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Dans la forêt – partie 2

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21h30 – toujours.

 

On entend Django au loin. « Il a fini par nous retrouver ! » je m’exclame. Melowne voit un sourire se dessiner sur mon visage. Mises au placard, les broutilles de tout à l’heure – Django se déplace parmi les arbres, et bientôt il est de retour parmi nous dans la clairière. « J’en reviens pas ! » il fait en voyant qu’on a déjà monté la tente et préparé le terrain pour le feu de camp. « Si tu crois qu’on allait se tourner les pouce pendant ton absence… » lance Melowne.

la tente

la tente

La nuit s’amorce, mais le ciel est encore clair. Pourtant, on est déjà plongé dans l’obscurité. Tous les arbres autour de nous profitent à notre place des dernières lueurs.

Django, en préparant le feu : « Tu sais B.Howl, si je me suis énervé tout à l’heure, c’est pas contre toi. C’est que j’ai horreur qu’on me dise ce que je dois faire ou non, surtout quand je sais ce que je fais.

– Je sais.

– Je voulais juste éloigner la voiture de la forêt, histoire que personne sache qu’on est là.

– Je sais.

– Parce que le gars de tout à l’heure, c’était pas un péquin, c’était le garde forestier.

– je sais, Dango. Je vois pas qui d’autre sillonnerait des chemins de forêts en 4×4 à l’heure des Enfants de la Télé… »

Melowne soupire. Il en a marre qu’on ressasse notre altercation, et on le comprend. C’est lui qui nous a fait flipper, quand il s’est pointé chez Django tout à l’heure, et qu’il nous a raconté que les feux de camp, c’était interdit et qu’on risquait une belle amende si on se faisait prendre par le garde forestier.

Les feuilles mortes commencent à bien prendre dans le sous-foyer, à la base de la structure pyramidale que Django a mise en place pour bien faire le feu de camp.

Je demande : « Qui t’a appris à dresser des feux de camp ?

– C’est Mac Fly, il y a quelques années, bien avant qu’il prenne la poudre d’escampette en Andalousie. À l’époque, il venait souvent ici. Seul. Il y passait des week-ends entiers.

– Sacré bonhomme !

ça prend

ça prend

 

22h30.

 

Django Melowne et moi. Trois loubards posés tranquillou autour des flammes qui dansent. Sans personne pour nous faire chier à des kilomètres à la ronde. On s’applique à manger nos victuailles. Le pâté est une tuerie, le pain cale bien. Le gâteau de la mère de Melowne on le dévore férocement. Mes bananes ont pas trop la côte, par contre – je suis le seul à en manger, histoire de dire que je mange équilibré. Et on arrose tout ça avec de la bonne bière bien comme il faut.

On se raconte des histoires, on se souvient de notre road-trip en vélo dans la baie du Mont Saint-Michel… c’était il y a près de dix ans, mine de rien. Quelle aventure épique.

Maintenant, à part notre feu de camp et la lampe frontale de Django, on est vraiment plongé dans le noir. Django se lève, fouille dans les affaires : « Est-ce que l’un d’entre vous a vu la lampe-torche traîner dans le coin ?

– Négatif. » fait Melowne. « Je crois qu’on l’a oubliée dans le coffre de la twingo.

– Merde…

Quand on parle pas, le silence est couvert par le bruit du bois mort qui crépite, celui des oiseaux qui poussent différents cris, et celui des animaux alentours. Et on est clairement pensifs dans cette parenthèse – comme si, la nuit venue, la nature reprenait tous ces droits. Je regarde le feu s’agiter paisiblement. Je regarde le feu et je pense aux premiers hommes qui l’ont « découvert ». Prométhée – le feu. Nahash – le bien et le mal. Et même le monolithe noir de 2001 L’Odyssée de l’Espace – l’outil/l’arme. L’évolution de l’espèce humaine aurait une cause extérieure ? Je pars loin, très loin.

feu de camp

feu de camp

On a déjà plus de bois. Django et Melowne décident de partir en expédition pour ramasser des branches mortes plus loin. Je reste dans la clairière, assis contre un tronc d’arbre, obnubilé par la puissance du feu et des esprits de la forêt.

 

23h.

