Archives par étiquette : vin

Look like Bukowski

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Bukowski

You

look like Bukowski
She

said
I

was lying in bed
With

a glass of

wine
Red and dark
Old and sad
And I

remembered
A luminescent woman
Who once

wrote
BUKOWSKI
on her

breast
And all the

fuck
I did with

her
Good ol’ times
I thought
And I told

myself
All this

shit
Is over now
Now it’s

time
For some

change

 

Charles Bukowski – Post Office

L’Aigle Noir

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Pâle septembre.

 

Début septembre dans la rue commerçante de Lille. Dehors, il pleut à torrent. Quelle idée d’avoir choisi ce jour là pour faire de l’accrobranche avec Mélanie ?

Elle est déjà là, elle m’attend sous un porche, une clope au bec. En t-shirt. Comme moi. Toute trempée. Comme moi.

« Bon, je crois que c’est mort pour l’accrobranche… » elle fait.

J’acquiesce en levant les yeux au ciel.

« Du coup qu’est-ce qu’on fait ? »

Silence. Mélanie lâche sa clope et finit par répondre :

« On a qu’à s’acheter une bouteille de vin et faire une sieste chez moi. »

Ses plans me plaisent. C’est vrai qu’hier j’ai encore fait fort et je suis pas mal fatigué – une sieste ce sera pas de refus. Et le pinard c’est en bonus – histoire de se consoler de ce temps pourave.

Quelle idée de snober le métro et de faire la route jusqu’à chez Mélanie à pied alors qu’il pleut comme vache qui pisse?

Quelle idée a Mélanie en commençant à chanter l’Aigle Noir?

 

Un beau jour, ou peut-être une nuit…

 

Je me souviens de la première fois que j’ai entendu cette chanson. C’était en 1997, j’étais en CM2. Notre instit’ consacrait deux heures par semaine pour faire de l’éveil musical. On devait faire des exposés sur des compositeurs de musique classique – Bizet, Puccini, Tchaïkovski.

Je me souviens que mon exposé, c’était sur Bizet. J’avais choisi Bizet parce que ma chienne s’appelait Carmen. Et pour l’exposé je m’étais pas foulé : le pote avec qui je trainais tout le temps avait imprimé la fiche de Georges Bizet sur Encarta.

Encarta…

Une autre époque…

Mais un jour de fin novembre, en cours d’éveil musical, notre instit’ nous a dit que l’exposé prévu cette semaine là serait reporté parce qu’il voulait nous parler de Barbara.

Elle était morte la veille.

Je me souviens qu’il avait parlé d’elle avec une grande conviction. Comme s’il la connaissait personnellement. Comme si elle avait beaucoup compté pour lui.

Et il nous a mis la chanson. L’Aigle Noir.

 

Un beau jour, ou peut-être une nuit…

 

Je me souviens avoir tremblé. C’était l’une des première fois que j’écoutais un CD sur une chaîne stéréo. Je trouvais le son pur. Et au-delà de ça, la mélodie, les paroles me transperçaient. Ça m’emmenait loin.

 

Je me souviens qu’après ce jour là, et pendant des années, sous la douche, je chantais l’Aigle Noir. Plusieurs fois, de ma voix de soprane – ma voix préadolescente. Comme un leitmotiv.

 

C’est dingue comment une chanson que tu t’es approprié(e) une fois te revient dans ta face comme un boomerang alors que pendant des années tu ne l’as pas écoutée et comment tu te l’appropries de nouveau. Tu oublies pas la première fois, comment tu étais, ce que tu as perçu – mais sur la base de ces souvenirs tu recontextualises, tu construis une autre histoire sur le même morceau.

 

Un beau jour, ou peut-être une nuit…

 

Une fois arrivés chez Mélanie, on débouchonne la bouteille de vin rouge qu’on a achetée en passant. Dans sa chambre, je nous sers un verre pendant qu’elle met le morceau sur son ordi. C’est dingue comment l’Aigle Noir sur Youtube, ça rend mieux que Mélanie qui la chante, même si elle la chante de tout son cœur, même si elle la chante avec conviction.

 

Ça fait quinze ans que je l’ai pas écoutée. Quinze ans. Tant de choses se sont passées. Et puis tellement rien, finalement.

