0h30 â encore et toujours.
Le temps s’arrĂȘte. Toujours ce faisceau de lumiĂšre â ce putain de faisceau de lumiĂšre â au loin, qui ratisse les bois. Un peu comme dans le film E.T quand le vaisseau extraterrestre se pose.
On joue Ă un deux trois soleil avec lui.
Un deux trois ZOUIIIIIIIIIIIIIIIII â et la lumiĂšre fut â en plein devant nous â on se fige comme deux roseaux. Deux Ă©pouvantails traquĂ©s par les forces malĂ©fiques.
Django a éteint sa lampe frontale et il fait : « Baisse toi ! Couche toi ! COUCHE TOI ! »
Son murmure est un cri. Un cri de panique mais surtout de désespoir. Je me baisse comme je peux mais je peux pas grand-chose.
Je crois que j’entends des bruits lĂ -bas. Des voix ? Des gus qui parlent entre eux ? Le garde-forestier et son adjoint ? Comme si on avait Ă©tĂ© repĂ©rĂ©s. Et des bruits, des crissements, comme si on Ă©crasait les branches, les feuilles et tout ce que vous pouvez imaginer trouver sur le sol dans la forĂȘt. On s’approche de nous.
Le halo de lumiĂšre se fait plus intense.
Aventure Ă©pique â mon cul !
Django envoie des SMS Ă Melowne. Je l’entends pianoter discrĂštement sur le clavier de son portable old-school et ça m’Ă©nerve. C’est ça qui va alerter nos poursuivants.
Je regarde le mien, de portable. Smartphone genre je me la pĂšte avec son appli calculette du tonnerre et surtout, pour le coup, son Ă©cran tactile et large, hyper-rĂ©troĂ©clairĂ©. Django : « Ăteins ton portable. ĂTEINS TON PORTABLE ! ». Pour lui c’est ça qui va nous faire repĂ©rer. Je m’exĂ©cute. Tant pis, je pourrais pas dire Ă MarlĂšne que je l’aime, je pourrais pas lui demander de veiller sur Pat et SĂ©b si jamais il m’arrive un truc. Mais Django a raison â en plus de la lumiĂšre qui Ă©mane de mon smartphone et qui nous rend mĂ©ga-voyants – peut-ĂȘtre que lĂ -bas ils ont des outils ultra-pointus pour gĂ©olocaliser les signaux qu’il Ă©met.
On se fera pas avoir, foi de B.Howl !
Je fais le malin lĂ , mais je vous jure que je tremble Ă mort. « T’as des crampes ? » Django me demande. « Non », je rĂ©ponds. « T’as des crampes ? » Mais pourquoi il rĂ©pĂšte toujours deux fois ce qu’il dit ? « Non Django⊠J’ai⊠j’ai peur… »
Je veux que ça s’arrĂȘte. Je veux rentrer, me foutre au pieu, dormir pĂ©pĂšre et qu’on me foute la paix jusqu’au restant de mes jours. Ă la place de ça, on est comme deux cons â je compte pas Melowne dans le tas – dĂ©solĂ© mec, mais Melowne Ă l’heure qu’il est et vu son flegme lĂ©gendaire, je l’imagine bien se la couler douce en mangeant le reste du gĂąteau de sa mĂšre autour des derniĂšres braises â et nous on est deux cons paumĂ©s immobiles en position de « je fais caca debout » – traquĂ©s au beau milieu des bois.
Allez Django, on se rend ! Au pire on se fait taper sur les doigts par les gardes-forestiers et on a une amende. SalĂ©e peut-ĂȘtre, mais qui va moins bousiller notre vie que cette peur intense et constante qui nous prend au bide depuis tout Ă l’heure. Ă moins qu’on risque la prison ?
Et s’il s’agissait pas de gardes-forestiers ? S’il s’agissait â je sais pas moi⊠– de tueurs en sĂ©rie façon Dexter dont le rituel est de creuser chaque semaine le lieu de repos final de leur nouvelle victime ?
