Un morveux à Suben

Share Button

Gare de Suben

Dimanche 29/03/2015

07h – gare de Suben. Un simple arrêt. Pas de guichet, même pas de machine automatique. Je vais pas pouvoir acheter mon billet. Je vais frauder malgré moi.

Je me soulage sur un coin de l’arrêt. Mon nez coule abondamment – de froid. Je suis tout seul dans ce coin paumé, au trou du cul du monde. J’essaie de garder le moral et un peu d’énergie. Les oiseaux piaillent, et de loin – mais elles sont bien présentes – on entend les voitures. Moi je les entends depuis presque vingt-quatre heures et j’en ai ma claque.

Qu’est-ce qui m’a pris de faire ça ? Dans quelle merde je me suis encore foutu ?

Hier 22h30 à la station service Servus Europa je quitte ces Bulgares malchanceux dont la voiture est en panne. J’attends un peu devant mais je me les gèle. Faut dire que j’ai pas vraiment prévu de sortir des vêtements d’hiver – j’avais oublié qu’ici c’est pas le climat tempéré océanique du nord de la France, plutôt doux à cette période de l’année. Ici c’est la Mitteleuropa – climat continental et pour rien arranger montagnes tout autour. Je décide de faire un tour histoire de me réchauffer un peu. Je me traîne de nouveau sur le parking des camions – peut-être que je trouverai un avec une chambre frigorifique qui ira directement à Ljubljana ?

Ça me fait un peu flipper tout ça – je marche à travers les ombres des camions, dans la nuit, dans un endroit où personne sait où je suis. Et j’entends des bruits – mais j’arrive pas à déterminer ce que c’est. Et soudain, une porte de cabine s’ouvre, et voilà que sort… une naine.

Qu’est-ce qu’elle fout là ? Qu’est-ce qu’elle foutait là, dans la cabine, juste avant ? Elle a pas l’air trop habillée en tout cas, et elle a l’air d’avoir eu chaud. Et qui est-ce qui l’a suit ? Le chauffeur du camion. Il me sort « Désolé mon gars, on passe bien par Ljubljana, mais on part avant demain 22 heures. »

Ce à quoi la dame ajoute : « Tu veux rester ici pour la nuit ?

– Non, merci. » je réponds.

Et je décampe vite fait.

Je reviens dare-dare à mon poste. J’engraine les heures comme ça – à stationner dehors et à rentrer parfois à l’intérieur pour me réchauffer. Je vais de plus en plus activement vers les gens, pour leur préciser mon trajet : « ma pancarte n’indique que « Ljubljana – Slovenija » mais je passe aussi par Salzburg, Graz, Klagenfurt – où vous voulez. »

Je me fais accoster par un gars – un Roumain, conducteur d’une camionnette bleue qui s’arrête mettre de l’essence. Il ouvre la portière du véhicule – sans fenêtre – et je compte pas le nombre de personnes qui en sortent. Ils doivent être entassés là-dedans comme du bétail presque. Et le gars regarde ma pancarte et me dit – ou plutôt il me fait comprendre : « Tu veux monter avec nous ? On peut passer par Ljubljana… »

Genre il ferait un détour juste pour moi…

Même si je suis au bout du rouleau, c’est mort ! Pour rien au monde je veux monter dans cette cage à lapins roulante. Et ça sent mauvais – tout – lui, la situation… C’est quoi tout ce trafic ? Tiraillé par la fatigue, je me mets à psychoter grave.

Vers trois heures du matin j’aborde un gars de Slovénie. Il me dit d’attendre, dehors dans le froid de la nuit. Il rentre dans la station-service, je l’observe depuis le seuil. Puis il revient à sa caisse, la fait démarrer. Je capte pas pourquoi il me fait pas monter dans sa bagnole mais à cette heure là de la nuit, dans mon état et avec cet espoir qui jaillit en moi je me pose pas vraiment de questions. Le Slovène quitte la station-service en roulant au pas. Moi je cours derrière lui comme un débile avec tout mon barda. Il gare sa voiture au fond du parking – là où il fait sombre, tout près de la voie qui mène à l’autoroute – alors qu’il y a de la place ailleurs – partout, en quantité. J’aime pas beaucoup ça, je la sens déjà mal cette histoire. Puis le gars sort de sa caisse, me dit de le suivre, et remonte dans sa voiture. Je cours plus vite, comme un dératé – je lâche presque mes affaires sur le bitume. Enfin, quand j’arrive à même pas dix mètres de sa voiture soudainement il pousse un coup d’accélérateur et fonce sur l’autoroute dans la nuit…

Ça termine de m’achever. Je suis immobilisé, frigorifié – je viens de courir à en perdre haleine et dans cette nuit glaciale germano-autrichienne je crache mes poumons.

Je rentre dans la station service – sonné par ce qu’il vient de se passer et j’ai plus d’énergie.

Je m’assoupis sur une table vers 3h15.

Je me réveille trente minutes plus tard, complètement sonné et abruti par les néons sanglants. Tellement sonné tellement abruti que je sais même pas si tous les épisodes de poisse internationale que je viens de vous raconter se sont vraiment passés ou si c’était rien que des histoires – ou des souverêves ?

Dans mes oreilles le bourdonnement de la route, des voitures. Je sors – j’espère que me prendre une bonne rafale de vent glacial dans la gueule va me réveiller. Et je retourne à mon démarchage de chauffeurs. Mais personne peut me conduire jusqu’à Ljubljana, personne veut me prendre en lift, m’avancer un peu. Mentalement, ça commence à être très dur. Derrière moi, dans le courant d’air relativement chaud de la station-service, j’entends une nouvelle fois Take me to the Church.

Il s’est passé douze heures à peine depuis la première fois que je l’ai entendue cette chanson dans la bagnole de Dan – et j’ai l’impression que depuis la chance et mon mojo m’ont quitté.

Les heures passent encore. Un bus s’arrête. Il va jusqu’à Sarajevo mais – d’ailleurs malgré les efforts d’un passager pour convaincre le chauffeur – pas de place pas de place pas de place. Et le fait qu’il soit 6h30 et que le jour commence à pointer le bout de son nez arrange pas les choses.