 

Je me souviens de ce que j’avais ressenti, je me souviens des frissons qui me parcouraient l’échine – et c’est la même chose, et pourtant les frissons que j’ai maintenant sont pas les mêmes.

 

Je fais plus attention à certains trucs dans la musique auxquels j’avais pas fait attention avant. Les percus surtout – à 0:37 – qui déploient toute l’intensité de la chanson.

 

La version est pas forcément la même que dans mes souverêves.

 

Un beau jour, ou peut-être une nuit…

 

La bouteille de vin est vide. Nos esprits sont embués. Nos vêtements sèchent tant bien que mal, roulés en boule par terre dans la chambre de Mélanie. Et nous tout nus dans son lit.

Au milieu du nulle part mes souverêves, son visage surgit, et son regard, son regard…

Juste avant de se blottir l’un contre l’autre. Juste avant que nos corps se frottent. Juste avant de se mélanger. Parmi nos étoiles, nos étoiles.

 

On se mélange on est pas ensemble. On se mélange pour se prouver à nous mêmes, prouver à autrui, qu’on est capable de faire l’amour, qu’on est capable de ressentir de l’amour. Des sensations. Des sentiments. Pur(e)s. Sans ambiguïté.

 

Un beau jour, ou peut-être une nuit…

Du côté des salauds

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Le vœu se réalise.

C’est bien beau tout ça.

Mais le plus intéressant c’est l’après.

Tu sais, « après », après la lune de miel,

après l’état de grâce

quand le drame se poursuit,

quand tes œillères sont percées,

quand tu t’aperçois que t’en chies toujours autant.

On va faire quoi ? Ramasser à la pelle les cendres de nos amours fumantes ?

Je lui reproche de jamais être là pour moi.

Non, pas jamais. Mais très peu. Trop peu.

Jamais.

Parce qu’on se voit jamais, tout simplement.

Elle me reproche de toujours faire le pitre.

Non, pas toujours. Mais en soirée. En public.

Toujours.

Parce que ça la gène. Parce que, selon elle, aux yeux des gens je finis par être stupide et que c’est contagieux.

Mais putain ouvre les yeux Marlène ! Je suis toujours comme ça !

Quand on est à deux, rien qu’à deux, le peu de fois qu’on est à deux, je les fais, mes pitreries grotesques !

Les blagues sur les porcs tout gais.

La descente des escaliers.

Le ventre qui chante « Don’t worry be happy ».

Et je te vois sourire, je te vois même rire, parfois ! – aux éclats.

Incompatibles…

Non ?

Ce serait le diagnostic de tous les bons médecins, non ?

Alors une nuit, une énième nuit où tu es pas là,

Je glisse de l’autre côté,

presque par hasard, presque naturellement.

Tu sais, « de l’autre côté », du côté des salauds

quand tu te retrouves dans la chambre tamisée d’une de tes nouvelles potes

quelques verres de blanc dans la tête

Tu la regardes des bulles dans les yeux

flous – folle, jeunesse disparate .

Elle te regarde

proie facile et vulnérable.

« je vais pas te faire un dessin ? »

ce soir tu feras l’affaire

Mais je peux pas, je…

Elle agite un sachet

le coup de grâce.

Tu soupires.

MDMA…

Et puis merde

à quoi bon se retenir ?

Qu’est-ce qu’il y a de l’autre côté,

du côté des salauds,

à part ceux qui ont croqué la pomme jusqu’à en avaler les pépins.

Se retrouver sur son ventre

Sentir sa peau douce

Sniffer à même le nez toute la MD dispersée

jusqu’au dernier grain

coincé dans le cratère de son nombril

parfums d’alcôve

aimer ça

jouer encore

à ces jeux d’adultes – plus ou moins

consentants.

Jouer jouir choir

T’aimer comme ça

malgré ça malgré tout

du côté des salauds.

Trois voeux

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24 DÉCEMBRE :

 

Cette année encore je rentre au bercail fêter Noël en famille – je connais le topo à force : un Noël froid, glauque et morose à souhait. Mais cette année contrairement aux années précédentes pour y aller je traîne pas des pieds.

