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Sur la table

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Je marche dans un blanc laiteux – en tout cas, je me déplace debout sur mes jambes – d’une façon qui me fait penser à la marche – en tout cas je flotte pas, ça c’est sûr.

Du moins, je crois.

Je me sens bien.

Je marche dans un blanc laiteux – je marche lentement comme si je devais encore apprendre, comme si je commençais juste à m’habituer, à prendre possession de mon être – et à faire connaissance avec mon environnement.

Je marche dans un blanc laiteux – et en même temps mon corps est allongé – tête un peu relevée, inox froid au contact de membres – je me sens bien mais je sens rien.

Anesthésié.

On est venu me chercher tout à l’heure dans ma chambre – on a installé tous ces bidules – ces fils, ces pompes, ces tubes autour de moi. Maintenant je suis sur la table d’opération.

Rien de grave je vous rassure.

Perfusions.

Ventilation assistée.

Tension : OK

ECG : nickel.

Le chirurgien claque ses gants de latex et commence son travail.

Petit coup de scalpel par ci, petit coup de scalpel par là.

Comme un maestro.

Un chef d’orchestre avec sa baguette.

Tchik-tchak

Je marche dans un blanc laiteux – c’est à cause de tout ce cocktail de drogues qu’ils m’ont administré, qui coule désormais dans mes veines, qui s’insinue jusqu’aux tréfonds de mon cerveau.

Sufentanil.

Hop !

Propofol.

Hop !

Et un petit peu de Bromure de vécuronium pour couronner le tout.

Olé.

Conscience suspendue.

Douleur annihilée.

Je sens rien.

Je me sens bien.

Une lumière au loin – diffuse. L’éclairage scialytique ?

Je vais vers elle sans avoir le choix.

Des ombres troubles au premier plan. Le chirurgien qui s’affaire ?

Ou toute une ribambelle d’animaux.

Ici un tigre.

Hop!

Là une girafe.

Hop!

Et là un bonobo.

Olé.

Je me sens bien.

Je sens rien.

Tigre girafe bonobo – Je les imagine un par un allongés comme moi sur le billard.

Et je finis par comprendre que tous ces animaux

pris un par un

c’est moi.

Je quitte le bloc.

Le tigre : mon côté sauvage et indomptable, sans doute…

La girafe, voyons voir – mon côté tête en l’air, doux rêveur ?

Et le bonobo ? Ça ça doit être mon côté stupide…

Salle d’éveil.

Les animaux s’agitent se déforment se distendent s’éloignent.

Je me sens moins bien.

Je commence à sentir de nouveau.

Je marche dans un blanc laiteux qui vire au trop plein de couleurs froides et moroses du retour à la réalité de ma chambre d’hôpital.

 

Pat & Séb

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Pat et Séb, c’est des poissons.

Le diminutif de Patrick et Sébastien – pour celles et ceux qui n’auraient pas reconnu la référence.

Pat et Séb, c’est mes poissons.

C’est pas des sardines, c’est des Black moor.
C’est eux qui, du fond de leur bocal, font fuir les pigeons de passage – Marcelline et Diya, et leurs bébés ; Jules et Verne, Marco et Polo, et Ken, évidemment…
Pat et Séb, c’est mes poissons.
C’est stupide, des poissons.

C’est contagieux.
Pat et Séb, je les ai eu en cadeau pour mon anniversaire.
Du fond de leur bocal, quand ils ont barboté dedans pour la toute première fois, ils ont pas dû capter. Baptisés civilement Pat et Séb, OK, mais disposer en sus d’autres prénoms officieux et secrets, ça, c’est peut-être compliqué pour leur micro-cerveau mouillé et leur carcasse schizoïde.
Du fond de leur bocal, quand ils ont barboté pour la toute première fois, ils m’ont vu pleurer – intérieurement du moins. J’allais quand même pas me mettre à chialer comme une gonzesse devant mes invités pour deux poissons tout riquiqui.
Là, ils ont dû se dire qu’enfin, j’allais devenir responsable – qu’enfin, j’avais quelqu’un dont je devrais m’occuper.
Changer l’eau du bocal tous les cinq jours – quand elle commence à être trouble et dégueulasse.
Leur verser à manger tous les matins à l’heure du petit déj’ –
Parce que c’est tout un art de s’occuper de ces petits montres difformes aux yeux globuleux et à la tête de con…
Là, ils ont dû se dire que j’allais faire attention à eux, que j’allais être doux et conciliant, les bercer tous les soirs par ma voix de soprane et les doux sons de mon ukulélé.
Là, ils ont aussi dû se dire que ça y est, j’allais arrêter de me casser tout le temps, tous les week-ends, en voyage, en vadrouille, bourlinguer, partir toujours plus en avant, me perdre dans des contrées lointaines, dans l’immensité des villes, dans les champs de France et d’ailleurs.

Non. On a beau évoluer, encore, toujours, par petites touches – il y a des choses qui changeront jamais.

dans le bocal

photo volée de Pat et Séb

Hannover Garbsen – Partie 2

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Toujours 3h du mat’, toujours bloqué dans la nuit encre de Chine sur cette putain d’aire d’autoroute Hannover-Garbsen, et avant de me faire interrompre par Monsieur H. et son texte – qui est, de vous à moi, le fruit d’un travail d’orfèvre – j’étais en train de vous raconter comment j’en étais arrivé là.

Donc, il y a tout d’abord Louis et mon « covoiturage spontané », concept que j’ai inventé pour dire que j’ai foiré l’autostop en beauté en acceptant lâchement de me faire véhiculer moyennant finances. Je sais que Camille aurait pas du tout approuvé ça – pour elle le stop c’est « Si tu me fais payer, je monte pas avec toi. » Heureusement, béni soit Kerouac, qui, quand il a sillonné les routes américaines en large et en travers, a dû, parfois, filer quelques dollars pour faire quelques miles.

Louis me dépose sur l’aire de Lipperland Süd sur les coups de 23h. De là il va à Minden, puis il retourne à Essen. Et demain, et les jours suivants, il fera pareil, ce saint impitoyable.

Adios l’ami ! – je lui fais signe quand il démarre – mais il s’en fout. Les bandes blanches et la vitesse l’attendent.

Pause pipi de nouveau – ce serait dommage de me faire dessus sur la route en salissant le cuir d’un siège passager. Pause bouffe – bananes et petits-beurre, et pause café également – jusqu’à Łódź, ça peut être long.

Si je fais le calcul rapidos, je dirais que j’ai déjà encaissé un tiers des 1600 Km qui me séparent de ma destination. Hanovre est à 100 Km, Berlin à 400 Km. Et ensuite Poznań et la Pologne, enfin…

Pancarte

Pancarte

Je stationne devant la station-service Aral. Je réarrange ma pancarte, la réduis de moitié en retirant tous les endroits que j’ai déjà franchi.

 Pas le temps de finir ma clope, un camion rouge s’arrête devant moi. Le chauffeur descend et s’approche : « I can drive you to Hannover.

