Auteur/autrice : Ben Howl

  • Un sĂ©jour parisien

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    Dans le nord de Paris

    chez Candy Sweet et Marla

    je fais genre

    le gendre idĂ©al –

    la vaisselle et je laisse tout

    tout propre derriĂšre moi.

    Balade aux airs du soir

    autour du lac d’Enghien

    des biĂšres dans la main.

    La vie ici

    si loin si proche

    du stress parisien.

    Candy va Ă  Lille l’an prochain.

    Je l’attends de pied ferme.

    Ça va ĂȘtre la java

    ça va ĂȘtre le souk.

    On va brûler, brûler, brûler

    pareils aux fabuleux feux jaunes des chandelles romaines.

     

    Plus tard Ă  la campagne

    chez Sophie et Jules

    le ciel est dégagé

    loin des lumiĂšres

    de la ville-lumiĂšre

    tout va Ă  vau l’eau Ă  Vaux le Vicomte.

    La lĂ©gende raconte qu’ils vont bientĂŽt se marier.

    La mĂȘme lĂ©gende que celle des contes de fĂ©es

    que Sophie finissait par ne plus croire

    et à laquelle elle a toujours aspiré.

    Je suis crevé

    je rĂȘve de MarlĂšne

    ses yeux de tigre

    ses lĂšvres douces –

    Elle et moi courons main dans la main dans les herbes vertes de la prairie.

    Le matin quand je lĂšve les volets

    en calbute

    je me vois ma bite

    comme la grosse aiguille d’une horloge grandiloquente

    genre hĂŽtel de ville.

    Tic tac tic tac tic

    L’horloge baudelairienne –

    Memento mori

    et toutes ces conneries car moi

    je revis.

     

    Je réapparais à Paris

    du cÎté de chez Sam

    qui m’a laissĂ© les clĂ©s avant de partir.

    Je squatte chez lui

    je saccage tout –

    Attila – lĂ  oĂč il passe mĂȘme l’herbe trĂ©passe.

    Je range tout derriĂšre moi

    mais ma venue laisse quelques traces

    un DVD laissé en plan

    et une multiprise démantibulée.

     

    Paris Gare du Nord

    je suis cerné.

    ContrĂŽle de police

    rien à déclarer

    je me fais tĂąter

    de la tĂȘte aux pieds.

     

    Dans le train qui me ramĂšne

    sur le siĂšge d’Ă  cĂŽtĂ©

    une fille se met Ă  pleurer

    « Peine de cƓur ? »

    je demande pas

    et la fille répond pas non plus

    mĂȘme quand je lui propose un mouchoir.

     

    Et c’est la fin.

    La nuit tombe.

    Je suis rentré.

    Dehors des pétards claquent.

    C’est le 14 juillet.

  • À la recherche d’Alexis Markowicz

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    MĂȘme si le titre y ressemble, je vous arrĂȘte tout de suite, c’est pas parce que c’est la FĂȘte Nationale que vous allez croire que je suis en train de pondre une histoire totalement loufoque comme je l’ai fait il y a quelques mois avec celle d’Arthur Martin.

    Non non. Alexis Markowicz existe vraiment. Du moins, en quelque sorte.

    J’ai rencontrĂ© rencontrĂ© pour la premiĂšre fois Alexis Markowicz alors qu’on rentrait tous les deux en 6Ăšme. Je l’ai pas tout de suite remarquĂ© les jours suivant la rentrĂ©e. Normal – gĂ©nĂ©ralement, Ă  cette Ă©poque de l’annĂ©e et surtout quand on change d’Ă©tablissement, qu’on est tous plus ou moins paumĂ©s et qu’on connaĂźt Ă  peu prĂšs personne, on fait tout pour pas trop se faire remarquer. Mais une fois qu’on a fini par s’acclimater Ă  notre nouvel environnement, une fois qu’on prend nos repĂšres, c’est lĂ  qu’on peut commencer Ă  s’exprimer, c’est lĂ  que commence la pĂ©riode de nos vies appelĂ©e « collĂšge » – le dĂ©but de l’adolescence, l’abandon de l’inconscience
 Mais de tout ça, en sixiĂšme, on en est encore loin – on est que des gosses et on en a rien Ă  foutre. Vivre au jour le jour ! La bohĂšme ! Mais quand mĂȘme, sous le regard, sous le joug parfois – de nos darons.

    Alexis Markowicz Ă©tait dans ma classe. Il Ă©tait gentil, touchant et drĂŽle. Son humour Ă©tait fin et dĂ©licat – plus dĂ©licat que le mien, dĂ©jĂ  Ă  l’Ă©poque. Il Ă©tait fortiche au niveau imitations – il pouvait imiter Mitterrand et Chirac comme aux Guignols.

    Il avait un autre point commun avec moi. Il Ă©tait (est toujours) d’origine polonaise.

    Bah ouais je suis polak, ça se voit non ? Ben Howl vous pensiez que c’Ă©tait quoi ? Benjamin Howlowski. Bam – pure souche silĂ©sienne.

    D’oĂč son humour, peut-ĂȘtre – beaucoup plus subtil, beaucoup plus corrosif que celui des gamins de notre Ăąge.

    Enfin, dernier point commun – on dessinait tous les deux.

    J’avais passĂ© Ă  peu prĂšs toutes les rĂ©crĂ©s de l’Ă©cole primaire Ă  dessiner dans le prĂ©au de l’Ă©cole, parfois entourĂ© de curieux, mais jamais de groupies – le dessin, comme l’Ă©criture, c’est un acte solitaire – pour pas dire introspectif. Je dessinais des monstres horribles, sortis tout droit de mes rĂȘves lovecraftiens, je racontais des histoires d’extra-terrestres et de Terre dĂ©truite Ă  coup de bombes thermonuclĂ©aires. Alexis, lui, faisait des caricatures. Il croquait nos profs sur des bouts de feuilles de cahiers de cours, et quand il me montrait ses derniĂšres merveilles je me fendais toujours la pĂȘche. Je me souviens de Mme Dejoin, notre prof de français – vieille France, hyper-coincĂ©e. L’annĂ©e oĂč on l’avait eue comme prof, Alexis lui avait fait le portrait, et il lui a offert – le 02 juin
 Pourquoi ce jour là ? Parce que le 02 juin, c’Ă©tait logique, ça coulait de source, c’Ă©tait sa fĂȘte, Ă  Mme Dejoin
 CQFD !

    Alexis faisait des caricatures, et pour le coup, lui, il était vraiment solitaire. En cours, il y avait jamais personne à sa table. Et à la récré, je le croisais jamais.

    J’ai vraiment fait connaissance avec Alexis un jour oĂč on avait Ă©tĂ© collĂ©s tous les deux par notre prof principal, pour une raison hyper-conne et pas du tout justifiĂ©e.

