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Sacré Pépère

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Fanfare de klaxon.

Je me réveille en sursaut et le temps que j’émerge de ma sieste Dan me dit : « Désolé Ben, il y avait des enfants sur le pont qu’on vient de traverser. »

La voiture de Dan est en train de filer entre Francfort et Munich – il est 16h30 et je crois avoir dormi une bonne trentaine de minutes – et en plus de ça le soleil perce depuis quelque temps.

J’ai de la chance tout va bien.

Dan – sacré pépère.

Quand nos regards se sont croisés sur l’aire d’autoroute de Spy il était même pas midi. Dan était en train de gonfler ses pneus. Il a regardé ma pancarte et il a fait : « Je vais pas jusqu’au Luxembourg moi, mais je passe par Munich.

– C’est génial ! » Je me suis exclamé. « Ma destination c’est Ljubljana – les autres villes qui figurent sur la pancarte, c’est juste à titre indicatif. Plus je me rapproche de Ljubljana, mieux c’est ! »

Et c’est comme ça que j’ai embarqué dans la bagnole de Dan – une Volkswagen Passat blanche crade, il y a un vélo sur la plage arrière.

Dan me raconte : « Je l’ai eu à Mons, c’est pour ça que je suis là. Je le ramène chez moi – en Roumanie.

– Super !

– Ouais. J’ai une ferme là-bas. Je veux me lancer dans l’agriculture bio.

– C’est un chouette projet. Je connais pas la Roumanie. J’aimerais beaucoup y aller.

– Oui c’est un beau pays. » Dan me dit.

« Mon rêve, ce serait de suivre – en vélo – toute la rive du Danube, de sa source en Forêt Noire jusqu’à son Delta en Roumanie.

– Ah ouais ?

– Oui. Imagine tous les endroits que le Danube traverse, rassemble, sépare. J’ai déjà eu la chance de voir les sources du Danube. Je me suis baigné tout nu à Vienne, au niveau des Donauinseln, je suis allé à Bratislava, à Budapest. J’aimerais bien voir Belgrade, et Bucarest. En vélo – plus de trois mille kilomètres. Pour l’instant c’est un rêve, mais un jour je le ferai vraiment. »

La Passat filait vers Liège, Aachen, Köln, Frankfurt – et je ne voyais pas le temps passer.

Avec Dan on a discuté de plein de choses – de la ferme, de ses poulets, de ses autruches, de là d’où on vient, de nos voyages – par exemple, de ses séjours en Crète et de la meilleure saison pour y aller.

Dan – sacré pépère.

Dan vient de mettre la radio plus fort. Cette chanson. Puis celle-la. Je savoure chaque instant de cette virée en voiture.

Je reçois un SMS de Mélanie : « Tu t’en es sorti ? » Si tu savais ! Ça va au-delà de mes pronostics les plus optimistes. J’ai de la chance tout va bien – peut-être même que j’arriverai à destination dès ce soir.

On finit par s’arrêter – tant mieux parce que ma vessie est pleine. L’aire d’autoroute, c’est même pas une station service – rien d’autre qu’un parking avec juste quelques places – et pas un chat.

Je le regarde en haussant les sourcils. « Here we can make free pipi ! » Of course… Dan se soulage bien comme il faut – j’en profite aussi. Puis il me fait « Can you help me ?

– Yes, sure ! For what ? »

Il prend des trucs dans le coffre. Des bidons et une bouteille d’eau découpée de telle sorte à ce que ça ressemble à un entonnoir. Puis on verse de l’essence dans le réservoir. C’est de l’essence volée fournie par les conducteurs de camion, à moitié prix. En fait d’après ce que j’ai compris les conducteurs de camion disposent d’un forfait essence, payé par leur boîte. Mais pour quelques litres de plus ou de moins, les patrons sont pas regardants. Ça leur permet de revendre des litres et des litres d’essence et de s’arrondir leurs fins de mois.

La trappe à essence de la voiture de Dan

On remonte dans la voiture. Mes mains sentent un peu l’essence et j’ai du mal à déterminer si j’aime ou pas cette odeur.

On parle de plein de trucs – et c’est tant mieux parce qu’on est en train de faire sept cents kilomètres ensemble et c’est plus agréable de faire ça en se faisant la conversation.

Dan : « Tu sais, Dracula, il a vraiment existé.

– Ah bon ?

– Oui… Contrairement à ce que la légende raconte, c’était quelqu’un de très correct, pas du tout un vampire. »

Dan – sacré pépère.

On roule, on roule – et au bout d’un moment je m’aperçois qu’on s’est trompé de route. Enfin, non. En fait, on suit une autre route que celle que j’avais prévue, on a pris celle qui allait vers Linz – un peu plus au Nord, plus à l’Est – et ça m’arrange peut-être, car c’est l’autoroute. J’ai envie de suivre Dan jusqu’à Vienne – pour revoir la ville, pour m’y perdre cette nuit – qui sait ? – mais si je fais ça je vais m’éloigner encore plus de ma destination. Et je vais sans doute avoir du mal à me lever demain, et à sortir de ville. Car comme je le dis, le plus dur avec l’auto-stop, c’est de sortir de la ville et d’y rentrer.

Dan me dit qu’il y a des montagnes en Roumanie, et des monuments mégalithiques un peu comme à Stonehenge – et c’est pas un hasard, il y a un lien entre les deux – il DOIT y avoir un lien – obligé ! Et il me raconte d’étranges disparitions aux alentours… et toutes ces légendes et j’en ai des étoiles dans les yeux – un jour j’irai en Roumanie ! – Yallah – Un jour j’irai partout !

 

À suivre…

Un nouveau départ

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« Ça faisait longtemps, pas vrai ? »

Mélanie me dit.

« Ouais… » je réponds en regardant au loin, vers l’autoroute – et je repense à la dernière fois que j’ai levé le pouce – avril 2014 – un an tout pile – pour aller jusqu’à Lódz. À l’époque j’avais bourlingué jusqu’à Poznan et là-bas j’avais renoncé et j’avais pris un bus pour faire le reste de la route. À l’époque aussi je m’étais juré que ce serait la dernière fois – que je ressentais plus le besoin de faire du stop et que j’avais évolué, que je cherchais une vie plus stable.

Mais janvier 2015 le rêve m’a happé – LJUBLJANA écrit au feutre sur une pancarte – et me voilà maintenant teraz jest teraz début du printemps 2015 sur cette aire d’autoroute en Belgique – la plus proche de Lille, tout près de la frontière – c’est là que Mélanie me dépose – et l’expérience du bitume va enfin pouvoir de nouveau commencer.

la pancarte

Il est à peine 9h du mat’ – je récupère dans le coffre ma pancarte et mon sac de bidasse – comme elle dit. Mélanie me file la clope qu’elle vient de rouler en cadeau « Tu l’allumeras devant l’église rose en pensant à moi, d’accord ? » – elle m’embrasse ses yeux me souhaitent bonne chance et sa Peugeot 106 vert forêt – toute défoncée, rétro cassé – repart en klaxonnant joyeusement.