Dans ma malchance j’ai une chance que l’aire d’autoroute offre une petite route vers le village voisin – Suben – et dans la station-service heureusement sur mon smartphone j’ai le wifi – faut juste que je fasse gaffe à la batterie. Je peux checker les horaires de trains sur le site des chemins de fer autrichiens.

Il y a bien une gare à Suben – et je pourrai arriver à Ljubljana cet aprèm et tant pis pour le stop. Ça a jamais été une fin en soi. Enfin pas pour ce séjour là. C’est plus « Peu importe la destination, l’essentiel c’est la route. » Et de toute façon, Camille est pas là. Camille est plus là.

07h – gare de Suben. Un simple arrêt. Mon nez coule abondamment. Le train s’arrête et m’aspire à l’intérieur.

07h – gare de Suben. J’ai laissé le rêve derrière moi. J’ai abandonné. Échoué. Camille, le défi à la con, tout ça – m’en branle. Là tout ce que je veux c’est me réchauffer et qu’on me foute la paix.

Et je me fous plein de morve partout.

à suivre…

« Draussen » – nuit, pluie, froid

Share Button

Je débarque à l’aire d’autoroute « Servus Europa » vers 19h. Dan me dépose puis il reprend sa route, direction Vienne, destination Constanța. C’était chouette ce lift avec lui –

Dan, sacré pépère. Je me demande si je le reverrai un jour – d’autant plus qu’on s’est pas échangé nos numéros de téléphone, nos adresses ou quoique ce soit.

L’aire d’autoroute est gigantesque. Ça se voit qu’on est à la frontière – une zone de passage, de transit importante – mais aussi une zone où les véhicules sont plus amenés à s’arrêter pour faire une pause – histoire de marquer le coup en franchissant les limites d’un territoire vers un autre pays.

J’ai de la chance tout va bien – ce sera sans doute facile pour me trouver un autre lift – peut-être même direct jusqu’à Ljubljana.

Et il n’est que 19h ! J’ai le teeemps, je suis laaarge ! Je vais largement gagner mon défi et mon pari avec Camille. Si la chance me sourit, je serai même à Ljubljana avant minuit – il ne reste que 450km je pense. Ça le ferait, non, de pouvoir boire une pinte de bière slovène dès cette nuit ?

J’en ai les yeux qui pétillent.

Je déboule dans le magasin de la station-service – d’humeur joyeuse, quasiment en sifflotant – histoire justement de prendre une bière. Je peux me le permettre, je peux déjà bien fêter toutes les avancées que j’ai accomplies aujourd’hui. Une bière c’est pas bien sérieux quand on est dans l’action – rien est encore gagné – je vais me prendre un café finalement.

La meuf à la caisse est aimable comme une porte de prison. « Draussen ! » elle me fait.

 

Elle pense que je veux vendre quelque chose avec ma pancarte. Elle veut pas que j’importune les gens.

Moi je veux juste souffler un peu, faire une pause. OK, je commence à comprendre la mentalité ici… Elle m’a regardé comme si j’étais nuisible. Du moins c’est ce que j’ai ressenti.

Peut-être qu’en réalité elle est frustrée, elle aimerait faire ce que je fais mais elle ose pas du coup elle s’énerve contre les gens de mon espèce et de ma trempe.

Servus Europa

Je peux réduire ma pancarte – retirer tous ces noms de villes que j’ai déjà traversées. Et je commence à faire le piquet devant.

Comme je le disais juste à l’instant, l’aire d’autoroute est grande, et j’ai des chances de trouver un lift assez rapidement – mais les voitures vont toutes en Hongrie, en Roumanie, voire en Bulgarie. À l’Est – pas vers le Sud.

Je me dis que c’est parce que Dan a traversé la frontière trop à l’Est pour moi, pour la direction que je veux prendre.

« Pourquoi tu n’essaies pas avec les camions ? » un gars me dit.

Il est 21h – arriver avant minuit à Ljubljana me paraît désormais clairement impossible – mais j’y comptais pas trop de toute façon. Par contre, ça fait deux heures que je suis sur cette aire d’autoroute en plus l’ambiance est pas trop funky et je vous avoue que je commence à le sentir mal.

le coin des camions

Je fais le tour du côté du parking de ces carcasses endormies – parce que j’ai rien à perdre.

J’apprends par l’un des conducteurs qui sort juste de sa cabine que les camions n’ont le droit de partir que demain – dimanche – à partir de 22h – sauf ceux qui disposent d’une chambre réfrigérante.

Je retourne brecouille à mon poste devant la station service.

Je fume la clope que Mélanie m’a filée. Mais je la savoure même pas. C’est pas qu’elle s’est toute rabougrie dans mes poches. C’est juste qu’elle m’écœure, j’arrive pas à la finir. Les voitures se font de moins en moins présentes, néanmoins elles sont jamais rares. Sauf que c’est toujours la même rengaine : « Romania, Hungary – no Slovenia. »

Qu’est-ce qui m’a pris de faire ça ? Dans quelle merde je me suis encore foutu ?

La nuit tombe. La pluie tombe. Le froid tombe. La pluie, le vent, le froid – je désespère.

À l’intérieur de la station je m’abrite – mais je ne dois pas lever ma pancarte – comme si c’était un signe ostentatoire de ma liberté de vaurien que je ne devais montrer sous aucun prétexte.

Il doit être 22h, 23h maintenant. Je me réchauffe un peu. Je m’achète des cookies et du lait – c’’est hors de prix mais je m’en tape – je bouffe de tout mon saoul. J’en propose à un couple Bulgare qui est bloqué ici car leur voiture est en panne. Ils semblent vouloir qu’on taille buvette mais au bout d’un moment je dois couper court à la conversation – faut que j’avance, moi, et je suis peut-être en train de laisser des opportunités.

Tu parles, Charles… Toujours personne.

En tout cas – si ça peut me rassurer – je remarque que quand tu penses être dans la merde il y en a qui le sont dix mille fois plus que toi – ce petit couple Bulgare qui désespère d’être sauvé.

ombre et pancarte

Et dehors les températures chutent, comme ces flocons de neige parfois qui tiennent pas.

Sacré Pépère

Share Button

Fanfare de klaxon.

