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Mon prochain voyage

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Début 2015 – à peine remis du nouvel an, un soir – ou une nuit, comme vous voulez… – avant de tomber dans les bras de Morphée j’erre et je pagaie pénard dans mon lit king-size. Je me dis que ça fait un bail que j’ai pas pris de vacances. Des vraies vacances, je veux dire, ce qui veut dire partir loin – si possible à l’étranger – quitter la routine du quotidien et vagabonder dans les ailleurs aux sonorités différentes.

Bon, d’accord… C’est pas que je commence à tourner en rond, hein, mais… Où aller ? En plus les nuits sont longues, il fait froid – moi j’ai besoin de SOLEIL ! – Histoire de me rafraîchir les idées… Et si je partais, disons en février, disons dans le sud de l’Espagne ? L’Andalousie !

Arf, j’imagine déjà Cordou, Grenade, l’Alhambra – et les doux rayons du soleil qui tapent sur ma peau… – car j’imagine que le soleil pointe le bout de son nez, là-bas, hiver ou pas, contrairement à ce qui s’est passé dans ce putain de désert où je me suis retrouvé, gelé de la tête aux pieds, avec les vêtements d’été que j’avais emportés parce que j’avais cru bien faire.

Et je m’endors, enthousiaste à mort.

Le jour d’après le réveil sonne, j’ouvre les yeux – et alors que mes paupières sont à demi-ouvertes – ou encore à demi-closes, comme vous voulez – une vision m’apparaît. Une vision – un peu comme celle que j’ai eue avec mon ukulélé. Une vision – juste un nom, en neuf lettres majuscules : LJUBLJANA.

Ljubljana, une vision… – il en faut pas beaucoup plus pour me dire que c’est là que le destin veut que je vienne passer mes prochaines vacances.

Ljubljana – la « Petite Venise » : pourquoi ce nom, cette ville m’apparaissent et résonnent en moi de bon matin ? C’est vrai qu’il y a quelques mois, j’ai accueilli chez moi deux nanas, des Slovènes, pendant deux nuits – bien sympa au demeurant – elles m’ont parlé de Ljubljana, bien sûr, elles m’ont parlé de ses charmes et de la nature environnante – mais à part ça, j’ai strictement AUCUNE IDÉE de la raison pour laquelle cette ville m’apparaît en flash ce matin là.

C’est écrit, c’est tout.

Le soir même au café je bois un verre pénard avec Camille. Les voyages, ça nous connaît, avec nos 4000 Km parcourus en stop ! Je lui expose tout de go mon idée de partir pour la Slovénie et de visiter sans savoir trop pourquoi Ljubljana. « Ah c’est super », elle me fait, « tu pourras prendre un vol direct et passer un gros week-end là-bas ! »

Ouais, ouais, c’est super, mais moi, un gros week-end ça suffit pas, j’ai besoin de partir une semaine minimum. Je sais que la ville en elle-même, elle est pas trop grande et deux trois jours suffisent pour y faire le tour et bien l’explorer.

Et là tout s’enchaîne dans ma tête – comme si c’était écrit : les lettres du mot Ljubljana qui sont apparues devant mes yeux matinaux, le fait d’être assis avec Camille, avec qui j’ai partagé tant de lifts…

Ljubljana, c’est en AUTO-STOP que je vais y aller.

L’année dernière, j’étais pourtant parti en stop à Łódź en me disant sincèrement que ce serait ma dernière fois, que je m’étais prouvé ce que j’avais à me prouver, que j’avais désormais tourné la page et qu’il était temps que je passe à autre chose.

Mais à chaque fois que je suis en voiture sur l’autoroute, quand ma tête est collée au carreau embué et que je contemple les paysages qui défilent, ou dès que je passe à côté d’une aire d’autoroute, je peux pas m’empêcher de me souvenir de tout ça, de la route, et je ressens comme un appel.

C’est pas fini.

Alors que je discute avec Camille, cet enchaînement se fait très vite dans mon esprit – bien plus vite que le temps qu’il vous a fallu pour lire les trois derniers paragraphes – ça fuse dans tous les sens, mais l’idée de l’auto-stop est lancée comme une évidence, comme si c’était prévu depuis le début.

Le pire, c’est qu’à l’instant où j’en parle à Camille, je sais même pas la distance qui me sépare de Ljubljana, ni quel chemin prendre pour y arriver.

La réponse à cette question, je l’ai quand je rentre chez moi et que je squatte fiévreusement Google Maps. 1400 Km, même pas. Du gâteau après Łódź. En plus, aucune ville m’intéresse sur le trajet. Une fois que je serai lancé sur l’autoroute, j’irai gaiement de station-service en station-service, et ce sera relativement facile d’accoster les véhicules pour demander à leur conducteur/conductrice s’il/si elle accepte un lift. Car, comme tout auto-stoppeur le sait – ou le découvre, les deux trucs les plus difficiles en stop, c’est 1) sortir d’une ville, et 2) rentrer dans une ville.

Bref, je pense qu’il faudra compter deux jours pour y aller.

Pour des tas de raisons, je dois décaler mes congés. Moi qui pensais prendre une semaine en février pour aller profiter d’un temps clément en Europe du Sud, j’ai finalement la possibilité de partir la première semaine d’avril – et ça m’arrange doublement : les jours rallongent de plus en plus, et il fera de moins en moins froid. Traduire: lever le pouce sera plus facile, et je serai visible plus longtemps.

Les jours passent, et j’imagine la pancarte que je vais fabriquer pour le trajet. Est-ce que je vais faire la liste de tous les endroits par lesquels je vais passer pour atteindre Ljubljana – comme j’avais fait pour Łódź – ou est-ce que je vais seulement afficher SLOVENIJA – LJUBLJANA et ensuite, advienne que pourra et vogue, vogue la galère ?

Il y a quelques jours je discute avec un collègue – je lui raconte mes plans pour Ljubljana – car forcément, plus les jours passent, et plus je suis fébrile à l’approche du départ. Je m’aperçois alors que même si j’y arrive en stop, je passerai là-bas beaucoup plus de temps que les deux trois jours qui seraient selon moi nécessaires pour visiter la ville. Ok, je peux bien sûr explorer Ljubljana en profondeur, aller dans les faubourgs, dans la campagne ou dans la forêt slovènes – et en profiter un peu aussi pour me reposer. Mais je peux aussi – pourquoi pas soyons fous ! – pousser le stop plus loin… 600 Km plus au sud – Jusqu’à SARAJEVO !

J’ai toujours rêvé de poser le pied à Sarajevo. Me demandez pas pourquoi… Simplement, pour moi il y a deux villes en Europe qui symbolisent le XXème ciel : Berlin et Sarajevo. Ces deux villes ont connu la folie et l’horreur des hommes, tous les courants, tous les tourments. Elles ont été bousculées, tiraillées, défigurées, mais aussi unies… l’Europe…

Berlin, j’y suis déjà allé quelques fois.