– Let’s do that ! »

Avec des signes il m’explique que je dois abandonner ma « pancarte de rechange », un carton sur lequel j’ai rien écrit, histoire d’avoir quelque chose sous la main au cas où j’aurais dévié de ma route. Je suis d’abord réticent, puis je me dis que si je dévie, je ferai avec les moyens du bord. Alors il m’aide à mettre mes sacs dans la cabine et on embarque.

Wow un camion – ça faisait un bail

Mon chauffeur, Carshie (?) me propose du Red Bull et du café – sa glacière est à portée de main et la machine à espresso sur le tableau de bord. Il laisse son paquet de clopes à proximité et me fait comprendre que je peux me servir comme je veux. Un ange ! – un ange qui écoute de la musique pop Bulgare – quand je lui pose des questions il baisse le son pour me répondre.

« Ça fait combien de temps que tu es chauffeur routier ?

– 25 ans.

– Qu’est-ce que ton camion transporte ?

– En général, du courrier et des colis. Je bosse pour Fedex. Mais pour l’instant, rien du tout. Je dois récupérer une cargaison à Berlin et la déposer à l’aéroport d’Hanovre, d’où je viens de partir.

– Tu as de la famille, des enfants ?…

– Ouais, j’ai deux filles. L’aînée a 22 ans. Elle fait des études de droit en Bulgarie. La plus jeune a 17 ans, elle est au lycée à Cologne. »

Dans le camion on domine la route en fonçant dans la nuit. C’est très calme, j’ai pas l’impression qu’on dépasse les 100 Km/h. Mais je suis en forme, enthousiaste et bien confortable sur mon siège. Dans la direction opposée, on aperçoit trois accidents – et les embouteillages qui les accompagnent.

Carshie a les muscles saillants, sa peau est parsemée de tatouages. Je l’observe du coin de l’œil – sa route est encore longue mais il sourit. Après ma série de questions il remet la musique à fond. Première fois de ma vie que j’écoute ces airs traditionnels remixés à la sauce électro – de la Tchalga – et figurez vous que je trouve ça génial…

Vers 1h du mat’ Carshie me dépose sur l’aire d’Hannover-Garbsen. Il a l’air vraiment désolé quand il me dit qu’il peut pas m’amener plus loin. Un grand signe, et c’est un autre ange de la route qui s’obscurcit en s’éloignant.

Voilà, je vous ai raconté comment j’en suis arrivé là. Maintenant ça fait deux heures que je poirote comme un con ici. Il fait un peu froid, adossé aux vitres de la station-service, j’enfile mon sweat-shirt. Le mec de la station-service me fixe des yeux – il s’est d’abord méfié de moi, maintenant il me regarde d’un air attendrissant.

Vue de la station-service

Vue de la station-service

Au niveau des pompes, je roule ma bosse et ma clope – oui, on fait avec l’humour qu’on a – seul à 3h du mat’ sur une aire d’autoroute paumée dans un pays qui n’est pas le sien.

L’aire d’autoroute est immense, pourtant aucune voiture s’arrête pour mettre de l’essence – aucune voiture sauf des « microbus » – des espèces de fourgonnettes sans fenêtres qui traversent l’Allemagne et la Pologne, remplies de passagers entassés dedans. Je les vois sortir des véhicules, hagards, fumer des clopes et se dégourdir les jambes pendant que les chauffeurs font le plein. À chaque fois, leur regard se pose sur moi, rempli de regrets – ils pourront pas me véhiculer.

Tant pis… Mon attention – enfin… toute l’attention que je suis capable d’avoir à cette heure avancée de la nuit – s’est reportée ailleurs. Vers une voiture solitaire qui traîne en plein milieu du parking devant le restoroute. Une voiture immatriculée en Pologne – et dedans, qui dort : mon sauveur.

mon sauveur?

mon sauveur?

J’attends qu’une chose, c’est qu’il se réveille. Quand ce sera le cas, il me verra, et là, c’est obligé, il va me prendre et m’emmener direct jusqu’à Łódź. Je le sais, c’est comme ça que ça va se passer.

En attendant, je fais des rondes dans le coin des camions, où je vois les chauffeurs se garer comme ils peuvent, sortir quelques instants pour vérifier leur cargaison, puis rentrer et tirer les rideaux de leur cabine – avant de se reposer quelques heures pour reprendre la route de nouveau.

Ronde de nuit

Ronde de nuit

Je commence à broyer du noir – sévère. Je me sens comme au milieu de nulle part, comme cette fois à Dolna Grupa. Sauf que cette fois pas de Camille, pas de Candy Sweet, pas de Lola, pas de Marlène non plus – je suis seul – désespérément seul. Et traîner là au milieu de ses mastodontes d’acier, ça commence à me faire flipper grave.

Je regarde leur plaque d’immatriculation, à mes camions, et j’essaie de deviner d’où ils viennent et quelles routes les a menés jusqu’ici. Mais ce jeu dure pas bien longtemps – j’angoisse et je commence à avoir sommeil.

Énième pause clope à la station-service à côté des microbus compatissants qui défilent à la chaîne, puis j’entame une énième ronde dans le coin des camions. Mon sauveur là-bas seul dans sa caisse est toujours pas réveillé.

Tout à coup, alors que je suis au bout de la troisième rangée de camions, près de la sortie de l’aire d’autoroute, un vrombissement. Soudain, rapide et violent. Et je vois sa voiture filer à toute berzingue. Putain, mon sauveur vient de se casser !

Le chien !

Je misais tout sur lui.

Qu’est-ce que je vais foutre maintenant bordel ?

Je maugrée toute ma misère en traînant des pieds jusqu’à la station-service, où je m’écoule sur le béton, froid et qui pue l’essence. Faut que j’en fasse mon refuge – parce que si ça se trouve, je partirais pas d’ici avant l’aube.

Mais une bagnole déboule. Une vieille merco-benz blanche – début des années 80 je dirais. Immatriculée 75. Paris ! Un Français ! Alors que je me remets debout, son conducteur se pointe vers moi. Et il me dit un truc – un charabia incompréhensible – du polonais ? « Nie mówię po polsku… » je fais. Alors, dans un français sans faille, il me dit : « Je m’appelle Michał. Je vais jusqu’à Poznań. Si ça te dit, je te dépose par là… »

Bien sûr que ça me dit !

Hop, je grimpe et je fous tout mon barda à l’arrière.

Les sauveurs sont jamais ceux qu’on croit et Michał l’ange met les gaz trace la route direction la Pologne.

Contemplation

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-«  Ce qui est important, c’est de s’effacer. Tu dois y arriver pour t’imprégner des choses autour de toi et vivre pleinement l’instant. C’est ce que je fais chaque fois que je viens ici depuis 22 ans. Essaie à ton tour… Ne fais plus aucun bruit, plus aucun mouvement et mets tout tes sens en éveil…

Fred m’apparaît comme un prophète porteur d’un message sacré. Dans les secondes qui suivent, je m’exécute. Je me fige et concentre mon regard et ma pensée vers l’horizon.

contemplation1

Dans le désert des Bardenas, le silence règne.

J’ai 26 ans au moment où j’écris ces lignes. C’est le temps qu’il m’a fallu pour découvrir de quoi il s’agit. Le silence…

Pas un brin de vent, pas un battement d’ailes d’oiseau ni d’échos d’activité humaine dans le lointain.