Je me réveille en sursaut et le temps que j’émerge de ma sieste Dan me dit : « Désolé Ben, il y avait des enfants sur le pont qu’on vient de traverser. »

La voiture de Dan est en train de filer entre Francfort et Munich – il est 16h30 et je crois avoir dormi une bonne trentaine de minutes – et en plus de ça le soleil perce depuis quelque temps.

J’ai de la chance tout va bien.

Dan – sacré pépère.

Quand nos regards se sont croisés sur l’aire d’autoroute de Spy il était même pas midi. Dan était en train de gonfler ses pneus. Il a regardé ma pancarte et il a fait : « Je vais pas jusqu’au Luxembourg moi, mais je passe par Munich.

– C’est génial ! » Je me suis exclamé. « Ma destination c’est Ljubljana – les autres villes qui figurent sur la pancarte, c’est juste à titre indicatif. Plus je me rapproche de Ljubljana, mieux c’est ! »

Et c’est comme ça que j’ai embarqué dans la bagnole de Dan – une Volkswagen Passat blanche crade, il y a un vélo sur la plage arrière.

Dan me raconte : « Je l’ai eu à Mons, c’est pour ça que je suis là. Je le ramène chez moi – en Roumanie.

– Super !

– Ouais. J’ai une ferme là-bas. Je veux me lancer dans l’agriculture bio.

– C’est un chouette projet. Je connais pas la Roumanie. J’aimerais beaucoup y aller.

– Oui c’est un beau pays. » Dan me dit.

« Mon rêve, ce serait de suivre – en vélo – toute la rive du Danube, de sa source en Forêt Noire jusqu’à son Delta en Roumanie.

– Ah ouais ?

– Oui. Imagine tous les endroits que le Danube traverse, rassemble, sépare. J’ai déjà eu la chance de voir les sources du Danube. Je me suis baigné tout nu à Vienne, au niveau des Donauinseln, je suis allé à Bratislava, à Budapest. J’aimerais bien voir Belgrade, et Bucarest. En vélo – plus de trois mille kilomètres. Pour l’instant c’est un rêve, mais un jour je le ferai vraiment. »

La Passat filait vers Liège, Aachen, Köln, Frankfurt – et je ne voyais pas le temps passer.

Avec Dan on a discuté de plein de choses – de la ferme, de ses poulets, de ses autruches, de là d’où on vient, de nos voyages – par exemple, de ses séjours en Crète et de la meilleure saison pour y aller.

Dan – sacré pépère.

Dan vient de mettre la radio plus fort. Cette chanson. Puis celle-la. Je savoure chaque instant de cette virée en voiture.

Je reçois un SMS de Mélanie : « Tu t’en es sorti ? » Si tu savais ! Ça va au-delà de mes pronostics les plus optimistes. J’ai de la chance tout va bien – peut-être même que j’arriverai à destination dès ce soir.

On finit par s’arrêter – tant mieux parce que ma vessie est pleine. L’aire d’autoroute, c’est même pas une station service – rien d’autre qu’un parking avec juste quelques places – et pas un chat.

Je le regarde en haussant les sourcils. « Here we can make free pipi ! » Of course… Dan se soulage bien comme il faut – j’en profite aussi. Puis il me fait « Can you help me ?

– Yes, sure ! For what ? »

Il prend des trucs dans le coffre. Des bidons et une bouteille d’eau découpée de telle sorte à ce que ça ressemble à un entonnoir. Puis on verse de l’essence dans le réservoir. C’est de l’essence volée fournie par les conducteurs de camion, à moitié prix. En fait d’après ce que j’ai compris les conducteurs de camion disposent d’un forfait essence, payé par leur boîte. Mais pour quelques litres de plus ou de moins, les patrons sont pas regardants. Ça leur permet de revendre des litres et des litres d’essence et de s’arrondir leurs fins de mois.

La trappe à essence de la voiture de Dan

On remonte dans la voiture. Mes mains sentent un peu l’essence et j’ai du mal à déterminer si j’aime ou pas cette odeur.

On parle de plein de trucs – et c’est tant mieux parce qu’on est en train de faire sept cents kilomètres ensemble et c’est plus agréable de faire ça en se faisant la conversation.

Dan : « Tu sais, Dracula, il a vraiment existé.

– Ah bon ?

– Oui… Contrairement à ce que la légende raconte, c’était quelqu’un de très correct, pas du tout un vampire. »

Dan – sacré pépère.

On roule, on roule – et au bout d’un moment je m’aperçois qu’on s’est trompé de route. Enfin, non. En fait, on suit une autre route que celle que j’avais prévue, on a pris celle qui allait vers Linz – un peu plus au Nord, plus à l’Est – et ça m’arrange peut-être, car c’est l’autoroute. J’ai envie de suivre Dan jusqu’à Vienne – pour revoir la ville, pour m’y perdre cette nuit – qui sait ? – mais si je fais ça je vais m’éloigner encore plus de ma destination. Et je vais sans doute avoir du mal à me lever demain, et à sortir de ville. Car comme je le dis, le plus dur avec l’auto-stop, c’est de sortir de la ville et d’y rentrer.

Dan me dit qu’il y a des montagnes en Roumanie, et des monuments mégalithiques un peu comme à Stonehenge – et c’est pas un hasard, il y a un lien entre les deux – il DOIT y avoir un lien – obligé ! Et il me raconte d’étranges disparitions aux alentours… et toutes ces légendes et j’en ai des étoiles dans les yeux – un jour j’irai en Roumanie ! – Yallah – Un jour j’irai partout !

 

À suivre…

Un nouveau départ

Share Button

« Ça faisait longtemps, pas vrai ? »

Mélanie me dit.

« Ouais… » je réponds en regardant au loin, vers l’autoroute – et je repense à la dernière fois que j’ai levé le pouce – avril 2014 – un an tout pile – pour aller jusqu’à Lódz. À l’époque j’avais bourlingué jusqu’à Poznan et là-bas j’avais renoncé et j’avais pris un bus pour faire le reste de la route. À l’époque aussi je m’étais juré que ce serait la dernière fois – que je ressentais plus le besoin de faire du stop et que j’avais évolué, que je cherchais une vie plus stable.