Et ça fait chaud au cœur – elle croit en moi.

Je suis content que Mélanie m’ait accompagné jusque là. Sauf hasard ce sera le dernier visage connu que je croiserai avant mon retour.

aire d’autoroute de Froyennes

aire d’autoroute de Froyennes

Je repense à ces derniers jours. Les préparatifs – la route à checker, la pancarte à élaborer. Et ce mélange d’excitation de hâte et d’angoisse. Pour le coup je dois avouer que l’excitation était en berne – c’était plutôt l’angoisse qui prédominait – et cette question : « Est-ce que je vais y arriver ? »

Je me suis persuadé que si j’allais là-bas, c’était pour y trouver quelque chose. Je vais transformer ce voyage presqu’en quête mystique.

Pourquoi pas ?

Car ce rêve de janvier, ce serait pas un signe ? Mais pour quoi ? Qu’est-ce que je cherche ?

Je suis lancé maintenant – livré à moi-même, je peux pas faire demi-tour. Je soupire. 1450Km jusqu’à Ljubljana. « Yalla ! » Camille dirait.

Camille… – avec elle j’ai fait le pari – stupide évidemment – d’arriver là-bas avant midi demain. Ça va être chaud mais pourquoi pas. Et je me souviens même pas de ce que je gagne si j’y arrive. Rien, probablement. Et Camille est pas là et Mélanie est partie et me voilà seul face à mon destin.

Quel rêve de merde…

Je me poste devant la station service. J’observe mon environnement. Je dois reprendre l’habitude – réapprendre à suivre les règles de l’auto-stop. Un an sans – je crois que je suis rouillé. Rester le dos bien droit, fier et vaillant. Faire signe à tous les gens que je croise et qui entrent et qui sortent.

J’ai de la chance tout va bien il fait assez beau. Enfin il pleut pas, il fait pas trop gris, pas trop froid.

Je rentre dans la boutique de la station-service. Je passe sous le portique pour pisser pour économiser 50cts. Il y a pas de petites économies.

Puis je me re-poste dehors. Un gars qui me voit lever le pouce vient vers moi et me dit :

« J’ai lu quelque part qu’un supporter du Racing Club de Lens a suivi deux cents matchs en stop. »

En rigolant je lance : « Eh ben il a intérêt à arriver à l’heure au stade ! »

Je me perds un peu dans mes pensées. Je fais le tour du parking des camions – nada. Mais c’est pas alarmant. C’est surtout la patience que je suis en train d’appréhender à nouveau. Le lâcher prise. Ça fait du bien et je reprends du poil de la bête.

Yalla !

Je reviens devant la station service et là – à 9h20 – un couple me propose un lift jusqu’à Namur – dans un minibus Mercedes.

J’ai de la chance tout va bien.

Et tout va encore mieux quand je fais la connaissance de Koen et Geertje. Dans le minibus ils m’expliquent avec un charmant accent flamand : « On vient de Gand. Ce week-end on a laissé les enfants chez leurs grands-parents à Courtrai, et on va retaper la maison qu’on a trouvée dans les Ardennes Belges. »

On parle de Gand, de Mons, de Bruges. Je suis aux anges – des échanges comme ça avec des gens que tu connais pas – le genre de trucs qui te redonnent foi en l’Humanité.

Et puis le jeune couple me raconte leurs randos, leurs trekkings en Slovénie. « On connaît bien ! On y est allé plusieurs fois. C’est pour ça – on a vu ta pancarte alors on s’est dit qu’on pouvait s’échanger quelques tuyaux.

– … Moi je connais pas du tout. Disons que j’y vais un peu à l’arrache. »

[Pas évident de dire « à l’arrache » en anglais…]

Et je leur dis pour la vision de la pancarte LJUBLJANA.

Sans sourciller ils me filent plein d’infos sur les endroits où aller – le lac Bled par exemple, ou Kranjska Gora – et vers 10h30 des idées de randos slovènes plein la tête ils me déposent sur l’aire de Spy – près de Namur – que je connais bien.

aire d’autoroute de Spy

aire d’autoroute de Spy

aire d’autoroute de Spy

De nouveau je me mets en mode « recherche de chauffeur ». L’aire d’autoroute est assez grande – je fais le tour des différents parkings en montrant ma pancarte. Le ciel s’est couvert et il pluvine un peu – mais rien de bien méchant – rien qui puisse niquer mon enthousiasme.

En revenant vers mon abri devant la station service j’ai de la chance tout va bien – je croise le regard de Dan.

 

à suivre…

Hannover Garbsen – Partie 2

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Toujours 3h du mat’, toujours bloqué dans la nuit encre de Chine sur cette putain d’aire d’autoroute Hannover-Garbsen, et avant de me faire interrompre par Monsieur H. et son texte – qui est, de vous à moi, le fruit d’un travail d’orfèvre – j’étais en train de vous raconter comment j’en étais arrivé là.

Donc, il y a tout d’abord Louis et mon « covoiturage spontané », concept que j’ai inventé pour dire que j’ai foiré l’autostop en beauté en acceptant lâchement de me faire véhiculer moyennant finances. Je sais que Camille aurait pas du tout approuvé ça – pour elle le stop c’est « Si tu me fais payer, je monte pas avec toi. » Heureusement, béni soit Kerouac, qui, quand il a sillonné les routes américaines en large et en travers, a dû, parfois, filer quelques dollars pour faire quelques miles.

Louis me dépose sur l’aire de Lipperland Süd sur les coups de 23h. De là il va à Minden, puis il retourne à Essen. Et demain, et les jours suivants, il fera pareil, ce saint impitoyable.

Adios l’ami ! – je lui fais signe quand il démarre – mais il s’en fout. Les bandes blanches et la vitesse l’attendent.

Pause pipi de nouveau – ce serait dommage de me faire dessus sur la route en salissant le cuir d’un siège passager. Pause bouffe – bananes et petits-beurre, et pause café également – jusqu’à Łódź, ça peut être long.

Si je fais le calcul rapidos, je dirais que j’ai déjà encaissé un tiers des 1600 Km qui me séparent de ma destination. Hanovre est à 100 Km, Berlin à 400 Km. Et ensuite Poznań et la Pologne, enfin…

Pancarte

Pancarte

Je stationne devant la station-service Aral. Je réarrange ma pancarte, la réduis de moitié en retirant tous les endroits que j’ai déjà franchi.

 Pas le temps de finir ma clope, un camion rouge s’arrête devant moi. Le chauffeur descend et s’approche : « I can drive you to Hannover.

– Let’s do that ! »

Avec des signes il m’explique que je dois abandonner ma « pancarte de rechange », un carton sur lequel j’ai rien écrit, histoire d’avoir quelque chose sous la main au cas où j’aurais dévié de ma route. Je suis d’abord réticent, puis je me dis que si je dévie, je ferai avec les moyens du bord. Alors il m’aide à mettre mes sacs dans la cabine et on embarque.

