Archives par étiquette : Kerouac

Ma route ta route

Share Button

J’étais arrivé à une période de ma vie où je commençais à comprendre que le bonheur – le bonheur pur, constant, idéal –

existait pas.

C’était un état qui était sans doute perpétuellement

« à rechercher »

mais je savais pas par

où bordel commencer – je me posais

même pas cette question en

vérité – tout aveuglé comme j’étais de brûler la

vie par les deux bouts – le petit Ben aux allumettes – tout

flamboyant guettant pschhhhhhh des bâtons de dynamite – et en vérité aussi je

m’emmerdais grave.

« La route, la route… » je jurais que

par elle oh oui la route prenons la ensemble peu importe la

destination ce qui compte c’est la route et j’en ai

écrit des pavés sur la route – et je comprenais soudainement que pour toi ont était pas « sur » la route – on était

même pas « au bord de » la route – en fait cette route dont je

te parlais tout le temps un murmure un cri une litanie depuis le

jour où on s’était connu tu y

croyais pas.

Tu y avais jamais cru en vérité –

Tu t’étais engouffrée dans un

délire avec moi – un délire délicieux que je t’offrais sur un plateau – parce que c’était fun parce que ça

faisait des trucs à raconter plus tard au coin du feu à tes

petits enfants. C’était une aventure qui allait t’arriver qu’une

seule fois dans la vie – parce que c’était unique extraordinaire – parce que ça te changeait tellement de

ton train-train quotidien.

Mais tu y adhérais pas en vérité – tout ce que tu voulais après

nos voyages nos tracés sur le bitume – c’était y revenir – dans ton quotidien – et de t’y ancrer – jusqu’à la prochaine fois, la prochaine

folie.

Et moi en vérité j’y croyais. C’était tangible. On pouvait

passer toute notre vie comme ça – à bourlinguer – une vie faite d’amour de macadam et d’eau fraîche.

Quelle connerie!

Et le pire dans cette histoire c’est que tu m’avais donné l’envie et

les raisons d’y croire et en vérité tout était que chimère.

Mais est-ce que tu avais pas raison? Te fixer plutôt que

te détruire à cramer l’asphalte? Et vivre un peu de la vie dont on a un jour rêvé – l’avoir à

portée de main, la frôler du bout des doigts – des vagabonds sans étoiles, des bandits de grand chemin.

Il suffit d’y croire pour y être.

La VRAIE vie – où personne nous demande rien – où personne se met sur notre chemin. Où RIEN est

impossible.

Ljubljana – chez Aleks

Share Button

« Dans toute l’Amérique, lycéens et étudiants s’imaginent que Jack Duluoz a vingt-six ans, qu’il est toujours sur la route, à faire du stop, alors que je suis là, à quarante ans ou presque, éreinté et accablé d’ennui, dans une couchette de wagon-lit, longeant à toute vapeur le Grand-Lac-Salé »

Jack Kerouac – Big Sur

Nan mais c’est quoi ce bordel ?

Les trains se succèdent à longueur de journée. Au moins je peux dormir un peu – tant bien que mal – et me réchauffer.

Dans toute l’Europe, lycéens et étudiants s’imaginent que Ben Howl a vingt-trois ans, qu’il est toujours sur la route, à faire du stop, alors que je suis là, à trente ans ou presque, éreinté et accablé d’ennui, dans une cabine de wagon, longeant à toute vapeur les montagnes autrichiennes.

Suben – Puchheim – Salzburg – où à la gare perdue entre les massifs enneigés j’achète un cigare – Villach et enfin Ljubljana.

Mon panneau sur la vitre du train

Les paysages qui défilent et personne qui vient s’asseoir dans ma cabine. Je pue tellement que ça ? Sans doute les restes de l’odeur du gazole que j’ai versé dans la bagnole de Dan avec mon entonnoir de fortune.

14h31 – arrivée du train en gare de Ljubljana. Le train continue plus au sud – vers Zagreb – la Croatie. C’est si tentant de rester dedans et de voir ce que ça donne là-bas.

Nan mais c’est quoi ce bordel ? Mec – attends de voir un peu ce que ça donne ici au lieu de toujours vouloir aller plus loin. Pourquoi/pour quoi faire, hein ?

Ici c’est le soleil qui m’accueille. Sensation agréable mais je suis chargé comme un mulet et dois encore continuer à porter sur moi des tranches de vêtements qui sont plus nécessaires.

