Chrysler Building

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Une main.

Mi-rouge mi-bleue, figée, vibrant un peu tellement elle est serrée.

Contre ma carotide.

Une main qui tremble.

Si elle lâche, je meurs.

Si elle serre plus fort, je meurs.

Je suis dans le vide.

Enfin, pas exactement.

Je suis un peu en dessous du soixante-deuxième étage du Chrysler Building. Mes pieds ne touchent plus terre. Je suis suspendu.

À la place de la moquette des bureaux, le bitume. Les rues. Les voitures. Deux cents mètres en dessous de moi. Les trottoirs. Les passants. La vie qui s écoule, parfaitement planifiable, quadrillée, New York City. En plein dans le mille si ma main lâche.

Je commence à avoir froid. À voir double. À ne plus rien sentir. À perdre les pédales.

Enfin, pas exactement.

À m’évanouir.

Donc, ma vue s’embrouille, mon champ de vision se rétrécie. Strangulation. Étouffement. Dans une demi-inconscience, la main, je perçois les va-et-vient de ce sang qui inondent ces veines.

Mes seuls repères.

Ça s’en va et ça revient. Cette valse, ç’en est presque amical, affectueux. Comique.

Mon cerveau n’est plus irrigué correctement. Le manque d’air, le manque d’afflux sanguin, le manque de sensations, tout ça me rend fou.

Enfin, pas exactement.

Mon cerveau flotte sur les gens qui vaquent à leurs occupations quotidiennes, il flotte parmi les buildings qui domptent la ville. Je dérive dans le vent, léger, hyper-conscient. Libre à 2000%.

Le contraste est saisissant.

Et juste avant de m’enfoncer dans les limbes de ce qui ressemble fort à une syncope apnéique, ou juste avant de toucher le fond, de tomber face contre terre, entre Lexington Avenue et la 42ème rue, après un piqué vertigineux, la main m’emporte, me soulève, évanescent, vers l’autre côté de la fenêtre, et me relâche doucement.

Je reprends mes esprits en haletant, et je dis :

« C’est ton tour, maintenant. »

avec les lumières éteintes, c’est moins dangereux

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Un brouillard glacé s’étale sur la ville. Je marche le long des quais, les feuilles mortes crissent sous mes pas. L’automne, la nuit. Direction chez-moi. Dans mes oreilles, Nirvana, Smell like Teen Spirit. Je brandis mon MP3, je veux passer à une autre chanson, celle-là me lasse trop, je respire profondément et j’abandonne l’idée. Je fais un effort, j’essaie d’écouter jusqu’à la fin. Kurt Cobain qui gueule, il ne l’aimait pas trop non plus. Une suite d’accords soi-disant trop simple, que je ne suis même pas capable d’assurer après deux mois de guitare, dix minutes par jour ( en comptant les cinq minutes que je passe à la contempler et à essayer de retrouver mon médiator dans mon bordel ).

 

With the lights out, it’s less dangerous
Here we are now, entertain us
I feel stupid and contagious
Here we are now, entertain us

Le rythme me berce jusque dans le métro, jusqu’à mon appart’ où je pose lourdement mon sac sur le canap’.

J’allume l’ordi. Les reflets de l’écran se diluent dans la noirceur de la pièce.

With the lights out, it’s less dangerous

 

Je dois faire quelque chose.

Je dois faire quelque chose. Mais quoi ?

Me trouver un défouloir.

Here we are now, entertain us.

 

C’était quand, la dernière fois ?

Un jour de printemps. Depuis, tout , à peu près tout, plus ou moins part en lambeaux.

À l’époque, mes textes sont publiés tous les jeudis sur un blog créé par des gars que je ne connais pas, que je n’ai jamais vus, une « armée d’écrivains ». Mes textes ? Mauvais, merdiques pour la plupart, je m’étonne de les voir encore en ligne aujourd’hui.

I feel stupid and contagious

En quelque sorte, avec le recul, ça me stimulait, ça me maintenait en vie intellectuellement.

Le projet est tombé à l’eau. Fractures, divergences entre grandes gueules. Pas la mienne, moi je n’ai pas eu mon mot à dire, je me suis retrouvé devant le fait accompli. Depuis, calme plat sur le clavier, brouillard dans la tête.

Je dois faire quelque chose.

Un blog.

Reprendre là où ça s’est arrêté.

Un blog. Faut lui trouver un nom.

Un blog. C’est nul, ça sert à rien.

C’est stupide.

Un blog, son essence réside uniquement dans sa diffusion. Sa propagation. Effets viraux.

C’est contagieux.

Un blog.

Un défouloir.