(CASARABONELA, PROVINCE DE MALAGA – ESPAGNE)
Je regarde ma montre : elle indique qu’il est déjà 07h53 du matin. M’estimant suffisamment reposé, je me lève.
Je quitte ma chambre et traverse le couloir qui mène au salon. Mac Fly et Marie-Fernande y ont laissé un bordel innommable : ponchos et couvertures roulés en boules sur le canapé, boulettes de marijuana et emballages de bonbons sur la petite table autour de laquelle ils ont coutume de refaire le monde… Hier, le narguilé trônait fièrement au dessus de la télévision. Ce matin, il gît à terre. Normal… Dans la cuisine, c’est le même scénario : piles d’assiettes et de couverts hautes de trois jours, constellations de miettes de pain sur l’évier… Je quitte l’endroit et vais dehors. J’en profite pour laisser la porte ouverte afin d’aérer la pièce.
J’arrive dans la cour et retrouve les chiens du voisinage qui squattent l’entrée : Bolita, Sierra et Nanouk. Ce sont de vraies peluches. Je n’ai jamais vu de chiens aussi tendres et complices : ils me submergent de câlins et m’accompagnent dans ma marche au milieu des orangers.
Nous sommes à la mi-mars et déjà, leurs fleurs dégagent cet agréable parfum qui leur est propre… Dans le Nord de la France que j’ai quitté il y a deux jours, les routes étaient paralysées par la neige, les arbres morts et mon moral en berne. Ici, les oranges sont déjà juteuses, sucrées et abondantes et le ciel, bleu. Les maisons des alentours de style typiquement andalou, blanchies à la chaux avec leur inimitable patio fleuri, brillent comme des lanternes dans la montagne. Dans cette nature prodigue qui m’offre des oranges à foison, du soleil et de magnifiques paysages à contempler, je me sens renaître et m’épanouir.
« -Hola Amigooooooo… !
-Tiens, salut Mac Fly ! Bien dormi ?
A ma grande surprise, il est déjà levé. Je me demande quelle mouche l’a piqué. Il me rejoint dans l’orangeraie, joint aux lèvres. Le chiot Bolita l’escorte.
-Non… J’arrive plus à dormir depuis 8 heures du mat’…
-Tu t’es couché à quelle heure ?
– A 05h00… On a visionné des concerts de reggae une bonne partie d’ la nuit…
-T’es en forme pour aller marcher ?
-Olaaa… Freine mon ami, freine ! J’ vais me recoucher dans peu de temps…
-Ah bon ?
-Bah ouais, j’ai dormi que 3 heures !
Je dissimule ma déception. En effet, je nous imaginais vadrouiller ensemble … Tant pis. J’irai marcher seul. Pendant ce temps, il tire avidement sur son pétard.
-C’est cool la vie ici, tu sais… Argumente-t-il. On fonctionne différemment tous les deux : toi, t’es du matin, tu marches et tu fais de la photographie, alors que moi j’ suis plutôt de l’après midi, j’ fais de la Zic’ (musique) et la teuf le soir…
Il s’amuse à faire des ronds de fumée et reprend :
-T’inquiète, on va trouver un compromis… Cet aprem, on taille la route en caisse jusqu’ à Ardales… Tu vas aimer, c’est un village tout blanc comme ici avec un grand lac et des roches aux formes bizarres. J’ vais prendre mon cithare, ma guitare et mon pétard… Tu vas voir, on va être peinards… Au passage, tu peux m’ féliciter pour les rimes !
-AH ! AH ! Bien Mac Fly ! J’aime quand tu proposes des trucs ! Au fait, ça te dit que j’te prépare un jus d’oranges ?
-Attends, j’ vais me refaire un bon joint avant.
-Tu viens d’en terminer un !
– (temps de réflexion)… Certes, Amigo, mais un bon joint précède toujours un jus d’oranges…
Quelques minutes plus tard, je reviens avec le fameux breuvage.
-Putain ! C’est bon ! Mac Fly avale son verre d’un trait.
-Ça fait du bien là ou ça passe ! Hein ?
– En ce moment, c’est la meilleure période pour les oranges… Ici, on s’ fait pas enculer par les grandes surfaces : les oranges, c’est GRATOS pour todo el mundo! VIVA ESPANA !
Nous discutons un bon moment tout en admirant le paysage et faisons le tour de la propriété. La végétation est luxuriante: je découvre simultanément sur mon chemin amandiers, citronniers, oliviers et bien sûr une multitude d’autres orangers. Alerté par des bruits de clochettes en provenance des hauteurs, je lève les yeux et aperçois un troupeau de chèvres dans la montagne : je me régale de cette vision de la nature andalouse !
Tout à coup, Mac Fly crie :
-Putain !
-Quoi ?!
-Le pétard commence à me faire effet mec ! (il baille). Vite! J’ vais m’en rouler un troisième pour accentuer l’effet des deux premiers, comme ça j’ serai K.O comme il faut pour bien dormir…
-Dis, Mac-Fly… T’en fumes combien par jour ?
-Une p’tite dizaine…
-LA VACHE !
-Quoi ? Je fais des efforts, tu sais… L’an dernier, j’ comptais pas… En plus, je finquais des spliffs gros comme des barreaux de chaise et ils étaient sacrément chargés !
-Sérieusement, quand tu dis qu’tu comptais pas, t’en fumais combien ? A peu près ?
-J’ viens d’te l’ dire : j’comptais pas…
-J’ termine mon jus et j’y vais mec… Ton p’tit village a l’air foutrement photogénique, j’ai hâte d’en faire quelques clichés.
-Fais à ta guise ! Au fait, i’ s’ peut que j’sois pas réveillé à 11h00 : j’entends pas toujours mon réveil… Si j’suis encore dans mon plumard à ton retour, réveille-moi.
-Vale, Chaval ! (d’accord mon gars).Tu penseras à laisser la porte ouverte pour moi ?
-Elle l’est toujours… Même quand on part… On n’a plus la clef ! Un de ces quatre, j’en demanderai une autre à Antonio le proprio…
-T’as jamais pensé à en faire un double ?
– Ca m’est jamais venu à l’esprit… Peut-être une prochaine fois… Ma foi…
-Sacré Mac Fly ! Allez… A tout à l’heure !
-Si ! Hasta luego !
Je descends de l’orangeraie et arrive sur la route sinueuse qui mène au centre du village. Chemin faisant, je songe au duo Max / Marie Fernande et à leur vie de bohèmes. Ils me font penser aux hippies de la chanson « San Francisco » de Maxime Le Forestier.
Ainsi, je me mets à chanter par bribes cette même chanson :
« C’est une maison bleu adossée à la colline, on y vient à pied, on ne frappe pas, ceux qui vivent là ont jeté la clef…………………………Peuplée de cheveux longs, de grands lits et de musique, peuplée de lumière et peuplée de fous, elle sera dernière à rester debout…………………. ».