Je me pose dans le café de la gare et je commande… un café [original nan?].

La serveuse bien aimable me file une carte de la ville et m’explique les lignes de bus.

Aleks – mon hôte pendant quelques jours – vient de m’envoyer un message : « Take it easy. I won’t be there till 5pm. » Fort bien. Je regarde où est sa maison sur le plan et je décide de m’y rendre à pied – histoire de me donner un premier aperçu de la ville.

Je trimbale mon sac de bidasse comme une tortue sa carapace. J’allume mon cigare – bien mérité ? – je sais pas – et je trace sur la Dunajska Cesta – une avenue très longue et très large.

En face de moi, la montagne qui grandit jamais alors que je m’approche d’elle – comme une fata morgana. La montagne – c’est con, c’est ce qui me surprend le plus ici. J’ai tellement pas l’habitude d’en voir là d’où je viens…

Je croise la Ulica 7. septembra et je m’arrête dans un petit parc où je lis et je pionce sur un banc. Dans mes oreilles le battement des trains d’aujourd’hui sur les rails s’ajoute au bourdonnement des moteurs d’hier sur les routes.

Je (re)lis mon bouquin – Jack Kerouac, forcément – et cette fois ci Big Sur. Le bouquin dans lequel son double-narrateur Jack Duluoz part vraiment en live à la fin – après toutes les merdes qui m’arrivent depuis deux jours je me dis que c’est bien là un roman de circonstance.

J’envoie un SMS à Camille et à Mélanie et leur fait part de mes dernières – mauvaises – aventures. Peu après mon portable vibre : « T’as craqué »… M’en fous. Qu’est-ce que tu veux que je te dise ? Qu’est-ce que tu veux que je fasse ? C’était tellement difficile. Et j’étais tout seul. Bien sûr que ça m’enrage. Mais c’est ainsi. Au moins j’aurais essayé.

Soupir.

Take it easy.

17 heures – Il est temps de rejoindre Aleks.

Je trouve la maison d’Aleks après avoir un peu fait le tour du quartier. Un grande maison avec un jardin. Une voiture est garée à côté : un camtar Volkswagen jaune fluo – une ambulance allemande ou autrichienne j’imagine. Nan mais c’est quoi ce bordel ? Plus loin dans la cour il y a une moto – une Harley ? La porte est ouverte. Sur le seuil Aleks, 40 ans, cheveux dégarnis – plus petit que moi mais costaud et les yeux pétillants.

En une minute chrono les présentations sont faites – Aleks me dit que ma chambre m’attend à l’étage et qu’il va présentement voir son voisin. « Fais comme chez toi, fais ce que tu veux, take it easy. » OKAY.

Je cours à l’étage et je m’affale sur le lit sans même défaire mon sac de couchage. Je fais une sieste trop chargée pour me rappeler de tous les rêves que j’ai faits.

Ma chambre chez Aleks

Je me réveille une heure plus tard – dans le coltar – je mets quelques minutes à me rappeler de l’endroit où je suis.

Il y a une salle de bain à côté de la chambre. Je prends une douche bien méritée. Mais j’ai rien – pas de gel douche, de shampoing, de dentifrice. Et tout est rangé dans des armoires. Je fouille – et j’aime pas fouiller et me servir dans ce qui ne m’appartient pas. J’emprunte un peu ce que je crois être du shampoing. Je me frotte le corps avec du savon pour les mains – et me sert du dentifrice rangé dans l’armoire. Puis retour dans la chambre – je m’habille et sors mes affaires de mon sac de rando et je les range dans l’armoire – histoire de les aérer.

J’ai envie d’un café. Je me demande si Aleks est rentré de chez le voisin. Je descends tout paumé et pas encore bien réveillé à la recherche d’Aleks. Merde ! Par où je suis rentré, déjà ? J’ouvre une porte – la cuisine. Tout est impeccablement rangé. Il y a rien qui traîne, tout est dans les armoires. Après la cuisine je rentre dans une pièce. « Aleks ? Aleks, are you there ? » je fais. J’entends une voix. Il fait sombre. Je m’approche pour distinguer la forme qui se meut devant moi dans la pénombre.

Nan mais c’est quoi ce bordel ?