Mais janvier 2015 le rêve m’a happé – LJUBLJANA écrit au feutre sur une pancarte – et me voilà maintenant teraz jest teraz début du printemps 2015 sur cette aire d’autoroute en Belgique – la plus proche de Lille, tout près de la frontière – c’est là que Mélanie me dépose – et l’expérience du bitume va enfin pouvoir de nouveau commencer.

la pancarte

Il est à peine 9h du mat’ – je récupère dans le coffre ma pancarte et mon sac de bidasse – comme elle dit. Mélanie me file la clope qu’elle vient de rouler en cadeau « Tu l’allumeras devant l’église rose en pensant à moi, d’accord ? » – elle m’embrasse ses yeux me souhaitent bonne chance et sa Peugeot 106 vert forêt – toute défoncée, rétro cassé – repart en klaxonnant joyeusement.

Et ça fait chaud au cœur – elle croit en moi.

Je suis content que Mélanie m’ait accompagné jusque là. Sauf hasard ce sera le dernier visage connu que je croiserai avant mon retour.

aire d’autoroute de Froyennes

aire d’autoroute de Froyennes

Je repense à ces derniers jours. Les préparatifs – la route à checker, la pancarte à élaborer. Et ce mélange d’excitation de hâte et d’angoisse. Pour le coup je dois avouer que l’excitation était en berne – c’était plutôt l’angoisse qui prédominait – et cette question : « Est-ce que je vais y arriver ? »

Je me suis persuadé que si j’allais là-bas, c’était pour y trouver quelque chose. Je vais transformer ce voyage presqu’en quête mystique.

Pourquoi pas ?

Car ce rêve de janvier, ce serait pas un signe ? Mais pour quoi ? Qu’est-ce que je cherche ?

Je suis lancé maintenant – livré à moi-même, je peux pas faire demi-tour. Je soupire. 1450Km jusqu’à Ljubljana. « Yalla ! » Camille dirait.

Camille… – avec elle j’ai fait le pari – stupide évidemment – d’arriver là-bas avant midi demain. Ça va être chaud mais pourquoi pas. Et je me souviens même pas de ce que je gagne si j’y arrive. Rien, probablement. Et Camille est pas là et Mélanie est partie et me voilà seul face à mon destin.

Quel rêve de merde…

Je me poste devant la station service. J’observe mon environnement. Je dois reprendre l’habitude – réapprendre à suivre les règles de l’auto-stop. Un an sans – je crois que je suis rouillé. Rester le dos bien droit, fier et vaillant. Faire signe à tous les gens que je croise et qui entrent et qui sortent.

J’ai de la chance tout va bien il fait assez beau. Enfin il pleut pas, il fait pas trop gris, pas trop froid.

Je rentre dans la boutique de la station-service. Je passe sous le portique pour pisser pour économiser 50cts. Il y a pas de petites économies.

Puis je me re-poste dehors. Un gars qui me voit lever le pouce vient vers moi et me dit :

« J’ai lu quelque part qu’un supporter du Racing Club de Lens a suivi deux cents matchs en stop. »

En rigolant je lance : « Eh ben il a intérêt à arriver à l’heure au stade ! »

Je me perds un peu dans mes pensées. Je fais le tour du parking des camions – nada. Mais c’est pas alarmant. C’est surtout la patience que je suis en train d’appréhender à nouveau. Le lâcher prise. Ça fait du bien et je reprends du poil de la bête.

Yalla !

Je reviens devant la station service et là – à 9h20 – un couple me propose un lift jusqu’à Namur – dans un minibus Mercedes.

J’ai de la chance tout va bien.

Et tout va encore mieux quand je fais la connaissance de Koen et Geertje. Dans le minibus ils m’expliquent avec un charmant accent flamand : « On vient de Gand. Ce week-end on a laissé les enfants chez leurs grands-parents à Courtrai, et on va retaper la maison qu’on a trouvée dans les Ardennes Belges. »

On parle de Gand, de Mons, de Bruges. Je suis aux anges – des échanges comme ça avec des gens que tu connais pas – le genre de trucs qui te redonnent foi en l’Humanité.

Et puis le jeune couple me raconte leurs randos, leurs trekkings en Slovénie. « On connaît bien ! On y est allé plusieurs fois. C’est pour ça – on a vu ta pancarte alors on s’est dit qu’on pouvait s’échanger quelques tuyaux.

– … Moi je connais pas du tout. Disons que j’y vais un peu à l’arrache. »

[Pas évident de dire « à l’arrache » en anglais…]

Et je leur dis pour la vision de la pancarte LJUBLJANA.

Sans sourciller ils me filent plein d’infos sur les endroits où aller – le lac Bled par exemple, ou Kranjska Gora – et vers 10h30 des idées de randos slovènes plein la tête ils me déposent sur l’aire de Spy – près de Namur – que je connais bien.

aire d’autoroute de Spy

aire d’autoroute de Spy

aire d’autoroute de Spy

De nouveau je me mets en mode « recherche de chauffeur ». L’aire d’autoroute est assez grande – je fais le tour des différents parkings en montrant ma pancarte. Le ciel s’est couvert et il pluvine un peu – mais rien de bien méchant – rien qui puisse niquer mon enthousiasme.

En revenant vers mon abri devant la station service j’ai de la chance tout va bien – je croise le regard de Dan.

 

à suivre…

Mon prochain voyage

Share Button

Début 2015 – à peine remis du nouvel an, un soir – ou une nuit, comme vous voulez… – avant de tomber dans les bras de Morphée j’erre et je pagaie pénard dans mon lit king-size. Je me dis que ça fait un bail que j’ai pas pris de vacances. Des vraies vacances, je veux dire, ce qui veut dire partir loin – si possible à l’étranger – quitter la routine du quotidien et vagabonder dans les ailleurs aux sonorités différentes.

Bon, d’accord… C’est pas que je commence à tourner en rond, hein, mais… Où aller ? En plus les nuits sont longues, il fait froid – moi j’ai besoin de SOLEIL ! – Histoire de me rafraîchir les idées… Et si je partais, disons en février, disons dans le sud de l’Espagne ? L’Andalousie !

Arf, j’imagine déjà Cordou, Grenade, l’Alhambra – et les doux rayons du soleil qui tapent sur ma peau… – car j’imagine que le soleil pointe le bout de son nez, là-bas, hiver ou pas, contrairement à ce qui s’est passé dans ce putain de désert où je me suis retrouvé, gelé de la tête aux pieds, avec les vêtements d’été que j’avais emportés parce que j’avais cru bien faire.