Alors ce sera Sarajevo.

En passant par Ljubljana.

En auto-stop.

On verra bien.

Hannover Garbsen – Partie 2

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Toujours 3h du mat’, toujours bloqué dans la nuit encre de Chine sur cette putain d’aire d’autoroute Hannover-Garbsen, et avant de me faire interrompre par Monsieur H. et son texte – qui est, de vous à moi, le fruit d’un travail d’orfèvre – j’étais en train de vous raconter comment j’en étais arrivé là.

Donc, il y a tout d’abord Louis et mon « covoiturage spontané », concept que j’ai inventé pour dire que j’ai foiré l’autostop en beauté en acceptant lâchement de me faire véhiculer moyennant finances. Je sais que Camille aurait pas du tout approuvé ça – pour elle le stop c’est « Si tu me fais payer, je monte pas avec toi. » Heureusement, béni soit Kerouac, qui, quand il a sillonné les routes américaines en large et en travers, a dû, parfois, filer quelques dollars pour faire quelques miles.

Louis me dépose sur l’aire de Lipperland Süd sur les coups de 23h. De là il va à Minden, puis il retourne à Essen. Et demain, et les jours suivants, il fera pareil, ce saint impitoyable.

Adios l’ami ! – je lui fais signe quand il démarre – mais il s’en fout. Les bandes blanches et la vitesse l’attendent.

Pause pipi de nouveau – ce serait dommage de me faire dessus sur la route en salissant le cuir d’un siège passager. Pause bouffe – bananes et petits-beurre, et pause café également – jusqu’à Łódź, ça peut être long.

Si je fais le calcul rapidos, je dirais que j’ai déjà encaissé un tiers des 1600 Km qui me séparent de ma destination. Hanovre est à 100 Km, Berlin à 400 Km. Et ensuite Poznań et la Pologne, enfin…

Pancarte

Pancarte

Je stationne devant la station-service Aral. Je réarrange ma pancarte, la réduis de moitié en retirant tous les endroits que j’ai déjà franchi.

 Pas le temps de finir ma clope, un camion rouge s’arrête devant moi. Le chauffeur descend et s’approche : « I can drive you to Hannover.

– Let’s do that ! »

Avec des signes il m’explique que je dois abandonner ma « pancarte de rechange », un carton sur lequel j’ai rien écrit, histoire d’avoir quelque chose sous la main au cas où j’aurais dévié de ma route. Je suis d’abord réticent, puis je me dis que si je dévie, je ferai avec les moyens du bord. Alors il m’aide à mettre mes sacs dans la cabine et on embarque.

Wow un camion – ça faisait un bail

Mon chauffeur, Carshie (?) me propose du Red Bull et du café – sa glacière est à portée de main et la machine à espresso sur le tableau de bord. Il laisse son paquet de clopes à proximité et me fait comprendre que je peux me servir comme je veux. Un ange ! – un ange qui écoute de la musique pop Bulgare – quand je lui pose des questions il baisse le son pour me répondre.

« Ça fait combien de temps que tu es chauffeur routier ?

– 25 ans.

– Qu’est-ce que ton camion transporte ?

– En général, du courrier et des colis. Je bosse pour Fedex. Mais pour l’instant, rien du tout. Je dois récupérer une cargaison à Berlin et la déposer à l’aéroport d’Hanovre, d’où je viens de partir.

– Tu as de la famille, des enfants ?…

– Ouais, j’ai deux filles. L’aînée a 22 ans. Elle fait des études de droit en Bulgarie. La plus jeune a 17 ans, elle est au lycée à Cologne. »

Dans le camion on domine la route en fonçant dans la nuit. C’est très calme, j’ai pas l’impression qu’on dépasse les 100 Km/h. Mais je suis en forme, enthousiaste et bien confortable sur mon siège. Dans la direction opposée, on aperçoit trois accidents – et les embouteillages qui les accompagnent.

Carshie a les muscles saillants, sa peau est parsemée de tatouages. Je l’observe du coin de l’œil – sa route est encore longue mais il sourit. Après ma série de questions il remet la musique à fond. Première fois de ma vie que j’écoute ces airs traditionnels remixés à la sauce électro – de la Tchalga – et figurez vous que je trouve ça génial…

Vers 1h du mat’ Carshie me dépose sur l’aire d’Hannover-Garbsen. Il a l’air vraiment désolé quand il me dit qu’il peut pas m’amener plus loin. Un grand signe, et c’est un autre ange de la route qui s’obscurcit en s’éloignant.

Voilà, je vous ai raconté comment j’en suis arrivé là. Maintenant ça fait deux heures que je poirote comme un con ici. Il fait un peu froid, adossé aux vitres de la station-service, j’enfile mon sweat-shirt. Le mec de la station-service me fixe des yeux – il s’est d’abord méfié de moi, maintenant il me regarde d’un air attendrissant.

Vue de la station-service

Vue de la station-service

Au niveau des pompes, je roule ma bosse et ma clope – oui, on fait avec l’humour qu’on a – seul à 3h du mat’ sur une aire d’autoroute paumée dans un pays qui n’est pas le sien.

L’aire d’autoroute est immense, pourtant aucune voiture s’arrête pour mettre de l’essence – aucune voiture sauf des « microbus » – des espèces de fourgonnettes sans fenêtres qui traversent l’Allemagne et la Pologne, remplies de passagers entassés dedans. Je les vois sortir des véhicules, hagards, fumer des clopes et se dégourdir les jambes pendant que les chauffeurs font le plein. À chaque fois, leur regard se pose sur moi, rempli de regrets – ils pourront pas me véhiculer.

Tant pis… Mon attention – enfin… toute l’attention que je suis capable d’avoir à cette heure avancée de la nuit – s’est reportée ailleurs. Vers une voiture solitaire qui traîne en plein milieu du parking devant le restoroute. Une voiture immatriculée en Pologne – et dedans, qui dort : mon sauveur.

mon sauveur?

mon sauveur?

J’attends qu’une chose, c’est qu’il se réveille. Quand ce sera le cas, il me verra, et là, c’est obligé, il va me prendre et m’emmener direct jusqu’à Łódź. Je le sais, c’est comme ça que ça va se passer.

En attendant, je fais des rondes dans le coin des camions, où je vois les chauffeurs se garer comme ils peuvent, sortir quelques instants pour vérifier leur cargaison, puis rentrer et tirer les rideaux de leur cabine – avant de se reposer quelques heures pour reprendre la route de nouveau.

Ronde de nuit

Ronde de nuit

Je commence à broyer du noir – sévère. Je me sens comme au milieu de nulle part, comme cette fois à Dolna Grupa. Sauf que cette fois pas de Camille, pas de Candy Sweet, pas de Lola, pas de Marlène non plus – je suis seul – désespérément seul. Et traîner là au milieu de ses mastodontes d’acier, ça commence à me faire flipper grave.

