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Un morveux à Suben

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Gare de Suben

Dimanche 29/03/2015

07h – gare de Suben. Un simple arrêt. Pas de guichet, même pas de machine automatique. Je vais pas pouvoir acheter mon billet. Je vais frauder malgré moi.

Je me soulage sur un coin de l’arrêt. Mon nez coule abondamment – de froid. Je suis tout seul dans ce coin paumé, au trou du cul du monde. J’essaie de garder le moral et un peu d’énergie. Les oiseaux piaillent, et de loin – mais elles sont bien présentes – on entend les voitures. Moi je les entends depuis presque vingt-quatre heures et j’en ai ma claque.

Qu’est-ce qui m’a pris de faire ça ? Dans quelle merde je me suis encore foutu ?

Hier 22h30 à la station service Servus Europa je quitte ces Bulgares malchanceux dont la voiture est en panne. J’attends un peu devant mais je me les gèle. Faut dire que j’ai pas vraiment prévu de sortir des vêtements d’hiver – j’avais oublié qu’ici c’est pas le climat tempéré océanique du nord de la France, plutôt doux à cette période de l’année. Ici c’est la Mitteleuropa – climat continental et pour rien arranger montagnes tout autour. Je décide de faire un tour histoire de me réchauffer un peu. Je me traîne de nouveau sur le parking des camions – peut-être que je trouverai un avec une chambre frigorifique qui ira directement à Ljubljana ?

Ça me fait un peu flipper tout ça – je marche à travers les ombres des camions, dans la nuit, dans un endroit où personne sait où je suis. Et j’entends des bruits – mais j’arrive pas à déterminer ce que c’est. Et soudain, une porte de cabine s’ouvre, et voilà que sort… une naine.

Qu’est-ce qu’elle fout là ? Qu’est-ce qu’elle foutait là, dans la cabine, juste avant ? Elle a pas l’air trop habillée en tout cas, et elle a l’air d’avoir eu chaud. Et qui est-ce qui l’a suit ? Le chauffeur du camion. Il me sort « Désolé mon gars, on passe bien par Ljubljana, mais on part avant demain 22 heures. »

Ce à quoi la dame ajoute : « Tu veux rester ici pour la nuit ?

– Non, merci. » je réponds.

Et je décampe vite fait.

Je reviens dare-dare à mon poste. J’engraine les heures comme ça – à stationner dehors et à rentrer parfois à l’intérieur pour me réchauffer. Je vais de plus en plus activement vers les gens, pour leur préciser mon trajet : « ma pancarte n’indique que « Ljubljana – Slovenija » mais je passe aussi par Salzburg, Graz, Klagenfurt – où vous voulez. »

Je me fais accoster par un gars – un Roumain, conducteur d’une camionnette bleue qui s’arrête mettre de l’essence. Il ouvre la portière du véhicule – sans fenêtre – et je compte pas le nombre de personnes qui en sortent. Ils doivent être entassés là-dedans comme du bétail presque. Et le gars regarde ma pancarte et me dit – ou plutôt il me fait comprendre : « Tu veux monter avec nous ? On peut passer par Ljubljana… »

Genre il ferait un détour juste pour moi…

Même si je suis au bout du rouleau, c’est mort ! Pour rien au monde je veux monter dans cette cage à lapins roulante. Et ça sent mauvais – tout – lui, la situation… C’est quoi tout ce trafic ? Tiraillé par la fatigue, je me mets à psychoter grave.

Vers trois heures du matin j’aborde un gars de Slovénie. Il me dit d’attendre, dehors dans le froid de la nuit. Il rentre dans la station-service, je l’observe depuis le seuil. Puis il revient à sa caisse, la fait démarrer. Je capte pas pourquoi il me fait pas monter dans sa bagnole mais à cette heure là de la nuit, dans mon état et avec cet espoir qui jaillit en moi je me pose pas vraiment de questions. Le Slovène quitte la station-service en roulant au pas. Moi je cours derrière lui comme un débile avec tout mon barda. Il gare sa voiture au fond du parking – là où il fait sombre, tout près de la voie qui mène à l’autoroute – alors qu’il y a de la place ailleurs – partout, en quantité. J’aime pas beaucoup ça, je la sens déjà mal cette histoire. Puis le gars sort de sa caisse, me dit de le suivre, et remonte dans sa voiture. Je cours plus vite, comme un dératé – je lâche presque mes affaires sur le bitume. Enfin, quand j’arrive à même pas dix mètres de sa voiture soudainement il pousse un coup d’accélérateur et fonce sur l’autoroute dans la nuit…

Ça termine de m’achever. Je suis immobilisé, frigorifié – je viens de courir à en perdre haleine et dans cette nuit glaciale germano-autrichienne je crache mes poumons.