Wow un camion – ça faisait un bail

Mon chauffeur, Carshie (?) me propose du Red Bull et du café – sa glacière est à portée de main et la machine à espresso sur le tableau de bord. Il laisse son paquet de clopes à proximité et me fait comprendre que je peux me servir comme je veux. Un ange ! – un ange qui écoute de la musique pop Bulgare – quand je lui pose des questions il baisse le son pour me répondre.

« Ça fait combien de temps que tu es chauffeur routier ?

– 25 ans.

– Qu’est-ce que ton camion transporte ?

– En général, du courrier et des colis. Je bosse pour Fedex. Mais pour l’instant, rien du tout. Je dois récupérer une cargaison à Berlin et la déposer à l’aéroport d’Hanovre, d’où je viens de partir.

– Tu as de la famille, des enfants ?…

– Ouais, j’ai deux filles. L’aînée a 22 ans. Elle fait des études de droit en Bulgarie. La plus jeune a 17 ans, elle est au lycée à Cologne. »

Dans le camion on domine la route en fonçant dans la nuit. C’est très calme, j’ai pas l’impression qu’on dépasse les 100 Km/h. Mais je suis en forme, enthousiaste et bien confortable sur mon siège. Dans la direction opposée, on aperçoit trois accidents – et les embouteillages qui les accompagnent.

Carshie a les muscles saillants, sa peau est parsemée de tatouages. Je l’observe du coin de l’œil – sa route est encore longue mais il sourit. Après ma série de questions il remet la musique à fond. Première fois de ma vie que j’écoute ces airs traditionnels remixés à la sauce électro – de la Tchalga – et figurez vous que je trouve ça génial…

Vers 1h du mat’ Carshie me dépose sur l’aire d’Hannover-Garbsen. Il a l’air vraiment désolé quand il me dit qu’il peut pas m’amener plus loin. Un grand signe, et c’est un autre ange de la route qui s’obscurcit en s’éloignant.

Voilà, je vous ai raconté comment j’en suis arrivé là. Maintenant ça fait deux heures que je poirote comme un con ici. Il fait un peu froid, adossé aux vitres de la station-service, j’enfile mon sweat-shirt. Le mec de la station-service me fixe des yeux – il s’est d’abord méfié de moi, maintenant il me regarde d’un air attendrissant.

Vue de la station-service

Vue de la station-service

Au niveau des pompes, je roule ma bosse et ma clope – oui, on fait avec l’humour qu’on a – seul à 3h du mat’ sur une aire d’autoroute paumée dans un pays qui n’est pas le sien.

L’aire d’autoroute est immense, pourtant aucune voiture s’arrête pour mettre de l’essence – aucune voiture sauf des « microbus » – des espèces de fourgonnettes sans fenêtres qui traversent l’Allemagne et la Pologne, remplies de passagers entassés dedans. Je les vois sortir des véhicules, hagards, fumer des clopes et se dégourdir les jambes pendant que les chauffeurs font le plein. À chaque fois, leur regard se pose sur moi, rempli de regrets – ils pourront pas me véhiculer.

Tant pis… Mon attention – enfin… toute l’attention que je suis capable d’avoir à cette heure avancée de la nuit – s’est reportée ailleurs. Vers une voiture solitaire qui traîne en plein milieu du parking devant le restoroute. Une voiture immatriculée en Pologne – et dedans, qui dort : mon sauveur.

mon sauveur?

mon sauveur?

J’attends qu’une chose, c’est qu’il se réveille. Quand ce sera le cas, il me verra, et là, c’est obligé, il va me prendre et m’emmener direct jusqu’à Łódź. Je le sais, c’est comme ça que ça va se passer.

En attendant, je fais des rondes dans le coin des camions, où je vois les chauffeurs se garer comme ils peuvent, sortir quelques instants pour vérifier leur cargaison, puis rentrer et tirer les rideaux de leur cabine – avant de se reposer quelques heures pour reprendre la route de nouveau.

Ronde de nuit

Ronde de nuit

Je commence à broyer du noir – sévère. Je me sens comme au milieu de nulle part, comme cette fois à Dolna Grupa. Sauf que cette fois pas de Camille, pas de Candy Sweet, pas de Lola, pas de Marlène non plus – je suis seul – désespérément seul. Et traîner là au milieu de ses mastodontes d’acier, ça commence à me faire flipper grave.

Je regarde leur plaque d’immatriculation, à mes camions, et j’essaie de deviner d’où ils viennent et quelles routes les a menés jusqu’ici. Mais ce jeu dure pas bien longtemps – j’angoisse et je commence à avoir sommeil.

Énième pause clope à la station-service à côté des microbus compatissants qui défilent à la chaîne, puis j’entame une énième ronde dans le coin des camions. Mon sauveur là-bas seul dans sa caisse est toujours pas réveillé.

Tout à coup, alors que je suis au bout de la troisième rangée de camions, près de la sortie de l’aire d’autoroute, un vrombissement. Soudain, rapide et violent. Et je vois sa voiture filer à toute berzingue. Putain, mon sauveur vient de se casser !

Le chien !

Je misais tout sur lui.

Qu’est-ce que je vais foutre maintenant bordel ?

Je maugrée toute ma misère en traînant des pieds jusqu’à la station-service, où je m’écoule sur le béton, froid et qui pue l’essence. Faut que j’en fasse mon refuge – parce que si ça se trouve, je partirais pas d’ici avant l’aube.

Mais une bagnole déboule. Une vieille merco-benz blanche – début des années 80 je dirais. Immatriculée 75. Paris ! Un Français ! Alors que je me remets debout, son conducteur se pointe vers moi. Et il me dit un truc – un charabia incompréhensible – du polonais ? « Nie mówię po polsku… » je fais. Alors, dans un français sans faille, il me dit : « Je m’appelle Michał. Je vais jusqu’à Poznań. Si ça te dit, je te dépose par là… »

Bien sûr que ça me dit !

Hop, je grimpe et je fous tout mon barda à l’arrière.

Les sauveurs sont jamais ceux qu’on croit et Michał l’ange met les gaz trace la route direction la Pologne.

Le marque-page

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« Viens, mon beau chat, sur mon corps amoureux

Retiens les griffes de ta patte

et laisse moi regarder dans tes beaux yeux

mêlés de métal et d’agate »

Charles Baudelaire

 

Combien de fois j’ai pu penser à réciter ces vers en caressant des chevilles à la nuque ton corps doux et moite d’après l’amour – en effleurant de mes grands doigts ta chaude toison – en t’entendant doucement ronronner comme une chatte – en observant attentivement tes pupilles diluées se perdre tantôt sur le ciel de nuit là-bas derrière la fenêtre embuée, tantôt sur le plafond ombragé de la chambre – comme pour reprendre pied dans la réalité étrange de notre moment.

Le lit défait. Les draps encore emplis de ton parfum nébuleux – inaltéré. Tes cheveux d’or qui apparaissent ici ou là entre les plis de la couette si on fait bien attention. Les jambes et les bras en croix et au centre mon corps trop lourd qui a rien à faire dans ce mausolée – souillent l’immaculé. Je lis Murakami – 1Q84.

