« Ça faisait longtemps, pas vrai ? »
Mélanie me dit.
« Ouais… » je réponds en regardant au loin, vers l’autoroute – et je repense à la dernière fois que j’ai levé le pouce – avril 2014 – un an tout pile – pour aller jusqu’à Lódz. À l’époque j’avais bourlingué jusqu’à Poznan et là-bas j’avais renoncé et j’avais pris un bus pour faire le reste de la route. À l’époque aussi je m’étais juré que ce serait la dernière fois – que je ressentais plus le besoin de faire du stop et que j’avais évolué, que je cherchais une vie plus stable.
Mais janvier 2015 le rêve m’a happé – LJUBLJANA écrit au feutre sur une pancarte – et me voilà maintenant teraz jest teraz début du printemps 2015 sur cette aire d’autoroute en Belgique – la plus proche de Lille, tout près de la frontière – c’est là que Mélanie me dépose – et l’expérience du bitume va enfin pouvoir de nouveau commencer.
Il est à peine 9h du mat’ – je récupère dans le coffre ma pancarte et mon sac de bidasse – comme elle dit. Mélanie me file la clope qu’elle vient de rouler en cadeau « Tu l’allumeras devant l’église rose en pensant à moi, d’accord ? » – elle m’embrasse ses yeux me souhaitent bonne chance et sa Peugeot 106 vert forêt – toute défoncée, rétro cassé – repart en klaxonnant joyeusement.
Et ça fait chaud au cœur – elle croit en moi.
Je suis content que Mélanie m’ait accompagné jusque là. Sauf hasard ce sera le dernier visage connu que je croiserai avant mon retour.
Je repense à ces derniers jours. Les préparatifs – la route à checker, la pancarte à élaborer. Et ce mélange d’excitation de hâte et d’angoisse. Pour le coup je dois avouer que l’excitation était en berne – c’était plutôt l’angoisse qui prédominait – et cette question : « Est-ce que je vais y arriver ? »
Je me suis persuadé que si j’allais là-bas, c’était pour y trouver quelque chose. Je vais transformer ce voyage presqu’en quête mystique.
Pourquoi pas ?
Car ce rêve de janvier, ce serait pas un signe ? Mais pour quoi ? Qu’est-ce que je cherche ?
Je suis lancé maintenant – livré à moi-même, je peux pas faire demi-tour. Je soupire. 1450Km jusqu’à Ljubljana. « Yalla ! » Camille dirait.
Camille… – avec elle j’ai fait le pari – stupide évidemment – d’arriver là-bas avant midi demain. Ça va être chaud mais pourquoi pas. Et je me souviens même pas de ce que je gagne si j’y arrive. Rien, probablement. Et Camille est pas là et Mélanie est partie et me voilà seul face à mon destin.
Quel rêve de merde…
Je me poste devant la station service. J’observe mon environnement. Je dois reprendre l’habitude – réapprendre à suivre les règles de l’auto-stop. Un an sans – je crois que je suis rouillé. Rester le dos bien droit, fier et vaillant. Faire signe à tous les gens que je croise et qui entrent et qui sortent.
J’ai de la chance tout va bien il fait assez beau. Enfin il pleut pas, il fait pas trop gris, pas trop froid.
Je rentre dans la boutique de la station-service. Je passe sous le portique pour pisser pour économiser 50cts. Il y a pas de petites économies.
Puis je me re-poste dehors. Un gars qui me voit lever le pouce vient vers moi et me dit :
« J’ai lu quelque part qu’un supporter du Racing Club de Lens a suivi deux cents matchs en stop. »
En rigolant je lance : « Eh ben il a intérêt à arriver à l’heure au stade ! »
Je me perds un peu dans mes pensées. Je fais le tour du parking des camions – nada. Mais c’est pas alarmant. C’est surtout la patience que je suis en train d’appréhender à nouveau. Le lâcher prise. Ça fait du bien et je reprends du poil de la bête.
Yalla !
Je reviens devant la station service et là – à 9h20 – un couple me propose un lift jusqu’à Namur – dans un minibus Mercedes.
J’ai de la chance tout va bien.
Et tout va encore mieux quand je fais la connaissance de Koen et Geertje. Dans le minibus ils m’expliquent avec un charmant accent flamand : « On vient de Gand. Ce week-end on a laissé les enfants chez leurs grands-parents à Courtrai, et on va retaper la maison qu’on a trouvée dans les Ardennes Belges. »
On parle de Gand, de Mons, de Bruges. Je suis aux anges – des échanges comme ça avec des gens que tu connais pas – le genre de trucs qui te redonnent foi en l’Humanité.
Et puis le jeune couple me raconte leurs randos, leurs trekkings en Slovénie. « On connaît bien ! On y est allé plusieurs fois. C’est pour ça – on a vu ta pancarte alors on s’est dit qu’on pouvait s’échanger quelques tuyaux.
– … Moi je connais pas du tout. Disons que j’y vais un peu à l’arrache. »
[Pas évident de dire « à l’arrache » en anglais…]
Et je leur dis pour la vision de la pancarte LJUBLJANA.
Sans sourciller ils me filent plein d’infos sur les endroits où aller – le lac Bled par exemple, ou Kranjska Gora – et vers 10h30 des idées de randos slovènes plein la tête ils me déposent sur l’aire de Spy – près de Namur – que je connais bien.
De nouveau je me mets en mode « recherche de chauffeur ». L’aire d’autoroute est assez grande – je fais le tour des différents parkings en montrant ma pancarte. Le ciel s’est couvert et il pluvine un peu – mais rien de bien méchant – rien qui puisse niquer mon enthousiasme.
En revenant vers mon abri devant la station service j’ai de la chance tout va bien – je croise le regard de Dan.
à suivre…