Je regarde leur plaque d’immatriculation, à mes camions, et j’essaie de deviner d’où ils viennent et quelles routes les a menés jusqu’ici. Mais ce jeu dure pas bien longtemps – j’angoisse et je commence à avoir sommeil.

Énième pause clope à la station-service à côté des microbus compatissants qui défilent à la chaîne, puis j’entame une énième ronde dans le coin des camions. Mon sauveur là-bas seul dans sa caisse est toujours pas réveillé.

Tout à coup, alors que je suis au bout de la troisième rangée de camions, près de la sortie de l’aire d’autoroute, un vrombissement. Soudain, rapide et violent. Et je vois sa voiture filer à toute berzingue. Putain, mon sauveur vient de se casser !

Le chien !

Je misais tout sur lui.

Qu’est-ce que je vais foutre maintenant bordel ?

Je maugrée toute ma misère en traînant des pieds jusqu’à la station-service, où je m’écoule sur le béton, froid et qui pue l’essence. Faut que j’en fasse mon refuge – parce que si ça se trouve, je partirais pas d’ici avant l’aube.

Mais une bagnole déboule. Une vieille merco-benz blanche – début des années 80 je dirais. Immatriculée 75. Paris ! Un Français ! Alors que je me remets debout, son conducteur se pointe vers moi. Et il me dit un truc – un charabia incompréhensible – du polonais ? « Nie mówię po polsku… » je fais. Alors, dans un français sans faille, il me dit : « Je m’appelle Michał. Je vais jusqu’à Poznań. Si ça te dit, je te dépose par là… »

Bien sûr que ça me dit !

Hop, je grimpe et je fous tout mon barda à l’arrière.

Les sauveurs sont jamais ceux qu’on croit et Michał l’ange met les gaz trace la route direction la Pologne.

Hannover Garbsen – Partie 1

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Mais quand je déclare que je ne sais pas si nous arriverons un jour là-bas (…), un petit môme (…) me lance :

– Vous en faîtes pas, vous arriverez.

Je lui demande comment il le sait. « Non seulement vous arriverez mais encore vous repartirez et vous irez ailleurs. Ah ah ah ! »

– Jack Kerouac – Les anges vagabonds.

3h du matin, enveloppé dans la nuit noire de Chine – sans Lune et sans étoiles – sur l’aire d’autoroute d’Hannover-Garbsen, à quelques kilomètres d’Hanovre, sur l’autoroute A2, qui mène tout droit à Berlin, à 300 Km de là.

Hannover-Garbsen – on est déjà passés par là, avec Camille, lors de nos premières péripéties jusqu’en Pologne, mais on y est pas restés longtemps – juste le temps de se faire déposer, souffler un peu et se faire conduire ailleurs.

Banane

Mes sacs à terre, adossé contre le mur de la station-service, je mange une banane et des petits beurre et je pense aux innombrables fois où j’ai fait du stop jusque là. Je pense à Camille, à notre traversée du désert et à toutes les autres fois où on s’est dit « On y arrivera jamais ». Je pense à toutes les fois où on a fini par y arriver, je pense à toutes celles où on a raté le coche. Si je suis là maintenant, dans la nuit, c’est entre autres pour me prouver que je peux y arriver.

J’ai commencé à lever le pouce vers 16h, sur l’aire d’autoroute d’Assevillers Est, du côté de Péronne, sur l’autoroute du Nord – juste avant qu’elle se sépare entre Lille et Valenciennes. Déposé là par un couple d’amis après la pendaison de crémaillère de Sophie et de Jules.

« Lever le pouce »… en fait j’ai même pas eu le temps de le faire. Dès mon arrivée, je me suis précipité aux chiottes me soulager la vessie – acte essentiel avant chaque Grand Voyage. Et là, alors que je me lave les mains, un gars jette un coup d’œil sur ma pancarte.

« Tu passes par Hanovre ?

– Ouais, c’est sur ma route.

– Je peux te déposer vers Minden. Ça sera 30 EUR. »

Louis – c’est son nom – me montre déjà où se situe Minden sur son smartphone mais je vois très bien où c’est. C’est dans ma direction, c’est pas ça le problème. Le problème c’est que j’ai une pancarte, que je suis parti pour faire du stop, c’est à dire me faire déposer d’un endroit à un autre sans bourse délier. Ça contrecarre l’essence même du projet.

« Mais rien n’est gratuit ici, tu sais… » il me dit.

Bon, je pourrais attendre qu’un conducteur accepte de me prendre dans sa caisse – je suis persuadé que je trouverais bien des gens qui pourraient m’emmener plus loin même – mais j’accepte, un peu lâchement. Tant pis, je me dis, j’en ai rien à carrer, c’est pas du stop, c’est du « covoiturage spontané ». Et puis Minden, c’est au delà de l’imbroglio autoroutier de la Rhur, où il y a tant d’autoroutes qui se concentrent, qui s’enchevêtrent, où j’ai eu terriblement de mal à avancer la dernière fois que j’ai fait le voyage. Partir avec lui, ça va m’éviter toute cette merde.

Je monte dans la voiture – un monospace de sept places. À l’avant Louis et Justin, qui conduisent à tour de rôle. À l’arrière, tandis qu’au deuxième rang somnolent une dame et son gosse, au premier rang avec toutes mes affaires je suis entassé entre deux dames d’un certain âge. Plus tard, j’apprends qu’elles font partie de la famille de Louis. Mais ça les dispense pas de payer le trajet aussi. Rien n’est gratuit ici…

La voiture quitte l’aire d’autoroute, et c’est parti.

Le compteur toujours bloqué à 150, on passe la frontière belge en fin d’après-midi, puis la frontière allemande vers 20h30. Cette route, à force de l’avoir prise dans tous les sens, elle me devient familière. J’aime pas trop l’ambiance dans la caisse. La phrase de Louis « rien n’est gratuit ici » me reste dans la gorge, et puis il parle fort et puis il met la musique à fond. Je discute avec l’une des deux dames à mes côtés. Elle vient du Bénin, alors on parle de Cotonou et du marché de Dantokpa. J’imagine qu’en dix ans, pas mal de trucs ont changé. Pas sûr que je m’y retrouverais si je revenais là-bas.

Le gosse – Jan – s’est réveillé. Il pleure parfois mais le plus souvent il reste sage et attentif. Il gazouille – c’est la vie que je sens en lui, c’est la vie que je finis par ressentir dans cette carcasse de métal – je retrouve mon optimisme.

Justin arpente la Rhur dans tous les sens pour déposer, un à un, les passagers. La dame de Cotonou à Mönchengladbach, l’autre dame, Jan et sa mère à Essen. Sa route à lui se termine là aussi.