Le silence.

Ce fameux «  rien » que recherchent les ermites.

S’il m’a fallu attendre un quart de siècle pour le trouver, c’est parce qu’il a disparu de nos contrées. A moins que cela ne soit tout simplement nous qui l’ayons chassé de nos vies. Nous n’en voulons pas. Nous ne l’aimons pas parce qu’il nous renvoie à notre solitude et que cette dernière nous angoisse. Etre seul, à écouter nombre de nos congénères, est synonyme d’ennui, de tristesse et même pire : de vide. Qu’est-ce-que le vide ? Et pourquoi nous fait-il tant peur ? Et si, au contraire, le vide et le silence étaient essentiels pour prendre conscience de la beauté du monde ?

A bien y réfléchir, la seule expérience de silence que j’ai connue jusqu’à ce jour, c’est dans ma chambre que je l’ai vécue, à l’ occasion de ces soirées solitaires ou je me laisse embarquer vers des horizons inconnus au rythme de mes lectures.

Ici, le silence est étendu à une zone bien plus vaste que les 15 mètres carrés de ma chambre. Il est question de 42 000 hectares d’espaces naturels protégés sous l’appellation de Réserve de la Biosphère.

contemplation2

Nous nous trouvons dans la partie des Bardenas appelée «  la Blanca » en raison de l’argile de couleur claire qui compose ses paysages : une plaine longue d’une vingtaine de kilomètres, striée de ravins et entourée de falaises et de collines tabulaires – des «  inselbergs  » dans le jargon des géomorphologues.

Il y a des millions d’années, l’endroit était un golfe marin. Puis, quand les Pyrénées ont émergé de l’océan Atlantique, il n’est resté dudit golfe qu’une zone marécageuse isolée dans les terres qui s’est progressivement asséchée et transformée en désert. De nos jours, c’est une curiosité géologique pour les spécialistes et une merveille de la nature pour les amateurs de paysages.

« Des fois, j’aime me rappeler qu’il y a 700 ans, ce territoire était aux mains des Maures et qu’il s’appelait «  Al Andalus  ». Tu imagines ? Du nord au sud, le pays était musulman. C’était une autre Espagne…

Instantanément, des visions me viennent… Je repense aux lieux que j’ai visités lors de mes précédents voyages. Je revois la ville de Tolède, perchée sur son rocher, ou les musulmans, les juifs et les chrétiens ont vécu en harmonie jusqu’à la Reconquête organisée par ces derniers. Je me revois déambuler dans les jardins orientaux du palais de l’Alhambra à Grenade, dans la Grande Mosquée de Cordoue ou dans de petits villages ayant conservé leur apparence mauresque.

Enchevêtrement d’arcs «  en fer à cheval » à la Grande Mosquée de Cordoue.

Enchevêtrement d’arcs «  en fer à cheval » à la Grande Mosquée de Cordoue.

Casarabonela (Province de Malaga). «  Qasr Bunayra » du temps des Maures…

Casarabonela (Province de Malaga). «  Qasr Bunayra » du temps des Maures…

Bien avant que les chrétiens ne s’imposent, on érigeait des minarets au sud des Pyrénées. On buvait du thé à la menthe, on vivait dans de petites maisons taillées à même la roche qu’on blanchissait à la chaux et qu’on ornait de patios fleuris.

Comment puis-je être nostalgique d’un monde que je n’ai pas connu ?

Fred me tire de ma rêverie orientale et pointe du doigt un mont solitaire au loin.

-Ce soir, nous dormirons là-bas. On ne va plus tarder à se mettre en route. On va s’arrêter dans une bergerie ou on pourra prendre du bois pour faire un feu de camp. En principe, il en reste toujours…

-Charmant programme, Fred.

Nous nous levons et observons le paysage autour de nous. Nous pourrions aussi bien être sur un autre continent, ou sur une autre planète qu’en Navarre…

Ce lieu est unique.

Les reliefs de la Bardena Blanca.

Les reliefs de la Bardena Blanca.

Je scrute ces imposantes et énigmatiques falaises : quel âge ont-elles ? A combien de couchers de soleils ont-elles pu assister ? Combien d’hommes nous ont précédés en ce même endroit où nous nous sommes assis en se posant les mêmes questions ? Combien nous suivront ? A quoi ressemblera cette contrée dans 1 million d’années ?

Je n’ai pas les réponses à ces questions et ne les aurai jamais. Face à ce décor et à l’immensité du ciel qui l’entoure, je réalise l’insignifiance de mon être et le caractère vain de mes questions.

Un jour, j’ai lu un proverbe qui disait : «  nous ne vivons que pour découvrir la beauté, tout le reste n’est qu’attente. »

Je suis tout à fait d’accord avec cette conception de la vie. D’ailleurs, c’est cette même façon de penser qui m’a mené ici.

Tel un croyant qui se prosterne devant son idole, je m’incline devant ces paysages sublimes.

La nature est mon dieu.

Hannover Garbsen – Partie 1

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Mais quand je déclare que je ne sais pas si nous arriverons un jour là-bas (…), un petit môme (…) me lance :

– Vous en faîtes pas, vous arriverez.

Je lui demande comment il le sait. « Non seulement vous arriverez mais encore vous repartirez et vous irez ailleurs. Ah ah ah ! »

– Jack Kerouac – Les anges vagabonds.

3h du matin, enveloppé dans la nuit noire de Chine – sans Lune et sans étoiles – sur l’aire d’autoroute d’Hannover-Garbsen, à quelques kilomètres d’Hanovre, sur l’autoroute A2, qui mène tout droit à Berlin, à 300 Km de là.

Hannover-Garbsen – on est déjà passés par là, avec Camille, lors de nos premières péripéties jusqu’en Pologne, mais on y est pas restés longtemps – juste le temps de se faire déposer, souffler un peu et se faire conduire ailleurs.

Banane

Mes sacs à terre, adossé contre le mur de la station-service, je mange une banane et des petits beurre et je pense aux innombrables fois où j’ai fait du stop jusque là. Je pense à Camille, à notre traversée du désert et à toutes les autres fois où on s’est dit « On y arrivera jamais ». Je pense à toutes les fois où on a fini par y arriver, je pense à toutes celles où on a raté le coche. Si je suis là maintenant, dans la nuit, c’est entre autres pour me prouver que je peux y arriver.

J’ai commencé à lever le pouce vers 16h, sur l’aire d’autoroute d’Assevillers Est, du côté de Péronne, sur l’autoroute du Nord – juste avant qu’elle se sépare entre Lille et Valenciennes. Déposé là par un couple d’amis après la pendaison de crémaillère de Sophie et de Jules.

« Lever le pouce »… en fait j’ai même pas eu le temps de le faire. Dès mon arrivée, je me suis précipité aux chiottes me soulager la vessie – acte essentiel avant chaque Grand Voyage. Et là, alors que je me lave les mains, un gars jette un coup d’œil sur ma pancarte.

« Tu passes par Hanovre ?

– Ouais, c’est sur ma route.