Je rentre dans la station service – sonné par ce qu’il vient de se passer et j’ai plus d’énergie.

Je m’assoupis sur une table vers 3h15.

Je me réveille trente minutes plus tard, complètement sonné et abruti par les néons sanglants. Tellement sonné tellement abruti que je sais même pas si tous les épisodes de poisse internationale que je viens de vous raconter se sont vraiment passés ou si c’était rien que des histoires – ou des souverêves ?

Dans mes oreilles le bourdonnement de la route, des voitures. Je sors – j’espère que me prendre une bonne rafale de vent glacial dans la gueule va me réveiller. Et je retourne à mon démarchage de chauffeurs. Mais personne peut me conduire jusqu’à Ljubljana, personne veut me prendre en lift, m’avancer un peu. Mentalement, ça commence à être très dur. Derrière moi, dans le courant d’air relativement chaud de la station-service, j’entends une nouvelle fois Take me to the Church.

Il s’est passé douze heures à peine depuis la première fois que je l’ai entendue cette chanson dans la bagnole de Dan – et j’ai l’impression que depuis la chance et mon mojo m’ont quitté.

Les heures passent encore. Un bus s’arrête. Il va jusqu’à Sarajevo mais – d’ailleurs malgré les efforts d’un passager pour convaincre le chauffeur – pas de place pas de place pas de place. Et le fait qu’il soit 6h30 et que le jour commence à pointer le bout de son nez arrange pas les choses.

Dans ma malchance j’ai une chance que l’aire d’autoroute offre une petite route vers le village voisin – Suben – et dans la station-service heureusement sur mon smartphone j’ai le wifi – faut juste que je fasse gaffe à la batterie. Je peux checker les horaires de trains sur le site des chemins de fer autrichiens.

Il y a bien une gare à Suben – et je pourrai arriver à Ljubljana cet aprèm et tant pis pour le stop. Ça a jamais été une fin en soi. Enfin pas pour ce séjour là. C’est plus « Peu importe la destination, l’essentiel c’est la route. » Et de toute façon, Camille est pas là. Camille est plus là.

07h – gare de Suben. Un simple arrêt. Mon nez coule abondamment. Le train s’arrête et m’aspire à l’intérieur.

07h – gare de Suben. J’ai laissé le rêve derrière moi. J’ai abandonné. Échoué. Camille, le défi à la con, tout ça – m’en branle. Là tout ce que je veux c’est me réchauffer et qu’on me foute la paix.

Et je me fous plein de morve partout.

à suivre…

« Draussen » – nuit, pluie, froid

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Je débarque à l’aire d’autoroute « Servus Europa » vers 19h. Dan me dépose puis il reprend sa route, direction Vienne, destination Constanța. C’était chouette ce lift avec lui –

Dan, sacré pépère. Je me demande si je le reverrai un jour – d’autant plus qu’on s’est pas échangé nos numéros de téléphone, nos adresses ou quoique ce soit.

L’aire d’autoroute est gigantesque. Ça se voit qu’on est à la frontière – une zone de passage, de transit importante – mais aussi une zone où les véhicules sont plus amenés à s’arrêter pour faire une pause – histoire de marquer le coup en franchissant les limites d’un territoire vers un autre pays.

J’ai de la chance tout va bien – ce sera sans doute facile pour me trouver un autre lift – peut-être même direct jusqu’à Ljubljana.

Et il n’est que 19h ! J’ai le teeemps, je suis laaarge ! Je vais largement gagner mon défi et mon pari avec Camille. Si la chance me sourit, je serai même à Ljubljana avant minuit – il ne reste que 450km je pense. Ça le ferait, non, de pouvoir boire une pinte de bière slovène dès cette nuit ?

J’en ai les yeux qui pétillent.