Je me retrouve seul dans la voiture avec Louis, qui prend le volant pour la dernière partie du trajet. Je reste toujours méfiant. Je viens de lui filer ses trente boules, j’ai pas envie qu’il me largue comme un malpropre au bord de la route.

« Tu sais à quelle aire d’autoroute tu vas me déposer ? » – je lui pose plusieurs fois la question.

Il finit par s’énerver gentiment : « Non. Mais t’inquiète pas ! Il y en a plein, des aires d’autoroute ici. »

Et il rajoute. « C’est un contrat… Tu m’as donné l’argent. Maintenant je dois remplir ma part du deal, tu comprends ? »

Ouais – je comprends.

Je devrais pas être autant stressé… C’est juste que l’autostop a pas encore fait son œuvre en moi. Au bout de quelques temps, quand tu fais du stop, la route est ton élément, glisser sur le macadam ta seule joie, t’en as plus rien à foutre de savoir où tu vas être déposé, où tu vas et où tu vas dormir ce soir. Mais ça, ça vient pas tout de suite et au début – pendant quelques temps en tout cas, tu angoisses et tu désespères pas mal – avant d’être enfin dans le bain.

Bon, Louis a raison – je dois me détendre. Je respire profondément et je regarde le chapelet de bois autour du rétro intérieur. Je regarde Louis qui parle fort et qui met sa musique à fond – je sais qu’il fait la route Paris-Hanovre plusieurs fois par semaine, par tous temps. J’imagine qu’il en bave, qu’il a dû en voir, des choses pas nettes dans sa vie. Je le vois d’un autre œil, en fin de compte. Je le vois danser la samba, le mambo et la salsa sur son siège, se trémousser, se tortiller, claquer des mains, les yeux rivés sur la route – mélodies latines et africaines à 150 à l’heure au creux de la nuit germanique.

Alors, intérieurement, je remercie ce saint de la route d’avoir posé son regard sur ma pancarte et de m’avoir emmené jusque là.

Et je me trémousse et je claque des mains à mon tour.

Le monde a changé

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Il fut une époque où je sortais pas les poubelles. À la place, je foutais tous les sacs plastiques plein de déchets dans le vide-ordures, je les compressais au max et je bourrinais sur le vide-ordures jusqu’à ce qu’ils tombent cinq étages plus bas. Autant vous dire que ça faisait un raffut du tonnerre. Surtout quand je faisais ça le matin dès le réveil.

Maintenant le monde a changé et toutes les semaines je descends mes poubelles – bon petit citoyen propret et respectueux de ses voisins.

 

Il fut une époque où pour la douche je ne jurais que par le savon de Marseille – même pour les cheveux. Un jour je suis allé chez le coiffeur et qu’il a vu ça, il a dû mettre des gants. À force, une fine couche de savon s’était amassé sur mon crâne et étouffait mon cuir chevelu.

Maintenant le monde a changé et je suis pas réveillé tant que j’ai pas pris ma petite douche – avec gel douche shampoing et tout le toutim – faut que ça frotte, faut que ça mousse.

 

Il fut une époque où j’avais l’impression de squatter chez des gens – tant bien même je payais ma part du loyer. Des bobos-écolos – les pires – du genre à éteindre le chauffage en plein hiver – du genre ère glacière. Du coup je me réveillais souvent vers quatre heures du mat’ – peau transie, tremblante, bleutée – des stalactites de morve gelée qui me pendent au nez.

Maintenant le monde a changé et ici dans ma chambre le soleil me tape sur la gueule tous les matins, je contemple ébloui le ciel qui se drape de couleurs magnifiques pour me saluer et me presser de me bouger le cul, et le soir la lune et sa mer de la tranquillité qui dit qu’elle veillera toujours sur moi.

 

Il fut une époque où j’aimais bien monter à Paname pour le week-end – rien que pour squatter chez Sophie dans son appart’ haussmannien vers Saint Germain les Près – et écumer avec elle – plus ou moins célibataires, plus ou moins fauchés – les sushis-bars flamboyants et les boîtes de jazz feutrées – à la recherche de gens pour nous payer à boire, ou plus si affinités.

Maintenant le monde a changé et quand je veux rendre visite à Sophie au fin fond de sa campagne, je dois monter à Paris, descendre à Montparnasse, ensuite prendre le RER puis le bus et enfin son jules doit venir en caisse me récupérer au terminus.

 

Il fut une époque où, deux fois par an, Marcelline et Diya prenaient possession de ma balustrade et y faisaient leur nid. J’avais l’honneur d’être le premier être humain à assister aux premiers battements d’ailes – bruyants – de leur progéniture. Jules et Verne, Marco et Polo, et Ken – le survivant. Et toute la troupe se cassait de là – du jour au lendemain, sans prévenir, en laissant derrière eux tout leur bordel, toutes leurs merdes de sales pigeons voyageurs.

Maintenant le monde a changé et Marcelline et Diya ne font que passer mais ne se posent plus. Elles ont sans doute peur de Pat’ et Séb’, mes deux poissons noirs qui du fond de leur bocal les toisent de leurs yeux globuleux.

 

Il fut une époque où je bourlinguais avec Camille – 3600 kilomètres sur la route, le pouce levé, le sourire aux lèvres – faire le tour de la Pologne dans la frivolité la plus débridée.

Maintenant le monde a changé et Camille ne m’accompagne plus. La vie, ses routes, ses déviations et ses détours ont eu raison de nous.

 

Maintenant je regarde la lune immense et pâle qui me sourit, je regarde les horaires du prochain bus direction chez Sophie, je regarde Marcelline et Diya roucouler au loin sur les toits, je regarde mes pancartes – vestiges de la Route Polonaise – érigées au rang d’objet d’art ou de collection, je regarde mon gel douche à la pomme, je regarde la poubelle presque pleine – je regarde tout ça par le prisme des souverêves.

Alors j’enfile mes charentaises et je descends mes déchets dans le local poubelles de l’immeuble.

 

Paraît qu’on appelle ça l’évolution.

 

Frénésie du départ

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« Durant la semaine qui précéda le départ pour Arrakis, alors que la frénésie des ultimes préparatifs avait atteint un degré presqu’insupportable, une vieille femme vint rendre visite à la mère du garçon, Paul. »

Dune, Frank HERBERT

 

Hier soir tard écroulé en étoile sur le lit prêt à rejoindre les bras de Morphée à défaut des tiens mon portable vibre. Lola du fin fond de sa banlieue lyonnaise un SMS aux chauds accents d’Amérique latine – j’espère que tu vas bien elle me dit, et je sais que tu vas partir bientôt en voyage (…) et la route est la voie de la vie.

Si tu savais Lola si tu savais…

J’en suis quasiment frénétique je te jure j’ai que ça à la bouche et dans mes yeux lumineux – comme des phares de camions. Morphée veut pas me tendre les bras à la place elle me dit clair et net d’aller me faire foutre. Parce que même Morphée je la saoule avec ça. Parce que ça revient sans cesse. Une valse. Frénétique. Une obsession.