– Je peux te déposer vers Minden. Ça sera 30 EUR. »

Louis – c’est son nom – me montre déjà où se situe Minden sur son smartphone mais je vois très bien où c’est. C’est dans ma direction, c’est pas ça le problème. Le problème c’est que j’ai une pancarte, que je suis parti pour faire du stop, c’est à dire me faire déposer d’un endroit à un autre sans bourse délier. Ça contrecarre l’essence même du projet.

« Mais rien n’est gratuit ici, tu sais… » il me dit.

Bon, je pourrais attendre qu’un conducteur accepte de me prendre dans sa caisse – je suis persuadé que je trouverais bien des gens qui pourraient m’emmener plus loin même – mais j’accepte, un peu lâchement. Tant pis, je me dis, j’en ai rien à carrer, c’est pas du stop, c’est du « covoiturage spontané ». Et puis Minden, c’est au delà de l’imbroglio autoroutier de la Rhur, où il y a tant d’autoroutes qui se concentrent, qui s’enchevêtrent, où j’ai eu terriblement de mal à avancer la dernière fois que j’ai fait le voyage. Partir avec lui, ça va m’éviter toute cette merde.

Je monte dans la voiture – un monospace de sept places. À l’avant Louis et Justin, qui conduisent à tour de rôle. À l’arrière, tandis qu’au deuxième rang somnolent une dame et son gosse, au premier rang avec toutes mes affaires je suis entassé entre deux dames d’un certain âge. Plus tard, j’apprends qu’elles font partie de la famille de Louis. Mais ça les dispense pas de payer le trajet aussi. Rien n’est gratuit ici…

La voiture quitte l’aire d’autoroute, et c’est parti.

Le compteur toujours bloqué à 150, on passe la frontière belge en fin d’après-midi, puis la frontière allemande vers 20h30. Cette route, à force de l’avoir prise dans tous les sens, elle me devient familière. J’aime pas trop l’ambiance dans la caisse. La phrase de Louis « rien n’est gratuit ici » me reste dans la gorge, et puis il parle fort et puis il met la musique à fond. Je discute avec l’une des deux dames à mes côtés. Elle vient du Bénin, alors on parle de Cotonou et du marché de Dantokpa. J’imagine qu’en dix ans, pas mal de trucs ont changé. Pas sûr que je m’y retrouverais si je revenais là-bas.

Le gosse – Jan – s’est réveillé. Il pleure parfois mais le plus souvent il reste sage et attentif. Il gazouille – c’est la vie que je sens en lui, c’est la vie que je finis par ressentir dans cette carcasse de métal – je retrouve mon optimisme.

Justin arpente la Rhur dans tous les sens pour déposer, un à un, les passagers. La dame de Cotonou à Mönchengladbach, l’autre dame, Jan et sa mère à Essen. Sa route à lui se termine là aussi.

Je me retrouve seul dans la voiture avec Louis, qui prend le volant pour la dernière partie du trajet. Je reste toujours méfiant. Je viens de lui filer ses trente boules, j’ai pas envie qu’il me largue comme un malpropre au bord de la route.

« Tu sais à quelle aire d’autoroute tu vas me déposer ? » – je lui pose plusieurs fois la question.

Il finit par s’énerver gentiment : « Non. Mais t’inquiète pas ! Il y en a plein, des aires d’autoroute ici. »

Et il rajoute. « C’est un contrat… Tu m’as donné l’argent. Maintenant je dois remplir ma part du deal, tu comprends ? »

Ouais – je comprends.

Je devrais pas être autant stressé… C’est juste que l’autostop a pas encore fait son œuvre en moi. Au bout de quelques temps, quand tu fais du stop, la route est ton élément, glisser sur le macadam ta seule joie, t’en as plus rien à foutre de savoir où tu vas être déposé, où tu vas et où tu vas dormir ce soir. Mais ça, ça vient pas tout de suite et au début – pendant quelques temps en tout cas, tu angoisses et tu désespères pas mal – avant d’être enfin dans le bain.

Bon, Louis a raison – je dois me détendre. Je respire profondément et je regarde le chapelet de bois autour du rétro intérieur. Je regarde Louis qui parle fort et qui met sa musique à fond – je sais qu’il fait la route Paris-Hanovre plusieurs fois par semaine, par tous temps. J’imagine qu’il en bave, qu’il a dû en voir, des choses pas nettes dans sa vie. Je le vois d’un autre œil, en fin de compte. Je le vois danser la samba, le mambo et la salsa sur son siège, se trémousser, se tortiller, claquer des mains, les yeux rivés sur la route – mélodies latines et africaines à 150 à l’heure au creux de la nuit germanique.

Alors, intérieurement, je remercie ce saint de la route d’avoir posé son regard sur ma pancarte et de m’avoir emmené jusque là.

Et je me trémousse et je claque des mains à mon tour.

Le monde a changé

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Il fut une époque où je sortais pas les poubelles. À la place, je foutais tous les sacs plastiques plein de déchets dans le vide-ordures, je les compressais au max et je bourrinais sur le vide-ordures jusqu’à ce qu’ils tombent cinq étages plus bas. Autant vous dire que ça faisait un raffut du tonnerre. Surtout quand je faisais ça le matin dès le réveil.

Maintenant le monde a changé et toutes les semaines je descends mes poubelles – bon petit citoyen propret et respectueux de ses voisins.

 

Il fut une époque où pour la douche je ne jurais que par le savon de Marseille – même pour les cheveux. Un jour je suis allé chez le coiffeur et qu’il a vu ça, il a dû mettre des gants. À force, une fine couche de savon s’était amassé sur mon crâne et étouffait mon cuir chevelu.

Maintenant le monde a changé et je suis pas réveillé tant que j’ai pas pris ma petite douche – avec gel douche shampoing et tout le toutim – faut que ça frotte, faut que ça mousse.

 

Il fut une époque où j’avais l’impression de squatter chez des gens – tant bien même je payais ma part du loyer. Des bobos-écolos – les pires – du genre à éteindre le chauffage en plein hiver – du genre ère glacière. Du coup je me réveillais souvent vers quatre heures du mat’ – peau transie, tremblante, bleutée – des stalactites de morve gelée qui me pendent au nez.

Maintenant le monde a changé et ici dans ma chambre le soleil me tape sur la gueule tous les matins, je contemple ébloui le ciel qui se drape de couleurs magnifiques pour me saluer et me presser de me bouger le cul, et le soir la lune et sa mer de la tranquillité qui dit qu’elle veillera toujours sur moi.

 

Il fut une époque où j’aimais bien monter à Paname pour le week-end – rien que pour squatter chez Sophie dans son appart’ haussmannien vers Saint Germain les Près – et écumer avec elle – plus ou moins célibataires, plus ou moins fauchés – les sushis-bars flamboyants et les boîtes de jazz feutrées – à la recherche de gens pour nous payer à boire, ou plus si affinités.

Maintenant le monde a changé et quand je veux rendre visite à Sophie au fin fond de sa campagne, je dois monter à Paris, descendre à Montparnasse, ensuite prendre le RER puis le bus et enfin son jules doit venir en caisse me récupérer au terminus.