 

Me voici tout seul à présent. J’envoie plein de SMS à Marlène mais pas de réseau ici – je peux pas les envoyer. J’ai un peu les boules, aussi.

Finalement Melowne et Django reviennent, chargés de bois. On discute encore un peu – on reste souvent silencieux, encore empêtrés dans nos rêves. Quelle aventure épique.

Soudain je sens quelque chose brûler sous mon pied. C’est pas sous mon pied que ça brûle, c’est MES GODASSES qui sont en train de brûler. Ma semelle a fondu, j’ai un énorme trou sous le pied. Encore une paire de Dr Martens niquée…

Au loin on entend des marcassins nasiller.

Quelle aventure épique.

Dr Martens cramée

Dr Martens à la  semelle fondue

 

0h30

 

Django veut rester éveillé jusqu’à « au moins deux heures du matin ». Moi je suis claqué, j’ai envie d’aller me coucher, et ce d’autant plus que je sais que je vais passer une sale nuit. La fatigue est accentuée par le fait que je me les gèle et en puis je commence à me faire chier. Et en plus on a fini toutes les bières. Allez, une dernière clope et je me pieute.

Django sent que je vais bientôt jeter l’éponge. « On a bientôt plus de bois. Ça te dit, B.Howl, de m’accompagner pour en ramener? » Non ça me dit pas. Mais bon, comme on se voit peu, comme ça fait longtemps qu’on a pas fait un truc ensemble, une aventure épique, OK, je me sors les doigts du cul et je viens avec toi.

Je me lève avec difficulté et bientôt je suis la lampe frontale de Django à travers la forêt. On s’éloigne de plus en plus de Melowne, j’espère qu’on arrivera sans problème à le retrouver.

Et soudain, de la lumière au loin. Django se fige et me demande de faire de même. C’est quoi ce délire ? C’est la lune qui nous éclaire trop fort ?

Ou c’est le garde-forestier ?

Merde…

Comment on en est arrivé là ?

El Dorado

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Le serveur s’approche avec notre commande sur un plateau: deux cafés au lait, deux jus d’oranges pressées et deux assiettes contenant chacune un large toast avec une gousse d’ail et un pot de pulpe de tomates.

Il pose le tout sur la table et s’en va :

« -Je reviens les français : j’amène l’huile d’olives…

el dorado 1

Il réapparaît l’instant d’après et nous interroge, l’air décontenancé :

-Vous êtes pédés, les gars ?

Je réplique aussitôt pour nous mettre à l’abri de tout soupçon :

– Nous sommes juste de très bons amis.

Le vieux garçon me met en garde :

-Je vous le demande, parce qu’on n’aime pas les pédés ici…

Avant même que je ne réalise qu’il s’agit d’une plaisanterie, il me tape jovialement dans le dos et me rassure :

-Mais je déconne, les mecs ! Déjà, être français c’est pas marrant… Alors, si vous êtes pédés en plus, c’est triste ! Sur ce, bon appétit !

Mac Fly pouffe de rire :

-Tu viens de voir un exemple parfait des gars d’ici : physique et humour rude mais bon cœur au fond…

Mac Fly analyse du regard les petits vieux qui peuplent le comptoir.

-Des fois, je viens prendre mon petit déjeuner et ils sont déjà tous accoudés au bar: ils s’envoient des cafés – cognac, des « bombas » (chocolat au lait avec du rhum ), des liqueurs d’herbes des montagnes…

-Ils ont un foie en inox…

– Quand on est vieux à Casarabonela, la journée se passe toujours de la même façon…

Mac Fly se lance alors dans une description fidèle du quotidien des anciens :

-Le matin, ils démarrent toujours au bistrot avant de farnienter au soleil sur la place du village. Ils papotent jusqu’à environ 13h00, assis sur un banc en petit groupe… Après, ils retournent chez eux casser la croûte et font la sieste… Une fois le roupillon terminé, ils sortent de nouveau et reprennent la conversation entreprise le matin. Enfin, quand le jour décline, ils reviennent au bistrot et jouent aux cartes…

el dorado 2

-On dirait que tu as consacré du temps à les observer !

