Je m’assoie par terre dans un train bondé.
La bougie était allumée.
J’ai raté mon train, et celui-ci est bondé.
Bondé. Bombay. Paraphonie.
Bombay, désormais Mumbay. L’Inde. Ce train dans lequel je suis, assis le cul par terre, ça me fait penser à un train indien. Départ : Victoria Station. Destination : inconnue.
Le train est bondé comme un train indien, bousculades au départ, pas de place dans le wagons, mais d’après les grimaces qui se lisent sur les visages, on est bien en France.
Le train bondé, la SNCF c’est plus ce que c’était.
Comme quoi mon pays part vraiment en couille.
Ça pourrait être pire. Les dégâts de la privatisation des chemins de fer, j’ai pu les observer d’assez près. 2008, Pays de Galles. Un train qui menait jusqu’à un patelin paumé appelé Holyhead, le dernier train de la journée. Un train en ferraille, rouillé, qui vrombissait, craquait, crachait, des banquettes en bois, et en guise de chiottes, un trou, un simple trou dans le sol à travers lequel on voyait les broussailles sur les voies défiler.
Je suis assis par terre dans un train bondé, les jambes repliées. Des gens passent, pensant encore qu’ils pourront trouver un endroit où s’asseoir. Ils tirent de ces tronches !… À croire qu’ils ne sont pas heureux de vivre…
La foule rend les gens vaseux.
Je suis assis entre deux voitures. Devant moi, un vélo hissé au plafond. À côté, un gars lit un manga, et ses doigts, quand ils ne tournent pas les pages, s’emmèlent dans les poils de sa barbichette. Près de lui, un gars est recroquevillé, un yogi devant son ordinateur.
Lumières crues. Ciel vespéral qu’on ne voit pas, ou à peine, à la fenêtre des portes « donnant sur la voie ».
J’ai le cul en compote.
Pire qu’à dos de chameau.
Je ne sais pas. Le chameau, je n’ai jamais essayé.
Pire qu’à dos de vache, en tout cas.
Je suis monté sur une vache…
Un voyage pédagogique, je devais avoir 6 ou 7 ans, à la ferme. Dans l’étable, une question à la fermière : « Madame, on monte sur des cheveux, mais pourquoi on utilise pas les vaches ? » Forcément, cette question, il n’y avait que moi pour la poser.
– Tu veux essayer ? »
J’ai hoché la tête et je me suis retrouvé sur un dos dodu coloré de taches blanches et noires.
On n’utilise pas les vaches pour faire du cheval parce que ce n’est pas confortable. Ça, je l’ai compris maintenant.
Maintenant. Je suis accoudé à une barre d’acier. Mon dos supporte le dos d’un autre voyageur sans le sou, lui fait contrepoids, et vice-et-versa. Je ne sais pas si c’est un jeu, qui mène la danse, ou si c’est nécessaire. Si l’un de nos abandonne, l’autre s’affaisse. Il faut juste trouver un équilibre.
Je bloque le passage. Parfois, des gens viennent, des gens arrivent. Souvent sans dire pardon, parfois le portable collé à l’oreille, pour eux je n’existe pas. J’ai peur qu’ils me marchent dessus, si on m’écrase le pied, je suis foutu. Je suis foutu, quoiqu’il en soit.
J’ai raté mon train.
J’ai laissé mon bouquin sur un sac. Peut-être que je vais l’oublier là, consciencieusement. Il voyagera de train en train, de main en main, book-crossing improvisé.
Je me dis que les voyages en train, ça a toujours été source d’inspiration. La majeure partie de mes histoires, je ne les invente pas, elles viennent à moi, soit le matin, quand j’ai, comme tous ces gens, le regard vaseux, soit que je suis à bord de trains comme ça.
Sauf que là, j’ai mal au cul, monstrueusement.
Au plafond, je fixe un crochet, pour se pendre.
Ah non, pour accrocher les vélos.
Celui qui est près de moi, un vélo de compét’, vraiment chouette, « tuné », pas vraiment un Fixie, car il a un frein, mais un seul, à l’avant, un crâne en plastique sur la barre latérale, mode easy rider, cool, des années 2010, un autocollant plastifié glissé, coincé entre les jantes « Paris Chill Racing ».
Je me colle la tempe contre la barre d’acier, pour sentir sa froideur, pour ne pas m’endormir. Si on m’écrase le pied, je suis foutu.
Je rêve éveillé d’un wagon à bestiaux qui parcourt la rive sud du Mississippi. Je sens l’odeur du foin et de la bouse de vache. Je viens de traverser les voies tracées par les pionniers, je vais moi-aussi partir à la conquête de l’Ouest. Et, tant qu’on y est, des autres points cardinaux également.
Le bruit, mécanique, grandiose, arythmique. Déviant. Jazzy. Le bruit des rails qui sillonnent les grandes plaines.
Le vieux Neil me tend la main et tire mon bras pour que je puisse me hisser sur la plateforme.
Désolé, Old Man, de me lamenter. Mais j’ai mal au cul.
Je repense à toutes ces camionnettes, garées sur la parking derrière la gare. Hôtels de passe de fortune. Quand la bougie est allumée, ça veut dire que la voie est libre.
La bougie était allumée.
C’est pourri. blog pourri. c’est un peu pourri. je trouve que ton texte est pourri.
« Bombay, désormais Mumbay. »
-> comment t’ai cultivais toa !
« Quand la bougie est allumée, ça veut dire que la voie est libre.
La bougie était allumée. »
putain ! t’es un génie, je crois que j’ai compris : tu veux dire la voie est libre !
H C