Et alors ? L’essentiel, ce n’est pas l’endroit où on est, c’est nous. J’essaie tant bien que mal de nous remonter le moral.
Kler dans l’herbe, assise en tailleur, creuse un trou et plonge ses mains dedans, à la recherche de la terre. Puis elle se badigeonne avec, jusque sur ses bras.
Je suis allongé sur une table de pique-nique. J’ai enlevé mes Dr Martens et mes chaussettes, mes pieds respirent enfin. Les orteils en éventail, le ciel devant moi, mes lunettes de soleil sur le nez alors qu’on le cherche encore désespérément, j’essaie de fermer les yeux et de roupiller un peu, mais j’y arrive pas, je regarde les nuages à la recherche d’une forme que je reconnaîtrais.
Kler lève la tête : « Là, je vois quelque chose !
– Quoi ?
– Une sorcière ! »
Peut-être… J’ai du mal à la discerner, cette sorcière. Peut-être parce qu’elle existe pas, mais je ferme les yeux et je finis par la voir.
On discute un peu et les sorcières dans le ciel nous regardent. Je sens la brise se lever, il est temps de rentrer.
Chez elle, pendant que je prépare mes affaires, Kler me montre le site Internet d’un mec qui a construit une maison de hobbit, quasiment écolo, quasiment autosuffisante, pour trois mille livres.
Il faut juste acheter un terrain.
Plein d’images dans la tête, la cabane, la récolte d’eau de pluie, les toilettes sèches, la serre, le jardin potager, les cochons retourneraient la terre, les poules fourniraient des œufs, les chèvres produirait du lait, et Kler, ensuite, en ferait du fromage…
Kler fouille dans ses placards et me tend une pierre : « Tiens, c’est pour toi.
– C’est quoi ?
– Une pierre magique. Shiva Lingam. Ça polarise et absorbe les mauvaises vibes.
Je ne sais pas quoi dire, je ne crois pas au pouvoir des pierres, mais je vais essayer, avec celle-là, je la remercie et je range la pierre dans ma poche. Un ovoïde zébré, bandes beige et noires.
Il est temps pour moi de lever le camp.
Gare de Brighton. Train.
London Victoria Station.
Chemin du retour.
La gare, fourmilière géante, je flâne parmi la foule devant les distributeurs de billets. J’ai acheté un billet aller-retour, moins cher qu’un aller simple, va comprendre pourquoi, il ne me servira pas, je cherche à donner le billet retour Londres-Brighton.
Une fille galère, elle me ressemble, dans son style, dans son attitude, totalement paumée, complètement à sa place.
Je m’approche d’elle et lui tends, sans rien dire mais mes yeux s’expriment à ma place, le billet.
Elle comprend, me dit Thanks, that’s exactly what I was looking for, enfin elle baragouine un truc dans le genre, la tête penchée à quatre vingt-dix degrés, son portable comme une sangsue accrochée à son oreille. Elle saisit le billet, s’éloigne en continuant de parler à son iPhone, elle va rater son train.
Je sors de la gare, déambule dans Victoria Street, trois heures à tuer, je descends la rue, d’un côté les Burger King, Mc Donald’s, KFC et compagnie, de l’autre les pubs – emblématiques, typiques, on dirait qu’ils ont toujours été là.
Big Ben veille sur le petit Ben, sa grande aiguille me guide jusqu’à Westminster Abbey.
Je danse avec les Indignados du dimanche qui poussent la sono au Parliament Square, le champ des plaintes et des illusions perdues.

Londres Parliament Square

Londres Parliament Square

Je prends le Tube, me perds dans les tunnels de la cité underground. Croise un Hobo noir qui chante No Woman No Cry. Sa voix – belle, grave et profonde, sa mélodie – détraquée.
Arrivé à Saint Pancras, un carrot cake, un cappuccino géant dans un Starbucks, je me prépare psychologiquement au vidage de mes poches pleines de pierres précieuses et à la fouille corporelle.
Une fois passée cette attente douloureuse, je monte dans l’Eurostar et regagne ma bonne vieille patrie, mon petit Wazemmes, mon petit bar d’où j’écris ces lignes en buvant un petit rouge et en ayant une pensée pour Ma – Kler – Dalton.
Dans ma poche, le Shiva lingam luit d’une étrange façon.