1Q84 – une histoire qui se situe entre deux mondes – le monde de l’année 1984 et le monde – parallèle mais pas vraiment – de 1Q84 – où brillent deux lunes dans le ciel mais où les gens vivent, meurent – et s’aiment – vraiment sous les lunes. Deux mondes qui s’entrecroisent – dans lequel des deux on est finalement ?

C’est grâce à Murakami que je t’ai rencontrée. C’est lui qui nous a rapprochés. J’aime bien Murakami – sa poésie, son univers, les saveurs enivrantes et mystérieuses qu’il distille entre les lignes. Je m’étais résigné à ne pas lire 1Q84, j’en avais entendu des mauvais échos et je trouvais que ça valait pas la peine de le lire, je préférais rester sur mes bonnes veilles références – Kerouac Bukowski et Cendrars – familières, confortables, sécurisantes – c’est ta force de persuasion massive qui m’a poussé à me procurer les trois tomes de ce pavé et à les lire jusqu’ici. D’un côté 1Q84, de l’autre un verre de rouge, entre les deux moi à poil qui jongle de l’un à l’autre et m’étonne pour le coup d’être ambidextre.

Main droite.

Une gorgée.

Pose le verre.

Main droite.

Saisit le bouquin.

Reprends la lecture.

Là où les marque-pages l’ont laissée.

 

Mon marque-page. Procuré lors de mes innombrables pérégrinations parisiennes – juste après avoir vu le tapuscrit de On the Road, en même temps que j’ai acheté le bouquin – The Original Scroll – dans une petite librairie du Vème qui paye pas de mine. Et depuis il me quitte jamais – toujours coincé dans les pages du bouquin que je suis en train de lire – dans mon lit, dans le métro ou sur la route. Autant vous dire qu’il part en lambeaux mais qu’il a une histoire.

 

Ton marque-page aussi, il a une histoire. Une histoire qui rejoint la tienne dans tes propres pérégrinations. Fond bleu ciel – et dessus des images de rues pales et ensoleillées, d’ornements et de céramiques – on se croirait à Lisbonne, Florence ou bien soyons fous! – Saint-Petersbourg. Une histoire qui rejoint la mienne aussi, maintenant qu’il se glisse en compagnie du mien dans les livres que j’emporte partout.

 

Je nous vois tous les deux serrés l’un contre l’autre penchés par la fenêtre pour y contempler le ciel de nuit de 2K14 et ses deux lunes flamboyantes. Maintenant mon verre de rouge se vide et j’en suis au point final de 1Q84 et j’ai pas le droit de te raconter comment ça se termine. Maintenant en 2014 une seule lune me nargue à travers la fenêtre sale – maintenant ça fait longtemps que j’ai pas eu de tes nouvelles. Qu’est-ce que tu deviens, vieille chimère qui me colle à la peau ? Où es tu, à part dans un coin de ma tête ?

Sur le lit tes cheveux d’or disparaissent un par un – tes parfums se dissipent et s’envolent. S’agit-il bien des tiens ? Au fond peu importe – à la fin seuls les souverêves restent. À moi de les faire vivre ou de les taire, selon qu’il y une ou deux lunes, selon qu’on soit en 2014 ou 2K14.

Je finis par m’assoupir peu à peu – vaincu par Morphée une fois de plus. Ton marque-page se fane comme une rose et se désagrège sans un bruit. Sur le lit les jambes et les bras en croix et au centre mon corps trop lourd qui a rien à faire dans ce mausolée – et tout autour éparpillés comme dans une scène d’amour torride mon marque-page et les trois tomes d’1Q84.

J'immortalise le moment juste avant que les souverêves reprennent le dessus.

J’immortalise le moment juste avant que les souverêves reprennent le dessus.

à la Bakeri

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4p.m heures locales – quelles heures sont il à Paris, mon cœur ? Mais mon cœur est ailleurs mon cœur est en vadrouille du côté de Williamsburg ce quartier haut en couleur au cœur de Brooklyn, New-York, New-York, USA – plein de liens cher lecteur cher toi mais c’est qu’ici tout défile c’est super-difficile de tout enregistrer j’essaie pourtant je te jure j’essaie de m’exercer d’être un Memory Babe parce que mine de rien Jack mon esprit est dans TA ville mais tout va vite vite tout s’entremêle tout s’entrechatte tout s’entrechoque et se brise aussi parfois – et mon esprit se disperse et ma mémoire solitaire est quelque peu défaillante.

Tu dis que tu as écrit On the Road en trois semaines sur un rouleau – je l’ai vu d’ailleurs ton tapuscrit de 36 mètres de long j’ai eu la chance de le voir – en tournée à Paris – sans benzédrine – sous café uniquement.

Parchemin original de On the Road

Parchemin original de On the Road

Parchemin original de On the Road

Parchemin original de On the Road

Tu carburais au café wow mais comment tu fais parce que maintenant j’en tiens une tasse là de ton café et tu sais quoi ? Il est pas fort du tout ! C’est pas un café ça ! Je sais pas comment vous faîtes chez vous mais il est tellement allongé… On dirait du jus de chaussette. Résultat il est 16h et aujourd’hui j’ai beau avoir déjà ingurgité cinq cafés je suis encore fatigué nase kaputt.

Je traîne des pieds je baille il m’en faut un sixième alors tu me traînes dans cette boutique vers la 7th street – la Bakeri que ça s’appelle – avec un « i » à la place du « y » pour faire tendance? – qui comme son nom l’indique est une boulangerie-pâtisserie. Entrée dans la Bakeri donc – the Smiths en fond sonore. Un café, enfin! – un grand, please! – Et froid – parce que j’aime pas le café chaud – tu sais le café brûlant qui te nique la gorge et les papilles – parce que je suis suis trop pressé pour le laisser refroidir – et comme je suis gourmand comme j’ai faim malgré la patte de dinde rôtie que je viens de m’enfiler au marché de Smorgasburg – un cookie pour l’accompagner!

La fille au tatoo

La fille au tatoo

Cette fille sur la photo – typique des lieux – que j’ai tenté de capturer discrètement –  « enjoys the day ». C’est pas moi qui clame c’est son tatoo sur l’avant-bras – que j’aperçois à travers la vitre – elle est sur la terrasse – bonnet rouge, bracelets et stylo à la main – elle est en train d’écrire – en train d’écrire sur un carnet – les laptops c’est has been… Elle boit un café dans un verre – pas dans un gobelet transparent en plastique – à la « Weeds » où tu vois toujours l’héroïne de la série boire à la paille des cappuccinos glacés. À un moment elle va se servir au comptoir alors que je t’amène un truc – nos regards se croisent se toisent et se disent tout. Fugace. Je reviens à ma place dans ma petite boîte à tes côtés et je picore sur la table les miettes de mon cookie que j’ai avalé en moins de deux. Maintenant REM – Near wild heaven. Et on discute. De mon ressenti sur New-York cette ville-monde que j’ai tant fantasmée. La tête toujours dans la Lune cachée par les gratte gratte gratte-cieux – et Times Square et ses 10 000 soleils – je suis… ailleurs. C’est bon, le café froid est en train d’agir, je suis en train de recharger les batteries.