    Ce sadique nous avait collĂ© un mercredi Ă  8h. On s’est fait chier pendant deux heures Ă  recopier le rĂšglement intĂ©rieur du collĂšge – Ă  l’envers, mot par mot s’il vous plaĂźt ! – sinon ce serait pas drĂŽle
 – et puis aprĂšs, on Ă©tait de nouveau libres. Alexis m’a proposĂ© de le raccompagner chez lui -et comme j’avais pas grand-chose Ă  faire, j’ai acceptĂ©. Sur la route on s’est bien marrĂ©. Je crois que c’est la premiĂšre fois que je me fendais autant la poire avec quelqu’un de mon Ăąge. On est arrivĂ©s devant chez lui. Sa maison Ă©tait grise, presque lugubre. Alexis m’a laissĂ© lĂ . Il Ă©tait vraiment dĂ©solĂ©, mais il pouvait pas me laisser rentrer. Ce jour lĂ , l’huissier venait de confisquer les derniers meubles. Entre deux fous-rires sur le chemin de sa maison, Alexis avait eu le temps de me dire que ses parents Ă©taient en situation de surendettement. Pour je sais pas quelles raisons, tout s’Ă©tait Ă©croulĂ© autour d’eux, du jour au lendemain. Il avait l’air tellement triste que j’ai pas voulu approfondir le sujet.

    On a convenu que la semaine suivante, aprĂšs nos deux derniĂšres heures de colle, ce serait lui qui viendrait chez moi. Mais quand j’ai ouvert la porte d’entrĂ©e et que j’ai dit : « Maman, Papa, je vous prĂ©sente Alexis ! » ma mĂšre s’est prĂ©cipitĂ©e sur moi et elle a gueulĂ© que non, je pouvais pas inviter des gens comme ça, sans prĂ©venir, que c’Ă©tait inadmissible, que je pouvais pas jouer dans ma chambre avec cet Alexis qu’elle connaissait ni d’Ève ni d’Adam et qu’il devait partir d’ici tout de suite.

    On s’est donc retrouvĂ©s comme des cons dans la rue, et cette fois ci, c’Ă©tait moi qui Ă©tais dĂ©solĂ©. Histoire de me faire pardonner, j’ai proposĂ© Ă  Alexis de le raccompagner jusqu’Ă  chez lui. En marchant j’ai tentĂ© de lui expliquer que mes parents, malgrĂ© leurs dĂ©fauts, ils Ă©taient plutĂŽt cool, mais j’avais pas vraiment le cƓur Ă  ça.

    La situation Ă©tait embarrassante – Alexis s’Ă©tait fait renvoyer de chez moi comme un malpropre et j’avais l’impression de dĂ©fendre l’indĂ©fendable – je comprenais que mes parents refusent d’accueillir Ă  la maison quelqu’un qu’ils ne connaissaient pas, mais justement, pour qu’ils aient la chance de connaĂźtre Alexis, il fallait bien que je le ramĂšne Ă  la maison ! – mais heureusement, Alexis a changĂ© de sujet. « Ma famille et moi, on est T.J », il me dit doucement. Comme s’il se confiait.

    « T.J ? » je demande.

    « Tu as entendu parler des Témoins de Jéhovah ? »

    Ouais, vite fait, j’en avais entendu parler. C’Ă©tait ces drĂŽles de gens pas marrants qui venaient frapper Ă  la porte de chez mes parents une ou deux fois par an et qui se faisaient claquer la porte au nez ? Je comprenais pas comment Alexis en Ă©tait arrivĂ© Ă  parler de ça, je voyais pas le lien qu’il y avait
 Ă  moins qu’on soit comme des TĂ©moins de JĂ©hovah, parce que nous aussi, finalement, ce jour lĂ  on s’Ă©tait fait claquer la porte au nez par mes parents ?

    Non non
 En fait Alexis m’a expliquĂ© que lui et sa famille, ils Ă©taient TĂ©moins de JĂ©hovah. Je sentais que ça le gĂȘnait pas spĂ©cialement de m’en parler, mais je sentais aussi que c’Ă©tait quand mĂȘme pour lui une confidence. Il me faisait confiance, il me considĂ©rait vraiment comme son pote ! J’Ă©tais honorĂ©. Moi, du moment que je me poilais bien en sa compagnie, je m’en foutais qu’il ait pas de cadeaux Ă  NoĂ«l, qu’il fĂȘte pas Carnaval ou je sais quoi


     

    AprĂšs ces deux fois deux heures de colle, aprĂšs ces deux mercredis matins, on a plus jamais eu l’occasion d’ĂȘtre aussi proches, Alexis et moi. Je sais pas pourquoi. Je le saluais tous les matins, mais en cours, comme avant, il y avait jamais personne Ă  sa table. Parce qu’en cours, j’essayais toujours de m’asseoir Ă  cĂŽtĂ©, ou devant, ou derriĂšre la fille dont j’Ă©tais amoureux. Et Ă  la rĂ©crĂ©, je le croisais jamais. Parce que je passais mes rĂ©crĂ©s avec mes copains qui lui parlaient pas, et que lui il traĂźnait tout seul.

    Et aprĂšs le collĂšge, je l’ai plus jamais revu – mĂȘme si j’ai cru l’avoir croisĂ©, une ou deux fois. Dans la rue, dans un train, dans un café 

     

    Et puis un jour, grĂące au miracle des nouvelles technologies, grĂące au web 2.0, grĂące aux rĂ©seaux sociaux, je sais pas ce qu’il me prend – je tape son nom sur Facebook et je retrouve enfin sa trace. Et je dĂ©couvre qu’Alexis Markowicz est dĂ©sormais costumier au Moulin Rouge.

     

    Au Moulin Rouge ! Faudra que je passe un de ces quatre – sans invitation.

     

    Juste pour voir. Juste pour le voir…

  • Dans la forĂȘt – partie 3

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    0h30 – encore et toujours.

     

    Le temps s’arrĂȘte. Toujours ce faisceau de lumiĂšre – ce putain de faisceau de lumiĂšre – au loin, qui ratisse les bois. Un peu comme dans le film E.T quand le vaisseau extraterrestre se pose.

    On joue Ă  un deux trois soleil avec lui.

    Un deux trois ZOUIIIIIIIIIIIIIIIII – et la lumiĂšre fut – en plein devant nous – on se fige comme deux roseaux. Deux Ă©pouvantails traquĂ©s par les forces malĂ©fiques.

    Django a éteint sa lampe frontale et il fait : « Baisse toi ! Couche toi ! COUCHE TOI ! »

    Son murmure est un cri. Un cri de panique mais surtout de désespoir. Je me baisse comme je peux mais je peux pas grand-chose.

    Je crois que j’entends des bruits lĂ -bas. Des voix ? Des gus qui parlent entre eux ? Le garde-forestier et son adjoint ? Comme si on avait Ă©tĂ© repĂ©rĂ©s. Et des bruits, des crissements, comme si on Ă©crasait les branches, les feuilles et tout ce que vous pouvez imaginer trouver sur le sol dans la forĂȘt. On s’approche de nous.