 

Depuis le temps que j’en parle depuis le temps que j’en rêve – sur les ponts au dessus du périph’  ou en voiture la tête penchée à la fenêtre – les bandes blanches qui défilent elles s’espacent elle s’étirent elles m’appellent. Persistance rétinienne c’est ces mêmes bandes blanches qui défilent dans mes rêves – des rêves éveillés parce que Morphée refuse cette nuit encore de m’accueillir – rêves de goudron et de gaz d’échappement.

Rêve réveillé aussi quand je passe en métro au dessus de l’endroit où mon périple va commencer. Dans quatre semaines maintenant. Je me vois à ce spot au petit matin le pouce levé le sourire aux lèvres avec mes godasses mes guenilles mes guêtres mes sacs et mes pancartes. Qu’est-ce que je vais écrire dessus ?

 

BELGIQUE

COLOGNE

BERLIN

ŁÓDŹ

Ou un truc comme ça on verra bien. Ce qui est sûr c’est que cette fois ci c’est à Łódź que je vais – à 1300 Km d’ici. Une invitation et un sourire breton une fois sur place ça se refuse pas – et puis je connais pas encore Łódź c’est l’occasion de découvrir.

Cette fois ci je me la joue cavalier seul et j’irai d’une traite – avaler d’un coup toutes ces bornes sans filet de sécurité je compte bien rester éveillé pendant 48h tenir à coup de café café café café –

au pire dormir sur mes cartons sur le seuil d’une station-service.

 

Si tu savais Lola comme je suis pressé… Dans quatre semaines ! Même du fin fond de ta banlieue lyonnaise tu dois sentir ça tu dois la sentir cette frénésie je le sais. Si tu savais aussi Lola comme j’ai peur comme j’ai les boules. Peur de jamais y arriver – peur surtout de baisser les bras. Tout se joue là Lola je veux savoir si j’en suis capable j’en ai besoin.

 

Et au delà de la route il y a quoi ? La route je commence à la connaître maintenant elle est familière – et je sais que même si c’est les mêmes mauvaises herbes sur le bas-côté les mêmes gaz d’échappement les mêmes bandes blanches qui défilent la route Lola elle est à chaque fois différente. Et si je la refais dans quatre semaines cette route polonaise c’est pour retrouver les sensations que j’ai eues à l’époque – et quelques bouts de moi aussi. Comme si la première fois comme le Petit Poucet j’avais semé des miettes de pain tout au long de l’E42, de l’A4, de l’A2 aussi, et de l’A10 également, mais encore de l’A12 et enfin de l’E30.

 

et de toutes les autres routes et que je devais les récupérer.

Ou plutôt Lola je me vois partir en repérage oui c’est ça un repérage des lieux de tournage d’un GRAND BORDEL – la vie. La vie on est en plein dedans et on y va plein gaz.

 

Si tu savais Lola comme il me tarde de les récupérer ces miettes de vie ces souvenirs en lambeaux comme il me tarde de grimper dans des voitures allez hop pied au plancher recule pas tout droit toujours tout droit – et t’arrêtes surtout pas ZAG ZAG – comme il me tarde de les toucher ses bandes blanches qui défilent comme il me tarde de PUER la sueur les gaz d’échappement le goudron la nuit solitaire le carton mouillé – comme un vieux chat de gouttière on se la refait pas hein Lola ? – un vieux chat de gouttière…

 

Comme il me tarde.

The House of Rising Sun

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Le 13 mai 2012 – un dimanche je me  souviens – je rentre de Bruxelles – anniversaire d’un pote. Le genre de soirées où tu finis par dormir le bide à l’air dans un canap’ plein de confetti.

À pied je fais le chemin de la gare à chez moi – il est 13h j’ai rien à faire, il fait beau, le soleil est au zénith. Et dans les rues de Lille quasi-désertes je traîne mon ombre derrière moi. Le soleil m’éblouit et j’ai une vision.

Une vision divine. Un truc tout con. Un ukulélé. Moi, renvoyé de l’école de musique il y a plus ou moins quinze ans – rebelle avant l’âge de l’être – tout ça parce que j’ai pas le sens du rythme – je me vois jouer de l’ukulélé

Trois jours après, je m’achète l’instrument. Une sorte de guitare de poche à quatre cordes qui sonne super-exotique.

Sur les Internets je trouve quelques tablatures – des moreaux simples à jouer. Le premier soir je sais déjà jouer quelques trucs. Plus les jours passent, plus j’apprends, plus je connais de chansons et plus je me vois faire carrière dans la musique. Quelque chose de grand. Le concert au Stade de France est à portée de main. À moi les tournées, les roadies, les groupies en furie et les partouzes post-concerts hallucinées. Presque célèbre.

Mouais, bon, t’emballes pas mon p’tit B.Howl… faut apprendre d’abord.

Hop je te fais l’air de joyeux anniversaire, je te fais Le Lion est mort ce soir, je te fais d’autres trucs comme ça – c’est la première fois que c’est aussi concret je te jure, le stade de France au bout des doigts…

Et puis je finis un peu par me lasser – je m’aperçois que l’ukulélé, c’est bien, mais au bout d’un moment, quand on prend pas le temps de rentrer dans les subtilités, c’est assez…limité… En gros pour faire court il y a que quatre accords principaux. À toi de les mélanger pour que ça se fasse passer pour une mélodie connue. Mais un jour, subtil ou pas, c’est la révélation – j’apprends à jouer The House of Rising Sun.

Tu peux pas t’imaginer comment je me reconnais dans cette chanson. Comme si j’étais plongé dans des souvenirs que j’ai pas vécus. Le Rising Sun qui m’éblouit comme m’a ébloui cette vision de l’ukulélé le 13/05/2012 non pas à la Nouvelle Orléans mais dans le Vieux Lille. Et cette mère tailleuse de jean tout comme la mienne rapiéçait mes frocs quand j’étais môme – et mon père un silencieux, un observateur, un gambling man. Et ces vieux cartons dans mes armoires qu’est-ce qu’ils contiennent à part les boulets du passé…

Alors j’emporte mon instrument en tournée en road-trip en autostop en Pologne – comme tu le sais déjà. Prêt à le dégainer n’importe où n’importe quand. Question de survie.

Je me souviens de Gdańsk – Camille et moi. À Stoczna Gdańska. Juste devant les chantiers navals. Devant le monument de commémoration. Un étrange sentiment me submerge – mélange de deuil, de devoir de mémoire et d’espoir. Et l’envie de boire un truc.

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Il est 17h, on se pose au Wydział Remontowy Klub Muzyczny. Le pub est désert, seuls deux gars de l’autre côté du bar.

Déjà bourrés.

Ou encore bourrés.