-Oui, et je dois te dire que j’ai beaucoup vieilli en un an. Depuis que je ne bosse plus, mes journées ressemblent aux leurs… Il soupire et réfléchit : ça a du bon le chômage. On prend le temps d’apprécier le temps. Quand tu sais plus quoi en faire de ton temps, tu le passes au bistrot. Boire un coup ou manger, ici, ça coute deux à trois fois moins cher qu’en France.

Je jette un coup d’œil à l’addition et le constate : nos deux petits déjeuners coûtent seulement 3, 90 euros !

-3,90 euros pour deux copieux petits déjeuners ! C’est rien ! A ce prix là, en France, on te sert une bière ordinaire en 33 cL, et sans le sourire !

-Pourquoi tu crois que je reste ici ? La vie est bien moins chère qu’en France, je profite de la nature et j’ai du soleil 300 jours par an. Avec 900 euros de chômage par mois, je vis très bien… Je loue une baraque dans un coin perdu pour 300 euros toutes charges comprises, et le propriétaire, Antonio, m’offre même le bois de chauffage l’automne et l’hiver… Comme j’ai plus de bagnole, je ne paie plus ni essence ni assurance… Y’a deux bus par jour pour aller à Malaga et dans les villages voisins si j’ai envie de changer d’air. Je n’ai pas besoin de payer d’abonnement internet car la connexion est gratuite à l’espace info du village… Si j’étais au chômage en France, ce ne serait pas la même soupe… Ici, c’est l’Eldorado à côté !

Mac Fly a travaillé 15 mois pour une association d’éducateurs français implantée dans le village. Sitôt son contrat fini, il n’avait plus qu’une idée en tête : rester sur place pendant ses 15 mois d’indemnisation par le pôle emploi, profiter de la région et se consacrer à sa passion : la musique.

-Tu as raison, lui dis-je, même si au fond l’idée me paraît complètement déraisonnable.

-L’année qui vient de passer a été positive sur plein de plans : j’ai pris le temps de composer de la musique, j’ai marché, j’ai récolté les amandes et les oranges dans la montagne, j’ai progressé en espagnol… C’était une bonne année de vacances offerte par le Pôle Emploi !

-T’es unique mec !

Nous terminons tranquillement notre petit déjeuner. A travers la vitre, j’aperçois le clocher de l’église, et au-dessus, le soleil s’élever.

-Bon… Je vais régler la note.

-Mais pourquoi autant d’empressement ? me demande-t-il en roulant une cigarette.

-Comme ça… On a fini de déjeuner, le soleil commence à se lever : c’est le bon moment pour aller randonner, tu trouves pas ?

-Relaxe, mec, me reprend Mac Fly. Le soleil, il va pas s’éclipser !… Tiens, je prendrais bien un second petit déj’ moi, pas toi ?

-Ok ! Je te suis pour un second petit déj’ ! Après tout, on a le temps, c’est vrai…

-Ben ouais, mec… Cool la vie ! Laisse-toi pousser la bite, quoi ! Mouah ! Ah ! Ah !

Il se lève, noue son cheich autour de son cou, embarque sa cigarette roulée et se dirige vers la sortie du café.

el dorado 3

-Tu m’excuses, mec, mais mon poumon droit me demande une clope…

Je vais commander un second petit déjeuner et le rejoins à la sortie du café. Je l’observe en train de fumer et consulte ma montre : il est 09h15 du matin et nous sommes à la fin du mois de novembre. Le soleil commence à inonder de lumière et de douceur les ruelles blanches du village. J’estime qu’à cet instant précis, il doit déjà faire 17°C.

-Après le deuxième petit déjeuner, je me prendrais bien un carajillo m’annonce Mac Fly.

-Qu’est-ce-que c’est ?

-Un café cognac. Ça coûte rien, une connerie comme 1 euro 30… Tu devrais goûter aussi…

-A neuf heures et quart du matin, un café-cognac, c’est un peu trop tôt pour moi… T’oublies pas la rando, mec ?

-Yep ! On attaque la rando après le « desayuno » ( petit déjeûner) et le carajillo, promis !

J’observe le village autour de nous, dont la vue me délecte et me laisse envahir par cette ambiance paisible de village andalou.

-Je me sens bien ici…

-Et ouais mec, j’te l’ai dit, c’est l’Eldorado ! » conclut Mac Fly.

Il a trouvé le mot juste : je ne vois rien à ajouter…

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