Si c’Ă©tait vraiment des Extraterrestres dont le seul but est de coloniser la terre et de rĂ©duire l’humanitĂ© Ă nĂ©ant ?
Aidés dans leur mission démoniaque par des voitures qui se transforment en robots surpuissants ?
Si c’Ă©tait des gens du futur paumĂ©s comme nous au point Delta d’un continuum espace-temps totalement tĂ©nu et embrouillé ?
Si c’Ă©tait Dieu(x) ?
Avec ces conneries il est à présent 1h30 du matin.
Mon cĆur bat la chamade et je ressens ses pulsations dans tout mon ĂȘtre. Un peu plus et je vais me pisser dessus.
Et la lumiĂšre fut â mais soudain elle disparaĂźt.
C’est un leurre. Les entitĂ©s pluriformes non-identifiĂ©es attendent patiemment qu’on fasse du bruit, qu’on se mette Ă dĂ©couvert â aprĂšs, ils auront plus qu’Ă nous cueillir.
Mais ça marchera pas. On est trop rusés pour se faire avoir.
J’entends des gens rigoler derriĂšre !
Tant pis si c’est un leurre. AgenouillĂ© comme un con, ma position est inconfortable. Je fais un peu de bruit, pour la discrĂ©tion on repassera, mais j’imite Django en me mettant allongĂ© en chien de fusil â en position quasi-foetale, sur la terre, les feuilles mortes, les fougĂšres et les ronces.
Aventure Ă©pique â mon cul !
DĂ©sormais on est face-Ă -face Django et moi â en position de la cuillĂšre, mais inversĂ©e. Si les lumiĂšres rĂ©apparaissent, elles seront derriĂšre moi. Je tremble toujours. Chuchotements couverts par les cris des marcassins : « T’as des crampes ?
– Toujours pas, Django… »
Django pose sa main sur ma joue. Ses doigts massent mes tempes â et ça me calme vachement. Certainement qu’il se sent responsable de la merde dans laquelle on est. Mais faut pas⊠S’il continue comme ça dix minutes, je crois que je serai capable de m’endormir â d’un coup, comme ça. Sa main sur mon visage⊠Un peu plus et ce serait super-Ă©rotique, je vous jure ! En tout cas, c’est chaud, et s’il nous arrive quelque chose, cette nuit, dans cette forĂȘt, au moins j’aurais vĂ©cu ça. Django⊠ce geste fraternelâŠ
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Soudain Django se redresse. « Qu’est-ce qu’il y a ? » je demande. « Il y a plus rienâŠ
– Quoi ?
– Il y a plus rien, B.Howl. Plus de lumiĂšres.
– SĂ©rieux ? »
Je me relĂšve Ă mon tour et me tourne vers l’endroit d’oĂč semblait provenir le halo tout Ă l’heure. Django a raison. La seule lumiĂšre qui nous Ă©claire, c’est celle de la Lune.
« C’est fini… » je soupire.
On est tous les deux debout maintenant. On voit quand mĂȘme quelque chose au fond. Des ombres parsemĂ©es, des lumiĂšres dansantes. « Peut-ĂȘtre des gens qui ont eu la mĂȘme idĂ©e que nous ? » fait Django.
Mouais⊠Ou peut-ĂȘtre nous ? Peut-ĂȘtre que c’est nous qu’on voit â dans le passé ? Je partage pas cette pensĂ©e avec Django, je suis parti trop loin, encore une foisâŠ
« J’aimerais bien voir ce qu’il se passe lĂ -bas… » fait Django en essayant de distinguer des formes, des bruits… « Non, mec. Ăa sert Ă rien. Viens, faut qu’on cherche Melowne. »
On se remet en marche. Django a paumĂ© sa lampe frontale en se couchant. On voit que dalle. C’est dans quelle direction ? On est paumĂ©s⊠Ăa craint⊠Comment on va faire pour retrouver Melowne ? La nuit, dans la forĂȘt, tout est pareil. On commence Ă ratisser la zone. Ăa fait un sacrĂ© bout de temps qu’on est parti, et si ça se trouve, Melowne est parti Ă notre recherche⊠Vous avez dĂ©jĂ fait un cache-cache nocturne dans les bois ?