 

Il fut une époque où, deux fois par an, Marcelline et Diya prenaient possession de ma balustrade et y faisaient leur nid. J’avais l’honneur d’être le premier être humain à assister aux premiers battements d’ailes – bruyants – de leur progéniture. Jules et Verne, Marco et Polo, et Ken – le survivant. Et toute la troupe se cassait de là – du jour au lendemain, sans prévenir, en laissant derrière eux tout leur bordel, toutes leurs merdes de sales pigeons voyageurs.

Maintenant le monde a changé et Marcelline et Diya ne font que passer mais ne se posent plus. Elles ont sans doute peur de Pat’ et Séb’, mes deux poissons noirs qui du fond de leur bocal les toisent de leurs yeux globuleux.

 

Il fut une époque où je bourlinguais avec Camille – 3600 kilomètres sur la route, le pouce levé, le sourire aux lèvres – faire le tour de la Pologne dans la frivolité la plus débridée.

Maintenant le monde a changé et Camille ne m’accompagne plus. La vie, ses routes, ses déviations et ses détours ont eu raison de nous.

 

Maintenant je regarde la lune immense et pâle qui me sourit, je regarde les horaires du prochain bus direction chez Sophie, je regarde Marcelline et Diya roucouler au loin sur les toits, je regarde mes pancartes – vestiges de la Route Polonaise – érigées au rang d’objet d’art ou de collection, je regarde mon gel douche à la pomme, je regarde la poubelle presque pleine – je regarde tout ça par le prisme des souverêves.

Alors j’enfile mes charentaises et je descends mes déchets dans le local poubelles de l’immeuble.

 

Paraît qu’on appelle ça l’évolution.

 

Hacienda José

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Je débarque à Zürich avec des tonnes de bagages – mes vingt printemps à peine éclos – période un peu précaire où tu es plus vraiment ado, où tu es pas encore totalement adulte – le temps des métamorphoses. De la gare centrale de Zürich je saute dans le premier S-Bahn ligne 12 direction Brugg AG. C’est qu’une fois posé dans la wagon que je sens à quel point le voyage a été crevant – depuis quelques jours j’arrête pas entre les préparatifs, hier la dernière fête avant le départ, et le vagabondage dans Paris en tirant derrière moi valises sacs et tracas. Mais pas le temps de souffler quelques arrêts et j’y suis – Glanzenberg, Dietikon, dans la vallée de la Limmat. De la gare le plan indique qu’il faut prendre à droite et monter la colline. Je suis dans les parages je le sais, la Urdorferstrasse, mais j’arrive pas à trouver ma destination – jusqu’au moment où elle se dresse, immense, devant moi – ma demeure pour ces quatre prochains mois – la Hacienda José.

Hacienda José

Hacienda José

Un ancien cloître – Sankt Josefsheim – reconverti en coloc gigantesque. J’ai découvert l’endroit grâce à un site de colocations, j’ai tenté le coup et alors que j’y mettais pas un kopek on a accepté de me louer une chambre. « On » : Freddo, le gardien des lieux, le chef de file de toute la coloc, celui qui a le dernier mot lorsqu’il faut prendre des décisions. C’est lui qui m’accueille quand je sonne à la porte, complètement paumé et déboussolé, et qui me fait visiter les lieux.

La coloc – quatre étages, reliés entre eux par des escaliers et même un ascenseur, trois cuisines, cinq salles de bain. Des lieux de vie, des chambres qui se comptent plus, un immense jardin, une salle de répét’ dans la cave, et… une ancienne chapelle reconvertie en salle de concerts. Y habitent une vingtaine de personnes, de tous âges et de tous horizons, que je découvre et fréquente pendant ces quatre mois. Freddo le grand sachem, celui dont le nom figure sur le bail commun, qui a ses appartements au premier avec sa femme et ses deux petites filles. David le punk à qui on la refait pas, sa compagne Rebecca et leur petite Anja. Carla qui est là depuis le tout début – qui fait partie des meubles presque. Margg le steward qui se requinque ici entre deux tours du monde jet-laggués. Marco le père fraîchement divorcé qui se donne du temps pour se reconstruire et tenter d’obtenir la garde de ses gamins. Luigi l’étudiant fêtard qui rentre toujours à pas d’heure totalement décalqué – quand il rentre… Vicky qui bosse à mort et se serre la ceinture avant de repartir pour l’Australie. Lisa et Peter, deux étudiants un peu plus âgés que moi – on dirait que ces deux là se tournent autour – la grande question c’est de savoir si enfin un jour ils se mettront ensemble. Verena, tendre et attentionnée, et son poulain sans étable fixe – une fois elle l’a fait venir brouter dans le jardin histoire de tondre la pelouse de façon écologique – et les autres – plus ou moins arrimés ici, plus ou moins de passage. Tous font l’effort de pas me parler Schwiizerdüütsch – un dialecte à la ramasse auquel malgré toute la volonté du monde j’ai jamais rien compris. Et dans tout ce joyeux bordel, dès le début, un accueil chaleureux, festif presque – comme si j’étais attendu depuis longtemps. Freddo m’explique les règles de vie, puis, avec Carla et Lisa, il m’aide à m’installer. J’occupe deux pièces sous les combles. Mon bureau et ma chambre avec vue sur le jardin et les montagnes au loin.

Tous les jeudis, un vacarme monstre provenant des fondations de la Hacienda. Freddo, David et Margg – quand il est là – envoient du rock fort dans la salle de répét’.

La salle de répét' dans la cave

La salle de répét’ dans la cave

Toutes les semaines, une tâche ménagère est assignée à chacun. Généralement on s’y met à plusieurs, avec Verena et Carla, histoire d’y aller tous en chœur dans la joie et la bonne humeur. Tous les mardis, un rituel – toute la coloc a droit à l’un de mes dessins, s’imprégnant de l’ambiance calme, suave et dézinguée de la Hacienda.

Marionnettes

« N°8 : Marionnettes »
« Le crocodile veut simplement bouffer la grenouille…
« Mais c’est pas une grenouille ni un crocodile! C’est juste des gants! »

N°9 : Suicide dans le jardin

N°9 : Suicide dans le jardin

Tous les premiers dimanches du mois, toute la coloc se réunit autour d’un repas. Histoire de discuter des problèmes rencontrés, des projets à venir, et de prendre des décisions quant aux choses qui doivent l’être et qui nous concernent tous. Ça permet de calmer les tensions, de faire avancer les choses et de pas laisser dépérir l’endroit. C’est comme ça que j’ai exercé mes talents de cuisto avec mes tiramisu, c’est aussi comme ça que je me suis vu proposer de repeindre tout le rez de chaussée, ou que j’ai aidé à mettre en place un coin potager dans le jardin.

Tout le monde s'active dans le jardin

Tout le monde s’active dans le jardin

Tous les mois également, la chapelle se transforme en salle de concerts. Elle accueille un mini-festival de Jazz pour faire concurrence à celui de Montreux, ou de jeunes groupes de rock locaux. Et tous les jours, plein de surprises.