Des ouvriers des chantiers qui ont fini leur journée. L’un d’eux a une guitare. L’autre pousse la chansonnette. Mmm vu les airs qu’ils jouent, je crois qu’ils vont bientôt se mettre à faire The House of Rising Sun. Mes doigts tremblent. J’ai mon ukulélé à portée de main. Ça manque pas. Ils commencent la mélodie en polonais. Hop je prends mon précieux instrument, je fais les accords. La mineur, do, ré, fa, la mineur, do, mi septième. Soudain ils me regardent, hochent la tête en rythme, s’interrompent et s’approchent de moi. Et on joue la chanson ensemble – moitié en polonais moitié en anglais, polyglottes, Dom Wschodzącego Słońcaà la guitare et à l’uké. Splendide. À tel point qu’une fois la chanson finie ils nous paient des coups à Camille et à moi et on rigole tous ensemble à en avoir la tête qui tourne à force de faire teinter nos verres.

 

Ailleurs, quelques jours plus tard… Toujours Camille et moi, à Cracovie cette fois, et plus exactement à Kazimierz – ancien quartier juif, maintenant néo-bobo, branchouille à la coule. Ça a pas mal changé depuis la première fois que j’y suis allé, il y a huit ans… Au coin de la Stradomska et de la Jósefa Dietla une maison me fascine. Sa couleur d’abord – teintes sombres qui s’accordent avec le ciel mais qui dénotent avec les murs jaunâtres des bâtiments alentours. Et puis sa taille, sa majestuosité, ses colonnes, ses rebords de fenêtres. Je la prends en photo de l’autre côté de la rue tellement elle s’accroche à moi. Et c’est avec regret que je dois me détourner d’elle et continuer mon chemin.

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Cracovie toujours – le jour d’après. Avec Camille on se dore la pilule. C’est le premier jour de l’automne et on est allongés dans l’herbe au beau milieu du parc Jordan, pénards, doigts de pied en éventail, à se la dorloter au soleil. Il doit faire 23°C dehors – un ciel bleu magnifique sans nuages – le jardin d’Eden.

On attend le gars qui nous héberge ce soir. Krzysztof il s’appelle. Il débarque dans la vapeur de la fin d’après-midi. Un petit jeunot tout frêle blond les yeux bleus-blancs aux joues glabres – c’est un artiste je le devine tout de suite – un poète – même si ça a aucun rapport avec ses études d’informatique. Et par le plus grand des hasards, c’est son anniversaire aujourd’hui. On traverse toute la ville. Krzysztof habite à Kazimierz. Avant d’aller poser nos sacs chez lui on dévalise une supérette pour fêter dignement son anniversaire. « Voilà, c’est là », il nous fait en ouvrant la porte d’entrée de son immeuble.

Son immeuble – incroyable – c’est cette immense baraque que j’ai prise en photo hier – la baraque qui avait rien à faire dans cette rue – qui écrase tous les autres bâtiments du coin. Krzysztof explique qu’il vient d’emménager, qu’il est obligé de s’éclairer à la bougie et qu’il a presque pas de meubles. Au deuxième étage on entre et on débarque dans un large couloir. En plein milieu dans l’obscurité se dresse un frigo – au fond un caddie. La chambre de Krzysztof : une frêle penderie en métal, deux matelas, un fauteuil presque disloqué, une table d’appoint Ikea modèle Lack sur laquelle est posée une bouteille de bière vide qui fait office de chandelier. Règne ici une ambiance glauque, quasi-sordide – mais pourtant tout à fait chaleureuse. Autour d’un café-clope on fait connaissance. Le soir s’amorce quand on sort pour essayer la junk food typiquement polonaise – on va à Nowy Plac et on mange des Zapiekanki – des sortes de demi-baguettes nappées gratinées de plein d’ingrédients au choix et à la tête du client dévoreur. Là Kasia nous rejoint – une jolie petite bouille blonde – la meilleure amie de Krzysztof – très attentionnée – une fois revenus dans son appart’ elle sort des bouteilles et aussi un petit gâteau avec une bougie. Krzysztof souffle dessus en faisant un vœu. On chante « Sto lat! » en chœur. Krzysztof nous raconte que la semaine prochaine un de ses postes artistes va exposer dans sa chambre – une sorte de vernissage – alors on discute art contemporain, voyages et poésies. Au bout d’un moment je joue Joyeux Anniversaire à l’Ukulélé puis j’enchaîne sur The House of Rising Sun évidemment. Alors Krzysztof me tient par la main « Viens voir » il me dit et il me fait sortir dans le couloir. « The House of Rising Sun, c’est chez moi ! » En effet c’est écrit sur la porte. L’appart’ de Krzysztof, un ancien lupanar…

Kasia doit s’en aller – prendre le dernier train pour rentrer chez elle – et c’est Sonia qui la relaie au chevet des dix-neuf ans de Krzysztof. Un ou deux verres de vodka – c’est bon, ils sont morts et enterrés et on est sûr qu’ils ne reviendront plus. Krzysztof a 20 ans et on est quatre à se boire des vodka-bières dans sa piaule presque nue.

Deux heures du mat’ – Sonia repart chez elle, Camille va se coucher. Krzysztof et moi on termine nos verres et on refait nos mondes jusqu’à pas d’heure, jusqu’à ce que Morphée ait pitié de nous.

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Au réveil scène de ruines et de désolation. Cire froide sur le sol jonché de mégots bouteilles de bières et de vodka plus ou moins vides cendriers remplis matelas sans dessus-dessous – chambre de camés chambre de damnés – mais dieu qu’elle a du charme, cette House of rising Sun !

W drodze

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Teraz jest teraz et ni une ni deux Camille et moi on monte dans le camion d’un inconnu de la nuit. Les chiens errants se détournent de nous et reprennent leurs vagabondages autour de la station-service EKO TANK. On attend au chaud dans le camion – Camille sur le siège passager, moi sur la banquette – on scrute l’intérieur et on se familiarise avec cet environnement cloisonné – le lieu de travail et de vie de notre chauffeur-sauveur – pendant qu’il met du gasoil et qu’il nettoie ses pare-chocs. Des porte-clés, des grigris accrochés sur le rétro intérieur. Un cendar de fortune plein à craquer près du levier de vitesses et une forte odeur de clope froide mais c’est pas dérangeant parce que ça sent la vie ça sent la route qui s’annonce.

Dans le camion de Czesław

Dans le camion

Je scrute Camille du coin de l’œil en me demandant encore ce qui nous a pris – comment on a fait pour être arrivés là tous les deux. Camille… on partage les 400 coups, les 1001 nuits, les 10 puissance 12 expériences, des parsecs de voyages.

Camille… Je me vois me souvenir de nos vies antérieures c’est pas un hasard tu t’appelais Yashan tu étais mon compagnon de voyage là-bas quelque part parmi les yourtes de Mongolie intérieure sur les steppes où nos regards se posaient debout sur nos chevaux arabes parfois quand tu en buvais tu foutais plein de lait de yak partout sur ta moustache… Il y a des choses qui ne s’expliquent pas.