    Le halo de lumiĂšre se fait plus intense.

    Aventure Ă©pique – mon cul !

    Django envoie des SMS Ă  Melowne. Je l’entends pianoter discrĂštement sur le clavier de son portable old-school et ça m’Ă©nerve. C’est ça qui va alerter nos poursuivants.

    Je regarde le mien, de portable. Smartphone genre je me la pĂšte avec son appli calculette du tonnerre et surtout, pour le coup, son Ă©cran tactile et large, hyper-rĂ©troĂ©clairĂ©. Django : « Éteins ton portable. ÉTEINS TON PORTABLE ! ». Pour lui c’est ça qui va nous faire repĂ©rer. Je m’exĂ©cute. Tant pis, je pourrais pas dire Ă  MarlĂšne que je l’aime, je pourrais pas lui demander de veiller sur Pat et SĂ©b si jamais il m’arrive un truc. Mais Django a raison – en plus de la lumiĂšre qui Ă©mane de mon smartphone et qui nous rend mĂ©ga-voyants – peut-ĂȘtre que lĂ -bas ils ont des outils ultra-pointus pour gĂ©olocaliser les signaux qu’il Ă©met.

    On se fera pas avoir, foi de B.Howl !

    Je fais le malin lĂ , mais je vous jure que je tremble Ă  mort. « T’as des crampes ? » Django me demande. « Non », je rĂ©ponds. « T’as des crampes ? » Mais pourquoi il rĂ©pĂšte toujours deux fois ce qu’il dit ? « Non Django
 J’ai
 j’ai peur… »

    Je veux que ça s’arrĂȘte. Je veux rentrer, me foutre au pieu, dormir pĂ©pĂšre et qu’on me foute la paix jusqu’au restant de mes jours. À la place de ça, on est comme deux cons – je compte pas Melowne dans le tas – dĂ©solĂ© mec, mais Melowne Ă  l’heure qu’il est et vu son flegme lĂ©gendaire, je l’imagine bien se la couler douce en mangeant le reste du gĂąteau de sa mĂšre autour des derniĂšres braises – et nous on est deux cons paumĂ©s immobiles en position de « je fais caca debout » – traquĂ©s au beau milieu des bois.

    Allez Django, on se rend ! Au pire on se fait taper sur les doigts par les gardes-forestiers et on a une amende. SalĂ©e peut-ĂȘtre, mais qui va moins bousiller notre vie que cette peur intense et constante qui nous prend au bide depuis tout Ă  l’heure. À moins qu’on risque la prison ?

    Et s’il s’agissait pas de gardes-forestiers ? S’il s’agissait – je sais pas moi
 – de tueurs en sĂ©rie façon Dexter dont le rituel est de creuser chaque semaine le lieu de repos final de leur nouvelle victime ?

    Si c’Ă©tait vraiment des Extraterrestres dont le seul but est de coloniser la terre et de rĂ©duire l’humanitĂ© Ă  nĂ©ant ?

    Aidés dans leur mission démoniaque par des voitures qui se transforment en robots surpuissants ?

    Si c’Ă©tait des gens du futur paumĂ©s comme nous au point Delta d’un continuum espace-temps totalement tĂ©nu et embrouillé ?

    Si c’Ă©tait Dieu(x) ?

     

    Avec ces conneries il est à présent 1h30 du matin.

     

    Mon cƓur bat la chamade et je ressens ses pulsations dans tout mon ĂȘtre. Un peu plus et je vais me pisser dessus.

    Et la lumiùre fut – mais soudain elle disparaüt.

    C’est un leurre. Les entitĂ©s pluriformes non-identifiĂ©es attendent patiemment qu’on fasse du bruit, qu’on se mette Ă  dĂ©couvert – aprĂšs, ils auront plus qu’Ă  nous cueillir.

    Mais ça marchera pas. On est trop rusés pour se faire avoir.

    J’entends des gens rigoler derriĂšre !

    Tant pis si c’est un leurre. AgenouillĂ© comme un con, ma position est inconfortable. Je fais un peu de bruit, pour la discrĂ©tion on repassera, mais j’imite Django en me mettant allongĂ© en chien de fusil – en position quasi-foetale, sur la terre, les feuilles mortes, les fougĂšres et les ronces.

    Aventure Ă©pique – mon cul !

    DĂ©sormais on est face-Ă -face Django et moi – en position de la cuillĂšre, mais inversĂ©e. Si les lumiĂšres rĂ©apparaissent, elles seront derriĂšre moi. Je tremble toujours. Chuchotements couverts par les cris des marcassins : « T’as des crampes ?

    – Toujours pas, Django… »

    Django pose sa main sur ma joue. Ses doigts massent mes tempes – et ça me calme vachement. Certainement qu’il se sent responsable de la merde dans laquelle on est. Mais faut pas
 S’il continue comme ça dix minutes, je crois que je serai capable de m’endormir – d’un coup, comme ça. Sa main sur mon visage
 Un peu plus et ce serait super-Ă©rotique, je vous jure ! En tout cas, c’est chaud, et s’il nous arrive quelque chose, cette nuit, dans cette forĂȘt, au moins j’aurais vĂ©cu ça. Django
 ce geste fraternel


    Aventure Ă©pique – mon cul !

    Soudain Django se redresse. « Qu’est-ce qu’il y a ? » je demande. « Il y a plus rien


    – Quoi ?

    – Il y a plus rien, B.Howl. Plus de lumiĂšres.

    – SĂ©rieux ? »

    Je me relĂšve Ă  mon tour et me tourne vers l’endroit d’oĂč semblait provenir le halo tout Ă  l’heure. Django a raison. La seule lumiĂšre qui nous Ă©claire, c’est celle de la Lune.

    « C’est fini… » je soupire.

    On est tous les deux debout maintenant. On voit quand mĂȘme quelque chose au fond. Des ombres parsemĂ©es, des lumiĂšres dansantes. « Peut-ĂȘtre des gens qui ont eu la mĂȘme idĂ©e que nous ? » fait Django.

    Mouais
 Ou peut-ĂȘtre nous ? Peut-ĂȘtre que c’est nous qu’on voit – dans le passé ? Je partage pas cette pensĂ©e avec Django, je suis parti trop loin, encore une fois


    « J’aimerais bien voir ce qu’il se passe lĂ -bas… » fait Django en essayant de distinguer des formes, des bruits… « Non, mec. Ça sert Ă  rien. Viens, faut qu’on cherche Melowne. »

    On se remet en marche. Django a paumĂ© sa lampe frontale en se couchant. On voit que dalle. C’est dans quelle direction ? On est paumĂ©s
 Ça craint
 Comment on va faire pour retrouver Melowne ? La nuit, dans la forĂȘt, tout est pareil. On commence Ă  ratisser la zone. Ça fait un sacrĂ© bout de temps qu’on est parti, et si ça se trouve, Melowne est parti Ă  notre recherche
 Vous avez dĂ©jĂ  fait un cache-cache nocturne dans les bois ?