La chapelle

La chapelle

 

Concert de jazz à la Hacienda

Concert de jazz à la Hacienda

Cet endroit, c’est le paradis sur Terre. Mon paradis… Imaginez un peu – le calme, la chaleur humaine, et tous les jours des découvertes luxuriantes. À titre d’exemple, alors que ça faisait trois mois que je vivais là, un truc tout con, j’utilise l’ascenseur pour la première fois. Et c’est là que je remarque qu’il peut m’emmener jusqu’au sous-sol – alors que j’y ai zoné, de temps en temps, au sous-sol, et que j’y ai jamais remarqué une porte d’ascenseur. Alors ni une ni deux, en mode aventurier, j’appuie sur le bouton pour voir où ça va bien pouvoir me mener. Et je découvre – au bout de trois mois ! – tout un pan du sous-sol que je connaissais pas.

Anja, ses boucles d’or, ses grands yeux et ses petits doigts. Tous les matins, je prends mon petit déjeuner avec elle et sa mère. Rebecca dont le ventre s’arrondit de jour en jour – elle a annoncé au dernier repas mensuel qu’elle attend son deuxième marmot. Et Anja du haut de ses un an et demi qui mange délicatement sa compote en faisant attention à pas en foutre partout et qui me regarde, éberluée, m’engloutir mon méga-bol de céréales comme un gros porc. Et Anja qui est tellement habituée à me voir squatter à ses côtés le matin qu’elle m’appelle « Papa ! ». Alors tous les matins je me permets de la corriger : « Non Anja, je ne suis pas ton père. Ton père c’est David, et il est déjà parti au travail. Moi c’est Ben. B.E.N… » Mais rien y fait, ça veut pas rentrer. Le lendemain c’est « Papa ! » toujours – à en devenir un peu gênant – je sais plus où me mettre le jour où elle balance « Papa ! » devant son père en me pointant du doigt… Et Anja, le dernier jour, alors que je fais mes adieux à la Hacienda, je la prends dans les bras, je la soulève, je la fixe des yeux et je lui glisse à l’oreille : « Anja, tu peux pas t’en rendre compte, mais merci d’avoir été là… Tu as été pour moi une rose au Paradis. Je sais pas si je te reverrai un jour, et si jamais je reviens, sans doute que tu te souviendras absolument pas de moi. Alors je voulais dire que je t’aime, Anja, et je te souhaite une belle et longue vie. Prends soin de toi et de tes parents. Adieux. » Et Anja que j’éloigne de moi et alors que je tourne les talons, la gorge remplie d’émotions, Anja qui crie : « Beeeeennnn !!! »

Je quitte la Hacienda alors que son cri résonne encore et que la neige automnale commence déjà à recouvrir les sommets des montagnes pas si lointaines que ça. Je quitte la Hacienda avec mes valises et mes sacs. Je quitte la Hacienda je vacille et je tremble. Car j’y laisse une partie de moi – Anja, David, Freddo, Marco, Lisa, Margg, Peter, Verena et les autres.

Je quitte mon Paradis – métamorphosé. Maintenant que je l’ai savouré, je sais ce qu’il me reste à faire. Je dois tourner la page et avancer – devenir adulte, l’accepter, enfin – t’es peut-être coriace, mais la vie, le temps qui passe, ils sont plus forts que toi tu sais ? Ça sert à rien de t’accrocher mon grand…

Je quitte mon Paradis, et dans le train du retour, contre la fenêtre, jusqu’à Paris, je pleure en silence.

Frénésie du départ

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« Durant la semaine qui précéda le départ pour Arrakis, alors que la frénésie des ultimes préparatifs avait atteint un degré presqu’insupportable, une vieille femme vint rendre visite à la mère du garçon, Paul. »

Dune, Frank HERBERT

 

Hier soir tard écroulé en étoile sur le lit prêt à rejoindre les bras de Morphée à défaut des tiens mon portable vibre. Lola du fin fond de sa banlieue lyonnaise un SMS aux chauds accents d’Amérique latine – j’espère que tu vas bien elle me dit, et je sais que tu vas partir bientôt en voyage (…) et la route est la voie de la vie.

Si tu savais Lola si tu savais…

J’en suis quasiment frénétique je te jure j’ai que ça à la bouche et dans mes yeux lumineux – comme des phares de camions. Morphée veut pas me tendre les bras à la place elle me dit clair et net d’aller me faire foutre. Parce que même Morphée je la saoule avec ça. Parce que ça revient sans cesse. Une valse. Frénétique. Une obsession.

 

Depuis le temps que j’en parle depuis le temps que j’en rêve – sur les ponts au dessus du périph’  ou en voiture la tête penchée à la fenêtre – les bandes blanches qui défilent elles s’espacent elle s’étirent elles m’appellent. Persistance rétinienne c’est ces mêmes bandes blanches qui défilent dans mes rêves – des rêves éveillés parce que Morphée refuse cette nuit encore de m’accueillir – rêves de goudron et de gaz d’échappement.

Rêve réveillé aussi quand je passe en métro au dessus de l’endroit où mon périple va commencer. Dans quatre semaines maintenant. Je me vois à ce spot au petit matin le pouce levé le sourire aux lèvres avec mes godasses mes guenilles mes guêtres mes sacs et mes pancartes. Qu’est-ce que je vais écrire dessus ?

 

BELGIQUE

COLOGNE

BERLIN

ŁÓDŹ

Ou un truc comme ça on verra bien. Ce qui est sûr c’est que cette fois ci c’est à Łódź que je vais – à 1300 Km d’ici. Une invitation et un sourire breton une fois sur place ça se refuse pas – et puis je connais pas encore Łódź c’est l’occasion de découvrir.

Cette fois ci je me la joue cavalier seul et j’irai d’une traite – avaler d’un coup toutes ces bornes sans filet de sécurité je compte bien rester éveillé pendant 48h tenir à coup de café café café café –

au pire dormir sur mes cartons sur le seuil d’une station-service.

 

Si tu savais Lola comme je suis pressé… Dans quatre semaines ! Même du fin fond de ta banlieue lyonnaise tu dois sentir ça tu dois la sentir cette frénésie je le sais. Si tu savais aussi Lola comme j’ai peur comme j’ai les boules. Peur de jamais y arriver – peur surtout de baisser les bras. Tout se joue là Lola je veux savoir si j’en suis capable j’en ai besoin.

 

Et au delà de la route il y a quoi ? La route je commence à la connaître maintenant elle est familière – et je sais que même si c’est les mêmes mauvaises herbes sur le bas-côté les mêmes gaz d’échappement les mêmes bandes blanches qui défilent la route Lola elle est à chaque fois différente. Et si je la refais dans quatre semaines cette route polonaise c’est pour retrouver les sensations que j’ai eues à l’époque – et quelques bouts de moi aussi. Comme si la première fois comme le Petit Poucet j’avais semé des miettes de pain tout au long de l’E42, de l’A4, de l’A2 aussi, et de l’A10 également, mais encore de l’A12 et enfin de l’E30.

 

et de toutes les autres routes et que je devais les récupérer.

Ou plutôt Lola je me vois partir en repérage oui c’est ça un repérage des lieux de tournage d’un GRAND BORDEL – la vie. La vie on est en plein dedans et on y va plein gaz.