Je déboule dans le magasin de la station-service – d’humeur joyeuse, quasiment en sifflotant – histoire justement de prendre une bière. Je peux me le permettre, je peux déjà bien fêter toutes les avancées que j’ai accomplies aujourd’hui. Une bière c’est pas bien sérieux quand on est dans l’action – rien est encore gagné – je vais me prendre un café finalement.

La meuf à la caisse est aimable comme une porte de prison. « Draussen ! » elle me fait.

 

Elle pense que je veux vendre quelque chose avec ma pancarte. Elle veut pas que j’importune les gens.

Moi je veux juste souffler un peu, faire une pause. OK, je commence à comprendre la mentalité ici… Elle m’a regardé comme si j’étais nuisible. Du moins c’est ce que j’ai ressenti.

Peut-être qu’en réalité elle est frustrée, elle aimerait faire ce que je fais mais elle ose pas du coup elle s’énerve contre les gens de mon espèce et de ma trempe.

Servus Europa

Je peux réduire ma pancarte – retirer tous ces noms de villes que j’ai déjà traversées. Et je commence à faire le piquet devant.

Comme je le disais juste à l’instant, l’aire d’autoroute est grande, et j’ai des chances de trouver un lift assez rapidement – mais les voitures vont toutes en Hongrie, en Roumanie, voire en Bulgarie. À l’Est – pas vers le Sud.

Je me dis que c’est parce que Dan a traversé la frontière trop à l’Est pour moi, pour la direction que je veux prendre.

« Pourquoi tu n’essaies pas avec les camions ? » un gars me dit.

Il est 21h – arriver avant minuit à Ljubljana me paraît désormais clairement impossible – mais j’y comptais pas trop de toute façon. Par contre, ça fait deux heures que je suis sur cette aire d’autoroute en plus l’ambiance est pas trop funky et je vous avoue que je commence à le sentir mal.

le coin des camions

Je fais le tour du côté du parking de ces carcasses endormies – parce que j’ai rien à perdre.

J’apprends par l’un des conducteurs qui sort juste de sa cabine que les camions n’ont le droit de partir que demain – dimanche – à partir de 22h – sauf ceux qui disposent d’une chambre réfrigérante.

Je retourne brecouille à mon poste devant la station service.

Je fume la clope que Mélanie m’a filée. Mais je la savoure même pas. C’est pas qu’elle s’est toute rabougrie dans mes poches. C’est juste qu’elle m’écœure, j’arrive pas à la finir. Les voitures se font de moins en moins présentes, néanmoins elles sont jamais rares. Sauf que c’est toujours la même rengaine : « Romania, Hungary – no Slovenia. »

Qu’est-ce qui m’a pris de faire ça ? Dans quelle merde je me suis encore foutu ?

La nuit tombe. La pluie tombe. Le froid tombe. La pluie, le vent, le froid – je désespère.

À l’intérieur de la station je m’abrite – mais je ne dois pas lever ma pancarte – comme si c’était un signe ostentatoire de ma liberté de vaurien que je ne devais montrer sous aucun prétexte.

Il doit être 22h, 23h maintenant. Je me réchauffe un peu. Je m’achète des cookies et du lait – c’’est hors de prix mais je m’en tape – je bouffe de tout mon saoul. J’en propose à un couple Bulgare qui est bloqué ici car leur voiture est en panne. Ils semblent vouloir qu’on taille buvette mais au bout d’un moment je dois couper court à la conversation – faut que j’avance, moi, et je suis peut-être en train de laisser des opportunités.

Tu parles, Charles… Toujours personne.

En tout cas – si ça peut me rassurer – je remarque que quand tu penses être dans la merde il y en a qui le sont dix mille fois plus que toi – ce petit couple Bulgare qui désespère d’être sauvé.

ombre et pancarte

Et dehors les températures chutent, comme ces flocons de neige parfois qui tiennent pas.

Hannover Garbsen – Partie 1

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Mais quand je déclare que je ne sais pas si nous arriverons un jour là-bas (…), un petit môme (…) me lance :

– Vous en faîtes pas, vous arriverez.

Je lui demande comment il le sait. « Non seulement vous arriverez mais encore vous repartirez et vous irez ailleurs. Ah ah ah ! »

– Jack Kerouac – Les anges vagabonds.