    « Melowne ! » crie Django. « MELOOOOOOWNE !!! »

    Au bout d’un moment, au loin entre deux arbres une forme s’esquisse. Une forme flegmatique qu’on reconnaĂźt bien.

    «  Là-bas ! »

    On se prĂ©cipite sur Melowne. Et devinez quoi ? Il est comme je me l’Ă©tais imaginĂ©. Les doigts de pieds en Ă©ventails, accroupi sur un tronc d’arbre. Notre fabuleux feu de camp, par contre, est en train de vivre ses derniers instants. « Eh ben ! Vous en avez mis du temps les gars !… » Évidemment, aucun des SMS que Django lui a envoyĂ©s lui est parvenu.

    Django est rempli de rage : « Ça sert Ă  rien de rester ici les gars. C’est fini pour aujourd’hui. C’est bon, on met les voiles et on se tire de lĂ . »

    Aventure Ă©pique – mon cul !

    Melowne s’en tape. Moi
 je comprends la dĂ©ception de Django, et sa dĂ©cision. On voulait passer une nuit pĂ©nard – trois potes qui se retrouvent – et aprĂšs ce qu’on vient de vivre, c’est inutile de rester lĂ … – mais je suis plus fatiguĂ© maintenant. Trop d’adrĂ©naline. Mes tempes vrombissent encore. On remballe toutes nos affaires, nos dĂ©chets, on Ă©touffe notre feu de camp, et on dĂ©guerpit en silence, sans laisser de trace.

    On traverse toute la forĂȘt – sans se soucier des herbes hautes, des racines qui nous font presque tomber parfois, sans se soucier des ronces qui s’accrochent Ă  nos pantalons, des bruits des sangliers qui se font de plus en plus menaçants. On regarde pas en arriĂšre. Django marmonne. Il a une dent contre les lumiĂšres, contre ces gens hypothĂ©tiques qui nous ont effrayĂ©, qui nous ont coupĂ© dans notre Ă©lan. Ce qui compte, maintenant, c’est retrouver la twingo de Django et rentrer.

    Aventure Ă©pique – mon cul !

    Fuir et oublier toutes ces conneries le plus vite possible.

    Enfin, la route. La voiture est lĂ -bas, Ă  500m sur notre gauche. On y est presque.

    Soudain Django s’arrĂȘte. « Regardez lĂ , les gars ! » Je vois rien. Rien du tout. Et Melowne c’est pareil je crois. « Ouais ? Qu’est-ce qu’il y a ? »

    Django est persuadĂ© d’avoir vu quelque chose – ou quelqu’un. Une fille mince, en robe de mariĂ©e. Une fille qui luit. Une fille paumĂ©e comme nous, la nuit dans la forĂȘt. Une fille spectrale. Un fantĂŽme.

     

    3h du matin.

     

    Django, Melowne et moi-mĂȘme qui montons fissa dans la twingo de Django – paumĂ©e comme nous dans la nuit Ă  l’entrĂ©e de la forĂȘt. Et Django qui, au lieu de prendre la route pour rentrer, fais demi-tour, tous phares Ă©teints, jusqu’Ă  une zone reculĂ©e de la forĂȘt. Et Django qui baisse la vitre et qui gueule : « VOUS ÊTES CONTENTS ?? BANDE DE SALAUDS ! VOUS AVEZ GÂCHÉ MA SOIRÉE ! »

    Mais ici seuls les arbres endormis et les animaux de la nuit l’entendent.

    Puis Django redĂ©marre en trombe – une seule idĂ©e dans nos tĂȘtes : fuir tout ce merdier.

    VoilĂ  omment on en est arrivĂ© lĂ …

     

     

    Aventure Ă©pique – mon cul !

  • Dans la forĂȘt – partie 2

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    21h30 – toujours.

     

    On entend Django au loin. « Il a fini par nous retrouver ! » je m’exclame. Melowne voit un sourire se dessiner sur mon visage. Mises au placard, les broutilles de tout Ă  l’heure – Django se dĂ©place parmi les arbres, et bientĂŽt il est de retour parmi nous dans la clairiĂšre. « J’en reviens pas ! » il fait en voyant qu’on a dĂ©jĂ  montĂ© la tente et prĂ©parĂ© le terrain pour le feu de camp. « Si tu crois qu’on allait se tourner les pouce pendant ton absence… » lance Melowne.

    la tente
    la tente

    La nuit s’amorce, mais le ciel est encore clair. Pourtant, on est dĂ©jĂ  plongĂ© dans l’obscuritĂ©. Tous les arbres autour de nous profitent Ă  notre place des derniĂšres lueurs.

    Django, en prĂ©parant le feu : « Tu sais B.Howl, si je me suis Ă©nervĂ© tout Ă  l’heure, c’est pas contre toi. C’est que j’ai horreur qu’on me dise ce que je dois faire ou non, surtout quand je sais ce que je fais.

    – Je sais.

    – Je voulais juste Ă©loigner la voiture de la forĂȘt, histoire que personne sache qu’on est lĂ .

    – Je sais.

    – Parce que le gars de tout Ă  l’heure, c’Ă©tait pas un pĂ©quin, c’Ă©tait le garde forestier.

    – je sais, Dango. Je vois pas qui d’autre sillonnerait des chemins de forĂȘts en 4×4 Ă  l’heure des Enfants de la TĂ©lé  »

    Melowne soupire. Il en a marre qu’on ressasse notre altercation, et on le comprend. C’est lui qui nous a fait flipper, quand il s’est pointĂ© chez Django tout Ă  l’heure, et qu’il nous a racontĂ© que les feux de camp, c’Ă©tait interdit et qu’on risquait une belle amende si on se faisait prendre par le garde forestier.

    Les feuilles mortes commencent Ă  bien prendre dans le sous-foyer, Ă  la base de la structure pyramidale que Django a mise en place pour bien faire le feu de camp.

    Je demande : « Qui t’a appris Ă  dresser des feux de camp ?

    – C’est Mac Fly, il y a quelques annĂ©es, bien avant qu’il prenne la poudre d’escampette en Andalousie. À l’Ă©poque, il venait souvent ici. Seul. Il y passait des week-ends entiers.

    – SacrĂ© bonhomme !

    ça prend
    ça prend

     

    22h30.

     

    Django Melowne et moi. Trois loubards posĂ©s tranquillou autour des flammes qui dansent. Sans personne pour nous faire chier Ă  des kilomĂštres Ă  la ronde. On s’applique Ă  manger nos victuailles. Le pĂątĂ© est une tuerie, le pain cale bien. Le gĂąteau de la mĂšre de Melowne on le dĂ©vore fĂ©rocement. Mes bananes ont pas trop la cĂŽte, par contre – je suis le seul Ă  en manger, histoire de dire que je mange Ă©quilibrĂ©. Et on arrose tout ça avec de la bonne biĂšre bien comme il faut.