By night and with Mickey Mouse

Times Square comme 10000 soleils

Enjoy the day enjoy dit son bras j’enjoy mon séjour et je me suis mis en tête de partir un peu sur tes traces Jack – j’ai dans mon sac toujours ton bouquin – Et les hippopotames ont bouilli vifs dans leurs piscines –de Larimer Street jusqu’à Columbia où tu as étudié – un peu – en passant par le Village et Ozone Park où tu te terrais chez ta mère jusqu’à ce que Neal te sorte de ce trou et que tu partes sur la route –

Coucher de soleil à Williamsburg

Coucher de soleil à Williamsburg

 

Sur le toit du building

Sur le toit du building

et je marche sur les pas de tes errances. Alors, en Amérique, quand le soleil décline et que je vais m’asseoir en haut de ce building sur ce toit, quand je fume ma clope dans la nuit sans étoiles sans étoiles sans même l’étoile du Berger qui s’étiole comme tu dis en effeuillant ses flocons pâle sur la prairie, juste avant la tombée de la nuit complète – moi je pense à enjoyer the day the night je pense même à savourer tout mon séjour et j’ignore ce qui viendra ensuite, je pense à tout ce que je ne vais jamais pouvoir ramener dans l’avion fade du retour, je pense à Jack et je pense à toi, je pense à toi.

We make love...

We make love…

W drodze

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Teraz jest teraz et ni une ni deux Camille et moi on monte dans le camion d’un inconnu de la nuit. Les chiens errants se détournent de nous et reprennent leurs vagabondages autour de la station-service EKO TANK. On attend au chaud dans le camion – Camille sur le siège passager, moi sur la banquette – on scrute l’intérieur et on se familiarise avec cet environnement cloisonné – le lieu de travail et de vie de notre chauffeur-sauveur – pendant qu’il met du gasoil et qu’il nettoie ses pare-chocs. Des porte-clés, des grigris accrochés sur le rétro intérieur. Un cendar de fortune plein à craquer près du levier de vitesses et une forte odeur de clope froide mais c’est pas dérangeant parce que ça sent la vie ça sent la route qui s’annonce.

Dans le camion de Czesław

Dans le camion

Je scrute Camille du coin de l’œil en me demandant encore ce qui nous a pris – comment on a fait pour être arrivés là tous les deux. Camille… on partage les 400 coups, les 1001 nuits, les 10 puissance 12 expériences, des parsecs de voyages.

Camille… Je me vois me souvenir de nos vies antérieures c’est pas un hasard tu t’appelais Yashan tu étais mon compagnon de voyage là-bas quelque part parmi les yourtes de Mongolie intérieure sur les steppes où nos regards se posaient debout sur nos chevaux arabes parfois quand tu en buvais tu foutais plein de lait de yak partout sur ta moustache… Il y a des choses qui ne s’expliquent pas.

C’est bon, yalla ! Le chauffeur monte dans la cabine – on fait les présentations il nous dit qu’il s’appelle Czesław – j’aime bien ce prénom polonais qui se prononce comme « J’ai soif »

Un tour de clés, frein à main levé, levier de vitesse poussé – et c’est parti dans la nuit calme et fraîche. Czesław conduit des camions depuis douze ans, il transporte du courrier.

C’est pas la première fois qu’on monte dans un camion mais ça fait toujours un léger choc. En effet de la cabine on a un panorama imprenable sur la route qui défile au gré de ses phares – la nuit nous appartient.

Camille et moi on contemple sans mot dire Czesław. Il conduit, calme et silencieux, parfois une clope au bec, parfois les deux mains serrées sur le volant. Et parfois il se tourne vers nous. Cheveux roux en pétard, yeux bleus-verts fatigués injectés de sang à force d’avoir trop roulé. Camille : « Il est possédé ce gars »

C‘est dans ce camion – avec Czesław aux yeux de fou – ses tonnes de lettres d’amour qui attendent leurs destinataires et Amy McDonald sur Radio Zet en fond sonore – que minuit ronronne.

Sur cet air .

Césure d’un jour à l’autre – la musique ringard est pour nous imperceptible – la nuit est la même – on trace plein gaz.

Les lampadaires défilent sur le macadam et se reflètent sur nos vitres – guirlandes de Noël qui nous montrent le chemin qui reste à parcourir – 80, 60, 45 puis 30 km –

Nowe Gniew et ses lumières rouges qui scintillent dans nos yeux fatigués – Cyndi Lauper –Time after time.

Rudno Tczew où Michael Jackson chante Billie Jean

Czesław est équipé d’une CB. On a beau pas comprendre le polonais – on devine ce qu’il fait quand il prend le micro – il lance des appels aux autres conducteurs aux environs

On arrive à Pruszcz Gdański – à une vingtaine de kilomètres de Gdańsk. Czesław lance un appel pour savoir si quelqu’un peut nous déposer dans le centre de Gdańsk. Mais personne répond et Czesław a l’air vraiment désolé quand il nous dépose dans une station-service aux abords de Pruszcz Gdański.

Pruszcz Gdański

Pruszcz Gdański

1h du mat’ – on fait le piquet. Il y a bien des gens qui vont à Gdańsk – des mecs bourrés et relous – on a pas envie de monter avec eux. En face de la station-service il y a un hôtel deux étoiles – on traverse la route on entre on se renseigne à la réception afin de connaître le prix des chambres – pas dans notre budget. On apprend qu’il y a des bus ici qui vont jusqu’au centre-ville de Gdańsk – une heure de trajet. Le premier est à 4h du mat’.

On attend encore un peu. « Peut-être que la meilleure solution est d’avancer avec la pancarte », je fais. Camille hoche la tête. Yalla !

Sacs sur nos épaules, un derrière l’autre devant, un pied devant l’autre – on marche sur le trottoir de lampadaire en lampadaire nos ombres se profilent s’étendent s’éteignent. 19 Km jusqu’à Gdańsk. – Camille et la pancarte – tournée dans la direction de nos éventuels improbables futurs chauffeurs.

18,5 km, 18,4 – on approche. Tant qu’il y a un trottoir, toujours le suivre. Voyage au bout de la route. On laisse derrière nous au loin des barres d’immeubles ternes vestiges du réalisme socialiste. « Mais qu’est-ce qu’on fout là ? » je demande – comme souvent quand on traîne comme ça à une heure avancée de la nuit. « … On devrait faire la tournée des bars de Gdańsk, aller en boîte…– et au lieu de ça on se retrouve à Pétaouchnok avec une pancarte de merde en carton ! » Et Camille de répondre : « C’est toi qui es en carton ! » Bien envoyé. Je contemple Camille qui brandit la pancarte – et je me dis que tous les deux, on aurait jamais fait ça tout seul, et que ce qu’on vit, c’est magique. Allez, du courage ! Yalla yalla !