3h du matin, enveloppé dans la nuit noire de Chine – sans Lune et sans étoiles – sur l’aire d’autoroute d’Hannover-Garbsen, à quelques kilomètres d’Hanovre, sur l’autoroute A2, qui mène tout droit à Berlin, à 300 Km de là.

Hannover-Garbsen – on est déjà passés par là, avec Camille, lors de nos premières péripéties jusqu’en Pologne, mais on y est pas restés longtemps – juste le temps de se faire déposer, souffler un peu et se faire conduire ailleurs.

Banane

Mes sacs à terre, adossé contre le mur de la station-service, je mange une banane et des petits beurre et je pense aux innombrables fois où j’ai fait du stop jusque là. Je pense à Camille, à notre traversée du désert et à toutes les autres fois où on s’est dit « On y arrivera jamais ». Je pense à toutes les fois où on a fini par y arriver, je pense à toutes celles où on a raté le coche. Si je suis là maintenant, dans la nuit, c’est entre autres pour me prouver que je peux y arriver.

J’ai commencé à lever le pouce vers 16h, sur l’aire d’autoroute d’Assevillers Est, du côté de Péronne, sur l’autoroute du Nord – juste avant qu’elle se sépare entre Lille et Valenciennes. Déposé là par un couple d’amis après la pendaison de crémaillère de Sophie et de Jules.

« Lever le pouce »… en fait j’ai même pas eu le temps de le faire. Dès mon arrivée, je me suis précipité aux chiottes me soulager la vessie – acte essentiel avant chaque Grand Voyage. Et là, alors que je me lave les mains, un gars jette un coup d’œil sur ma pancarte.

« Tu passes par Hanovre ?

– Ouais, c’est sur ma route.

– Je peux te déposer vers Minden. Ça sera 30 EUR. »

Louis – c’est son nom – me montre déjà où se situe Minden sur son smartphone mais je vois très bien où c’est. C’est dans ma direction, c’est pas ça le problème. Le problème c’est que j’ai une pancarte, que je suis parti pour faire du stop, c’est à dire me faire déposer d’un endroit à un autre sans bourse délier. Ça contrecarre l’essence même du projet.

« Mais rien n’est gratuit ici, tu sais… » il me dit.

Bon, je pourrais attendre qu’un conducteur accepte de me prendre dans sa caisse – je suis persuadé que je trouverais bien des gens qui pourraient m’emmener plus loin même – mais j’accepte, un peu lâchement. Tant pis, je me dis, j’en ai rien à carrer, c’est pas du stop, c’est du « covoiturage spontané ». Et puis Minden, c’est au delà de l’imbroglio autoroutier de la Rhur, où il y a tant d’autoroutes qui se concentrent, qui s’enchevêtrent, où j’ai eu terriblement de mal à avancer la dernière fois que j’ai fait le voyage. Partir avec lui, ça va m’éviter toute cette merde.

Je monte dans la voiture – un monospace de sept places. À l’avant Louis et Justin, qui conduisent à tour de rôle. À l’arrière, tandis qu’au deuxième rang somnolent une dame et son gosse, au premier rang avec toutes mes affaires je suis entassé entre deux dames d’un certain âge. Plus tard, j’apprends qu’elles font partie de la famille de Louis. Mais ça les dispense pas de payer le trajet aussi. Rien n’est gratuit ici…

La voiture quitte l’aire d’autoroute, et c’est parti.

Le compteur toujours bloqué à 150, on passe la frontière belge en fin d’après-midi, puis la frontière allemande vers 20h30. Cette route, à force de l’avoir prise dans tous les sens, elle me devient familière. J’aime pas trop l’ambiance dans la caisse. La phrase de Louis « rien n’est gratuit ici » me reste dans la gorge, et puis il parle fort et puis il met la musique à fond. Je discute avec l’une des deux dames à mes côtés. Elle vient du Bénin, alors on parle de Cotonou et du marché de Dantokpa. J’imagine qu’en dix ans, pas mal de trucs ont changé. Pas sûr que je m’y retrouverais si je revenais là-bas.

Le gosse – Jan – s’est réveillé. Il pleure parfois mais le plus souvent il reste sage et attentif. Il gazouille – c’est la vie que je sens en lui, c’est la vie que je finis par ressentir dans cette carcasse de métal – je retrouve mon optimisme.