Et je m’endors, enthousiaste à mort.

Le jour d’après le réveil sonne, j’ouvre les yeux – et alors que mes paupières sont à demi-ouvertes – ou encore à demi-closes, comme vous voulez – une vision m’apparaît. Une vision – un peu comme celle que j’ai eue avec mon ukulélé. Une vision – juste un nom, en neuf lettres majuscules : LJUBLJANA.

Ljubljana, une vision… – il en faut pas beaucoup plus pour me dire que c’est là que le destin veut que je vienne passer mes prochaines vacances.

Ljubljana – la « Petite Venise » : pourquoi ce nom, cette ville m’apparaissent et résonnent en moi de bon matin ? C’est vrai qu’il y a quelques mois, j’ai accueilli chez moi deux nanas, des Slovènes, pendant deux nuits – bien sympa au demeurant – elles m’ont parlé de Ljubljana, bien sûr, elles m’ont parlé de ses charmes et de la nature environnante – mais à part ça, j’ai strictement AUCUNE IDÉE de la raison pour laquelle cette ville m’apparaît en flash ce matin là.

C’est écrit, c’est tout.

Le soir même au café je bois un verre pénard avec Camille. Les voyages, ça nous connaît, avec nos 4000 Km parcourus en stop ! Je lui expose tout de go mon idée de partir pour la Slovénie et de visiter sans savoir trop pourquoi Ljubljana. « Ah c’est super », elle me fait, « tu pourras prendre un vol direct et passer un gros week-end là-bas ! »

Ouais, ouais, c’est super, mais moi, un gros week-end ça suffit pas, j’ai besoin de partir une semaine minimum. Je sais que la ville en elle-même, elle est pas trop grande et deux trois jours suffisent pour y faire le tour et bien l’explorer.

Et là tout s’enchaîne dans ma tête – comme si c’était écrit : les lettres du mot Ljubljana qui sont apparues devant mes yeux matinaux, le fait d’être assis avec Camille, avec qui j’ai partagé tant de lifts…

Ljubljana, c’est en AUTO-STOP que je vais y aller.

L’année dernière, j’étais pourtant parti en stop à Łódź en me disant sincèrement que ce serait ma dernière fois, que je m’étais prouvé ce que j’avais à me prouver, que j’avais désormais tourné la page et qu’il était temps que je passe à autre chose.

Mais à chaque fois que je suis en voiture sur l’autoroute, quand ma tête est collée au carreau embué et que je contemple les paysages qui défilent, ou dès que je passe à côté d’une aire d’autoroute, je peux pas m’empêcher de me souvenir de tout ça, de la route, et je ressens comme un appel.

C’est pas fini.

Alors que je discute avec Camille, cet enchaînement se fait très vite dans mon esprit – bien plus vite que le temps qu’il vous a fallu pour lire les trois derniers paragraphes – ça fuse dans tous les sens, mais l’idée de l’auto-stop est lancée comme une évidence, comme si c’était prévu depuis le début.

Le pire, c’est qu’à l’instant où j’en parle à Camille, je sais même pas la distance qui me sépare de Ljubljana, ni quel chemin prendre pour y arriver.

La réponse à cette question, je l’ai quand je rentre chez moi et que je squatte fiévreusement Google Maps. 1400 Km, même pas. Du gâteau après Łódź. En plus, aucune ville m’intéresse sur le trajet. Une fois que je serai lancé sur l’autoroute, j’irai gaiement de station-service en station-service, et ce sera relativement facile d’accoster les véhicules pour demander à leur conducteur/conductrice s’il/si elle accepte un lift. Car, comme tout auto-stoppeur le sait – ou le découvre, les deux trucs les plus difficiles en stop, c’est 1) sortir d’une ville, et 2) rentrer dans une ville.

Bref, je pense qu’il faudra compter deux jours pour y aller.

Pour des tas de raisons, je dois décaler mes congés. Moi qui pensais prendre une semaine en février pour aller profiter d’un temps clément en Europe du Sud, j’ai finalement la possibilité de partir la première semaine d’avril – et ça m’arrange doublement : les jours rallongent de plus en plus, et il fera de moins en moins froid. Traduire: lever le pouce sera plus facile, et je serai visible plus longtemps.

Les jours passent, et j’imagine la pancarte que je vais fabriquer pour le trajet. Est-ce que je vais faire la liste de tous les endroits par lesquels je vais passer pour atteindre Ljubljana – comme j’avais fait pour Łódź – ou est-ce que je vais seulement afficher SLOVENIJA – LJUBLJANA et ensuite, advienne que pourra et vogue, vogue la galère ?

Il y a quelques jours je discute avec un collègue – je lui raconte mes plans pour Ljubljana – car forcément, plus les jours passent, et plus je suis fébrile à l’approche du départ. Je m’aperçois alors que même si j’y arrive en stop, je passerai là-bas beaucoup plus de temps que les deux trois jours qui seraient selon moi nécessaires pour visiter la ville. Ok, je peux bien sûr explorer Ljubljana en profondeur, aller dans les faubourgs, dans la campagne ou dans la forêt slovènes – et en profiter un peu aussi pour me reposer. Mais je peux aussi – pourquoi pas soyons fous ! – pousser le stop plus loin… 600 Km plus au sud – Jusqu’à SARAJEVO !

J’ai toujours rêvé de poser le pied à Sarajevo. Me demandez pas pourquoi… Simplement, pour moi il y a deux villes en Europe qui symbolisent le XXème ciel : Berlin et Sarajevo. Ces deux villes ont connu la folie et l’horreur des hommes, tous les courants, tous les tourments. Elles ont été bousculées, tiraillées, défigurées, mais aussi unies… l’Europe…

Berlin, j’y suis déjà allé quelques fois.

Alors ce sera Sarajevo.

En passant par Ljubljana.

En auto-stop.

On verra bien.

Le fix

Share Button

Le bras est long et blanc.

Les veines sont visibles et jaillissantes.

Le poing est fermé.

Où est le garrot, bordel ?

Un beau jour

tenter d’ouvrir les yeux

affronter la vie

comme ils disent.

Se traîner,

y arriver tant bien que mal

jusqu’au jour où

tout retombe

en un silence fracassant.

Bras : long, blanc.

