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La cosmogonie du vide

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Je me balade dans les rues de Lille la nuit – comme souvent, p’tit père, du côté de Wazemmes. Et là soudain c’est pas une superbe blonde platine qui apparaît devant moi non – mais un titre – dans ma tête en gros plan comme les sous-titres d’un épisode de série Z.

LA COSMOGONIE DU VIDE

Bon, très bien, je dis à moi-même… Mais maintenant que j’ai le titre, il me faut une histoire, p’tit père, non ?

Sauf que je creuse un peu, cette histoire apparaît pas.

Flûte, zut, saperlipopette – poils de camembert.

D’habitude, il m’arrive souvent d’avoir une histoire d’abord, et de trouver un titre après, une fois le point final ajouté.

Schéma : Idée ==> histoire ==> titre.

Classique tu me diras. Et généralement là où ça foire c’est entre l’idée et l’histoire…

Mais là j’ai pas d’histoire, et encore moins d’idée !

J’ai beau prier tous les dieux de l’Olympe, p’tit père, j’étais sorti de la réalité un bref instant – une fraction d’éternité. Et me voici désormais – inexorablement – revenu dans la rue sombre et pluvieuse. D’autant plus sombre et pluvieuse que 1) j’ai ni capuche ni parapluie et 2) il fait nuit et je porte encore mes lunettes de soleil – depuis que mes lunettes de vue sont pétées, le matin même de mon départ pour Freiburg. Bon, OK… je suis jamais parti pour Freiburg. Du moins pas ce jour là. Ni même cette année là. C’est juste une histoire, juste un jeu, juste un mensonge. À quel point ?

Toujours cette frontière poreuse – fragile – entre ce que je vois et ce que j’imagine, ce que j’imagine et ce que je vois… Mais p’tit père compte pas sur moi pour t’indiquer s’il y a des points de passage, et s’ils existent, où ils sont…

J’ai le titre – maintenant je dois me dépatouiller avec. Faire des recherches. Et comme d’habitude, je dois faire avec ce que j’ai et commencer par le commencement.

Au début était le verbe.

COSMOGONIE – qu’est-ce que ça signifie ? Le système de la formation de l’univers. Légendaire évidemment – brassé selon les différentes mythologies.

Mouais… je t’avoue que là, franchement, c’est maigre comme piste pour raconter une histoire.

Et le VIDE. Pourquoi ce mot ? Genre NETTOYAGE PAR LE VIDE ? Comme ces 46000 mots que j’ai perdus une fois ? Ou genre le Vide ? Avec une majuscule. Comme le néant ? Celui vers lequel tous on se dirige ? Poussière tu retourneras à la poussière ? C’est quoi ces conneries ?…

Pourquoi le vide, pourquoi pas le CHAOS – un truc rocambolesque, un truc qui envoie du lourd. Qui pourrait être le titre du prochain Rambo. « RAMBO VII : LA COSMOGONIE DU CHAOS» Ouais ! Ça va chier ! Avec plein de sang et de petits Viets qui se font massacrer à grand renfort de mitraillette !

Plus sérieusement, le chaos… Opposition de l’ordre et du désordre. Un joyeux bordel en somme. Je crois qu’à partir d’un certain point de vue, tout à un ordre. C’est juste que de là où nous sommes on a pas accès à la logique qui donne un SENS à tout ça tu crois pas ? Ici et maintenant dans cette rue pluvieuse et noire de Wazemmes.

Non, p’tit père, ici et maintenant c’est pas le chaos qui m’est venu à l’esprit, c’est le VIDE. Opposition du rien contre tout. Et tout ça c’est pas rien…

Les dieux s’ils existent n’aiment pas le vide, je pense. Ouaip ! La Nature a horreur du Vide. On dit que c’est vide, mais en fait c’est juste des éléments qu’on arrive pas encore à identifier. Comme l’antimatière par exemple. Ou des trucs de ce genre – hyper-compliqués, carrément capilotractés. Méga-glucose.

