Archives par étiquette : Björk Guðmundsdóttir

Bachelorette – Acte III

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Pause – Rewind – Play – Record.

Bond en avant.

Printemps 2001 – Berlin

J’ai 13 ans et je suis amoureux.

Parmi le groupe de collégiens qui participe à l’échange scolaire

il y a une fille

aux cheveux courts

aux teintes cuivrées

élancée comme une gymnaste

et son visage mutin se penche sur moi

quand je me mets à dessiner.

Elle s’intéresse à mes dessins, à mes histoires.

Elle s’intéresse à ce que je fais.

Vraiment.

Elle s’intéresse à ce que je suis aussi.

J’ai 13 ans et j’ai l’impression

que pour la deuxième fois

on me prend pour ce que je suis vraiment.

Je commence à m’ouvrir au monde –

cette fille, le monde, elle l’a déjà parcouru dans tous les sens –

conçue à Tokyo, née à Hong-Kong, pouponnée à Moscou élevée à Mexico –

maintenant elle voudrait bien souffler –

se poser un peu.

Peut-être qu’elle pourrait poser ses lèvres sur les miennes ?

Pendant les vacances elle part à New-York

Le manque agrippe et m’accable

le manque d’elle.

Je dessine de plus belle

pour éviter de penser à ça

pour terminer l’histoire quand elle rentrera.

Quand elle revient enfin

elle me serre dans ses bras

et elle me rend réel.

Je lui montre mes dessins

elle veut savoir ce qui est derrière.

On passe toutes nos journées ensemble

mes plus belles vacances.

Je suis une fontaine de sang

chaud quand elle est à mes côtés.

On va à la bibliothèque, elle trouve le CD

de Björk – Homogenic.

Quand on revient chez elle, dans sa chambre

pendant que ses parents s’engueulent

on l’écoute, allongés sur les tapis ombragés

dans cet après-midi d’été.

En boucle.

Piste 4 – Bachelorette – 5’12

Rewind – Repeat – Play

Elle sait pas ce que cette chanson représente déjà pour moi.

Elle sait pas ce qui se trame –

Les souvenirs se superposent

aux souvenirs.

Rewind – Repeat – Play

Nulle Part Ailleurs, Arthur et maintenant cette après-midi d’été.

Cette ultime après-midi d’été qui reste gravée dans ma mémoire.

Peut-être qu’elle sait, en fait…

Quelques jours, quelques nuits électriques plus tard

Elle me dit : « Tiens, j’ai trouvé un livre

dans mon jardin.

Un livre mais les pages sont blanches

Elles se rempliront elles-mêmes,

je te fais confiance,

et comme ça je pourrai les lire

à mon retour. »

Elle m’annonce qu’elle va partir

avec sa mère en Afrique.

Peut-être qu’elle reviendra – d’ici quelques années.

Maintenant elle aurait bien voulu souffler –

se poser un peu

mais c’est pas possible. Pas encore.

Rewind – Repeat – Play

Depuis quand tu sais que tu vas partir ?

Depuis avant qu’on ait fait connaissance.

Et… Comment dire… Je suppose que

c’est pour ça qu’on a pas fait plus amplement connaissance ?

Ouais… Je pouvais pas.

Je pouvais pas te laisser comme ça.

Je voulais te connaître – vraiment –

mais je pouvais pas être plus proche de toi.

Ça aurait été un choc terrible pour toi.

Qu’est-ce que t’en sais ?

Oublie pas,

prends le livre –

laisse les pages blanches se remplir.

Laisse moi – reviens ce soir.

Dis moi c’est quand ce soir ?

C’est… un jour, peut-être

si ce jour viendra.

Dis moi c’est quand que tu reviens ?

Bachelorette – Acte II

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Pause – Rewind – Play – Record.

Quelques mois plus tard.

J’ai toujours 10 ans

Dans ma tête j’ai toujours 10 ans

et un pote de mon frère aîné sonne à la porte.

Ce jour là, faut pas me faire chier

et ce mec s’apprête à me prendre mon frère

jouer avec lui

ou fumer des pétards

alors que moi je suis là

moi j’existe

moi je suis une fontaine de sang

une fontaine d’amours inassouvies et de sanglots ténébreux

et ce mec s’apprête à me prendre mon frère

mais heureusement, mon frère est en train de se préparer

et c’est moi qui me trouve derrière la porte –

c’est moi qui lui ouvre

au mec

lui 1m80

moi haut comme trois pommes

je le toise du regard

les sourcils froncés

comme les méchants dans Dragon Ball Z

encore une émission TV pour laquelle mes frères se chamaillent

et il comprend que je vais pas le laisser faire

JE VAIS PAS LE LAISSER ME PRENDRE MON FRÈRE.

Je claque la porte.

Mon frère déboule dans le couloir d’entrée

il comprend qu’il vient de se passer quelque chose

il me foudroie des yeux

genre ce soir je suis mort

et il ouvre à son pote en s’excusant.

Ce soir je suis mort

mais je m’en fous

je reste là dans le couloir

ce mec, ce barbare grunge

à le toiser du regard.

Alors son 1m80 se penche sur moi

et ce mec il me sourit :

« C’est toi le benjamin de la famille ? »

C’est moi même, mec, et si t’as un problème

je te coupe ta race en deux

Capisce ?

Le mec s’apprète à me prendre mon frère

comme ça, impunément

et il me sourit toujours :

« Tu sais, je sais ce que ça fait »,

il me dit

façon confessions intimes

« je suis aussi le dernier de ma famille. »

Mmm le dernier de la famille

alors que ce mec il a l’âge de mon frère ?