Veines : visibles, jaillissantes.

Poing : fermé.

Garrot ? Bordel !

Non, c’est pas ce putain de disque

que tu m’as filé

pour me remonter le moral

comme ils disent

qui va y changer quoique ce soit.

Ils chantent ils braillent

ils popent ils synthétisent

mais c’est toujours la même chose au final

tout retombe

en un silence fracassant..

Fix fix fix

Fix

et là c’est la fête foraine

les lumières éjaculées

un crépuscule stellaire

un générique de blockbuster

où il y a que ton nom d’affiché

Entre- ouvre les possibles

et cramponne toi

comme ils disent.

Cramponne moi

avant la nouvelle chute

car

tout retombe

en un silence fracassant.

Bachelorette – Acte III

Share Button

Pause – Rewind – Play – Record.

Bond en avant.

Printemps 2001 – Berlin

J’ai 13 ans et je suis amoureux.

Parmi le groupe de collégiens qui participe à l’échange scolaire

il y a une fille

aux cheveux courts

aux teintes cuivrées

élancée comme une gymnaste

et son visage mutin se penche sur moi

quand je me mets à dessiner.

Elle s’intéresse à mes dessins, à mes histoires.

Elle s’intéresse à ce que je fais.

Vraiment.

Elle s’intéresse à ce que je suis aussi.

J’ai 13 ans et j’ai l’impression

que pour la deuxième fois

on me prend pour ce que je suis vraiment.

Je commence à m’ouvrir au monde –

cette fille, le monde, elle l’a déjà parcouru dans tous les sens –

conçue à Tokyo, née à Hong-Kong, pouponnée à Moscou élevée à Mexico –

maintenant elle voudrait bien souffler –

se poser un peu.

Peut-être qu’elle pourrait poser ses lèvres sur les miennes ?

Pendant les vacances elle part à New-York

Le manque agrippe et m’accable

le manque d’elle.

Je dessine de plus belle

pour éviter de penser à ça

pour terminer l’histoire quand elle rentrera.

Quand elle revient enfin

elle me serre dans ses bras

et elle me rend réel.

Je lui montre mes dessins

elle veut savoir ce qui est derrière.

On passe toutes nos journées ensemble

mes plus belles vacances.

Je suis une fontaine de sang

chaud quand elle est à mes côtés.

On va à la bibliothèque, elle trouve le CD

de Björk – Homogenic.

Quand on revient chez elle, dans sa chambre

pendant que ses parents s’engueulent

on l’écoute, allongés sur les tapis ombragés

dans cet après-midi d’été.

En boucle.

Piste 4 – Bachelorette – 5’12

Rewind – Repeat – Play

Elle sait pas ce que cette chanson représente déjà pour moi.

Elle sait pas ce qui se trame –

Les souvenirs se superposent

aux souvenirs.

Rewind – Repeat – Play

Nulle Part Ailleurs, Arthur et maintenant cette après-midi d’été.

Cette ultime après-midi d’été qui reste gravée dans ma mémoire.

Peut-être qu’elle sait, en fait…

Quelques jours, quelques nuits électriques plus tard

Elle me dit : « Tiens, j’ai trouvé un livre

dans mon jardin.

Un livre mais les pages sont blanches

Elles se rempliront elles-mêmes,

je te fais confiance,

et comme ça je pourrai les lire

à mon retour. »

Elle m’annonce qu’elle va partir

avec sa mère en Afrique.

Peut-être qu’elle reviendra – d’ici quelques années.

Maintenant elle aurait bien voulu souffler –

se poser un peu

mais c’est pas possible. Pas encore.

Rewind – Repeat – Play

Depuis quand tu sais que tu vas partir ?

Depuis avant qu’on ait fait connaissance.

Et… Comment dire… Je suppose que

c’est pour ça qu’on a pas fait plus amplement connaissance ?

Ouais… Je pouvais pas.

Je pouvais pas te laisser comme ça.

Je voulais te connaître – vraiment –

mais je pouvais pas être plus proche de toi.

Ça aurait été un choc terrible pour toi.

Qu’est-ce que t’en sais ?

Oublie pas,

prends le livre –

laisse les pages blanches se remplir.

Laisse moi – reviens ce soir.

Dis moi c’est quand ce soir ?

C’est… un jour, peut-être

si ce jour viendra.

Dis moi c’est quand que tu reviens ?

Bachelorette – Acte II

Share Button

Pause – Rewind – Play – Record.

Quelques mois plus tard.

J’ai toujours 10 ans

Dans ma tête j’ai toujours 10 ans

et un pote de mon frère aîné sonne à la porte.

Ce jour là, faut pas me faire chier

et ce mec s’apprête à me prendre mon frère

jouer avec lui

ou fumer des pétards

alors que moi je suis là

moi j’existe

moi je suis une fontaine de sang

une fontaine d’amours inassouvies et de sanglots ténébreux

et ce mec s’apprête à me prendre mon frère

mais heureusement, mon frère est en train de se préparer

et c’est moi qui me trouve derrière la porte –

c’est moi qui lui ouvre

au mec

lui 1m80

moi haut comme trois pommes

je le toise du regard

les sourcils froncés

comme les méchants dans Dragon Ball Z

encore une émission TV pour laquelle mes frères se chamaillent

et il comprend que je vais pas le laisser faire

JE VAIS PAS LE LAISSER ME PRENDRE MON FRÈRE.

Je claque la porte.

Mon frère déboule dans le couloir d’entrée

il comprend qu’il vient de se passer quelque chose

il me foudroie des yeux

genre ce soir je suis mort

et il ouvre à son pote en s’excusant.

Ce soir je suis mort

mais je m’en fous

je reste là dans le couloir

ce mec, ce barbare grunge

à le toiser du regard.

Alors son 1m80 se penche sur moi

et ce mec il me sourit :

« C’est toi le benjamin de la famille ? »

C’est moi même, mec, et si t’as un problème

je te coupe ta race en deux

Capisce ?

Le mec s’apprète à me prendre mon frère

comme ça, impunément

et il me sourit toujours :

« Tu sais, je sais ce que ça fait »,

il me dit

façon confessions intimes

« je suis aussi le dernier de ma famille. »

Mmm le dernier de la famille

alors que ce mec il a l’âge de mon frère ?

