L’Autre et le Manque

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Une clope.

Il me faut une clope. Maintenant.

« Сейчас – это сейчас. »

Dès la correspondance à Minsk envie de fumer.

Prier pour tenir tout le séjour.

Dix jours au Kazakhstan.

Et la suite ?

« Mouais… Je vois pas trop ce que tu veux dire mais en russe ça veut pas dire grand-chose. »

Astana – je sors juste du train.

Dernier jour.

Fin juillet – temps totalement dégueulasse et

je me souviens entre Autre de cette conversation avec Marlène.

« Maintenant c’est maintenant » –

la formule que j’assène comme une révélation

depuis la Pologne – Teraz jest teraz

et que je traduis en russe.

« Mouais… Je vois pas trop ce que tu veux dire mais en russe ça veut pas dire grand-chose. »

Marlène se marre – ça lui semble

ridicule.

« Peut-être que ça veut pas dire grand-chose, mais pour moi ça

veut dire beaucoup. »

Je veux juste fumer une clope.

On est dans son salon, après une heure de jogging sur les rives de l’Irtych. Pendant toute la course

Сейчас – это сейчас

flottait autour de moi.

Tout en sueur, après avoir partagé cette trouvaille linguistique entre Autre

on fait l’amour.

Et la suite ?

Le train Kazakhe

Ce matin Marlène m’emmène au train.

Sur le quai entre les lignes elle m’enlace – légèrement.

Pas de départ larmoyant – tant mieux. On est tous les deux pas très doué pour les adieux.

À quoi bon de toute façon – puisque ce sont pas des adieux.

Juste des au revoir

et on se reverra

dès son retour en France dans moins de deux mois et

Entre Autre on s’enlacera de nouveau et on refera l’amour et rien

aura changé.

Depuis j’ai envie de fumer.

Et je suis à la limite du Manque

depuis dix jours –

Entre Autre

Manque

elle me

Manque

déjà.

Et la suite ?

Le trajet en train – impressionnant.

À travers les steppes impression

que le ciel comme mon cœur se déchirent.

D’un côté ciel limpide – bleu diamant.

Plein d’envolées lyriques et de bonheur promis.

De l’autre nuages noirs – ciel tourmenté.

Orageux.

Et au milieu

des rails

et moi perdus.

Je déraille.

J’aimais bien

entre Autre

sentir son parfum

caresser sa peau

et l’observer les yeux fermés quand elle s’oubliait

ma queue ceinte dans sa chatte.

Manque.

Le Manque parfois

dans mon esprit s’insinue.

Heureusement Marlène me propose souvent certaines activités

sexuelo-ludiques

qui me détournent souvent de cette idée.

Dix-sept heures.

Manque.

Café Costa dans l’une des artères d’Astana.

Je sais pas où je suis.

La pluie dehors.

Glaciale.

Qu’est-ce qui leur a pris de foutre leur nouvelle capitale

au milieu de nulle part.

Partout la capitale

littéralement CAPITALE

sent le fake et le décor de cinéma.

Je commande un espresso.

À ma droite au fond du café – une fille – même

style vestimentaire, même

posture droite, même

frange… – Marlène ?

Elle m’a suivi jusqu’ici ?

Manque –

Je déraille – car

c’est pas elle – évidemment…

La fille sourit – rit parfois.

Cet instant me trouble – et mon cœur bat la chamade.

Ce rire est le rire de notre

bonheur futur.

Et la suite ?

Je quitte l’endroit le cerveau sur off

et je marche jusqu’au centre-ville.

Des buildings somptueux désignés par les plus grands architectes contemporains, le

quartier des affaires, les ambassades –

des maisons de style néo-victorien

bon chic bon genre

le fake du fake

cerclé par des grilles immenses –

et toujours ce même

ciel noir.

Fake fake fake

Manque.

Entre Autre je me sens déprimé –

je suis un chien errant dans les ruelles boueuses et ternes

je me sens seul

en évitant les flaques d’eau.

Flaque flaque flaque

Marlène

est pas là.

Manque.

Il y a quelques mois devant le cinéma :

« Je retourne chez moi au Kazakhstan cet été.

Tu viens me rendre visite ? »

Découvrir sa famille

l’endroit où elle a vécu

toutes ces années –

sa chambre dont

les murs gèlent l’hiver

ses lieux de vie.

Et surtout la chance qui s’offre à moi

de rentrer un peu plus

au cœur de sa vie.

Je suis sous-alimenté en nicotine

et parfois le Manque prend

le dessus.

On est allongé dans son lit –

câlins brûlants au clair de Lune.

Je lui caresse la chatte

j’entends ses gémissements étouffés

je rugis déjà à l’idée de

pénétrer en elle.

Soudain

Quelqu’un !

Une présence entre

elle

et moi –

un fantôme, un spectre, une chimère.

Une distance.

Impossible à franchir.

Je le sens –

l’Autre à ses côtés.

Et moi je

déraille –

Manque –

je nage en plein délire.

Qu’est-ce que je fous là ?

Physiquement dans

son lit

et dans son cœur

il y a une place pour moi ?

Au cœur de sa vie.

Je sens soudain son cœur

battre à travers sa poitrine –

il bat pas pour moi.

Un remplaçant. Un

Imposteur. Un

choix par défaut parce que

l’Autre est pas là.

Je déraille –

vague abondante –

vagabonde désormais seul –

même le chien errant m’a

abandonné

dans les ruelles de cette improbable capitale

aux monuments – comme elle – trop somptueux pour être

réels.

Et où le ciel pleure avec vous mon effroyable douleur,

ma folie et ma solitude.

Et la suite ?

Je quitte cet endroit morne et tourmenté.

Satanée Astana.

Dernier bus pour l’aéroport

où je finis par craquer –

je demande une clope à un chauffeur de taxi qui

voyant ma triste gueule

et mon cœur déchiré

me file tout un paquet.

Et la suite ?

La suite c’est

la nuit dans cet aéroport

Marlène de retour en France,

et cette présence toujours – je

la ressens derrière moi

un fantôme, un spectre, une chimère

et deux ans d’une histoire qui

en dents de scie

s’est poursuivie

sur une pente toujours descendante.

La suite c’est

le Manque –

le Manque et l’amour.

L’amour malsain qui vous ronge et vous consume.

toi et l’Autre

Jusqu’au mur – au fracas final.

On était pas fait l’un pour l’Autre.

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