WTF il se fout de ma gueule ?

Mais je t’avais prévenu dans le texte précédent

j’ai 10 ans et je suis un peu con

et j’imagine que les derniers de la famille

ils ont tous plus ou moins 10 ans.

Le mec se mord la lèvre

et continue :

« Aujourd’hui je vais pas te prendre ton frère.

Enfin, si, mais je t’embarque avec nous.

– Quoi ?

– Je crois que t’as compris ce que je veux dire, bonhomme.

Vas voir tes darrons pour avoir leur permission. »

Une fois que j’ai PAS demandé

leur permission à mes darrons –

inutile de les déranger… –

je rejoins ce mec – Arthur

et mon frère qui m’attendent dans la rue.

Arthur et moi on a la pêche,

le sourire jusqu’aux oreilles

Y’a que mon frère, on dirait

qui fait la gueule.

Peut-être que si j’étais moins con je comprendrais pourquoi…

Je suis une fontaine de sang

chaud

bouillant

apaisé.

On déboule chez Arthur

Il me présente à ses darrons

comme il dit.

Pendant ce temps d’autres potes à lui déboulent

les uns après les autres.

La maman d’Arthur a fait des crêpes pour le goûter.

Le papa d’Arthur me montre ses maquettes de voiliers.

Il en possède un vrai, je te jure –

et bientôt, quand Arthur rentrera à l’université,

et quand sa maman sera aussi à la retraite,

ils partiront à deux

un second voyage de noces

faire le tour du monde.

En observant toute la scène,

tout le joyeux dawa qui règne dans cette maison,

je comprends que pour mon frère

la famille d’Arthur c’est la famille idéale.

Il aimerait tant que sa famille – NOTRE famille –

soit pareille.

Une famille NORMALE où les enfants se

battraient pas pour regarder la télé.

Arthur me fout dans une chambre

et me colle devant l’ordi.

Je joue à Quake II

pendant qu’Arthur, mon frère et toute leur bande de grunge

grattouillent sur des guitares plus ou moins sèches

plus ou moins désaccordées.

Et pendant que je joue à Quake II,

elle revient en fond sonore.

Mon Islandaise, ma muse

de porcelaine éternelle.

Et la même chanson

qui tiraille mon cœur

et me fige sur place

glacé et brûlant en même temps.

Je suis une fontaine de sang.

Bois moi, rends moi réel.

Björk m’accompagne tout au long de cette après-midi

J’ai 10 ans et j’ai l’impression

que pour la première fois

on me prend pour ce que je suis vraiment.

Bachelorette – Acte I

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Février 1998. J’ai 10 ans.

Tiens prends toi ça dans les dents.

Mes grands frères sont encore à la maison. On dort dans la même chambre.

Tout en haut de la baraque

sous les toits.

Je suis un peu con.

Fantasque. La tête toujours dans la Lune.

Ou sur Alpha Centauri.

Des fois la nuit – les nuits d’hiver comme hier par exemple – je mens pas encore mais j’ai froid.

Pour me réchauffer je bouge sous la couette.

Ça me réchauffe pas du tout. Ça me refroidit encore plus en fait.

Du coup je réveille mon frère qui dort sur le lit d’à côté.

Pour qu’on échange nos couvertures.

Et le même geste se répète

Plusieurs fois par nuit.

Février 1998. J’ai 10 ans.

Et le soir après manger tous les quatre frangins

on regarde la télé.

Des fois pendant que les images défilent

mon frère aîné me parle du Big Bang et du Big Crunch

des lois de la Thermodynamique et de la Théorie des Cordes

et mes autres frères

captivés par la lucarne

lui disent de fermer sa gueule.

Des fois on est pas d’accord sur la chaîne à regarder.

Moi je dis rien je m’en fous.

Des fois mes frères se chamaillent

pour choisir le programme.

Mais ce soir ils sont calmes.

On est devant Canal +

Nulle Part Ailleurs.

Février 1998. J’ai 10 ans et c’est marrant.

Marrant comme on a tendance à glorifier le passé.

Surtout quand il surgit d’entre les souverêves éthérés.

Février 1998. J’ai 10 ans et je m’en fous.

Mais pas ce soir.

Ce soir il y a une invitée.

Une fille-femme

à la peau de porcelaine

aux cheveux ébène

aux yeux malicieux

et au nom imprononçable

mot compte triple au Scrabble.

Standing Ovation

Interview ( ici  )

Une voix fluette et j’y comprends que dalle.

J’ai 10 ans et je m’en fous

Puis elle se déplace sur la scène

fille-femme tout enrobée dans ses habits rose-mauve

son pantalon noir et ses chaussures à pompon

et elle se met à…………… WOW

Février 1998. J’ai 10 ans

et je découvre les sanglots longs des violons qui accompagnent

Björk

Février 1998. J’ai 10 ans

et je suis une fontaine de sang.

De sang qui gicle et qui s’étale

et mes pages blanches s’écrivent

à mesure que le temps s’écoule

et je suis une fontaine d’amour

Si tu savais…

ô toi qui m’aimeras

ô toi qui m’auras aimé

ô toi qui m’aimeras jamais –

et j’ai la chair de poule

je tremble à l’extérieur

et à l’intérieur je bous

et mon cœur s’emballe

pour la première et la dernière fois

face à l’écran du téléviseur SONY.