 

Si tu savais Lola comme il me tarde de les récupérer ces miettes de vie ces souvenirs en lambeaux comme il me tarde de grimper dans des voitures allez hop pied au plancher recule pas tout droit toujours tout droit – et t’arrêtes surtout pas ZAG ZAG – comme il me tarde de les toucher ses bandes blanches qui défilent comme il me tarde de PUER la sueur les gaz d’échappement le goudron la nuit solitaire le carton mouillé – comme un vieux chat de gouttière on se la refait pas hein Lola ? – un vieux chat de gouttière…

 

Comme il me tarde.

The House of Rising Sun

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Le 13 mai 2012 – un dimanche je me  souviens – je rentre de Bruxelles – anniversaire d’un pote. Le genre de soirées où tu finis par dormir le bide à l’air dans un canap’ plein de confetti.

À pied je fais le chemin de la gare à chez moi – il est 13h j’ai rien à faire, il fait beau, le soleil est au zénith. Et dans les rues de Lille quasi-désertes je traîne mon ombre derrière moi. Le soleil m’éblouit et j’ai une vision.

Une vision divine. Un truc tout con. Un ukulélé. Moi, renvoyé de l’école de musique il y a plus ou moins quinze ans – rebelle avant l’âge de l’être – tout ça parce que j’ai pas le sens du rythme – je me vois jouer de l’ukulélé

Trois jours après, je m’achète l’instrument. Une sorte de guitare de poche à quatre cordes qui sonne super-exotique.

Sur les Internets je trouve quelques tablatures – des moreaux simples à jouer. Le premier soir je sais déjà jouer quelques trucs. Plus les jours passent, plus j’apprends, plus je connais de chansons et plus je me vois faire carrière dans la musique. Quelque chose de grand. Le concert au Stade de France est à portée de main. À moi les tournées, les roadies, les groupies en furie et les partouzes post-concerts hallucinées. Presque célèbre.

Mouais, bon, t’emballes pas mon p’tit B.Howl… faut apprendre d’abord.

Hop je te fais l’air de joyeux anniversaire, je te fais Le Lion est mort ce soir, je te fais d’autres trucs comme ça – c’est la première fois que c’est aussi concret je te jure, le stade de France au bout des doigts…

Et puis je finis un peu par me lasser – je m’aperçois que l’ukulélé, c’est bien, mais au bout d’un moment, quand on prend pas le temps de rentrer dans les subtilités, c’est assez…limité… En gros pour faire court il y a que quatre accords principaux. À toi de les mélanger pour que ça se fasse passer pour une mélodie connue. Mais un jour, subtil ou pas, c’est la révélation – j’apprends à jouer The House of Rising Sun.

Tu peux pas t’imaginer comment je me reconnais dans cette chanson. Comme si j’étais plongé dans des souvenirs que j’ai pas vécus. Le Rising Sun qui m’éblouit comme m’a ébloui cette vision de l’ukulélé le 13/05/2012 non pas à la Nouvelle Orléans mais dans le Vieux Lille. Et cette mère tailleuse de jean tout comme la mienne rapiéçait mes frocs quand j’étais môme – et mon père un silencieux, un observateur, un gambling man. Et ces vieux cartons dans mes armoires qu’est-ce qu’ils contiennent à part les boulets du passé…

Alors j’emporte mon instrument en tournée en road-trip en autostop en Pologne – comme tu le sais déjà. Prêt à le dégainer n’importe où n’importe quand. Question de survie.

Je me souviens de Gdańsk – Camille et moi. À Stoczna Gdańska. Juste devant les chantiers navals. Devant le monument de commémoration. Un étrange sentiment me submerge – mélange de deuil, de devoir de mémoire et d’espoir. Et l’envie de boire un truc.

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Il est 17h, on se pose au Wydział Remontowy Klub Muzyczny. Le pub est désert, seuls deux gars de l’autre côté du bar.

Déjà bourrés.

Ou encore bourrés.

Des ouvriers des chantiers qui ont fini leur journée. L’un d’eux a une guitare. L’autre pousse la chansonnette. Mmm vu les airs qu’ils jouent, je crois qu’ils vont bientôt se mettre à faire The House of Rising Sun. Mes doigts tremblent. J’ai mon ukulélé à portée de main. Ça manque pas. Ils commencent la mélodie en polonais. Hop je prends mon précieux instrument, je fais les accords. La mineur, do, ré, fa, la mineur, do, mi septième. Soudain ils me regardent, hochent la tête en rythme, s’interrompent et s’approchent de moi. Et on joue la chanson ensemble – moitié en polonais moitié en anglais, polyglottes, Dom Wschodzącego Słońcaà la guitare et à l’uké. Splendide. À tel point qu’une fois la chanson finie ils nous paient des coups à Camille et à moi et on rigole tous ensemble à en avoir la tête qui tourne à force de faire teinter nos verres.

 

Ailleurs, quelques jours plus tard… Toujours Camille et moi, à Cracovie cette fois, et plus exactement à Kazimierz – ancien quartier juif, maintenant néo-bobo, branchouille à la coule. Ça a pas mal changé depuis la première fois que j’y suis allé, il y a huit ans… Au coin de la Stradomska et de la Jósefa Dietla une maison me fascine. Sa couleur d’abord – teintes sombres qui s’accordent avec le ciel mais qui dénotent avec les murs jaunâtres des bâtiments alentours. Et puis sa taille, sa majestuosité, ses colonnes, ses rebords de fenêtres. Je la prends en photo de l’autre côté de la rue tellement elle s’accroche à moi. Et c’est avec regret que je dois me détourner d’elle et continuer mon chemin.

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Cracovie toujours – le jour d’après. Avec Camille on se dore la pilule. C’est le premier jour de l’automne et on est allongés dans l’herbe au beau milieu du parc Jordan, pénards, doigts de pied en éventail, à se la dorloter au soleil. Il doit faire 23°C dehors – un ciel bleu magnifique sans nuages – le jardin d’Eden.

On attend le gars qui nous héberge ce soir. Krzysztof il s’appelle. Il débarque dans la vapeur de la fin d’après-midi. Un petit jeunot tout frêle blond les yeux bleus-blancs aux joues glabres – c’est un artiste je le devine tout de suite – un poète – même si ça a aucun rapport avec ses études d’informatique. Et par le plus grand des hasards, c’est son anniversaire aujourd’hui. On traverse toute la ville. Krzysztof habite à Kazimierz. Avant d’aller poser nos sacs chez lui on dévalise une supérette pour fêter dignement son anniversaire. « Voilà, c’est là », il nous fait en ouvrant la porte d’entrée de son immeuble.