« Melowne ! » crie Django. « MELOOOOOOWNE !!! »
Au bout d’un moment, au loin entre deux arbres une forme s’esquisse. Une forme flegmatique qu’on reconnaĂźt bien.
« Là -bas ! »
On se prĂ©cipite sur Melowne. Et devinez quoi ? Il est comme je me l’Ă©tais imaginĂ©. Les doigts de pieds en Ă©ventails, accroupi sur un tronc d’arbre. Notre fabuleux feu de camp, par contre, est en train de vivre ses derniers instants. « Eh ben ! Vous en avez mis du temps les gars !… » Ăvidemment, aucun des SMS que Django lui a envoyĂ©s lui est parvenu.
Django est rempli de rage : « Ăa sert Ă rien de rester ici les gars. C’est fini pour aujourd’hui. C’est bon, on met les voiles et on se tire de lĂ . »
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Melowne s’en tape. Moi⊠je comprends la dĂ©ception de Django, et sa dĂ©cision. On voulait passer une nuit pĂ©nard â trois potes qui se retrouvent â et aprĂšs ce qu’on vient de vivre, c’est inutile de rester lĂ … – mais je suis plus fatiguĂ© maintenant. Trop d’adrĂ©naline. Mes tempes vrombissent encore. On remballe toutes nos affaires, nos dĂ©chets, on Ă©touffe notre feu de camp, et on dĂ©guerpit en silence, sans laisser de trace.
On traverse toute la forĂȘt â sans se soucier des herbes hautes, des racines qui nous font presque tomber parfois, sans se soucier des ronces qui s’accrochent Ă nos pantalons, des bruits des sangliers qui se font de plus en plus menaçants. On regarde pas en arriĂšre. Django marmonne. Il a une dent contre les lumiĂšres, contre ces gens hypothĂ©tiques qui nous ont effrayĂ©, qui nous ont coupĂ© dans notre Ă©lan. Ce qui compte, maintenant, c’est retrouver la twingo de Django et rentrer.
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Fuir et oublier toutes ces conneries le plus vite possible.
Enfin, la route. La voiture est lĂ -bas, Ă 500m sur notre gauche. On y est presque.
Soudain Django s’arrĂȘte. « Regardez lĂ , les gars ! » Je vois rien. Rien du tout. Et Melowne c’est pareil je crois. « Ouais ? Qu’est-ce qu’il y a ? »
Django est persuadĂ© d’avoir vu quelque chose â ou quelqu’un. Une fille mince, en robe de mariĂ©e. Une fille qui luit. Une fille paumĂ©e comme nous, la nuit dans la forĂȘt. Une fille spectrale. Un fantĂŽme.
3h du matin.
Django, Melowne et moi-mĂȘme qui montons fissa dans la twingo de Django – paumĂ©e comme nous dans la nuit Ă l’entrĂ©e de la forĂȘt. Et Django qui, au lieu de prendre la route pour rentrer, fais demi-tour, tous phares Ă©teints, jusqu’Ă une zone reculĂ©e de la forĂȘt. Et Django qui baisse la vitre et qui gueule : « VOUS ĂTES CONTENTS ?? BANDE DE SALAUDS ! VOUS AVEZ GĂCHĂ MA SOIRĂE ! »
Mais ici seuls les arbres endormis et les animaux de la nuit l’entendent.
Puis Django redĂ©marre en trombe â une seule idĂ©e dans nos tĂȘtes : fuir tout ce merdier.
VoilĂ omment on en est arrivĂ© lĂ …
Aventure Ă©pique â mon cul !