    On se raconte des histoires, on se souvient de notre road-trip en vĂ©lo dans la baie du Mont Saint-Michel
 c’Ă©tait il y a prĂšs de dix ans, mine de rien. Quelle aventure Ă©pique.

    Maintenant, Ă  part notre feu de camp et la lampe frontale de Django, on est vraiment plongĂ© dans le noir. Django se lĂšve, fouille dans les affaires : « Est-ce que l’un d’entre vous a vu la lampe-torche traĂźner dans le coin ?

    – NĂ©gatif. » fait Melowne. « Je crois qu’on l’a oubliĂ©e dans le coffre de la twingo.

    – Merde


    Quand on parle pas, le silence est couvert par le bruit du bois mort qui crĂ©pite, celui des oiseaux qui poussent diffĂ©rents cris, et celui des animaux alentours. Et on est clairement pensifs dans cette parenthĂšse – comme si, la nuit venue, la nature reprenait tous ces droits. Je regarde le feu s’agiter paisiblement. Je regarde le feu et je pense aux premiers hommes qui l’ont « dĂ©couvert ». PromĂ©thĂ©e – le feu. Nahash – le bien et le mal. Et mĂȘme le monolithe noir de 2001 L’OdyssĂ©e de l’Espace – l’outil/l’arme. L’Ă©volution de l’espĂšce humaine aurait une cause extĂ©rieure ? Je pars loin, trĂšs loin.

    feu de camp
    feu de camp

    On a dĂ©jĂ  plus de bois. Django et Melowne dĂ©cident de partir en expĂ©dition pour ramasser des branches mortes plus loin. Je reste dans la clairiĂšre, assis contre un tronc d’arbre, obnubilĂ© par la puissance du feu et des esprits de la forĂȘt.

     

    23h.

     

    Me voici tout seul Ă  prĂ©sent. J’envoie plein de SMS Ă  MarlĂšne mais pas de rĂ©seau ici – je peux pas les envoyer. J’ai un peu les boules, aussi.

    Finalement Melowne et Django reviennent, chargĂ©s de bois. On discute encore un peu – on reste souvent silencieux, encore empĂȘtrĂ©s dans nos rĂȘves. Quelle aventure Ă©pique.

    Soudain je sens quelque chose brĂ»ler sous mon pied. C’est pas sous mon pied que ça brĂ»le, c’est MES GODASSES qui sont en train de brĂ»ler. Ma semelle a fondu, j’ai un Ă©norme trou sous le pied. Encore une paire de Dr Martens niquĂ©e…

    Au loin on entend des marcassins nasiller.

    Quelle aventure épique.

    Dr Martens cramée
    Dr Martens à la  semelle fondue

     

    0h30

     

    Django veut rester Ă©veillĂ© jusqu’Ă  « au moins deux heures du matin ». Moi je suis claquĂ©, j’ai envie d’aller me coucher, et ce d’autant plus que je sais que je vais passer une sale nuit. La fatigue est accentuĂ©e par le fait que je me les gĂšle et en puis je commence Ă  me faire chier. Et en plus on a fini toutes les biĂšres. Allez, une derniĂšre clope et je me pieute.

    Django sent que je vais bientĂŽt jeter l’Ă©ponge. « On a bientĂŽt plus de bois. Ça te dit, B.Howl, de m’accompagner pour en ramener? » Non ça me dit pas. Mais bon, comme on se voit peu, comme ça fait longtemps qu’on a pas fait un truc ensemble, une aventure Ă©pique, OK, je me sors les doigts du cul et je viens avec toi.

    Je me lĂšve avec difficultĂ© et bientĂŽt je suis la lampe frontale de Django Ă  travers la forĂȘt. On s’Ă©loigne de plus en plus de Melowne, j’espĂšre qu’on arrivera sans problĂšme Ă  le retrouver.

    Et soudain, de la lumiĂšre au loin. Django se fige et me demande de faire de mĂȘme. C’est quoi ce dĂ©lire ? C’est la lune qui nous Ă©claire trop fort ?

    Ou c’est le garde-forestier ?

    Merde


    Comment on en est arrivé là ?

  • Dans la forĂȘt – partie 1

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    3h du matin.

    Django, Melowne et moi-mĂȘme qu montons fissa dans la twingo de Django – paumĂ©e comme nous dans la nuit Ă  l’entrĂ©e de la forĂȘt. Et Django qui, au lieu de prendre la route pour rentrer, fais demi-tour, tous phares Ă©teints, jusqu’Ă  une zone reculĂ©e de la forĂȘt. Et Django qui baisse la vitre et qui gueule : « VOUS ÊTES CONTENTS ?? BANDE DE SALAUDS ! VOUS AVEZ GÂCHÉ MA SOIRÉE ! »

    Mais ici seuls les arbres endormis et les animaux de la nuit l’entendent.

    Puis Django redĂ©marre en trombe – une seule idĂ©e dans nos tĂȘtes : fuir tout ce merdier.

    Comment on en est arrivé là ?

     

    Ça fait des semaines que Django a Ă©mis l’idĂ©e de se faire un week-end nature pour se retrouver – lui, Melowne et moi – trois potes dans les bois, pendant que le loup n’y est pas. Comme au bon vieux temps, quand on partait faire de grandes embardĂ©es sauvages – la baie du Mont Saint Michel en vĂ©lo, les monts du Nord, les cĂŽtes d’Opale et d’ailleurs


    Et comme toujours Django qui planifie tout en amont. Dans sa tĂȘte, tout est prĂ©cis, rangĂ©, encadrĂ©. Il sait ce qu’il faut faire et on ne peut pas le dĂ©vier. J’aime son organisation mĂ©ticuleuse – ça me permet de me laisser porter par le flot, tranquillement, sans me soucier de quoi que ce soit.

     

    16h.

    On se rejoint tous les trois chez Django. Ça fait un bail que j’ai pas vu Melowne. Il ronchonne, grommelle toujours. Comme toujours, il trouve l’idĂ©e conne. Mais pourtant, comme toujours, il est lĂ , prĂȘt Ă  nous suivre. Il sait que l’aventure va ĂȘtre Ă©pique. On fait vraiment la paire, tous les trois. Je veux dire, on s’Ă©quilibre pas mal. Ce qui se passe, le plus souvent, c’est que Django nous sort de notre taniĂšre, Melowne et moi, casse notre petit confort habituel, et nous on le freine un peu quand on juge qu’il va trop loin. C’est dans cette configuration qu’on quitte le pas de porte de chez Django, le cƓur vaillant, l’esprit lĂ©ger.

    L’aventure va ĂȘtre Ă©pique.

     

    18h30.