Dans la forêt – partie 2

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21h30 – toujours.

 

On entend Django au loin. « Il a fini par nous retrouver ! » je m’exclame. Melowne voit un sourire se dessiner sur mon visage. Mises au placard, les broutilles de tout à l’heure – Django se déplace parmi les arbres, et bientôt il est de retour parmi nous dans la clairière. « J’en reviens pas ! » il fait en voyant qu’on a déjà monté la tente et préparé le terrain pour le feu de camp. « Si tu crois qu’on allait se tourner les pouce pendant ton absence… » lance Melowne.

la tente

la tente

La nuit s’amorce, mais le ciel est encore clair. Pourtant, on est déjà plongé dans l’obscurité. Tous les arbres autour de nous profitent à notre place des dernières lueurs.

Django, en préparant le feu : « Tu sais B.Howl, si je me suis énervé tout à l’heure, c’est pas contre toi. C’est que j’ai horreur qu’on me dise ce que je dois faire ou non, surtout quand je sais ce que je fais.

– Je sais.

– Je voulais juste éloigner la voiture de la forêt, histoire que personne sache qu’on est là.

– Je sais.

– Parce que le gars de tout à l’heure, c’était pas un péquin, c’était le garde forestier.

– je sais, Dango. Je vois pas qui d’autre sillonnerait des chemins de forêts en 4×4 à l’heure des Enfants de la Télé… »

Melowne soupire. Il en a marre qu’on ressasse notre altercation, et on le comprend. C’est lui qui nous a fait flipper, quand il s’est pointé chez Django tout à l’heure, et qu’il nous a raconté que les feux de camp, c’était interdit et qu’on risquait une belle amende si on se faisait prendre par le garde forestier.

Les feuilles mortes commencent à bien prendre dans le sous-foyer, à la base de la structure pyramidale que Django a mise en place pour bien faire le feu de camp.

Je demande : « Qui t’a appris à dresser des feux de camp ?

– C’est Mac Fly, il y a quelques années, bien avant qu’il prenne la poudre d’escampette en Andalousie. À l’époque, il venait souvent ici. Seul. Il y passait des week-ends entiers.

– Sacré bonhomme !

ça prend

ça prend

 

22h30.

 

Django Melowne et moi. Trois loubards posés tranquillou autour des flammes qui dansent. Sans personne pour nous faire chier à des kilomètres à la ronde. On s’applique à manger nos victuailles. Le pâté est une tuerie, le pain cale bien. Le gâteau de la mère de Melowne on le dévore férocement. Mes bananes ont pas trop la côte, par contre – je suis le seul à en manger, histoire de dire que je mange équilibré. Et on arrose tout ça avec de la bonne bière bien comme il faut.

On se raconte des histoires, on se souvient de notre road-trip en vélo dans la baie du Mont Saint-Michel… c’était il y a près de dix ans, mine de rien. Quelle aventure épique.

Maintenant, à part notre feu de camp et la lampe frontale de Django, on est vraiment plongé dans le noir. Django se lève, fouille dans les affaires : « Est-ce que l’un d’entre vous a vu la lampe-torche traîner dans le coin ?

– Négatif. » fait Melowne. « Je crois qu’on l’a oubliée dans le coffre de la twingo.

– Merde…

Quand on parle pas, le silence est couvert par le bruit du bois mort qui crépite, celui des oiseaux qui poussent différents cris, et celui des animaux alentours. Et on est clairement pensifs dans cette parenthèse – comme si, la nuit venue, la nature reprenait tous ces droits. Je regarde le feu s’agiter paisiblement. Je regarde le feu et je pense aux premiers hommes qui l’ont « découvert ». Prométhée – le feu. Nahash – le bien et le mal. Et même le monolithe noir de 2001 L’Odyssée de l’Espace – l’outil/l’arme. L’évolution de l’espèce humaine aurait une cause extérieure ? Je pars loin, très loin.

feu de camp

feu de camp

On a déjà plus de bois. Django et Melowne décident de partir en expédition pour ramasser des branches mortes plus loin. Je reste dans la clairière, assis contre un tronc d’arbre, obnubilé par la puissance du feu et des esprits de la forêt.

 

23h.

