C’est stupide.
Un Pigeon.
Ça a une toute petite tête et ça chie partout.
Et c’est contagieux.
Certainement.
Je veux dire, il y a certainement des tas de microbes pas très très jolis à voir sous les aiss-ailes d’un pigeon, non ?
Diya est arrivée chez moi par une belle matinée de Février. Je ne sais plus quel temps il faisait, en tout cas je suis sûr que c’était en février. Un dimanche. Ça je m’en souviens, parce qu’il y a cette église à côté de chez moi dont les cloches me réveillent à 10h, ce qui, je trouve, n’est pas une vie, ce qui, je trouve, est pire, par exemple, que de trimer 14h par jour dans une usine de composants électroniques de Shenzhen, Chine.
Le sommeil, bordel, c’est important !
Non ?
J’ai tout tenté pour qu’elle ne vienne pas s’incruster.
Je voyais les brindilles s’amonceler, l’une après l’autre. Dès que ça commençait à former un tas consistant, je les virais, hop, d’un coup de balai, net, propre et sans bavure.
Je ne voulais pas qu’on me refasse le coup de Marcelline.
Je m’étais fait avoir une fois, il ne fallait pas pousser le bouchon, je n’allais pas me faire couillonner une deuxième fois, non ?
Et donc, dimanche matin, je prends tranquille mon petit-déj dans la cuisine.
Pour info, d’ailleurs, si ça peut intéresser les millions de lecteurs de ce blog, je ne mange plus de Quaker Oats.
C’est fini.
Non, en fait ce n’est pas fini.
Disons que là, depuis quelques temps, je fais une pause.
Reculer pour mieux sauter.
Dimanche, première clope de la journée. À ma fenêtre. Trois brindilles. Ridicule.
Je ne vais pas passer le balai sur mon rebord de fenêtre (on ne peut pas exactement appeler ça un « balcon »…) pour trois brindilles, non ?
Brossage de dents, tranquille. Je reviens dans la cuisine me prendre un verre d’eau.
Et là, c’est le drame.
L’impression de m’être fait couillonner.
Il y a quelqu’un, là, ou quelque chose, une horrible petite chose sans cervelle et qui pue.
(Et je ne parle pas de moi.)
Une pigeonne.
Tranquille, pénarde, en train de fanfaronner sur les trois brindilles.
Elle me regarde, d’un air innocent, style « je n’ai rien fait, ce n’est pas moi ».
Elle me prend pour un pigeon, non ?
Je panique. Je pense à Greenpeace, ensuite je me dis qu’il n’y a qu’un rapport très lointain entre Greenpeace et ce que je veux penser, je pense donc à la WWF, à la SPA, à Brigitte Bardot.
Et pas dans ses années fastes.
J’ai envie de faire mon Rambo. Mon warrior. Mon Rambo Warrior. (d’où peut-être cette petite pensée pour Greenpeace).
Je pense à arrêter les jeux de mots pourris, ainsi que les feintes nulles sur les juifs, les noirs et les cathos.
Puis je pense tout simplement à empaler cette petite pigeonne de mes deux, à l’étrangler d’une main, à la noyer dans la cuvette des chiottes, à la dégommer au pistolet semi-automatique, à la griller au lance-flammes en faisant un cri comme « Rrrrrrrrrrrrrrhhhhhhhhhhhôôôôôôôôôaaargggggh ».
Après, je rangerais mon matos, puis, avec un peu de suie sur les mains et le visage, sentant un peu l’essence, je dirais un truc du genre « J’aime respirer l’odeur du napalm le matin ».
Clap de fin, générique, on prend une douche et on rentre au bercail.
Sauf que ça ne se passe pas comme ça.
C’est le fait de penser à Bardot. Ça m’a bloqué. Je suis resté là comme un con. « Un pigeon est un animal, tu es un animal » m’a glissé une petite voix dans ma tête, style condescendante, angélique, un peu coconne. La voix de la SNCF, non ?
Non.
Une voix qui sonne faux. La voix de la dame qui bassine tout le monde avec ses histoires de roulottes, de résurrection quand on t’a inscrit à l’insu de ton plein gré au catéchisme alors que toi, tu voulais simplement jouer au foot, non pas avec Bardot, mais avec tes potes.