    On traĂźne dans un estaminet Ă  quelques kilomĂštres de la forĂȘt. Dans la voiture, tout notre attirail. Un grand sac de lamelles de bois pour le feu. De l’allume-feu. Des pulls en polaire. Une lampe frontale, une torche. Nos sacs de couchage et la tente, Ă©videmment. Du pĂątĂ© fermier, du pain mastoc qui nous tiendra bien le ventre, des bananes, quelques biĂšres mais pas trop – histoire de s’hydrater sans faire une soirĂ©e de soiffards, et – cerise sur le gĂąteau – un gĂąteau justement, un fondant au chocolat, prĂ©parĂ© avec amour par la mĂšre de Melowne parce qu’aujourd’hui c’est son anniversaire. D’ailleurs dans l’estaminet le tenancier nous offre une tournĂ©e pour fĂȘter ça.

    le sac de lamelles de bois
    le sac de lamelles de bois

    Fond sonore : radio nostalgie. Et le racisme ordinaire du tenancier qui nous fait la causette – il parle des gens qui sont pas du coin, des Ă©trangers, et des saoulards qui peuplent abondamment son bar le samedi soir parce que les contrĂŽles des flics, jamais vu dans le coin.

    La France profonde, plus version Groland que JT de Pernaut.

    Je suis pressé de me fondre dans la nature.

    L’aventure va ĂȘtre Ă©pique.

     

    21h30.

    Dans la forĂȘt. Couleurs verdoyantes, teintes ombragĂ©es. Aucun bruit de moteur, aucune agitation de la ville. J’ai pas l’habitude et je me sens pas trĂšs Ă  l’aise pour l’instant – mais ça viendra, je le sais.

    feuillages - pointillisme
    feuillages – pointillisme

    Je suis seul avec Melowne.

    « Tu as vu comment il m’a parlé ? » je dis. « Tu as vu comment il s’est Ă©nervé ? T’as entendu ? Il pense sĂ©rieusement qu’il peut me briser les os en deux ? »

    Melowne dit rien. Il me laisse poursuivre ma diatribe contre Django. Je sais que c’est futile mais je le fais quand mĂȘme. Une fois que j’aurai tout dĂ©versĂ©, je serai calmĂ©. Acte cathartique. Et je voudrais bien savoir ce que Melowne en pense, dans quel camp il se range. Mais Melowne reste silencieux, stoĂŻque. Ce mec, j’adore son flegme.

    Ce qu’il s’est passĂ© c’est qu’Ă  l’entrĂ©e de la forĂȘt on a croisĂ© un gars en 4×4. Un touriste. Le dernier ĂȘtre humain dans les parages, Ă  part nous. Les bois seront Ă  nous. L’aventure va ĂȘtre Ă©pique.

    Ensuite, Django a menĂ© sa twingo loin sur le chemin. Puis il nous a dĂ©posĂ© lĂ , on a sorti toutes nos affaires et on s’en est allĂ©s dans les bois, pendant que le loup n’y est pas.

    Au bout d’un moment on s’est posĂ©s. « Voilà ! On l’a trouvĂ©, notre clairiĂšre ! C’est pas celle que j’avais vue quand j’avais fait mes repĂ©rages [quand je vous disais que Django planifiait tout ! Le jour d’avant, il Ă©tait allĂ© se promener dans la forĂȘt pour repĂ©rer les coins oĂč on pourrait camper !], mais ça conviendra tout Ă  fait. IsolĂ©e, loin des sentiers
 Ici, pas de risque qu’on nous voie, ou qu’on voie la fumĂ©e de notre feu de camp. On sera pĂ©nard ! »

    Dans la forĂȘt
    La clairiĂšre

    Django a marquĂ© une pause, puis en montrant notre barda il a fait : « Gardez tout ça. J’ai un truc Ă  faire. Je reviens dans une demi-heure. »

    – Non » j’ai fait. « On est trois, on reste trois. Qu’est-ce que tu comptes faire ?

    – On peut pas laisser la voiture sur le bord du chemin sinon ça va Ă©veiller les soupçons. Alors je vais la garer ailleurs.

    – C’est vrai que si le garde-forestier fait sa ronde et remarque une voiture en plein milieu du chemin, il va se douter qu’il y a quelqu’un dans les parages. » intervient Melowne.

    « Ouais, je suis d’accord avec vous les gars. C’est pas ça le problĂšme. Simplement, on ne se sĂ©pare pas. On reste unis, OK ? »

    Le ton a commencé à monter entre Django et moi. Avec Melowne en spectateur totalement zen au beau milieu de cette joute verbale.

    Django : « Je sais ce que je fais bordel ! »

    Moi : « Ouais ouais. Je sais que tu sais ce que tu fais. Mais comment tu vas faire pour nous rejoindre aprĂšs ? Tu vas te paumer, la forĂȘt est immense… »

    Django : « Je vous trouverai, vous inquiĂ©tez pas. Je connais la forĂȘt. »

    Moi : « Ah ouais ? Comment ? On peut mĂȘme pas s’appeler, il y a pas de rĂ©seau dans le coin. SĂ©rieusement, Django, je te le dis : on reste Ă  trois, on ne se sĂ©pare pas sinon on va jamais se retrouver
 Tu vas pas commencer Ă  la jouer perso… »

    Django : « Tu me chauffes, là, B.Howl ! Me fais pas chier ! Dégage de mes pattes sinon je te brise les os en deux. »

    Il Ă©tait furax, le mec – je voyais dans ses yeux qu’il plaisantait pas. Mais je captais pas pourquoi il s’Ă©tait Ă©nervĂ©. Je voulais l’amener Ă  la raison mais, sans l’aide de Melowne, pas moyen
 Du coup j’ai abdiquĂ©, et j’ai laissĂ© filĂ© Django. Avant de me tourner le dos, il nous a rappelĂ© que « Je vous rejoins dans une demi-heure. »

     

    « Ça fait 28 minutes qu’il est parti, lĂ … » je fais Ă  Melowne. Je commence Ă  paniquer « La nuit va bientĂŽt tomber. Il faut qu’on monte la tente et qu’on prĂ©pare le feu de camp avant, sinon on est mal. En plus on a oubliĂ© la torche dans le coffre de la voiture et c’est Django qui a la lampe frontale. Il a intĂ©rĂȘt Ă  se dĂ©pĂȘcher, sinon il va jamais nous retrouver  »

    L’aventure va ĂȘtre Ă©pique.

    Mais Melowne hausse les épaules : « Tu veux une part de gùteau ? »

    Ce mec, j’adore son flegme.

  • PoĂšme pour Henry Chinaski

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    De turne en turne

    De clope en clope

    De ville en ville

    De lĂšvres en lĂšvres

    D’alcools en alcools

    De fouffe en fouffe

    La vie

    feu d’artifice

    vieux con pourri

    Pétard mouillé

  • variations en vrac sur le thĂšme de l’autofiction

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    abĂźmes

    mises en abyme

    mimes en abysses.

    Combien de pourcent est vrai si on peut calculer?

     

    Ça traduit quelque chose
 mais quoi ?

     

    Tes peurs, tes angoisses.

