Février 1998. J’ai 10 ans.
Tiens prends toi ça dans les dents.
Mes grands frères sont encore à la maison. On dort dans la même chambre.
Tout en haut de la baraque
sous les toits.
Je suis un peu con.
Fantasque. La tête toujours dans la Lune.
Ou sur Alpha Centauri.
Des fois la nuit – les nuits d’hiver comme hier par exemple – je mens pas encore mais j’ai froid.
Pour me réchauffer je bouge sous la couette.
Ça me réchauffe pas du tout. Ça me refroidit encore plus en fait.
Du coup je réveille mon frère qui dort sur le lit d’à côté.
Pour qu’on échange nos couvertures.
Et le même geste se répète
Plusieurs fois par nuit.
Février 1998. J’ai 10 ans.
Et le soir après manger tous les quatre frangins
on regarde la télé.
Des fois pendant que les images défilent
mon frère aîné me parle du Big Bang et du Big Crunch
des lois de la Thermodynamique et de la Théorie des Cordes
et mes autres frères
captivés par la lucarne
lui disent de fermer sa gueule.
Des fois on est pas d’accord sur la chaîne à regarder.
Moi je dis rien je m’en fous.
Des fois mes frères se chamaillent
pour choisir le programme.
Mais ce soir ils sont calmes.
On est devant Canal +
Nulle Part Ailleurs.
Février 1998. J’ai 10 ans et c’est marrant.
Marrant comme on a tendance à glorifier le passé.
Surtout quand il surgit d’entre les souverêves éthérés.
Février 1998. J’ai 10 ans et je m’en fous.
Mais pas ce soir.
Ce soir il y a une invitée.
Une fille-femme
à la peau de porcelaine
aux cheveux ébène
aux yeux malicieux
et au nom imprononçable
mot compte triple au Scrabble.
Standing Ovation
Interview ( ici )
Une voix fluette et j’y comprends que dalle.
J’ai 10 ans et je m’en fous
Puis elle se déplace sur la scène
fille-femme tout enrobée dans ses habits rose-mauve
son pantalon noir et ses chaussures à pompon
et elle se met à…………… WOW
Février 1998. J’ai 10 ans
et je découvre les sanglots longs des violons qui accompagnent
Björk
Février 1998. J’ai 10 ans
et je suis une fontaine de sang.
De sang qui gicle et qui s’étale
et mes pages blanches s’écrivent
à mesure que le temps s’écoule
et je suis une fontaine d’amour
Si tu savais…
ô toi qui m’aimeras
ô toi qui m’auras aimé
ô toi qui m’aimeras jamais –
et j’ai la chair de poule
je tremble à l’extérieur
et à l’intérieur je bous
et mon cœur s’emballe
pour la première et la dernière fois
face à l’écran du téléviseur SONY.