Justin arpente la Rhur dans tous les sens pour déposer, un à un, les passagers. La dame de Cotonou à Mönchengladbach, l’autre dame, Jan et sa mère à Essen. Sa route à lui se termine là aussi.

Je me retrouve seul dans la voiture avec Louis, qui prend le volant pour la dernière partie du trajet. Je reste toujours méfiant. Je viens de lui filer ses trente boules, j’ai pas envie qu’il me largue comme un malpropre au bord de la route.

« Tu sais à quelle aire d’autoroute tu vas me déposer ? » – je lui pose plusieurs fois la question.

Il finit par s’énerver gentiment : « Non. Mais t’inquiète pas ! Il y en a plein, des aires d’autoroute ici. »

Et il rajoute. « C’est un contrat… Tu m’as donné l’argent. Maintenant je dois remplir ma part du deal, tu comprends ? »

Ouais – je comprends.

Je devrais pas être autant stressé… C’est juste que l’autostop a pas encore fait son œuvre en moi. Au bout de quelques temps, quand tu fais du stop, la route est ton élément, glisser sur le macadam ta seule joie, t’en as plus rien à foutre de savoir où tu vas être déposé, où tu vas et où tu vas dormir ce soir. Mais ça, ça vient pas tout de suite et au début – pendant quelques temps en tout cas, tu angoisses et tu désespères pas mal – avant d’être enfin dans le bain.

Bon, Louis a raison – je dois me détendre. Je respire profondément et je regarde le chapelet de bois autour du rétro intérieur. Je regarde Louis qui parle fort et qui met sa musique à fond – je sais qu’il fait la route Paris-Hanovre plusieurs fois par semaine, par tous temps. J’imagine qu’il en bave, qu’il a dû en voir, des choses pas nettes dans sa vie. Je le vois d’un autre œil, en fin de compte. Je le vois danser la samba, le mambo et la salsa sur son siège, se trémousser, se tortiller, claquer des mains, les yeux rivés sur la route – mélodies latines et africaines à 150 à l’heure au creux de la nuit germanique.

Alors, intérieurement, je remercie ce saint de la route d’avoir posé son regard sur ma pancarte et de m’avoir emmené jusque là.

Et je me trémousse et je claque des mains à mon tour.

Le jour où la nuit brûle – partie 3

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Nous revoilà Bill et moi – votre illustre conteur B.Howl – pour cet ultime épisode – repartis dans la nuit après le parc et les rives du canal – maintenant je veux emmener l’autre coyote dans un autre parc – le parc aux grilles rouges où je fais de temps à autres, en été, de délicieux pique-niques dans l’herbe fraîche. On se dandine sur les trottoirs du vieux quartier – le quartier chic maintenant – il y a vingt ans un vrai taudis entre les dingues et les paumés les putes et les camés quand la pipe s’évaluait encore en francs et quand l’héro était moins coupée – trottoirs couverts d’aiguilles et de capotes de fortune. Les temps ont changé – le présent c’est maintenant et soudain dans cette rue remplie de bars Bill stoppe net – à l’affût des boum boum de la musique et du bruit. On entre dans un bar gay et lesbien et rien à foutre on commence à se déchaîner parce que ce son qui nous vrille les tympans c’est juste qu’on en a besoin là maintenant. Quelques minutes plus tard en dansant sans faire exprès je bouscule quelqu’un. Je me retourne dis pardon le mec a un billet de vingt entre les mains. Le barman. Il nous fixe des yeux : « Faut consommer maintenant. » C’est pas ce qu’on a prévu alors on prend nos affaires et on se casse de là sans rechigner.

En marchant « Tu sais Bill, un jour j’ai eu une vision. Faire le tour du monde avec toi. Je nous ai vu marcher le long des chemins. Ton côté mystique. Chamane. Je nous voyais vagabonder près des églises orthodoxes bourlinguer sur les rives du Gange nous deux à la recherche ultime du Dharma. J’ai voulu t’en parler mais ce jour là quand je t’ai appelé tu étais occupé. Et puis depuis j’ai jamais osé discuter de ça avec toi… » Tu me réponds sans hésiter : « Non mec, c’est pas dans mes plans. » Message reçu – le rêve était plaisant en tout cas.