Car Marlène m’a écrit ce matin : « Fais un vœu au pied du sapin, Jason [prononcer JASON, à la Française, comme Jason et les Argonautes], il se réalisera l’année prochaine »

Marlène, Marlène l’Allemande – je sais plus comment on est entrés en contact – ça date d’il y a quelques mois déjà. Des mails sans prétention au début. Puis au fur et à mesure, au fil du temps, de longs échanges, des messages plusieurs fois par semaine. Et par ce qu’elle me raconte, ce qu’elle me montre et ce qui transparaît d’elle, je sais déjà que je la trouve fascinante. Peut-être bien que je suis amoureux… Mais je la connais pas ! Je l’ai jamais vue, je sais même pas à quoi elle ressemble ! C’est tout moi ça – je m’imagine des histoires avec des filles qui existent pas. Des chimères… Je pensais que ça m’était passé depuis la fin de l’adolescence, mais tout porte à croire que j’ai replongé. Triste constat – et j’ai pas de sapin au pied duquel je peux faire un vœu.

Je prépare mes affaires, je fourre les cadeaux pour la famille dans un sac de sport. Je soupire – pas sûr que mes parents aient installé un sapin chez eux cette année. Vu l’ambiance qui règne au repas de Noël chaque année – qui est de pire en pire, ils ont sûrement renoncé à se donner cette peine.

Où je vais faire mon voeu, moi? Car j’y tiens! Si Marlène a dit qu’il se réalisera, il se réalisera. Forcément. Alors je sais pas ce qui me prend, je décide de me rendre à pied à la gare. J’habite à l’autre bout de la ville, mais peu importe, j’ai le temps, il fait plutôt beau pour les premiers jours de l’hiver et comme ça je profite de la fièvre de Noël que je retrouverai pas chez les darrons.

Juste devant la gare, un sapin immense. Comme s’il était apparu rien que pour moi. Car j’en mets ma main à couper, il était pas là hier. C’est un signe… Alors je m’étonne moi-même en me mettant à son pied et en émettant un vœu – qui sort de mon esprit le plus naturellement du monde: Je veux être avec Marlène.

Puis j’entre dans la gare en haussant les épaules. Pas sûr que ça marche, mais au moins on aura essayé…

 

03 MARS :

 

Marlène est là tout près de moi. Assise de l’autre côté de la table basse du salon. Si je tends le bras, je peux même la toucher. Incroyable non ? Je me souviens maintenant pourquoi elle m’a contacté il y a quelques mois – elle quittait Leipzig et sa Saxe natale et débarquait dans ma ville, elle voulait avoir des infos sur les choses à faire et les choses à voir. Elle est arrivée il y a un mois à peine. Notre première rencontre a été… bizarre. Bizarre de voir pour la première fois quelqu’un que, par la force des choses, le plus grand des hasards, tu connais déjà beaucoup. La première fois qu’on s’est vu, on s’est beaucoup baladé, dans la vieille ville, autour des remparts, le long du canal. Depuis, on se promène souvent aux mêmes endroits, à la tombée de la nuit. Nos petites habitudes. Parfois, on s’arrête net et on lève les yeux au ciel pour compter les étoiles. Et on parle, on parle… Je m’étonne de sa maîtrise de la langue française. Elle parle presqu’aussi bien français que moi – c’est dire… Une fois je lui ai demandé « Ça fait combien de temps que tu pratiques le français ?

– Trois ans, presque quatre. »

Après six ans d’allemand LV1, je lui arrive même pas à la cheville…

Être à ses côtés m’apaise, comme une longue séance de yoga, dont les effets se font encore ressentir les jours d’après. Je crois que j’ai plus changé en l’espace d’un mois que ces deux dernières années.

Marlène est à côté de moi. Assise de l’autre côté de la table basse du salon. Ce soir, je l’ai invitée à voir un film chez moi. On boit du vin blanc. C’est elle qui sert. La bouteille arrive à sa fin. Alors elle me la tend et dit : « Fais un vœu, Jason ! Et ensuite, souffle vite dans la bouteille pour qu’il se réalise. »

C’est quoi cette connerie ?

« Qui me dit que ça va marcher ? » Je fais.

«  Ça va marcher si tu veux que ça marche ! » Elle rétorque.

« Pourtant le vœu que j’ai fait au pied du sapin, il s’est pas encore réalisé.