WTF il se fout de ma gueule ?

Mais je t’avais prévenu dans le texte précédent

j’ai 10 ans et je suis un peu con

et j’imagine que les derniers de la famille

ils ont tous plus ou moins 10 ans.

Le mec se mord la lèvre

et continue :

« Aujourd’hui je vais pas te prendre ton frère.

Enfin, si, mais je t’embarque avec nous.

– Quoi ?

– Je crois que t’as compris ce que je veux dire, bonhomme.

Vas voir tes darrons pour avoir leur permission. »

Une fois que j’ai PAS demandé

leur permission à mes darrons –

inutile de les déranger… –

je rejoins ce mec – Arthur

et mon frère qui m’attendent dans la rue.

Arthur et moi on a la pêche,

le sourire jusqu’aux oreilles

Y’a que mon frère, on dirait

qui fait la gueule.

Peut-être que si j’étais moins con je comprendrais pourquoi…

Je suis une fontaine de sang

chaud

bouillant

apaisé.

On déboule chez Arthur

Il me présente à ses darrons

comme il dit.

Pendant ce temps d’autres potes à lui déboulent

les uns après les autres.

La maman d’Arthur a fait des crêpes pour le goûter.

Le papa d’Arthur me montre ses maquettes de voiliers.

Il en possède un vrai, je te jure –

et bientôt, quand Arthur rentrera à l’université,

et quand sa maman sera aussi à la retraite,

ils partiront à deux

un second voyage de noces

faire le tour du monde.

En observant toute la scène,

tout le joyeux dawa qui règne dans cette maison,

je comprends que pour mon frère

la famille d’Arthur c’est la famille idéale.

Il aimerait tant que sa famille – NOTRE famille –

soit pareille.

Une famille NORMALE où les enfants se

battraient pas pour regarder la télé.

Arthur me fout dans une chambre

et me colle devant l’ordi.

Je joue à Quake II

pendant qu’Arthur, mon frère et toute leur bande de grunge

grattouillent sur des guitares plus ou moins sèches

plus ou moins désaccordées.

Et pendant que je joue à Quake II,

elle revient en fond sonore.

Mon Islandaise, ma muse

de porcelaine éternelle.

Et la même chanson

qui tiraille mon cœur

et me fige sur place

glacé et brûlant en même temps.

Je suis une fontaine de sang.

Bois moi, rends moi réel.

Björk m’accompagne tout au long de cette après-midi

J’ai 10 ans et j’ai l’impression

que pour la première fois

on me prend pour ce que je suis vraiment.

Bachelorette – Acte I

Share Button

Février 1998. J’ai 10 ans.

Tiens prends toi ça dans les dents.

Mes grands frères sont encore à la maison. On dort dans la même chambre.

Tout en haut de la baraque

sous les toits.

Je suis un peu con.

Fantasque. La tête toujours dans la Lune.

Ou sur Alpha Centauri.

Des fois la nuit – les nuits d’hiver comme hier par exemple – je mens pas encore mais j’ai froid.

Pour me réchauffer je bouge sous la couette.

Ça me réchauffe pas du tout. Ça me refroidit encore plus en fait.

Du coup je réveille mon frère qui dort sur le lit d’à côté.

Pour qu’on échange nos couvertures.

Et le même geste se répète

Plusieurs fois par nuit.

Février 1998. J’ai 10 ans.

Et le soir après manger tous les quatre frangins

on regarde la télé.

Des fois pendant que les images défilent

mon frère aîné me parle du Big Bang et du Big Crunch

des lois de la Thermodynamique et de la Théorie des Cordes

et mes autres frères

captivés par la lucarne

lui disent de fermer sa gueule.

Des fois on est pas d’accord sur la chaîne à regarder.

Moi je dis rien je m’en fous.

Des fois mes frères se chamaillent

pour choisir le programme.

Mais ce soir ils sont calmes.

On est devant Canal +

Nulle Part Ailleurs.

Février 1998. J’ai 10 ans et c’est marrant.

Marrant comme on a tendance à glorifier le passé.

Surtout quand il surgit d’entre les souverêves éthérés.

Février 1998. J’ai 10 ans et je m’en fous.

Mais pas ce soir.

Ce soir il y a une invitée.

Une fille-femme

à la peau de porcelaine

aux cheveux ébène

aux yeux malicieux

et au nom imprononçable

mot compte triple au Scrabble.

Standing Ovation

Interview ( ici  )

Une voix fluette et j’y comprends que dalle.

J’ai 10 ans et je m’en fous

Puis elle se déplace sur la scène

fille-femme tout enrobée dans ses habits rose-mauve

son pantalon noir et ses chaussures à pompon

et elle se met à…………… WOW

Février 1998. J’ai 10 ans

et je découvre les sanglots longs des violons qui accompagnent

Björk

Février 1998. J’ai 10 ans

et je suis une fontaine de sang.

De sang qui gicle et qui s’étale

et mes pages blanches s’écrivent

à mesure que le temps s’écoule

et je suis une fontaine d’amour

Si tu savais…

ô toi qui m’aimeras

ô toi qui m’auras aimé

ô toi qui m’aimeras jamais –

et j’ai la chair de poule

je tremble à l’extérieur

et à l’intérieur je bous

et mon cœur s’emballe

pour la première et la dernière fois

face à l’écran du téléviseur SONY.

Berlin Berlin – Partie 2

Share Button

Et 30 minutes plus tard, Camille est parée pour l’aventure. On marche un peu dans Moabit. Le quartier me dit quelque chose… mais quoi… ?

Moabit

Moabit

Surtout cette rue là-bas… Putain ! C’est la rue où habitait Julius ! Cette nuit, j’ai dormi à deux rues d’écart de l’endroit où j’avais passé ma toute première nuit Berlinoise !

Je comprends désormais la raison pour laquelle l’agencement de l’appart’ de Jens me rappelait quelque chose : Julius vivait – vit toujours ? – dans un appart’ semblable…

Berlin Berlin – facétieuse Berlin.

Tu caches bien ton jeu, tu me donnes des frissons et tu joues des tours à ma mémoire – car le problème dans tout ça, tu sais, Berlin Berlin, c’est que j’aimerais bien revoir mon ancien corres, j’aimerais bien savoir ce qu’il devient, ou même s’il habite encore ici, mais je suis incapable de me souvenir du numéro de l’immeuble de Julius – et bien sûr, pour ne rien arranger à l’affaire, dans sa rue, et dans ma mémoire après 13 années, tous les immeubles se ressemblent.