Tu vois bien maintenant p’tit père que c’est pas du vide là, ce que tu vois. Vide de sens, oui – désordonné, sûrement – mais pas vide-tout-court.

Écrire c’est désassembler le vide qui ne l’est pas, le déconstruire, le déstructurer, le malaxer, l’étirer comme un chewing-gum de manière à ce qu’il tienne dans le texte de cette semaine – le transformer pour en faire ensuite… je sais pas… pour enfanter… un Grand et Luxuriant Bordel. Cet univers en formation que je suis en train d’engendrer. Et que tu rends vivant-presque-palpable puisque tu m/le l/vis.

De toute façon, peu nous importe, p’tit père – peu nous importe…

Du moment que ce vide nous a fait passer un peu le temps ensemble.

Le Bunker

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J’entre dans le bunker.

Attends attends pourquoi tu me parles de bunker ? Tu vas trop vite mec c’est pas comme ça qu’on débute une histoire – ben c’est comment alors ? – il est où le contexte ?

OK voilà le contexte : je rends visite à ma pote Katrin pour le week-end. On s’est connus au lycée, ça commence à remonter maintenant, depuis on s’est revus quelques fois mais c’est surtout par lettres qu’on garde le contact. Elle écrit les siennes sur du papier fleuri, au stylo-plume, écriture précise soignée et aérée. J’aime beaucoup recevoir des lettres de sa part. Maintenant Katrin habite Freiburg. Je profite de ces quelques jours de vacances pour lui rendre visite. C’est bon maintenant t’es content tu l’as ton contexte ?

Freiburg… la ville est jolie mais je m’en cale un peu. Je suis pas venu là pour faire du tourisme mais pour revoir Katrin. J’arrête pas de la regarder discrètement depuis qu’elle m’a cueilli à l’arrivée de mon train – qu’est-ce qu’elle a changé c’est fou… Je la trouve grandie, c’est sûr – grandiose… mais un peu fatiguée aussi, des cernes sous les yeux – une Apache.

On arrive chez elle. Katrin vit dans une coloc à deux pas de la fac, avec quatre étudiants comme elle. L’appart’ est grand et un peu en bordel. Je pose mes affaires dans sa chambre, Katrin m’annonce qu’il y a des gens qui vont passer ici pour l’apéro et qu’ensuite on va aller à une fête. « OK » je dis – même si je visualise pas encore l’immensité de la soirée qui s’offre à moi.

L’appart’ se remplit peu à peu – le stock de boissons lui ne désemplit pas. Un des colocs de Katrin s’est barricadé dans sa chambre. C’est à peine s’il m’a salué tout à l’heure quand je me suis présenté à lui : « J’ai trop fêté hier, mec » – il a lâché – les yeux dans le vague, la langue encore pâteuse. Je peux comprendre…

Dans la salle de bain – tapis de bain en pilou-pilou faux gazon vert pomme. Une pancarte « Only for Quickies ». Je trouve ça fun et le savon sent bon. Je fais des allers-retours balcon/cuisine. Clopes et p’tit punchs dans ma gueule. Je discute avec des gens – les prénoms m’échappent dès qu’ils sont prononcés. Katrin me lance parfois des regards veut savoir si je m’intègre bien si je passe une bonne soirée. Ouais ouais te fais pas de soucis. Souvent les gens viennent vers moi et me demandent : « Mais d’où tu viens petit Français ? Comment tu as connu Katrin ? » Les gobelets en plastique s’entrechoquent et je leur raconte à chaque fois une version différente… Dehors la nuit s’étiole et les gens refont leurs mondes dans les vapeurs alcoolisées. À l’intérieur ça gueule et ça se la joue en musique. Je plains les voisins et le coloc de Katrin qui voudrait juste pioncer bordel.

Minuit passé. Je sais pas qui émet l’idée fumeuse furieuse de « Et si on bougeait ? » C’est vrai – l’apéro aurait dû être fini depuis longtemps – mais là les saladiers – sangria et p’tit punch – sont vides et les bouteilles de Pils des cadavres empilés en vrac dans le couloir. Donc – allez on se bouge !