Les camions à côté de nous rugissent à notre passage – rois de la nuit. Yalla Yal…-

Nos cris intérieurs pour se donner du courage sont interrompus par une voiture rouge qui passe devant nous – ralentit. S’arrête. On s’active derrière pour nous faire de la place. Lucie Kasia et Andy dans une Toyota Yaris. Des étudiants qui rentrent chez eux à Gdańsk après avoir bossé toute la soirée On grimpe on est serrés comme des sardines. « Vous avez un endroit où dormir cette nuit ?

– Non. » dit Camille.

– OK. » On voit Andy bidouiller sur son iPhone. Kasia : « Il essaie de vous trouver un endroit où dormir pour cette nuit… » et peu après, Andy : « C’est bon, je vous ai trouvé une auberge de jeunesse près de chez nous.

– Wow ! » Rapide et efficace ! Des sauveurs de la route, encore ! Alors qu’une fois de plus on a rien demandé…

Serrés dans la Yaris, on voit la route défiler – la banlieue de Gdańsk, la zone industrielle – plus de trottoirs ici – à pied on aurait pas pu aller bien loin. Puis l’entrée dans la ville – les grandes avenues, le centre. On s’y attarde pas, on va un peu plus loin, à Oliwa.

1h30, Terminus devant l’auberge Wolna Chata – un hostel cossu, rustique, à prix modique. Lucie, Kasia et Andy nous font un signe et ils repartent chez eux.

Camille et moi on est reçus comme des rois à la réception. Et on découvre qu’on a une chambre de cinq pour nous deux. Une chambre avec des lits ! Des matelas. Des couvertures ! Et de quoi se laver demain.

Parce que qu’est-ce qui nous attend demain ? Où on sera ?

On sait pas.

Et on s’en cogne.

L’essentiel, c’est pas la destination, l’essentiel c’est la route !

 

l'auberge Wolna Chata au petit matin

l’auberge Wolna Chata au petit matin

Comme des Chiens errants au milieu de nulle part

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On the Road, which I keep thinking about : [is] about two guys hitch-hiking to California in search of something they don’t really find, and losing themselves on the road, and coming all the way back hopefull of something else.

– Jack Kerouac, journal, 23/08/1948, première mention de « Sur la Route »

Lille-Berlin : à vol d’oiseau 900 Km – 37 heures, 15 chauffeurs (!)

Berlin-Poznań : 300 Km – 4 heures, 1 chauffeur

Poznan-Toruń : 200 Km – 7 heures, 2 chauffeurs

Toruń-… Presque 6 heures, 2 chauffeurs…

Teraz jest teraz.

Maintenant c’est maintenant.

C’était écrit sur la porte des chiottes d’un bar de Poznań.

Maintenant c’est maintenant. Ici c’est ici et voilà où on est…

Jeudi… Le 13 septembre 2012. Camille et moi on vient de se faire dropper là par un gars de Chełmno. Il nous a pris en lift le temps d’aller ramener sa fille du poney-club et de faire un tour de la ville – nous montrer la vraie ville des amoureux, là où aurait vécu le vrai Saint Valentin.

Teraz jest teraz et maintenant le plan c’est d’aller à Gdańsk.

Teraz jest teraz et maintenant on est sur le parking d’une sorte de restaurant Buffalo Grill au bord de la route. Le gars de Chełmno a voulait nous déposer au péage de l’Autostrada 1 qui mène droit à Gdańsk mais ça lui aurait fait un trop grand détour donc il a préféré nous laisser là.

19h45 – ça fait dix minutes qu’on attend sur le parking. Ciel vespéral, traînées orangées, le soleil est sur le point de se coucher. Il y a quelques voitures en stationnement. Sans doute des gens qui se ravitaillent avant de reprendre la route. Peut-être que parmi eux il y en a qui vont à Gdańsk? Croisons les doigts…

Un mec sort du resto. Il nous regarde, allume une clope et s’avance vers nous. On comprend qu’il nous propose de nous dropper à dix minutes de là sur la route 1. Si on le suit, do widzenia l’autoroute et la pensée agréable de rejoindre Gdańsk en une heure et demi. On hausse les épaules. Tant pis. On lui dit tak tak bardzo dobrze et on le suit jusqu’à sa caisse.

Tadeusz alias Teddy dispose d’un 4×4 avec son chien derrière – il transporte des bateaux et rentre chez lui près d’Ostróda, dans la région des mille lacs. Gentil comme tout, le bougre. Il nous propose même de l’accompagner là-bas, il peut nous offrir le gîte et le couvert. On hésite mais on refuse. Ça nous éloignerait trop de notre route. Et en plus on a pas de ceinture de sécurité. Et Camille a un peu de mal avec les clebs. Teddy nous jarte à une station-service EKO TANK. On est à moins de 100km de Gdańsk – le panneau qu’on vient de croiser, je crois bien qu’il indique « Dolna Grupa » mais ça figure pas sur ma carte Michelin.

EKO TANK

EKO TANK

Alors je crois surtout que je sais pas où on est.

Teraz jest teraz et à Gdańsk, on a pas d’hébergement pour ce soir.

Mais ça sert à rien de penser à ça.

Gdańsk, on y est même pas.

La station-service est plus ou moins déserte.

Les rares voitures qui s’arrêtent prendre de l’essence ici vont pas jusqu’à Gdańsk– ou ont pas l’intention de nous prendre. Mais on s’en fout. Je suis d’humeur positive – à défaut d’être vraiment optimiste – et il fait pas encore trop froid.

Je regarde tout autour de moi. À droite, la route 1 qui passe par Gniew pour aller jusqu’à Gdańsk. Devant, la forêt. Et derrière la station-service, ce qui doit être Dolna Grupa. Quelques maisons. Un hameau. Pas de lampadaires. Pas de trottoir.

Que dalle.

Je soupire.

Faut que je m’habitue à cet environnement. Peut-être que c’est là où on va passer la nuit.

Je me roule une clope.

Camille a faim. Elle va se chercher un truc dans la boutique de la station-service.

De derrière la vitre je la regarde prendre un paquet de chips et expliquer par geste à la caissière qu’elle voudrait bien aussi un hot-dog prosze ! La nana derrière son comptoir mâchouille son chewing-gum et commence à préparer son hot-dog. Je suis subjugué. Elle enfourche la saucisse dans une sorte de baguette, puis elle fout plein de ketchup dessus. On appelle ça Parówki par ici et je trouve le geste de la nana vachement sensuel, quasi-érotique.

Après 1600 Km d’autostop, un rien peut nous faire fantasmer.

 

Teraz jest teraz et la nuit nous enveloppe désormais. Les minutes, les heures passent, et il fait de plus en plus froid. Camille et moi on alterne : parfois on se met au bord de la route et on fait des signes, des trucs comme ça pour se faire remarquer quand des voitures passent – pour qu’on monte dans l’une d’entre elles et qu’on arrive à Gdańsk si possible avant demain. Mais bien souvent on attend dans la station-service, devant la boutique, là où il y a un peu de lumière.