C’est bon, yalla ! Le chauffeur monte dans la cabine – on fait les présentations il nous dit qu’il s’appelle Czesław – j’aime bien ce prénom polonais qui se prononce comme « J’ai soif »

Un tour de clés, frein à main levé, levier de vitesse poussé – et c’est parti dans la nuit calme et fraîche. Czesław conduit des camions depuis douze ans, il transporte du courrier.

C’est pas la première fois qu’on monte dans un camion mais ça fait toujours un léger choc. En effet de la cabine on a un panorama imprenable sur la route qui défile au gré de ses phares – la nuit nous appartient.

Camille et moi on contemple sans mot dire Czesław. Il conduit, calme et silencieux, parfois une clope au bec, parfois les deux mains serrées sur le volant. Et parfois il se tourne vers nous. Cheveux roux en pétard, yeux bleus-verts fatigués injectés de sang à force d’avoir trop roulé. Camille : « Il est possédé ce gars »

C‘est dans ce camion – avec Czesław aux yeux de fou – ses tonnes de lettres d’amour qui attendent leurs destinataires et Amy McDonald sur Radio Zet en fond sonore – que minuit ronronne.

Sur cet air .

Césure d’un jour à l’autre – la musique ringard est pour nous imperceptible – la nuit est la même – on trace plein gaz.

Les lampadaires défilent sur le macadam et se reflètent sur nos vitres – guirlandes de Noël qui nous montrent le chemin qui reste à parcourir – 80, 60, 45 puis 30 km –

Nowe Gniew et ses lumières rouges qui scintillent dans nos yeux fatigués – Cyndi Lauper –Time after time.

Rudno Tczew où Michael Jackson chante Billie Jean

Czesław est équipé d’une CB. On a beau pas comprendre le polonais – on devine ce qu’il fait quand il prend le micro – il lance des appels aux autres conducteurs aux environs

On arrive à Pruszcz Gdański – à une vingtaine de kilomètres de Gdańsk. Czesław lance un appel pour savoir si quelqu’un peut nous déposer dans le centre de Gdańsk. Mais personne répond et Czesław a l’air vraiment désolé quand il nous dépose dans une station-service aux abords de Pruszcz Gdański.

Pruszcz Gdański

Pruszcz Gdański

1h du mat’ – on fait le piquet. Il y a bien des gens qui vont à Gdańsk – des mecs bourrés et relous – on a pas envie de monter avec eux. En face de la station-service il y a un hôtel deux étoiles – on traverse la route on entre on se renseigne à la réception afin de connaître le prix des chambres – pas dans notre budget. On apprend qu’il y a des bus ici qui vont jusqu’au centre-ville de Gdańsk – une heure de trajet. Le premier est à 4h du mat’.

On attend encore un peu. « Peut-être que la meilleure solution est d’avancer avec la pancarte », je fais. Camille hoche la tête. Yalla !

Sacs sur nos épaules, un derrière l’autre devant, un pied devant l’autre – on marche sur le trottoir de lampadaire en lampadaire nos ombres se profilent s’étendent s’éteignent. 19 Km jusqu’à Gdańsk. – Camille et la pancarte – tournée dans la direction de nos éventuels improbables futurs chauffeurs.

18,5 km, 18,4 – on approche. Tant qu’il y a un trottoir, toujours le suivre. Voyage au bout de la route. On laisse derrière nous au loin des barres d’immeubles ternes vestiges du réalisme socialiste. « Mais qu’est-ce qu’on fout là ? » je demande – comme souvent quand on traîne comme ça à une heure avancée de la nuit. « … On devrait faire la tournée des bars de Gdańsk, aller en boîte…– et au lieu de ça on se retrouve à Pétaouchnok avec une pancarte de merde en carton ! » Et Camille de répondre : « C’est toi qui es en carton ! » Bien envoyé. Je contemple Camille qui brandit la pancarte – et je me dis que tous les deux, on aurait jamais fait ça tout seul, et que ce qu’on vit, c’est magique. Allez, du courage ! Yalla yalla !

Les camions à côté de nous rugissent à notre passage – rois de la nuit. Yalla Yal…-

Nos cris intérieurs pour se donner du courage sont interrompus par une voiture rouge qui passe devant nous – ralentit. S’arrête. On s’active derrière pour nous faire de la place. Lucie Kasia et Andy dans une Toyota Yaris. Des étudiants qui rentrent chez eux à Gdańsk après avoir bossé toute la soirée On grimpe on est serrés comme des sardines. « Vous avez un endroit où dormir cette nuit ?

– Non. » dit Camille.

– OK. » On voit Andy bidouiller sur son iPhone. Kasia : « Il essaie de vous trouver un endroit où dormir pour cette nuit… » et peu après, Andy : « C’est bon, je vous ai trouvé une auberge de jeunesse près de chez nous.

– Wow ! » Rapide et efficace ! Des sauveurs de la route, encore ! Alors qu’une fois de plus on a rien demandé…

Serrés dans la Yaris, on voit la route défiler – la banlieue de Gdańsk, la zone industrielle – plus de trottoirs ici – à pied on aurait pas pu aller bien loin. Puis l’entrée dans la ville – les grandes avenues, le centre. On s’y attarde pas, on va un peu plus loin, à Oliwa.

1h30, Terminus devant l’auberge Wolna Chata – un hostel cossu, rustique, à prix modique. Lucie, Kasia et Andy nous font un signe et ils repartent chez eux.

Camille et moi on est reçus comme des rois à la réception. Et on découvre qu’on a une chambre de cinq pour nous deux. Une chambre avec des lits ! Des matelas. Des couvertures ! Et de quoi se laver demain.

Parce que qu’est-ce qui nous attend demain ? Où on sera ?

On sait pas.

Et on s’en cogne.

L’essentiel, c’est pas la destination, l’essentiel c’est la route !

 

l'auberge Wolna Chata au petit matin

l’auberge Wolna Chata au petit matin

Comme des Chiens errants au milieu de nulle part

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On the Road, which I keep thinking about : [is] about two guys hitch-hiking to California in search of something they don’t really find, and losing themselves on the road, and coming all the way back hopefull of something else.

– Jack Kerouac, journal, 23/08/1948, première mention de « Sur la Route »

Lille-Berlin : à vol d’oiseau 900 Km – 37 heures, 15 chauffeurs (!)

Berlin-Poznań : 300 Km – 4 heures, 1 chauffeur

Poznan-Toruń : 200 Km – 7 heures, 2 chauffeurs

Toruń-… Presque 6 heures, 2 chauffeurs…

Teraz jest teraz.

Maintenant c’est maintenant.

C’était écrit sur la porte des chiottes d’un bar de Poznań.