Son immeuble – incroyable – c’est cette immense baraque que j’ai prise en photo hier – la baraque qui avait rien à faire dans cette rue – qui écrase tous les autres bâtiments du coin. Krzysztof explique qu’il vient d’emménager, qu’il est obligé de s’éclairer à la bougie et qu’il a presque pas de meubles. Au deuxième étage on entre et on débarque dans un large couloir. En plein milieu dans l’obscurité se dresse un frigo – au fond un caddie. La chambre de Krzysztof : une frêle penderie en métal, deux matelas, un fauteuil presque disloqué, une table d’appoint Ikea modèle Lack sur laquelle est posée une bouteille de bière vide qui fait office de chandelier. Règne ici une ambiance glauque, quasi-sordide – mais pourtant tout à fait chaleureuse. Autour d’un café-clope on fait connaissance. Le soir s’amorce quand on sort pour essayer la junk food typiquement polonaise – on va à Nowy Plac et on mange des Zapiekanki – des sortes de demi-baguettes nappées gratinées de plein d’ingrédients au choix et à la tête du client dévoreur. Là Kasia nous rejoint – une jolie petite bouille blonde – la meilleure amie de Krzysztof – très attentionnée – une fois revenus dans son appart’ elle sort des bouteilles et aussi un petit gâteau avec une bougie. Krzysztof souffle dessus en faisant un vœu. On chante « Sto lat! » en chœur. Krzysztof nous raconte que la semaine prochaine un de ses postes artistes va exposer dans sa chambre – une sorte de vernissage – alors on discute art contemporain, voyages et poésies. Au bout d’un moment je joue Joyeux Anniversaire à l’Ukulélé puis j’enchaîne sur The House of Rising Sun évidemment. Alors Krzysztof me tient par la main « Viens voir » il me dit et il me fait sortir dans le couloir. « The House of Rising Sun, c’est chez moi ! » En effet c’est écrit sur la porte. L’appart’ de Krzysztof, un ancien lupanar…

Kasia doit s’en aller – prendre le dernier train pour rentrer chez elle – et c’est Sonia qui la relaie au chevet des dix-neuf ans de Krzysztof. Un ou deux verres de vodka – c’est bon, ils sont morts et enterrés et on est sûr qu’ils ne reviendront plus. Krzysztof a 20 ans et on est quatre à se boire des vodka-bières dans sa piaule presque nue.

Deux heures du mat’ – Sonia repart chez elle, Camille va se coucher. Krzysztof et moi on termine nos verres et on refait nos mondes jusqu’à pas d’heure, jusqu’à ce que Morphée ait pitié de nous.

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Au réveil scène de ruines et de désolation. Cire froide sur le sol jonché de mégots bouteilles de bières et de vodka plus ou moins vides cendriers remplis matelas sans dessus-dessous – chambre de camés chambre de damnés – mais dieu qu’elle a du charme, cette House of rising Sun !

à la Bakeri

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4p.m heures locales – quelles heures sont il à Paris, mon cœur ? Mais mon cœur est ailleurs mon cœur est en vadrouille du côté de Williamsburg ce quartier haut en couleur au cœur de Brooklyn, New-York, New-York, USA – plein de liens cher lecteur cher toi mais c’est qu’ici tout défile c’est super-difficile de tout enregistrer j’essaie pourtant je te jure j’essaie de m’exercer d’être un Memory Babe parce que mine de rien Jack mon esprit est dans TA ville mais tout va vite vite tout s’entremêle tout s’entrechatte tout s’entrechoque et se brise aussi parfois – et mon esprit se disperse et ma mémoire solitaire est quelque peu défaillante.

Tu dis que tu as écrit On the Road en trois semaines sur un rouleau – je l’ai vu d’ailleurs ton tapuscrit de 36 mètres de long j’ai eu la chance de le voir – en tournée à Paris – sans benzédrine – sous café uniquement.

Parchemin original de On the Road

Parchemin original de On the Road

Parchemin original de On the Road

Parchemin original de On the Road

Tu carburais au café wow mais comment tu fais parce que maintenant j’en tiens une tasse là de ton café et tu sais quoi ? Il est pas fort du tout ! C’est pas un café ça ! Je sais pas comment vous faîtes chez vous mais il est tellement allongé… On dirait du jus de chaussette. Résultat il est 16h et aujourd’hui j’ai beau avoir déjà ingurgité cinq cafés je suis encore fatigué nase kaputt.

Je traîne des pieds je baille il m’en faut un sixième alors tu me traînes dans cette boutique vers la 7th street – la Bakeri que ça s’appelle – avec un « i » à la place du « y » pour faire tendance? – qui comme son nom l’indique est une boulangerie-pâtisserie. Entrée dans la Bakeri donc – the Smiths en fond sonore. Un café, enfin! – un grand, please! – Et froid – parce que j’aime pas le café chaud – tu sais le café brûlant qui te nique la gorge et les papilles – parce que je suis suis trop pressé pour le laisser refroidir – et comme je suis gourmand comme j’ai faim malgré la patte de dinde rôtie que je viens de m’enfiler au marché de Smorgasburg – un cookie pour l’accompagner!

La fille au tatoo

La fille au tatoo

Cette fille sur la photo – typique des lieux – que j’ai tenté de capturer discrètement –  « enjoys the day ». C’est pas moi qui clame c’est son tatoo sur l’avant-bras – que j’aperçois à travers la vitre – elle est sur la terrasse – bonnet rouge, bracelets et stylo à la main – elle est en train d’écrire – en train d’écrire sur un carnet – les laptops c’est has been… Elle boit un café dans un verre – pas dans un gobelet transparent en plastique – à la « Weeds » où tu vois toujours l’héroïne de la série boire à la paille des cappuccinos glacés. À un moment elle va se servir au comptoir alors que je t’amène un truc – nos regards se croisent se toisent et se disent tout. Fugace. Je reviens à ma place dans ma petite boîte à tes côtés et je picore sur la table les miettes de mon cookie que j’ai avalé en moins de deux. Maintenant REM – Near wild heaven. Et on discute. De mon ressenti sur New-York cette ville-monde que j’ai tant fantasmée. La tête toujours dans la Lune cachée par les gratte gratte gratte-cieux – et Times Square et ses 10 000 soleils – je suis… ailleurs. C’est bon, le café froid est en train d’agir, je suis en train de recharger les batteries.

By night and with Mickey Mouse

Times Square comme 10000 soleils

Enjoy the day enjoy dit son bras j’enjoy mon séjour et je me suis mis en tête de partir un peu sur tes traces Jack – j’ai dans mon sac toujours ton bouquin – Et les hippopotames ont bouilli vifs dans leurs piscines –de Larimer Street jusqu’à Columbia où tu as étudié – un peu – en passant par le Village et Ozone Park où tu te terrais chez ta mère jusqu’à ce que Neal te sorte de ce trou et que tu partes sur la route –

Coucher de soleil à Williamsburg

Coucher de soleil à Williamsburg

 

Sur le toit du building

Sur le toit du building

et je marche sur les pas de tes errances. Alors, en Amérique, quand le soleil décline et que je vais m’asseoir en haut de ce building sur ce toit, quand je fume ma clope dans la nuit sans étoiles sans étoiles sans même l’étoile du Berger qui s’étiole comme tu dis en effeuillant ses flocons pâle sur la prairie, juste avant la tombée de la nuit complète – moi je pense à enjoyer the day the night je pense même à savourer tout mon séjour et j’ignore ce qui viendra ensuite, je pense à tout ce que je ne vais jamais pouvoir ramener dans l’avion fade du retour, je pense à Jack et je pense à toi, je pense à toi.

We make love...

We make love…