    Merci Ă  http://ifaketext.com/
    conversation avec MarlĂšne

    Stupides et contagieuses.

    TOUTE RESSEMBLANCE AVEC DES FAITS OU DES PERSONNES EXISTANT OU AYANT EXISTÉ NE SERAIT QUE PURE COÏNCIDENCE.

    En autofictionnant tout ça, tu les évacues.

     

    Abysses animés

    abymes abimées

     

    Combien de pourcent est vrai si on peut calculer?

     

     

    La cocaĂŻne (ou chlorhydrate de cocaĂŻne de son nom scientifique) se prĂ©sente le plus souvent sous la forme d’une poudre blanche et floconneuse, plus rarement sous forme de cristaux. Celle qui alimente le trafic clandestin n’est pas pure. Elle est la plupart du temps coupĂ©e — « allongĂ©e » — dans le but d’en augmenter le volume, avec des substances diverses telles que le bicarbonate de soude, le sucre, le lactose ou des mĂ©dicaments ou pesticides plus ou moins dangereux. (
)

    La poudreuse
    La poudreuse

    Ces produits de coupe sont susceptibles d’en accroĂźtre les dangers par une potentialisation des effets ou par une interaction entre deux produits15. La poudre vendue sur le marchĂ© clandestin comme Ă©tant de la cocaĂŻne n’en contiendrait en fait que 3 Ă  35 %*

     

    Addis-Abeba.

     

    auto-fixion

     

    crucifixion

     

    autofriction

     

    Combien de pourcent est vrai si on peut calculer?

     

    Tu prends un truc chez toi, dans ton comportement, dans ce que tu vis, ce que tu ressens – tu l’Ă©tires comme un Ă©lastique, tu extrapoles jusqu’Ă  ce que de toi il ne reste quasiment rien.

     

    አá‹Čáˆ”áŠ á‰ á‰Ł

     

    « Pure », OK
 – mais pure Ă  combien de pourcent ? »

     

    Ou bien tu imagines un truc dont tu sais que ça ne t’arrivera jamais. Et tu te demandes comment tu le vivrais, ce que tu ferais si ça t’arrivait, ce que tu ressentirais.

     

    Le déclic


    Le dĂ©clic je crois c’est quand j’ai lu Lunar Park, de Bret Easton Ellis.

    ATTENTION – SPOILERS

    C’Ă©tait il y a longtemps – et c’Ă©tait en allemand – me demande pas pourquoi
 – alors je m’en rappelle plus trĂšs bien.

    Tout ce que je peux dire, c’est que c’est Bret Easton Ellis qui raconte sa vie.

    Un peu comme son journal intime.

    Il raconte son histoire, ses bouquins, ses succĂšs littĂ©raires ( American Psycho, ça te parle?), ses dĂ©boires avec la drogue, et sa vie Ă  l’Ă©poque du rĂ©cit.

    Il vient d’emmĂ©nager dans des suburbs style Wisteria Lane avec sa compagne, Jayne Dennis, ancienne mannequin, et son fils – obligĂ© par les tribunaux de le reconnaĂźtre. Le gamin 10 ans dĂ©jĂ  totalement nĂ©vrosĂ© – sous anxyo’, lithium et tout le toutim.

    Mais la maison est hantĂ©e et des souverĂȘves cinglants accaparent Bret Easton – le spectre de son pĂšre, qui vient de mourir – mais aussi des fulgurances de Patrick Bateman, le yuppie sanguinaire d’American Psycho. L’Ă©crivain doit faire face Ă  ces dĂ©mons et Ă  sa nouvelle vie de pĂšre dont il n’a pas voulu.

    Tu ressors de lĂ  tu comprends que ce n’est pas vrai. Enfin, pas tout. Mais oĂč s’arrĂȘte le rĂ©el, oĂč commence la fiction ?

    C’est qui cette Jayne Dennis ? Pourquoi ça te dit rien ? En mĂȘme temps, les anciennes mannequins, on peut pas dire que ce soit ta tasse de thĂ©.

    Malin comme tu es, tu fais quelques recherches sur les Internets – un peu comme ce que tu as fait avec Arthur Martin


    Et tu découvres un site web, une biographie, des photos
 une vie


     

    Sauf que


    Combien de pourcent est vrai si on peut calculer?

    Sauf que
 Bret Easton Ellis n’a jamais Ă©tĂ© pĂšre, il n’a jamais croisĂ© cette Jayne Dennis
 pour la bonne et simple raison que celle-ci n’existe pas !

    Ce qui est vrai par contre – sans doute
 – c’est la mort de son pĂšre et ses propres personnages qui s’invitent parfois dans sa tĂȘte.

     

    Autant te dire que ce bouquin m’a mis sur le cul.

     

     

     

     

     

    *source : Wikipédia

  • Du cĂŽtĂ© des salauds

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    Le vƓu se rĂ©alise.

    C’est bien beau tout ça.

    Mais le plus intĂ©ressant c’est l’aprĂšs.

    Tu sais, « aprÚs », aprÚs la lune de miel,

    aprĂšs l’Ă©tat de grĂące

    quand le drame se poursuit,

    quand tes ƓillĂšres sont percĂ©es,

    quand tu t’aperçois que t’en chies toujours autant.

    On va faire quoi ? Ramasser à la pelle les cendres de nos amours fumantes ?

    Je lui reproche de jamais ĂȘtre lĂ  pour moi.

    Non, pas jamais. Mais trĂšs peu. Trop peu.

    Jamais.

    Parce qu’on se voit jamais, tout simplement.

    Elle me reproche de toujours faire le pitre.

    Non, pas toujours. Mais en soirée. En public.

    Toujours.

    Parce que ça la gĂšne. Parce que, selon elle, aux yeux des gens je finis par ĂȘtre stupide et que c’est contagieux.

    Mais putain ouvre les yeux MarlÚne ! Je suis toujours comme ça !

    Quand on est Ă  deux, rien qu’Ă  deux, le peu de fois qu’on est Ă  deux, je les fais, mes pitreries grotesques !

    Les blagues sur les porcs tout gais.

    La descente des escaliers.

    Le ventre qui chante « Don’t worry be happy ».

    Et je te vois sourire, je te vois mĂȘme rire, parfois ! – aux Ă©clats.

    Incompatibles…

    Non ?

    Ce serait le diagnostic de tous les bons médecins, non ?

    Alors une nuit, une Ă©niĂšme nuit oĂč tu es pas lĂ ,

    Je glisse de l’autre cĂŽtĂ©,

    presque par hasard, presque naturellement.

    Tu sais, « de l’autre cĂŽté », du cĂŽtĂ© des salauds

    quand tu te retrouves dans la chambre tamisĂ©e d’une de tes nouvelles potes

    quelques verres de blanc dans la tĂȘte

    Tu la regardes des bulles dans les yeux

    flous – folle, jeunesse disparate .

    Elle te regarde

    proie facile et vulnérable.