Maintenant c’est maintenant. Ici c’est ici et voilà où on est…

Jeudi… Le 13 septembre 2012. Camille et moi on vient de se faire dropper là par un gars de Chełmno. Il nous a pris en lift le temps d’aller ramener sa fille du poney-club et de faire un tour de la ville – nous montrer la vraie ville des amoureux, là où aurait vécu le vrai Saint Valentin.

Teraz jest teraz et maintenant le plan c’est d’aller à Gdańsk.

Teraz jest teraz et maintenant on est sur le parking d’une sorte de restaurant Buffalo Grill au bord de la route. Le gars de Chełmno a voulait nous déposer au péage de l’Autostrada 1 qui mène droit à Gdańsk mais ça lui aurait fait un trop grand détour donc il a préféré nous laisser là.

19h45 – ça fait dix minutes qu’on attend sur le parking. Ciel vespéral, traînées orangées, le soleil est sur le point de se coucher. Il y a quelques voitures en stationnement. Sans doute des gens qui se ravitaillent avant de reprendre la route. Peut-être que parmi eux il y en a qui vont à Gdańsk? Croisons les doigts…

Un mec sort du resto. Il nous regarde, allume une clope et s’avance vers nous. On comprend qu’il nous propose de nous dropper à dix minutes de là sur la route 1. Si on le suit, do widzenia l’autoroute et la pensée agréable de rejoindre Gdańsk en une heure et demi. On hausse les épaules. Tant pis. On lui dit tak tak bardzo dobrze et on le suit jusqu’à sa caisse.

Tadeusz alias Teddy dispose d’un 4×4 avec son chien derrière – il transporte des bateaux et rentre chez lui près d’Ostróda, dans la région des mille lacs. Gentil comme tout, le bougre. Il nous propose même de l’accompagner là-bas, il peut nous offrir le gîte et le couvert. On hésite mais on refuse. Ça nous éloignerait trop de notre route. Et en plus on a pas de ceinture de sécurité. Et Camille a un peu de mal avec les clebs. Teddy nous jarte à une station-service EKO TANK. On est à moins de 100km de Gdańsk – le panneau qu’on vient de croiser, je crois bien qu’il indique « Dolna Grupa » mais ça figure pas sur ma carte Michelin.

EKO TANK

EKO TANK

Alors je crois surtout que je sais pas où on est.

Teraz jest teraz et à Gdańsk, on a pas d’hébergement pour ce soir.

Mais ça sert à rien de penser à ça.

Gdańsk, on y est même pas.

La station-service est plus ou moins déserte.

Les rares voitures qui s’arrêtent prendre de l’essence ici vont pas jusqu’à Gdańsk– ou ont pas l’intention de nous prendre. Mais on s’en fout. Je suis d’humeur positive – à défaut d’être vraiment optimiste – et il fait pas encore trop froid.

Je regarde tout autour de moi. À droite, la route 1 qui passe par Gniew pour aller jusqu’à Gdańsk. Devant, la forêt. Et derrière la station-service, ce qui doit être Dolna Grupa. Quelques maisons. Un hameau. Pas de lampadaires. Pas de trottoir.

Que dalle.

Je soupire.

Faut que je m’habitue à cet environnement. Peut-être que c’est là où on va passer la nuit.

Je me roule une clope.

Camille a faim. Elle va se chercher un truc dans la boutique de la station-service.

De derrière la vitre je la regarde prendre un paquet de chips et expliquer par geste à la caissière qu’elle voudrait bien aussi un hot-dog prosze ! La nana derrière son comptoir mâchouille son chewing-gum et commence à préparer son hot-dog. Je suis subjugué. Elle enfourche la saucisse dans une sorte de baguette, puis elle fout plein de ketchup dessus. On appelle ça Parówki par ici et je trouve le geste de la nana vachement sensuel, quasi-érotique.

Après 1600 Km d’autostop, un rien peut nous faire fantasmer.

 

Teraz jest teraz et la nuit nous enveloppe désormais. Les minutes, les heures passent, et il fait de plus en plus froid. Camille et moi on alterne : parfois on se met au bord de la route et on fait des signes, des trucs comme ça pour se faire remarquer quand des voitures passent – pour qu’on monte dans l’une d’entre elles et qu’on arrive à Gdańsk si possible avant demain. Mais bien souvent on attend dans la station-service, devant la boutique, là où il y a un peu de lumière.

Camille lit son Bescherelle pour parfaire son allemand. On est en Pologne et elle se met à apprendre son allemand. Alors qu’elle a pas ouvert le bouquin une seule fois quand on a traversé l’Allemagne. Normal…

Le Bescherelle

Le Bescherelle

Je sors mon ukulélé et je gratte quelques accords. Mais le cœur y est pas.

Je fais le tour de la station-service – une énième fois.

Je me roule une clope – une énième fois. Bientôt paquet vide. Et à sec niveau eau. À sec niveau bouffe. À sec niveau argent liquide.

Kurwa masz !

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Un chien s’approche de moi. Un chien errant. Je le contemple. Lui aussi me fixe du regard. Je vois très bien ce qu’il est en train de se dire. On est pareils que lui. Tous seuls au milieu de nulle part. C’est pas demain la veille que Dolna Grupa deviendra un lieu touristique.

Le chien errant

Le chien errant

« Désolé bonhomme » je fais au chien. « J’ai rien pour toi. Et moi aussi j’ai les crocs… »

La station-service, quasi-morte depuis plus d’une heure, commence à s’agiter. Des camions se garent pour passer la nuit ici. Une moto stationne devant la boutique. L’enfourneuse de Parówki sort d’un pas rapide. C’est son copain qui vient la chercher. Il lui file un casque, elle monte derrière lui et la moto démarre de façon tonitruante.

Allez ! Puisque même la Parówki-girl est partie, Camille et moi on se donne un peu d’énergie, on se dit que ça va le faire, on peut y arriver, teraz jest teraz, faut juste se bouger le cul et croire en notre bonne étoile. On se place devant la station-service et comme il fait noir, notre seul moyen de se faire remarquer c’est de chanter. Alors c’est tous nos classiques qui y passent – genre Radio Nostalgie.

Joe Dassin – Siffler sur la Colline et Aux Champs Élysées – pour garder la pêche.

 

22h30 – teraz jest teraz et dans la nuit froide je suis en train de chanter Le Chanteur quand un camion s’arrête et s’engouffre dans la station-service. Jusque là c’est plutôt classique – sauf que le camion en question nous klaxonne alors qu’il fait sa manœuvre. Encore un sauveur ! Il descend du véhicule, on coure vers lui, comme à chaque fois il baragouine un truc, on répond automatiquement « Nie mówię po polsku » – alors il nous montre sa carte. Il va pas à Gdańsk directement mais nous en approche grandement. On le regarde, on hoche la tête et on lui dit « OK ». Il nous fait signe de monter.

C’est parti !

Yalla !

À suivre…