– Sois patient. Ça viendra… »

Je suis pas convaincu, mais je m’exécute. Je tiens la bouteille avec précaution, je fais mon vœu, je le pense très fort, j’y crois à fond, je souffle sur la bouteille qui résonne un peu, et avant de la poser sur la table basse je la bouche avec la main pour empêcher mon vœu de s’envoler.

Mon vœu… Un vœu tout simple – impossible : Vivre une grande et belle histoire d’amour avec Marlène.

 

06 AVRIL – hier soir

 

Marlène chez moi une fois encore, tous deux côte à côte autour de la table basse du salon, nos culs posés sur des coussins, on regarde silencieusement deux bougies crépiter et distiller leurs ombres mouvantes sur le plafond. J’ai réaménagé la pièce, ça fait des années que je me dis que je dois changer les meubles de place et je le fais jamais. Par manque de temps ou par fainéantise. Marlène la trouve plus zen. La bouteille de vin est vide. « C’est le moment de faire un vœu ! » elle lance. Elle me tend la bouteille. Je lâche mon vœu dedans. Je souhaite répéter mon deuxième vœu, je souhaite qu’il devienne réalité.

Elle fait son vœu. Puis son léger accent chantant qui me fait flancher me demande : « C’était quoi ton vœu ?

– J’ai pas le droit de te le dire, sinon il va pas se réaliser.

– Qu’est-ce que t’en sais ? »

Pause. À cet instant mon cœur bat la chamade. J’arrive pas à la regarder dans les yeux. Qu’est-ce qu’elle est belle, bordel… Si je m’approche de sa bouche, qu’est-ce qu’il va se passer ? Je l’imagine se lever et fuir de chez moi en courant. Le gros vent. J’ai 14 ans de nouveau.

On se calme… Je suis sur un terrain glissant, faut que j’arrive à me dépêtrer de là. Faut que je garde la tête froide, que je m’en sorte la tête haute.

« Bon OK. Je te dis mon vœu. Mais s’il se réalise pas, tu me files 200 Euros en guise de dédommagement, ça marche ? »

Et je lui tends la main pour qu’elle scelle le deal.

Je suis vil, je suis vénal. Machiavél……..

Elle soupire, balance ma main au loin, attrape mon col de chemise et agrippe ma bouche

 

 

pour y déposer le plus beau et le plus doux des baisers.

Chercher des petits-pains

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Premières lueurs du jour qui te percent les pupilles. Je me réveille une fois de plus dans un lit qui est pas le mien. Odeur désagréable – amère, puante – dans la bouche – trop fumé hier, et trop bu – du mauvais vin – je pue à dix kilomètres. Je regarde le plafond en essayant de reprendre mes esprits, de retrouver ne serait-ce qu’une vision d’ensemble du puzzle décomposé de la soirée d’hier. Et de la nuit…

Merde…

Elle dort sur le côté. Bien loin de moi. Elle ronfle un peu, paisible – elle me tourne le dos. Peut-être qu’elle aussi préfère oublier. Elle a l’air jolie, de dos. Je veux dire, elle a l’air d’avoir de jolis cheveux, elle a un beau dos, charmant – … J’espère… Je veux dire… merde…

Par contre elle a tiré toute la couette cette nuit. Je comprends mieux pourquoi je me suis gelé les miches. J’ai le cuir chevelu qui me démange. Toujours allongé, je me gratte les cheveux, je scrute mes pieds, mes jambes, je zieute le bas de mon ventre. Ma bite flasque qui déclare forfait. Qui voudrait bien disparaître dans la nature, se recroqueviller dans sa coquille. Comme un escargot. Mais c’est qu’une limace. Elle est belle, ma condition d’homme !

C’est bon, ça me revient. Les événements d’hier. Par bribes – de plus en plus nettes. Merde…

Je me suis encore fait niquer comme un bleu. D’abord le pub aux néons criards. Ensuite le dernier verre – « Chez toi ou chez moi ?

– Mmm…

– Chez moi. J’ai du bordeaux.

– Mmm… j’aime pas trop le bordeaux.

– Chez moi quand même. Allez viens, tu sais bien qu’on s’en fout que tu aimes pas le bordeaux !… »

Tellement cliché…

« Mmm… Bon, OK, d’accord… »

Inutile de résister, surtout pas à cette heure tardive. Au mieux il y a de la bonne musique de chambre et son lit est confortable, au pire la gnôle est gratuite. Ça vaut bien quelques sacrifices.