Camille lit son Bescherelle pour parfaire son allemand. On est en Pologne et elle se met à apprendre son allemand. Alors qu’elle a pas ouvert le bouquin une seule fois quand on a traversé l’Allemagne. Normal…

Le Bescherelle

Le Bescherelle

Je sors mon ukulélé et je gratte quelques accords. Mais le cœur y est pas.

Je fais le tour de la station-service – une énième fois.

Je me roule une clope – une énième fois. Bientôt paquet vide. Et à sec niveau eau. À sec niveau bouffe. À sec niveau argent liquide.

Kurwa masz !

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Un chien s’approche de moi. Un chien errant. Je le contemple. Lui aussi me fixe du regard. Je vois très bien ce qu’il est en train de se dire. On est pareils que lui. Tous seuls au milieu de nulle part. C’est pas demain la veille que Dolna Grupa deviendra un lieu touristique.

Le chien errant

Le chien errant

« Désolé bonhomme » je fais au chien. « J’ai rien pour toi. Et moi aussi j’ai les crocs… »

La station-service, quasi-morte depuis plus d’une heure, commence à s’agiter. Des camions se garent pour passer la nuit ici. Une moto stationne devant la boutique. L’enfourneuse de Parówki sort d’un pas rapide. C’est son copain qui vient la chercher. Il lui file un casque, elle monte derrière lui et la moto démarre de façon tonitruante.

Allez ! Puisque même la Parówki-girl est partie, Camille et moi on se donne un peu d’énergie, on se dit que ça va le faire, on peut y arriver, teraz jest teraz, faut juste se bouger le cul et croire en notre bonne étoile. On se place devant la station-service et comme il fait noir, notre seul moyen de se faire remarquer c’est de chanter. Alors c’est tous nos classiques qui y passent – genre Radio Nostalgie.

Joe Dassin – Siffler sur la Colline et Aux Champs Élysées – pour garder la pêche.

 

22h30 – teraz jest teraz et dans la nuit froide je suis en train de chanter Le Chanteur quand un camion s’arrête et s’engouffre dans la station-service. Jusque là c’est plutôt classique – sauf que le camion en question nous klaxonne alors qu’il fait sa manœuvre. Encore un sauveur ! Il descend du véhicule, on coure vers lui, comme à chaque fois il baragouine un truc, on répond automatiquement « Nie mówię po polsku » – alors il nous montre sa carte. Il va pas à Gdańsk directement mais nous en approche grandement. On le regarde, on hoche la tête et on lui dit « OK ». Il nous fait signe de monter.

C’est parti !

Yalla !

À suivre…

Quelques conseils pour l’autostop

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On va tâter de la route, Jack!

Quelques conseils, après 5000 Km d’autostop…

Avec quelques souvenirs en prime…

et vos propres règles/conseils/témoignages!

 

la route - floue

la route – floue et lumineuse. Elle t’appelle.

1) Être poli et avenant.

Bien se présenter. Quoique… Voir point 7) .

En tout cas, se donner l’air d’être un déchet, ça va pas forcément marcher.

Faut les comprendre, les chauffeurs potentiels, qui te voient surgir du fond des bois ou des hautes herbes, avec tous tes sacs, tout ton attirail, et en plus en guenilles… Malheureusement, bien souvent quand on fait du stop on crapahute, et les vêtements qu’on porte finissent par plus sentir la rose et s’usent assez vite. C’est le jeu quand on bourlingue.

Faut être aimable, comme je viens de le dire. Souriant. Toujours, dans n’importe quelle condition. Qu’il pleuve qu’il vente qu’il neige, qu’il fasse nuit, qu’il tempête, que ça fasse une trentaine d’heures qu’on a pas fermé l’œil.

Une aire d'autoroute aux alentours de Namur

Une aire d’autoroute aux alentours de Namur – dans le froid et la neige

 

Faut sourire, faut que tes yeux soient aussi vifs qu’au petit matin après l’amour, faut que ton visage respire le bonheur, éclaire sa route, au chauffeur.

Sur ton « spot » – la place que tu as choisie pour stationner dans l’attente d’un chauffeur – faut lui donner envie de te prendre en stop.

Faut montrer patte blanche. Rien dans les mains, rien sur la tête, rien que tu puisses cacher. J’ai appris cette leçon en lisant Le Monde en Stop , de Ludovic Hubler.

Et même si les gens te prennent pas, il y en a plein qui te font un signe – tu as du mal à comprendre ce que ça signifie. C’est pour t’encourager dans ton périple ou te dire que tu es pas dans la bonne direction ? – en tout cas, renvoie leur toujours un sourire en retour.

 

2) Prenons notre temps…

[Ouais… J’ai osé…]

Si tu fais du stop, c’est que tu as le temps, et que tu as déjà dans la tête cette idée cette construction mentale que peu importe QUAND tu vas arriver, tu VAS y arriver – tu le sais et c’est tout ce qui compte. Condamné(e) à faire abstraction du temps.

Il m’a fallu quelque temps justement pour arriver à ça : attendre au bord d’une route sans te demander tout le temps : « Quand est-ce que je vais me faire prendre ? » [sic !] – dans le jargon on appelle ça un « lift ».

Le Temps est précieux, et vu que tu bouges pas comme tu voudrais, tu dois le prendre pour observer ce qu’il y a autour de toi.

Le macadam.

Les lignes blanches qui se rejoignent au point de fuite et disparaissent à l’horizon.

Les herbes folles au bord des routes.

Les fougères.

Les détritus.

Les merdes.

Même ça c’est beau. Baudelairien.

« Tu m’as donné de la merde et j’en ai fait de l’or. »

– ou quelque chose comme ça…

 

3) Ne prévois pas (trop) par où tu vas passer.

Voilà. Tu connais ta destination. Elle est inscrite sur ta pancarte. Les étapes avant d’y arriver… oublie les !

La route te réserve bien des surprises. Il se peut même que tu y arrives jamais, à ta destination. Et alors ? Tu sais qu’un jour, tu arriveras quelque part.

Pour aller à Berlin, j’envisageais de passer par Hanovre.

Couper la distance en deux, passer la nuit à Hanovre pour pouvoir, le lendemain, frais et dispo, lever le pouce au bord de la Bundesautobahn A2 – le chemin qui mène tout droit à Berlin.

Hanovre on l’a jamais vu, même de loin. À la place on a pu voir des moulins à la frontière belge, un Burger King sur une aire d’autoroute entre Aix-la-Chapelle et Cologne, une station de tram à Dortmund dans laquelle on a essayé de dormir – Glückaufstrasse… et on est quand même arrivés à Berlin – et Dieu sait que c’était loin d’être gagné d’avance tellement on s’était fourvoyés.