Et on marche dans les rues de Freiburg la nuit. En chantant à tue-tête pour certains. En marchant à pas chassés ou à cloche-pied pour d’autres. À côte de nous sur la grand-route des voitures filent vers d’autres soirées – peut-être moins tumultueuses que la nôtre mais je peux pas encore l’imaginer.

« C’est là…

– Quoi ? »

On vient de s’arrêter à une intersection paumée et un gars me dit que la suite, c’est là que ça se passe. Je veux bien mais… y’a que dalle… Katrin me fixe des yeux, comme pour dire : ta gueule et suis nous.

Caché derrière des arbres, un chemin. Des gens sur les côtés, à terre, assis ou couchés même pour certains, blousons de cuir et guenilles dans la boue, packs de bières ou vodkas Lidl jamais bien loin. Forte odeur de beuh enivrante. Et déjà des caissons de basse qui doucement font trembler la terre. Et devant nous, dressé contre vents et marées – un bunker. Le lieu de notre perdition.

Voilà. Merde. Ça commence.

On pénètre dans l’endroit. Escalier fendu, humide et ruisselant parfois. Du genre à te casser la gueule au moindre pas que tu fais. Rien à voir avec une boîte de nuit bling-bling. Du lichen sur l’amer béton. Dans la pénombre un mec à crête avec un énorme anneau à l’arcade droite prêt à envoyer valser les boulets et les opportunistes. J’ai l’impression que le groupe se disperse. Je sais pas où sont les autres je crois que j’ai perdu Katrin. Je contemple seul cette nana en face qui le regard suave et scintillant se fait piercer à l’arrache le bas de la nuque. Guerrière rebelle. Sons de marteaux piqueurs. Scies à métaux. Traces de sang sur les murs. Perceuses éclectiques. Grincements de dents. Giclements non-identifiés. Tags à gogo. Le vaste couloir se sépare en deux salles. Ambiance plutôt reggae à droite, plutôt punk à gauche. Ou vice et versa.

Bam Bam.

La déchéance sur la piste de danse. Plus de rêves plus de rêves nous sommes ce que nous faisons.

¡Madre mía! J’ai l’impression de me retrouver dans le générique de Tracks. Wow des gens tout bleus à six heures. Bleu flashy. Joyeux lurons – ils ont dû manger des schtroumpfs. Un semblant de bar là-bas – où tu te sers toi-même de la pression en fût. Aime ton prochain jusqu’à la dernière goutte rampe sur ton prochain comme y’en a deux qui le font en se frottant mutuellement. Décadence virevoltante. Lumière tamisée au fond – des couples s’enlacent – rythmes ralentis, éloge de la chair. Un gars derrière moi – visiteur du soir : « Mais pourquoi tu portes des lunettes de soleil ? » Réponse : « Mes lunettes de vue sont pétées alors je me la pète. » Petit souci en effet ce matin au réveil. Un de mes verre correcteurs a fugué le con, mes lunettes sont inutilisables et les seules lunettes à ma vue sont des lunettes de soleil.

Les chiottes. Odeur de souffre. Passage obligé. Et quand j’y passe ça me fait penser à ça :

Les WC les plus pourris d’Allemagne. On est que des tas de merde, au fond… des crottes qui flottent qui perdent pas espoir. Je les asperge d’urine jusqu’à se qu’elles coulent une à une. Bataille navale du stade anal. Et pendant que j’essaie désespérément de me laver les mains après la petite commission des mecs penchés sur le sèche-mains qui a rendu l’âme dans les années 1970 – l’un d’eux relève la tête, renifle, ses yeux éberlués me fixent à travers mes verres sombres : « Tu veux essayer ?

– C’est quoi ? » je fais.

« Du speed. »

Je refuse.  Pas besoin de ça. Je suis déjà suffisamment à la (ra)masse comme ça. Et comme un prince je sors de ces chiottes caverneuses de ce bunker glauque et étincelant et je retrouve le grand air.

Au seuil du bunker nuit brumeuse cette nuit encore pas d’étoiles dans le ciel.

On est définitivement perdus.