On arrive vers la place devant les terrasses bondées des restos qui se veulent chics mais où la bouffe est dégueu – des pièges à touristes. Et au milieu des gens avec des guitares un accordéon et un djembé. On se joint à eux tout naturellement. Bill déballe pas sa gratte il observe note contemple. Moi je veux faire du tssi-tssi mais avant que je retrouve la petite bête au fond de mon sac les musicos sont sur le point de se barrer. Cinq minutes avant ils s’exclamaient : « Vous voulez nous suivre ? » et là ils se taillent et nous ignorent. Classique. Encore une fois restez, côtoyez nous mais pas trop – après on risque de se mélanger et ça craint. Et encore une fois on reprend notre chemin – éclairé par la nuit qu’on veut percer. On passe dans une rue piétonne et commerçante. À cette heure là elle est vide mais les enseignes clignotent encore. Bill appelle une pote et s’éloigne un peu de moi. Une pote qui arrive pas à expliquer ce qu’il lui arrive – elle vient de tomber amoureuse. Leur conversation dure huit minutes. Moi ça me dérange pas je m’en fous mais je commence mine de rien à sentir la fatigue et finalement j’ai pas envie d’aller traîner au parc aux grilles rouges – en plus il doit être fermé à cette heure ci. Je veux aller dans mon bistrot préféré mais quand Bill raccroche au téléphone il est pas motivé. « Alors on rentre chez moi ? » « Ouais. »

On baisse les bras – mais vaut mieux – la nuit en a encore pour un bout de temps avant de se faire jour mais c’est pas du dépit et ça veut pas dire qu’on a abandonné. On a percé la nuit ouais – d’aussi loin qu’on pouvait. Camille  – Double Merlu et leur bande – le serveur du bar pas sympa – les musicos près de la place – ça fait déjà une bonne plâtrée de noctambules… On remettra ça une autre fois quand j’aurai de nouveau le plaisir d’héberger l’ami Bill. « C’est trop fort B.Howl comment tu abordes les gens… Jamais je ferais ça tout seul. » « Moi non plus Bill – c’est parce que je suis avec toi. ». Dans les cinq cent derniers mètres qui séparent la nuit de la ville à mon chez-moi on croise un gars qui me taxe une clope. « Flo » il dit qu’il s’appelle il a l’air un peu défoncé. Bill s’étonne : « Pourquoi tu portes une étoile de David comme pendentif ? » Flo : « Ah ! La croix ? » « Ouais… Enfin l’étoile… » « Bah je sais pas ce que ça représente. C’est juste un pote qui me l’a donné une fois – et je la porte depuis qu’il est mort. » Bill lui explique ce que ça signifie. Il est très intéressé par les religions et la spiritualité, Bill – très mystique aussi: « Ça représente deux triangles inversés qui s’imbrique l’un à l’autre. Fusion de l’univers visible et de l’univers invisible. » Flo se sent un peu gêné un peu inculte mais il écoute avec attention. Faut pas être gêné on est toujours l’inculte de quelqu’un. Et ce qui compte c’est d’être curieux de tout. On s’assoit sur le trottoir à côté des pipis de chiens et on discute. On parle de karma, de bouquins et d’expériences sensorielles de hasard-qui-n’existe-pas et de vies après la mort. Et on parle de bonheur – aussi. Tout à fait le genre de conversations que peuvent avoir quelques oiseaux de passage flamboyants à une heure avancée de la nuit. Le présent c’est maintenant. Et on quitte Flo qui doit rejoindre ses potes et chacun de nous repart en ayant appris des trucs. Une fois arrivés chez moi je tire la nuit comme un rideau et je repars la brûler – les paupières closes, rêve-éveillé.

 