Le peu que t’en as, il faut les conserver…
Alors je m’extasie devant ce pigeon : « Oh, il est mignon ! », comme Poelvoorde je deviens poète-poète (facile, celle là).
La petite voix me susurre : « Respect, paix et amour.
– Amen », je réponds.
Soudainement, Dieu m’a donné la foi dans le pigeon.
On va l’appeler Diya. « Petite lumière », en hindu.
Je suis trop balèze, pour accoucher de noms comme ça, tout d’un coup. N’hésitez pas à me demander pour votre gosse, faites moi confiance, si vous voulez qu’il passe une enfance pas trop malheureuse… parce qu’entre nous, c’est pire à l’adolescence.
Diya n’a que trois brindilles, elle vient d’arriver, mais elle s’installe. Pas de quoi en faire un lit. Le bourreau est en quête d’une rédemption mais il ne peut rien faire.
Et là, miracle, Marlowe arrive et dépose, une par une, des brindilles sur le rebord de la fenêtre. Diya les saisit et les dispose comme une chef. Une tradition millénaire, un peu comme les nanas qui s’amusent à faire des paniers en osier.
C’est peut-être con, un pigeon, mais ça sait faire un nid.
« Oh, il est mignon ! », je fais quand je vois Marlowe revenir avec une autre brindille.
Je vois une belle solidarité inter-pigeons, comme il n’en existe plus chez les humains.
La foi dans le pigeon.
Pourquoi Marlowe ? C’est une longue histoire… Le bourreau écoute Redemption Song de notre ami Bob (vous avez remarqué ? Bob est toujours notre ami), et il baptise Marlowe « Marlowe », une déformation de « Marley ».
Marlowe s’active à mort à amener tout un tas de brindilles pour que Diya fasse son nid. Le bourreau sait que l’accouchement est proche. Il veut immortaliser ça et va chercher son appareil photo numérique pourri dans le salon. Cette arnaque pourra bien faire une photo jolie, non ?
Non.
Je déboulonne dans la cuisine, le souffle court.
Mais c’est trop tard.
Diya a déjà accouché.
Je suis ému.
J’écoute Le Lac des Cygnes pour fêter ça.
Je pleure de joie.
Ma foi dans le pigeon est plus forte que tout.
Mais je sais au fond de moi que c’est maintenant que les emmerdes vont commencer.
Comme avec Marcelline.
L’an dernier, à la même époque, à peu près, Marcelline a débarqué. À l’époque, je l’ai laissée faire son nid. Au même endroit que Diya, d’ailleurs… ça doit être une place de choix.
Bref, Marcelline a fait son nid, elle a pondu deux œufs, les œufs ont éclos, et puis, je me souviens, c’était un jeudi, enfin à vendredi vers trois heures du matin, hop, un bruit assourdissant retentit dans la nuit.
Le lendemain, au réveil je constate que le nid est vide. Désespérément vide. Marcelline s’est cassée comme une voleuse, avec les deux gosses, et cette salope n’est plus jamais revenue, même pas pour me faire un petit coucou une fois de temps en temps.
Aucune gratitude. Par contre le nid, lui, est resté. Avec des coquilles d’œufs et de la merde partout. Et moi, comme un con, j’ai passé l’aspirateur dessus et j’ai tout dégueulassé.
Cette histoire n’est pas drôle et me traumatise encore aujourd’hui.
Là, je suis blindé, je sais que Diya, Marlowe et le petit ne sont pas amenés à rester. Je me prépare déjà psychologiquement à affronter leur départ, à coup d’anxiolytiques légers.
D’ailleurs, le petit, là, dans sa coquille bien au chaud contre les plumes de sa mère, comment on va l’appeler ?…
J’hésite entre « Pigeon », « John » et « No Name Yet ».
Lâchez vos comm’s pour choisir le nom du gosse !
Non ?
Non.
Très bien, hâte de lire un de tes romans tordus et plein de compassion envers le monde aha ou pas!
Bah, tu as participé au maintien d’un bon environnement.
Et la maison est bonne 🙂