Berlin Berlin – actes manqués qui déchirent mes entrailles.

Ces regrets de ne pas avoir pu me mesurer au passé me collent un air maussade, heureusement Camille me fait changer d’horizon. On empreinte le métro, on descend à Kleistpark par hasard et on finit par arriver au cimetière de Sankt Mathäus – vas savoir ce qu’on fout là… – où les frères Grimm sont enterrés.

"T'es allé voir quoi à Berlin? - Les tombes des frères Grimm..."

« T’es allé voir quoi à Berlin?
– Les tombes des frères Grimm… »

Beau patchwork de couleurs – une palette allant du vert foncé des feuilles au gris-noir du macadam humide – et des raies de soleil qui frappent le sol dans les allées quasi-désertes.

Mais tout va vite, très vite – et peu après, nous voilà dans un Lidl où on fait escale pour faire nos provisions.

Camille : « Les Allemands sont capables de dépenser des millions pour des voitures mais niveau bouffe ils achètent de la merde. » – et les saucisses impérissables enturbannées dans du cellophane qui s’étalent entre les melons et les yaourts lui donnent raison.

La journée est déjà bien avancée – il est 14h – et on doit en profiter à fond, parce que demain on lève déjà le camp direction Poznań

On va à l’ancien aéroport de Tempelhof – créé par les nazis et rendu ensuite célèbre par le pont aérien lors du blocus soviétique de 1948-49. Maintenant c’est un grand parc – les gens ont pris possession du terrain mais on sent que la ville est en train de récupérer tout ça, de le réorganiser pour pas perdre la main dessus.

Tempelhof

Tempelhof

Tempelhof

Tempelhof

Berlin Berlin je soupire – j’ai l’impression que tu es encore cool pour quelques années mais ça a déjà atteint son Hauptpunkt (1) et son déclin est déjà amorcé niveau fuck it up et dynamisme. Tes squatts – enfin ceux qui ont pas fermé – ne sont plus que des vieilles reliques et ta contre-culture bouillonnante qu’on trouvait à chaque coin de rue il y a 12 ans est plus qu’un souvenir – pas si lointain, OK, mais un souvenir quand même.

Les boîtes de nuit alternatives – Jens me l’a dit ce matin – la GEMA, cette pute, elle a augmenté les taxes que ces discothèques peuvent plus se permettre de payer – du coup elles ferment une après l’autre et les clubbers se cassent à Tel Aviv.

Kreuzberg

Kreuzberg

À Kreuzberg on se mange un kebab-dürüm fait maison on a de la farine plein les doigts.  Et ensuite c’est reparti – on marche, on marche, on arrête pas de marcher entre usines bizarres et quartier boboïsé. On se fait tirer nos portraits en noir et blanc dans un photomaton de hipsters.

Photoausgabe in 5 Minuten

Photoausgabe in 5 Minuten

Plus tard, quand on aura fini tout notre périple, je me dis que ces portraits de nous, ils seront aussi cultes que celui de Marty Mc Fly et du Doc dans Retour Vers le Futur III.

On passe sur un pont de la Spree – L’Oberbaumbrücke – où des scènes du film Lola rennt ont été tournées.

U-Bahn und Oberbaumbrücke

U-Bahn und Oberbaumbrücke

Lola Rennt!

Lola Rennt!

Et on arpente le Mur du côté de la East-Side Gallery – Mur coloré, peint, tellement vu et revu qu’il est inutile de décrire – mais désormais, les œuvres d’art sont presque toutes taguées et dégueulasses.

On culpabilise un peu que Jens soit pas avec nous. Mais il révise, ou il est au lac et il est désormais trop tard pour qu’on puisse le rejoindre. On prend le tram à Ostbahnhof, direction Alexanderplatz où on pose en panoramique devant l’horloge universelle Urania et autour de la Fernsehturm.

Du haut de la Fernsehturm, j’ai la preuve que tout a changé. Les grues – celles dont le nombre il y a 12 ans symbolisait la vitalité de la ville – sont beaucoup plus clairsemées.

Berlin, Berlin…

Où est ta frénésie ?

Elle est partie

À Tel-Aviv ou ailleurs ?

On marche vers le Rotes Rathaus, puis vers la Gedächtniskirche.

Usé, hein, sale rouge à lèvres de catin qui a perdu ses attraits flamboyants !

On prend le métro jusqu’à Rosa Luxemburg Platz. Prenzlauer Berg est très bourgeois – on se perd dans un cour d’anciennes usines reconverties en bar et boîtes. On boit quelques bières – de la Hefe Weissen et je ne me souviens plus si on prend un Jägermeister – Bah quoi ? Faut bien me consoler, Berlin – cette fois ci, tu m’as pas transcendé ! J’irai la trouver ailleurs, la leçon de vie que j’attendais ! Sur des routes craquelées ou entre les jambes charnues ou félines d’une belle de nuit – peu importe, Berlin, je peux partir ou te tromper – ton charme est rompu.

Fini de diverger, le métro Berlinois nous dépose à Turmstraße – sans rancune et au plaisir ! – de là on rentre chez Jens et ses colocs, et le sommeil me happe – Berlin, à quoi bon rester éveillé des nuits entières si tu proposes rien ?

Quand je me réveille, pareil qu’hier, Jens est en train de se préparer le petit déj. Plus précisément, il découpe en lamelle des kiwis et des bananes et se les verse dans un bol qui remplit avec du fromage blanc et du Müsli.

Son iPod est branché sur les enceintes.

Dans deux heures Camille et moi on lève le camp.

Dans deux heures on se casse, Berlin. Mais écoute, Berlin, écoute : dans les enceintes de la cuisine de chez Jens la chanson qui passe c’est la même qu’hier et c’est celle-là :

Jeunesse disparate.

Je pensais que tu allais me déflorer une deuxième fois, Berlin, comme tu l’avais fait dans ma jeunesse.

Jeunesse disparate, ouais.

Mais pour me déflorer une seconde fois, faudra que je parte faire mon éducation

ailleurs.

________________________________________

(1) paroxysme