Le jour où la nuit brûle – partie 2

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Et là sans transition nous voilà Bill et moi en chemin direction le canal où la nuit s’offre à nous pour de nouvelles aventures. En marchant je reçois un SMS de Camille – ravie d’avoir vue Bill et de lui avoir parlé. J’avais pas remarqué qu’ils s’étaient échangés quelques mots – à ce moment là j’étais sûrement en train de mettre nos quelques déchets dans une poubelle. « Vous avez discuté de quoi Camille et toi ? » je demande. « De ses études », il me répond. Camille est en stage de fin d’études – une période charnière – et elle traîne des tas de questions derrière elle – la plus importante devant être « Qu’est-ce que je fais APRÈS ? » . Camille… – elle se pose toujours beaucoup de questions. Et Bill aussi – et il écoute aussi. Au canal y’a plein de monde sur les berges – à tel point que je sais pas on va se mettre pour continuer notre délicieux délire nocturne. On marche on avance parmi les gens – et on se fait accoster par deux gars. Y’en a un qui s’appelle « Double » – surnom trop chelou – parce que de multiples déformations de son nom – que j’ai pas du tout retenu – ont donné au fil des âges « Brou » puis « Brou Brou » puis « Double Brou » et enfin « Double ». Hyper-logique et encore plus compliqué que les pirouettes pyrotechno-lexicales qui ont donné « B.Howl ». Son compagnon de fortune s’appelle Merlu – parce que son prénom à lui c’est Colin. Ils traînent là avec leur bande de potes – ils picolent de la vodka dans des bouteilles de Volvic avec leur BMX et leur radio ils écoutent du reggae et du dubstep. Ça me rappelle une nuit de grand n’importe quoi avec Camille justement où on a fini au Batofar sur les bords de Seine – pour une grosse soirée dubstep jusqu’au petit matin avec du son qui pulsait pulsait des basses qui bourrinaient bourrinaient – à en faire trembler le navire ! L’eau sombre du canal luit – les lampadaires. Ronds incandescents feux immobiles dans le noir de l’eau et du monde tout autour. On parle de barbes mal rasées. « La mienne », je fais, « c’est un ACCIDENT, OK ??!! » – pas le temps de me raser ça pousse tellement vite ces trucs là – et surtout pas de lumière dans ma salle de bain depuis quelques mois maintenant.

Merlu : « Je viens bientôt rejoindre ma copine. »

Bill : « Elle s’appelle comment ? »

Merlu : « Mina. »

Bill : « La mienne aussi ! »

Votre aimable serviteur : « C’est peut-être la même… »

Vérification faîte – non.

Avec Double on parle tags. Ce mec tague partout. « Des beaux trucs ou des graffitis ? » je demande un peu connement. « De tout » il me répond. « Mais je fais gaffe à pas faire chier les gens. Tu comprends – la ville est à nous et y’a des types qui nous imposent à tout bout de champ leurs merdes architecturales qui enlaidissent le paysage urbain. Alors je me permets tout modestement de remettre un peu de désordre de chaos dans tout ça. Je me réapproprie la ville. Je marque mon territoire. »

Montrer à la ville que tu existes… Flash – je me retrouve l’histoire d’un instant à Five Pointz – NYC.

Je sens encore qu’il nous faut partir – j’ai du mal à rester sur place – et j’ai tellement de trucs à voir à vivre à montrer à Bill. On rejoint la bande de potes de Double et Merlu qu’on avait pas approchée jusque là pour leur dire au revoir. Ils sont chargés – et pas qu’à blanc. Ils s’enregistrent en faisant du rap avec une GoPro. On écoute un gars qui crache son slam – vas-y vas-y – mais à la fin on s’aperçoit que c’est pas une impro – dommage… En deux temps trois mouvements la vidéo se retrouve sur Youtube. À toi de la trouver si tu veux, mec. Si t’es brave tu pourras même me filer le lien du clip dans les commentaires. Merci d’avance. Ces zozios de la nuit me font penser à Stupeflip – vite ! En concert un grand pogo – pire que ça – une vraie boucherie. J’étais avec Candy au premier rang c’était hardcore le public était déchaîné j’ai failli être écartelé-écrabouillé sur les barrières qui séparaient la scène du public. Je sais pas comment Nana a fait pour supporter tout ça. J’ai failli aussi perdre mes lunettes plusieurs fois – et quand j’en ai eu marre – c’est à dire assez vite et que j’ai voulu m’extirper de tout ce bordel j’ai marché sur un truc dur – ça a fait « Crouic ». Je crois que ma Dr Marten’s a écrasé une main.

On finit en aparté avec Merlu à parler communisme/marxisme, les extrêmes, fondamentalisme religieux, Palestine, communautarisme vs. œcuménisme.

La nuit est noire – l’air est chaud – brûlant.

Bill et moi on se tire avant d’évoquer la paix dans le monde et dans les ménages.

 

Suite et fin la semaine prochaine…