B.Howl – une âme tellement charitable…

Je me dresse tant bien que mal. Coup d’œil au réveil – un truc vintage posé sur la table de chevet parmi quelques Musso, quelques Levy, un Gavalda et un flacon de verni à ongles violet. Sans doute que c’est ce flacon qui m’a séduit chez elle, non ? Si elle est pourvue d’une once d’originalité…

Je soupire.

Le réveil indique 8h12.

J’ai la dalle.

Je sors du lit. Je glisse sur une capote usagée. Deux autres capotes traînent plus loin. Usagées aussi – mais vides, celles là, par contre. Grands dieux, tant de fois que ça ?…

Merde.

Je me rhabille avec difficulté – j’enfile mon calbute comme l’équilibriste du cirque. Puis mon jean, ma chemise et mes godasses et plusieurs fois je manque de me casser la gueule. Je vadrouille dans l’appart’ je me dis qu’elle a des bons goûts déco quand je vois les posters dans sa cuisine. Dans l’évier je choure une tasse je la nettoie vite fait et j’y verse la fin de la cafetière. Le café froid de la veille, y’a que ça de vrai ! Puis je finis par trouver les chiottes où je dépose quelques amis à la piscine je prends bien soin d’éviter de tirer la chasse et enfin direction la salle de bain où je me passe un coup d’eau sur la nuque histoire de bien me réveiller, et d’emprunter son dentifrice histoire de pas schlinguer, d’être un minimum présentable aujourd’hui.

Il a l’air de faire beau dehors. Je prends quelques thunes, je laisse mon manteau traîner sur le canap’, et je fais, bon cœur : « Je vais chercher des petits-pains. »

En guise de réponse j’entends une sorte de meuglement – je crois que ça veut dire « Oui ». À l’entrée sur un meuble je prends ses clés ainsi qu’une clope – une lucky pour me faire passer la pâteuse.

Et j’emprunte pas l’ascenseur j’emmerde l’ascenseur je descends les escaliers en sautillant tel Arturo Bandini – un Arturo Bandini de pacotilles – un Casanova stakhanoviste qui a rien dans le froc. Je me suis fait niquer comme un bleu.

Dans la rue je demande à une vieille qui promène son chien où c’est que je peux trouver une boulangerie. Elle et son yorkshire me regardent avec méfiance. Oui je suis un débauché oui je sens la chatte – et alors ? Faut que j’en profite, non, avant de devenir comme vous… – vous trouvez pas ?

La vieille finit par accoucher – la boulangerie est deux rues plus loin. « Merci bien », je dis. Et je file fissa et je sais bien que j’ai la vieille et son foutu clebs sur les talons.

Je sautille nonchalamment sur le trottoir – je me crois dans Billy Elliot. Je suis Billy Elliot. La boulangerie est à une rue. J’allume la clope je marche lentement en fixant le caniveau et je pense à tous ces maris, tous ces amants qui annoncent à leur femme au petit matin qu’ils vont chercher des petits pains et qui reviennent jamais.

J’envisage sérieusement de faire la même.

Sauf que moi je me suis fait niquer comme un bleu j’ai laissé mon manteau là-bas. Mon manteau qui contient les clés de chez moi mes papiers mon blé et mon portable.

Je vais chercher ces foutus petits-pains et je reviens, furax, jusqu’à son immeuble.

Je sonne. Exprès. Plusieurs fois. Jusqu’à ce qu’elle se sorte enfin le cul de son plumard et qu’elle vienne m’ouvrir.

« T’as pris la clé, pourtant, non ?»

Il n’y a pas de petites vengeances.

« Ah oui. Oui oui. C’est vrai. J’avais zappé. Désolé. Mais j’ai des petits-pains. »

– Je t’ai dit hier que je préférais les croissants…»

Merde.

Le marque-page

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« Viens, mon beau chat, sur mon corps amoureux

Retiens les griffes de ta patte

et laisse moi regarder dans tes beaux yeux

mêlés de métal et d’agate »

Charles Baudelaire

 

Combien de fois j’ai pu penser à réciter ces vers en caressant des chevilles à la nuque ton corps doux et moite d’après l’amour – en effleurant de mes grands doigts ta chaude toison – en t’entendant doucement ronronner comme une chatte – en observant attentivement tes pupilles diluées se perdre tantôt sur le ciel de nuit là-bas derrière la fenêtre embuée, tantôt sur le plafond ombragé de la chambre – comme pour reprendre pied dans la réalité étrange de notre moment.