C’est une dame – très vieille – dans un lit d’hôpital. Elle me voit, elle me parle – mais en Slovène. Je tente un timide « Nie mówię po słoweńsku » à la mode polonaise – que je sais pertinemment faux mais pourquoi pas ?

Bon, j’aurais essayé – elle comprend pas, la vieille sur son lit d’hôpital – dont j’ai du mal à distinguer le visage – et j’imagine qu’elle aussi elle a du mal à me voir. Je veux pas lui faire peur, alors je lui montre un signe de paix, la main sur le cœur.

« Ben, Ben » j’entends, ailleurs dans la maison. Je dégage vite de là. J’ai dû la faire paniquer.

Finalement Aleks est là. Il sort d’une pièce dont la porte est celle que j’avais pas encore ouverte.

C’est son antre, sa garçonnière. Des canap’ un vidéoprojecteur, une toile, plein d’affiches, de drapeaux Jack Daniel’s sur les murs, et un frigo avec distributeur de glaçons – essentiel pour servir avec le Jack Daniel’s, et plein de bouteilles vides sur les étagères.

la garçonnière d’Aleks

Aleks voit que j’observe la pièce : « Moi ça me fait rien de boire toute une bouteille de Jack à moi tout seul. » OKAY.

Mais ce que je remarque surtout depuis tout à l’heure, c’est que ça sent la beuh à plein tube ! Nan mais c’est quoi ce bordel ?

Devant mon étonnement Aleks m’invite à m’asseoir dans l’un des canap’, me sert l’apéro – un Jack, évidemment – et me raconte son histoire.

Aleks est bodyguard. Et Biker. Il fait des bornes et des bornes pour aller à des meetings. Il fait partie des Hell’s angels. « Tu sais, je me suis déjà retrouvé un peu dans le même état que toi – la nuit sur une aire d’autoroute. Quand il pleut, mon astuce c’est que je m’abrite sous des cartons et des plastiques – ça tient chaud et c’est imperméable. »

Et il poursuit « Mais j’ai eu un accident il y a quatre, cinq ans. » Il souffre, qu’il me dit.

« Et c’est pour ça, l’ambulance à côté ?

– L’ambulance ? Ah ! Nan rien à voir » il rigole, « je suis en train de la retaper pour en faire un camper van.

– Cool ! Je pensais que c’était pour la vieille dame qui est dans un lit.

– C’est ma grand-mère. C’est sa maison ici. J’en hériterai quand… quand elle passera de l’autre côté. D’ici là, je m’occupe d’elle.

– D’accord.

– Tu as certainement dû sentir le cannabis en entrant dans cette pièce. »

Je hoche la tête. Aleks m’explique que les anti-douleurs classiques lui font plus rien – sauf à haute dose, mais ces remèdes pour chevaux le claquent. Le cannabis, c’est sa médecine alternative – son antalgique. « OKAY » j’acquiesce – en fumant une bonne petite taffe de derrière les fagots – et c’est vrai que c’est de la bonne.

« Homemade » il me fait. « J’en cultivais au sous-sol. Par contre désolé mec, je peux pas te montrer mes plants, il y a plus rien.

– Comment ça se fait ? » je demande.

Aleks me répond qu’il héberge plein de gens. Il y a une semaine, une de ses hôtes l’a dénoncé à la police pour possession et culture de plants de cannabis. Elle se servait de la chambre qu’Aleks lui offrait pour faire sa pute. Quand il l’a su, Aleks l’a menacé de la foutre à la porte. Alors elle s’est vengée. Les flics sont venus, ils ont tout démoli, foutu en l’air. « Heureusement il en ont laissé plein à terre. C’est comme ça que j’ai pu en sauver pas mal. »

Nan mais c’est quoi ce bordel ? Au sous-sol, Aleks cultivait du chichon alors qu’au rez-de-chaussée sa grand-mère est dans un état végétatif.

En tout cas, je suis tout stone et mon petit doigt me dit que je vais adorer ce séjour à Ljubljana.

Le marque-page

Share Button

« Viens, mon beau chat, sur mon corps amoureux

Retiens les griffes de ta patte

et laisse moi regarder dans tes beaux yeux

mêlés de métal et d’agate »

Charles Baudelaire

 

Combien de fois j’ai pu penser à réciter ces vers en caressant des chevilles à la nuque ton corps doux et moite d’après l’amour – en effleurant de mes grands doigts ta chaude toison – en t’entendant doucement ronronner comme une chatte – en observant attentivement tes pupilles diluées se perdre tantôt sur le ciel de nuit là-bas derrière la fenêtre embuée, tantôt sur le plafond ombragé de la chambre – comme pour reprendre pied dans la réalité étrange de notre moment.