 

Me voici tout seul à présent. J’envoie plein de SMS à Marlène mais pas de réseau ici – je peux pas les envoyer. J’ai un peu les boules, aussi.

Finalement Melowne et Django reviennent, chargés de bois. On discute encore un peu – on reste souvent silencieux, encore empêtrés dans nos rêves. Quelle aventure épique.

Soudain je sens quelque chose brûler sous mon pied. C’est pas sous mon pied que ça brûle, c’est MES GODASSES qui sont en train de brûler. Ma semelle a fondu, j’ai un énorme trou sous le pied. Encore une paire de Dr Martens niquée…

Au loin on entend des marcassins nasiller.

Quelle aventure épique.

Dr Martens cramée

Dr Martens à la  semelle fondue

 

0h30

 

Django veut rester éveillé jusqu’à « au moins deux heures du matin ». Moi je suis claqué, j’ai envie d’aller me coucher, et ce d’autant plus que je sais que je vais passer une sale nuit. La fatigue est accentuée par le fait que je me les gèle et en puis je commence à me faire chier. Et en plus on a fini toutes les bières. Allez, une dernière clope et je me pieute.

Django sent que je vais bientôt jeter l’éponge. « On a bientôt plus de bois. Ça te dit, B.Howl, de m’accompagner pour en ramener? » Non ça me dit pas. Mais bon, comme on se voit peu, comme ça fait longtemps qu’on a pas fait un truc ensemble, une aventure épique, OK, je me sors les doigts du cul et je viens avec toi.

Je me lève avec difficulté et bientôt je suis la lampe frontale de Django à travers la forêt. On s’éloigne de plus en plus de Melowne, j’espère qu’on arrivera sans problème à le retrouver.

Et soudain, de la lumière au loin. Django se fige et me demande de faire de même. C’est quoi ce délire ? C’est la lune qui nous éclaire trop fort ?

Ou c’est le garde-forestier ?

Merde…

Comment on en est arrivé là ?

Parmi les Fellaheen

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Cracovie, Amsterdam, Luxembourg, Louvain, New-York, Lille ou Paris –

ou ailleurs

peu importe où.

Je me souviens de ces parcs

grandes étendues d’herbe plus ou moins verte

odeur de gazon tondu ou de merde de chien écrasée.

Un appel à s’allonger.

À faire comme eux, là –

fellaheen 4

Nobles clochards le cul posé sur les journaux dépliés qu’ils viennent de lire.

On y parle de retraites, de tsunamis nucléaires, de Syrie et eux mangent sagement leurs raviolis froids à même la boîte de conserve.

Je les contemple dans la lumière rasante d’un après-midi d’automne.

Barbes de trois mois cheveux crépus

vêtements qui puent

Peaux rouges qui scintillent parmi les feuilles qui tombent et glissent sur eux.

Je pose mon manteau sur l’herbe encore humide

enlève mes veilles Dr Martens – usées par la pluie la neige la bière et les milliers de kilomètres qu’elle et moi on a faits ensemble –

pour sentir l’herbe le vent le froid sur chacun de mes orteils.

Fellaheen 3

Ils font ce qui vient dans leur tête

au moment où ça vient

pas besoin d’explication – wham wham.

Des Beats. Des Fellaheen.

Loin de chez eux.

Tous des dézingués de l’Interzone

Interlopes déshérités dépossédés de tout sauf du Grand Air

qu’ils ne sentent déjà plus

dans les vapeurs alcoolisées

Fantômes doublés de pochtrons.

Fellaheen 2

Ce mec là ne doit même plus savoir si dans sa bouteille

c’est de la piquette ou de l’eau de pluie.

Il reste là figé

par tous temps.

Il y en a deux là-bas qui sortent du lot

comme s’il n’avaient rien à foutre là

Le mec fume un cigare, la fille est allongée

son regard se pose sur moi.

Ils se lèvent et viennent à ma rencontre.

Présentations rapides

Martin et Moïra

enchantés.

B.Howl.

Idem.

Ce qu’on va faire demain ? Aucune idée. Attends de voir ce qui va se passer ce soir.

Ils s’éloignent et me laissent la tête dans l’herbe et les yeux dans les nuages.

Martin et Moïra…

J’imagine leur vie.

En cavale.