Le lit défait. Les draps encore emplis de ton parfum nébuleux – inaltéré. Tes cheveux d’or qui apparaissent ici ou là entre les plis de la couette si on fait bien attention. Les jambes et les bras en croix et au centre mon corps trop lourd qui a rien à faire dans ce mausolée – souillent l’immaculé. Je lis Murakami – 1Q84.

1Q84 – une histoire qui se situe entre deux mondes – le monde de l’année 1984 et le monde – parallèle mais pas vraiment – de 1Q84 – où brillent deux lunes dans le ciel mais où les gens vivent, meurent – et s’aiment – vraiment sous les lunes. Deux mondes qui s’entrecroisent – dans lequel des deux on est finalement ?

C’est grâce à Murakami que je t’ai rencontrée. C’est lui qui nous a rapprochés. J’aime bien Murakami – sa poésie, son univers, les saveurs enivrantes et mystérieuses qu’il distille entre les lignes. Je m’étais résigné à ne pas lire 1Q84, j’en avais entendu des mauvais échos et je trouvais que ça valait pas la peine de le lire, je préférais rester sur mes bonnes veilles références – Kerouac Bukowski et Cendrars – familières, confortables, sécurisantes – c’est ta force de persuasion massive qui m’a poussé à me procurer les trois tomes de ce pavé et à les lire jusqu’ici. D’un côté 1Q84, de l’autre un verre de rouge, entre les deux moi à poil qui jongle de l’un à l’autre et m’étonne pour le coup d’être ambidextre.

Main droite.

Une gorgée.

Pose le verre.

Main droite.

Saisit le bouquin.

Reprends la lecture.

Là où les marque-pages l’ont laissée.

 

Mon marque-page. Procuré lors de mes innombrables pérégrinations parisiennes – juste après avoir vu le tapuscrit de On the Road, en même temps que j’ai acheté le bouquin – The Original Scroll – dans une petite librairie du Vème qui paye pas de mine. Et depuis il me quitte jamais – toujours coincé dans les pages du bouquin que je suis en train de lire – dans mon lit, dans le métro ou sur la route. Autant vous dire qu’il part en lambeaux mais qu’il a une histoire.

 

Ton marque-page aussi, il a une histoire. Une histoire qui rejoint la tienne dans tes propres pérégrinations. Fond bleu ciel – et dessus des images de rues pales et ensoleillées, d’ornements et de céramiques – on se croirait à Lisbonne, Florence ou bien soyons fous! – Saint-Petersbourg. Une histoire qui rejoint la mienne aussi, maintenant qu’il se glisse en compagnie du mien dans les livres que j’emporte partout.

 

Je nous vois tous les deux serrés l’un contre l’autre penchés par la fenêtre pour y contempler le ciel de nuit de 2K14 et ses deux lunes flamboyantes. Maintenant mon verre de rouge se vide et j’en suis au point final de 1Q84 et j’ai pas le droit de te raconter comment ça se termine. Maintenant en 2014 une seule lune me nargue à travers la fenêtre sale – maintenant ça fait longtemps que j’ai pas eu de tes nouvelles. Qu’est-ce que tu deviens, vieille chimère qui me colle à la peau ? Où es tu, à part dans un coin de ma tête ?

Sur le lit tes cheveux d’or disparaissent un par un – tes parfums se dissipent et s’envolent. S’agit-il bien des tiens ? Au fond peu importe – à la fin seuls les souverêves restent. À moi de les faire vivre ou de les taire, selon qu’il y une ou deux lunes, selon qu’on soit en 2014 ou 2K14.

Je finis par m’assoupir peu à peu – vaincu par Morphée une fois de plus. Ton marque-page se fane comme une rose et se désagrège sans un bruit. Sur le lit les jambes et les bras en croix et au centre mon corps trop lourd qui a rien à faire dans ce mausolée – et tout autour éparpillés comme dans une scène d’amour torride mon marque-page et les trois tomes d’1Q84.

J'immortalise le moment juste avant que les souverêves reprennent le dessus.

J’immortalise le moment juste avant que les souverêves reprennent le dessus.