    « je vais pas te faire un dessin ? »

    ce soir tu feras l’affaire

    Mais je peux pas, je


    Elle agite un sachet

    le coup de grĂące.

    Tu soupires.

    MDMA


    Et puis merde

    à quoi bon se retenir ?

    Qu’est-ce qu’il y a de l’autre cĂŽtĂ©,

    du cÎté des salauds,

    Ă  part ceux qui ont croquĂ© la pomme jusqu’Ă  en avaler les pĂ©pins.

    Se retrouver sur son ventre

    Sentir sa peau douce

    Sniffer Ă  mĂȘme le nez toute la MD dispersĂ©e

    jusqu’au dernier grain

    coincé dans le cratÚre de son nombril

    parfums d’alcĂŽve

    aimer ça

    jouer encore

    Ă  ces jeux d’adultes – plus ou moins

    consentants.

    Jouer jouir choir

    T’aimer comme ça

    malgré ça malgré tout

    du cÎté des salauds.

  • Sur la table

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    Je marche dans un blanc laiteux – en tout cas, je me dĂ©place debout sur mes jambes – d’une façon qui me fait penser Ă  la marche – en tout cas je flotte pas, ça c’est sĂ»r.

    Du moins, je crois.

    Je me sens bien.

    Je marche dans un blanc laiteux – je marche lentement comme si je devais encore apprendre, comme si je commençais juste Ă  m’habituer, Ă  prendre possession de mon ĂȘtre – et Ă  faire connaissance avec mon environnement.

    Je marche dans un blanc laiteux – et en mĂȘme temps mon corps est allongĂ© – tĂȘte un peu relevĂ©e, inox froid au contact de membres – je me sens bien mais je sens rien.

    Anesthésié.

    On est venu me chercher tout Ă  l’heure dans ma chambre – on a installĂ© tous ces bidules – ces fils, ces pompes, ces tubes autour de moi. Maintenant je suis sur la table d’opĂ©ration.

    Rien de grave je vous rassure.

    Perfusions.

    Ventilation assistée.

    Tension : OK

    ECG : nickel.

    Le chirurgien claque ses gants de latex et commence son travail.

    Petit coup de scalpel par ci, petit coup de scalpel par lĂ .

    Comme un maestro.

    Un chef d’orchestre avec sa baguette.

    Tchik-tchak

    Je marche dans un blanc laiteux – c’est Ă  cause de tout ce cocktail de drogues qu’ils m’ont administrĂ©, qui coule dĂ©sormais dans mes veines, qui s’insinue jusqu’aux trĂ©fonds de mon cerveau.

    Sufentanil.

    Hop !

    Propofol.

    Hop !

    Et un petit peu de Bromure de vécuronium pour couronner le tout.

    Olé.

    Conscience suspendue.

    Douleur annihilée.

    Je sens rien.

    Je me sens bien.

    Une lumiĂšre au loin – diffuse. L’Ă©clairage scialytique ?

    Je vais vers elle sans avoir le choix.

    Des ombres troubles au premier plan. Le chirurgien qui s’affaire ?

    Ou toute une ribambelle d’animaux.

    Ici un tigre.

    Hop!

    LĂ  une girafe.

    Hop!

    Et lĂ  un bonobo.

    Olé.

    Je me sens bien.

    Je sens rien.

    Tigre girafe bonobo – Je les imagine un par un allongĂ©s comme moi sur le billard.

    Et je finis par comprendre que tous ces animaux

    pris un par un

    c’est moi.

    Je quitte le bloc.

    Le tigre : mon cĂŽtĂ© sauvage et indomptable, sans doute…

    La girafe, voyons voir – mon cĂŽtĂ© tĂȘte en l’air, doux rĂȘveur ?

    Et le bonobo ? Ça ça doit ĂȘtre mon cĂŽtĂ© stupide…

    Salle d’Ă©veil.

    Les animaux s’agitent se dĂ©forment se distendent s’Ă©loignent.

    Je me sens moins bien.

    Je commence Ă  sentir de nouveau.

    Je marche dans un blanc laiteux qui vire au trop plein de couleurs froides et moroses du retour Ă  la rĂ©alitĂ© de ma chambre d’hĂŽpital.

     

  • Pat & SĂ©b

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    Pat et SĂ©b, c’est des poissons.

    Le diminutif de Patrick et SĂ©bastien – pour celles et ceux qui n’auraient pas reconnu la rĂ©fĂ©rence.

    Pat et SĂ©b, c’est mes poissons.

    C’est pas des sardines, c’est des Black moor.
    C’est eux qui, du fond de leur bocal, font fuir les pigeons de passage – Marcelline et Diya, et leurs bĂ©bĂ©s ; Jules et Verne, Marco et Polo, et Ken, Ă©videmment

    Pat et SĂ©b, c’est mes poissons.
    C’est stupide, des poissons.

    C’est contagieux.
    Pat et Séb, je les ai eu en cadeau pour mon anniversaire.
    Du fond de leur bocal, quand ils ont barbotĂ© dedans pour la toute premiĂšre fois, ils ont pas dĂ» capter. BaptisĂ©s civilement Pat et SĂ©b, OK, mais disposer en sus d’autres prĂ©noms officieux et secrets, ça, c’est peut-ĂȘtre compliquĂ© pour leur micro-cerveau mouillĂ© et leur carcasse schizoĂŻde.
    Du fond de leur bocal, quand ils ont barbotĂ© pour la toute premiĂšre fois, ils m’ont vu pleurer – intĂ©rieurement du moins. J’allais quand mĂȘme pas me mettre Ă  chialer comme une gonzesse devant mes invitĂ©s pour deux poissons tout riquiqui.
    LĂ , ils ont dĂ» se dire qu’enfin, j’allais devenir responsable – qu’enfin, j’avais quelqu’un dont je devrais m’occuper.
    Changer l’eau du bocal tous les cinq jours – quand elle commence Ă  ĂȘtre trouble et dĂ©gueulasse.
    Leur verser Ă  manger tous les matins Ă  l’heure du petit dĂ©j’ –
    Parce que c’est tout un art de s’occuper de ces petits montres difformes aux yeux globuleux et Ă  la tĂȘte de con

    LĂ , ils ont dĂ» se dire que j’allais faire attention Ă  eux, que j’allais ĂȘtre doux et conciliant, les bercer tous les soirs par ma voix de soprane et les doux sons de mon ukulĂ©lĂ©.
    LĂ , ils ont aussi dĂ» se dire que ça y est, j’allais arrĂȘter de me casser tout le temps, tous les week-ends, en voyage, en vadrouille, bourlinguer, partir toujours plus en avant, me perdre dans des contrĂ©es lointaines, dans l’immensitĂ© des villes, dans les champs de France et d’ailleurs.

    Non. On a beau Ă©voluer, encore, toujours, par petites touches – il y a des choses qui changeront jamais.

    dans le bocal
    photo volée de Pat et Séb