Dortmund - Glückaufstrasse

Dortmund – Glückaufstrasse

La brume sur la route au petit matin

La brume sur la route près d’Unna au petit matin

 

Une autre fois Paris-Rennes – sans que ce soit prévu, on est passé par la forêt de Rambouillet, on s’est arrêtés à Chartres visiter la cathédrale, on a mangé une banane dans une station-service abandonnée à la Ferté Bernard – et j’en passe…

En train on serait montés à Montparnasse, on serait descendu à Rennes – ça aurait été plus rapide, mais on aurait jamais vu tous ces endroits.

 4) Éloigne toi de la ville autant que tu le peux…

Selon moi le plus difficile quand tu fais du stop, c’est de sortir de la ville et d’y entrer. Une fois que tu lèves le pouce sur les aires de repos, tu suis juste la cadence, c’est pas très compliqué.

Pour sortir de la ville, il faut te rendre à ton premier spot. Cherche le toujours en périphérie, le plus loin possible de la ville, le plus près possible d’un axe routier important comme une rocade ou un truc de ce genre.

Si tu lèves le pouce en pleine ville, les chances de trouver un lift sont assez minces. La majorités des gens qui prennent le volant en ville le font pour aller d’un point A à un point B… tous deux situés à l’intérieur de la ville.

L’un des échecs les plus retentissants de ma jeune et précaire carrière d’autostoppeur est le jour où on a voulu faire Londres-Stonehenge en stop. Sûre de lui, mon acolyte me dit « Oui oui, je sais quelle direction on prend. Oui oui, je connais un bon spot éloigné de la ville. » Naïf, je l’ai suivi, sans me renseigner.

Et voilà où il a voulu commencer à lever le pouce:

Hyde Park - pas un bon spot

Hyde Park – pas un bon spot

HYDE PARK, bordel! En plein centre de Londres… Un super spot pour les concerts  mais pas du tout pour chopper un lift!

On a quand même essayé… une heure…. et puis on s’est promenés de ce côté là de Londres, à courir après les écureuils.

 

5) Tant qu’il y a encore un trottoir, marche !

Une des règles apprises au cours du temps : quand tu es à un endroit et que tu t’apprêtes à lever le pouce, attends et zieute un peu : il y a un trottoir ? Qui va dans la direction de la route que tu veux prendre ? Suis le aussi loin que tu peux !

Pourquoi ?

Un bon spot - Aire de Villaine la Gonais

Un bon spot – Aire de Villaine la Gonais

Parce que d’une, ça va « faire le tri » : tu vas continuer dans la direction que tu veux prendre alors que parmi les voitures beaucoup vont emprunter d’autres routes. À la fin de ton trottoir, tu as plus de chance de tomber sur un chauffeur qui va dans la même direction que toi.

Et de deux… Tu fais du stop, t’es pas avachi devant ta télé. Reste pas stoïque. Te mouvoir. C’est ça la clé. C’est con à comprendre mais en te voyant marcher au bord de la route, les chauffeurs vont accorder plus de crédit à ta démarche. Tu auras plus de chance de chopper un lift.

Bon… tu marches, mais ça t’empêche pas de lever le pouce quand même. Et de coincer ta pancarte à l’arrière de ton sac à dos de manière à ce qu’elle soit bien visible.

 

6) Les chauffeurs.

C’est dangereux de se faire prendre en stop par des inconnus. C’est vrai, bien sûr, et je vais pas nier ça ou prouver le contraire. En même temps, c’est un peu l’essence de l’autostop, non ?

Simplement, je vais tenter de recontextualiser. Si monter dans une voiture d’un inconnu est flippant – et j’ai flippé de nombreuses fois… – prendre un inconnu en stop l’est tout autant.

Tu es à ton spot, une voiture s’est arrêtée, tu dois faire un choix rapidement… il s’agit d’une question de CONFIANCE mais oublie pas qu’en tant qu’autostoppeur, c’est TOI qui choisis si tu acceptes le lift qu’on te propose ou si tu attends une prochaine chance.

 

7) Le storytelling

… Ou l’art de raconter une histoire…

J’ai appris cette règle en Belgique. Gijs, un couch-surfeur de Gand adepte de l’autostop nous a raconté qu’il existe un concours où le but est d’aller en stop de Bruxelles à Barcelone et d’arriver là-bas le plus vite possible – un peu comme ce concours là. Les gagnants de l’édition 2011 s’étaient déguisés en mariés !

Ouaip… Leurs vêtements, leurs attitudes racontaient une histoire, et comme ça transparaissaient au travers d’eux, la chance qu’une voiture s’arrête sur leur chemin se trouvait amplifiée.

[Je me demande s’ils se sont vraiment mariés, depuis…]

Sur ton spot, vends du rêve.

Une fois, j’avais pris quelques instruments de musique avec moi, dont mon ukulélé qui dépassait de mon sac de bidasse. Et dans la voiture qui nous prend, le gamin à l’arrière lâche sa PSP sur laquelle il avait les yeux rivés et me demande : « C’est pour quoi faire ? ». Je lui ai raconté qu’on faisait un atelier musical dans une école d’un quartier défavorisé de Lublin… Bon, c’est un mensonge… mais c’était mon premier essai de storytelling…

Si tu n’as pas de costume de marié(e) à portée de main, tu peux personnaliser ta pancarte. Faire péter les couleurs.

La rendre flashy, attractive, sensuelle, bonasse…

De cette faon aussi tu peux (bien) te faire remarquer.

Un bon spot - entre Nogent le Rotrou et la Ferté Bernard

Un bon spot – entre Nogent le Rotrou et la Ferté Bernard

 

8) « Peut importe la destination, l’essentiel c’est la Route. »

– avec un R majuscule, parfaitement.

C’est ce que je dis tout le temps. Pour me porter chance avant de lever le pouce. Pour me donner du courage dans les moments où je doute et où je veux renoncer…. Parce que c’est vrai, surtout !

Un exemple magistral : une fois, paumés en Silésie. Presque 20h. Déposés à un péage, la nuit commence à tomber, les phares aveuglants des voitures dans les yeux – le trafic, le trafic, mais rien pour poser les sacs, s’asseoir, se reposer…

Un péage en Silésie

Un péage en Silésie

Le genre de moment où tu te dis : « Mais qu’est-ce que je fous là ? ». Et là, pile à ce moment, au moment où tu désespères, au moment où tu craques… Une Limousine Rolls Royce. Qui passe sous nos yeux. On se regarde, on hausse les épaules : « Allez, yalla, on tente, advienne que pourra ! » on lève notre pancarte – POZNAN – à 300 Km de là. Et à la surprise générale… La porte de la Limousine s’ouvre, et le chauffeur nous fait signe de monter.

Trois heures dans une Rolls Royce.

La surprise de la route.

L’essentiel.

La Limousine

La Limousine

 

Mais j’apprends… Et je commence à comprendre, en lisant Sur la Route Again, de Guillaume Chérel – que la destination aussi… elle est peut-être importante finalement…

 

Maintenant, à vous de jouer ! Si vous avez des remarques, des conseils, des témoignages, des points à ajouter ou à améliorer, ça se passe dans les commentaires, sur Facebook ou sur ce blog !

 

Quelques liens :

 hitch-wiki

Le pouceux