Le lit défait. Les draps encore emplis de ton parfum nébuleux – inaltéré. Tes cheveux d’or qui apparaissent ici ou là entre les plis de la couette si on fait bien attention. Les jambes et les bras en croix et au centre mon corps trop lourd qui a rien à faire dans ce mausolée – souillent l’immaculé. Je lis Murakami – 1Q84.

1Q84 – une histoire qui se situe entre deux mondes – le monde de l’année 1984 et le monde – parallèle mais pas vraiment – de 1Q84 – où brillent deux lunes dans le ciel mais où les gens vivent, meurent – et s’aiment – vraiment sous les lunes. Deux mondes qui s’entrecroisent – dans lequel des deux on est finalement ?

C’est grâce à Murakami que je t’ai rencontrée. C’est lui qui nous a rapprochés. J’aime bien Murakami – sa poésie, son univers, les saveurs enivrantes et mystérieuses qu’il distille entre les lignes. Je m’étais résigné à ne pas lire 1Q84, j’en avais entendu des mauvais échos et je trouvais que ça valait pas la peine de le lire, je préférais rester sur mes bonnes veilles références – Kerouac Bukowski et Cendrars – familières, confortables, sécurisantes – c’est ta force de persuasion massive qui m’a poussé à me procurer les trois tomes de ce pavé et à les lire jusqu’ici. D’un côté 1Q84, de l’autre un verre de rouge, entre les deux moi à poil qui jongle de l’un à l’autre et m’étonne pour le coup d’être ambidextre.

Main droite.

Une gorgée.

Pose le verre.

Main droite.

Saisit le bouquin.

Reprends la lecture.

Là où les marque-pages l’ont laissée.

 

Mon marque-page. Procuré lors de mes innombrables pérégrinations parisiennes – juste après avoir vu le tapuscrit de On the Road, en même temps que j’ai acheté le bouquin – The Original Scroll – dans une petite librairie du Vème qui paye pas de mine. Et depuis il me quitte jamais – toujours coincé dans les pages du bouquin que je suis en train de lire – dans mon lit, dans le métro ou sur la route. Autant vous dire qu’il part en lambeaux mais qu’il a une histoire.

 

Ton marque-page aussi, il a une histoire. Une histoire qui rejoint la tienne dans tes propres pérégrinations. Fond bleu ciel – et dessus des images de rues pales et ensoleillées, d’ornements et de céramiques – on se croirait à Lisbonne, Florence ou bien soyons fous! – Saint-Petersbourg. Une histoire qui rejoint la mienne aussi, maintenant qu’il se glisse en compagnie du mien dans les livres que j’emporte partout.

 

Je nous vois tous les deux serrés l’un contre l’autre penchés par la fenêtre pour y contempler le ciel de nuit de 2K14 et ses deux lunes flamboyantes. Maintenant mon verre de rouge se vide et j’en suis au point final de 1Q84 et j’ai pas le droit de te raconter comment ça se termine. Maintenant en 2014 une seule lune me nargue à travers la fenêtre sale – maintenant ça fait longtemps que j’ai pas eu de tes nouvelles. Qu’est-ce que tu deviens, vieille chimère qui me colle à la peau ? Où es tu, à part dans un coin de ma tête ?

Sur le lit tes cheveux d’or disparaissent un par un – tes parfums se dissipent et s’envolent. S’agit-il bien des tiens ? Au fond peu importe – à la fin seuls les souverêves restent. À moi de les faire vivre ou de les taire, selon qu’il y une ou deux lunes, selon qu’on soit en 2014 ou 2K14.

Je finis par m’assoupir peu à peu – vaincu par Morphée une fois de plus. Ton marque-page se fane comme une rose et se désagrège sans un bruit. Sur le lit les jambes et les bras en croix et au centre mon corps trop lourd qui a rien à faire dans ce mausolée – et tout autour éparpillés comme dans une scène d’amour torride mon marque-page et les trois tomes d’1Q84.

J'immortalise le moment juste avant que les souverêves reprennent le dessus.

J’immortalise le moment juste avant que les souverêves reprennent le dessus.