Bachelorette – Acte II

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Quelques mois plus tard.

J’ai toujours 10 ans

Dans ma tête j’ai toujours 10 ans

et un pote de mon frère aîné sonne à la porte.

Ce jour là, faut pas me faire chier

et ce mec s’apprête à me prendre mon frère

jouer avec lui

ou fumer des pétards

alors que moi je suis là

moi j’existe

moi je suis une fontaine de sang

une fontaine d’amours inassouvies et de sanglots ténébreux

et ce mec s’apprête à me prendre mon frère

mais heureusement, mon frère est en train de se préparer

et c’est moi qui me trouve derrière la porte –

c’est moi qui lui ouvre

au mec

lui 1m80

moi haut comme trois pommes

je le toise du regard

les sourcils froncés

comme les méchants dans Dragon Ball Z

encore une émission TV pour laquelle mes frères se chamaillent

et il comprend que je vais pas le laisser faire

JE VAIS PAS LE LAISSER ME PRENDRE MON FRÈRE.

Je claque la porte.

Mon frère déboule dans le couloir d’entrée

il comprend qu’il vient de se passer quelque chose

il me foudroie des yeux

genre ce soir je suis mort

et il ouvre à son pote en s’excusant.

Ce soir je suis mort

mais je m’en fous

je reste là dans le couloir

ce mec, ce barbare grunge

à le toiser du regard.

Alors son 1m80 se penche sur moi

et ce mec il me sourit :

« C’est toi le benjamin de la famille ? »

C’est moi même, mec, et si t’as un problème

je te coupe ta race en deux

Capisce ?

Le mec s’apprète à me prendre mon frère

comme ça, impunément

et il me sourit toujours :

« Tu sais, je sais ce que ça fait »,

il me dit

façon confessions intimes

« je suis aussi le dernier de ma famille. »

Mmm le dernier de la famille

alors que ce mec il a l’âge de mon frère ?

WTF il se fout de ma gueule ?

Mais je t’avais prévenu dans le texte précédent

j’ai 10 ans et je suis un peu con

et j’imagine que les derniers de la famille

ils ont tous plus ou moins 10 ans.

Le mec se mord la lèvre

et continue :

« Aujourd’hui je vais pas te prendre ton frère.

Enfin, si, mais je t’embarque avec nous.

– Quoi ?

– Je crois que t’as compris ce que je veux dire, bonhomme.

Vas voir tes darrons pour avoir leur permission. »

Une fois que j’ai PAS demandé

leur permission à mes darrons –

inutile de les déranger… –

je rejoins ce mec – Arthur

et mon frère qui m’attendent dans la rue.

Arthur et moi on a la pêche,

le sourire jusqu’aux oreilles

Y’a que mon frère, on dirait

qui fait la gueule.

Peut-être que si j’étais moins con je comprendrais pourquoi…

Je suis une fontaine de sang

chaud

bouillant

apaisé.

On déboule chez Arthur

Il me présente à ses darrons

comme il dit.

Pendant ce temps d’autres potes à lui déboulent

les uns après les autres.

La maman d’Arthur a fait des crêpes pour le goûter.

Le papa d’Arthur me montre ses maquettes de voiliers.

Il en possède un vrai, je te jure –

et bientôt, quand Arthur rentrera à l’université,

et quand sa maman sera aussi à la retraite,

ils partiront à deux

un second voyage de noces

faire le tour du monde.

En observant toute la scène,

tout le joyeux dawa qui règne dans cette maison,

je comprends que pour mon frère

la famille d’Arthur c’est la famille idéale.

Il aimerait tant que sa famille – NOTRE famille –

soit pareille.

Une famille NORMALE où les enfants se

battraient pas pour regarder la télé.

Arthur me fout dans une chambre

et me colle devant l’ordi.

Je joue à Quake II

pendant qu’Arthur, mon frère et toute leur bande de grunge

grattouillent sur des guitares plus ou moins sèches

plus ou moins désaccordées.

Et pendant que je joue à Quake II,

elle revient en fond sonore.

Mon Islandaise, ma muse

de porcelaine éternelle.

Et la même chanson

qui tiraille mon cœur

et me fige sur place

glacé et brûlant en même temps.

Je suis une fontaine de sang.

Bois moi, rends moi réel.

Björk m’accompagne tout au long de cette après-midi

J’ai 10 ans et j’ai l’impression

que pour la première fois

on me prend pour ce que je suis vraiment.

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