Archives par étiquette : Morphée

Le marque-page

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« Viens, mon beau chat, sur mon corps amoureux

Retiens les griffes de ta patte

et laisse moi regarder dans tes beaux yeux

mêlés de métal et d’agate »

Charles Baudelaire

 

Combien de fois j’ai pu penser à réciter ces vers en caressant des chevilles à la nuque ton corps doux et moite d’après l’amour – en effleurant de mes grands doigts ta chaude toison – en t’entendant doucement ronronner comme une chatte – en observant attentivement tes pupilles diluées se perdre tantôt sur le ciel de nuit là-bas derrière la fenêtre embuée, tantôt sur le plafond ombragé de la chambre – comme pour reprendre pied dans la réalité étrange de notre moment.

Le lit défait. Les draps encore emplis de ton parfum nébuleux – inaltéré. Tes cheveux d’or qui apparaissent ici ou là entre les plis de la couette si on fait bien attention. Les jambes et les bras en croix et au centre mon corps trop lourd qui a rien à faire dans ce mausolée – souillent l’immaculé. Je lis Murakami – 1Q84.

1Q84 – une histoire qui se situe entre deux mondes – le monde de l’année 1984 et le monde – parallèle mais pas vraiment – de 1Q84 – où brillent deux lunes dans le ciel mais où les gens vivent, meurent – et s’aiment – vraiment sous les lunes. Deux mondes qui s’entrecroisent – dans lequel des deux on est finalement ?

C’est grâce à Murakami que je t’ai rencontrée. C’est lui qui nous a rapprochés. J’aime bien Murakami – sa poésie, son univers, les saveurs enivrantes et mystérieuses qu’il distille entre les lignes. Je m’étais résigné à ne pas lire 1Q84, j’en avais entendu des mauvais échos et je trouvais que ça valait pas la peine de le lire, je préférais rester sur mes bonnes veilles références – Kerouac Bukowski et Cendrars – familières, confortables, sécurisantes – c’est ta force de persuasion massive qui m’a poussé à me procurer les trois tomes de ce pavé et à les lire jusqu’ici. D’un côté 1Q84, de l’autre un verre de rouge, entre les deux moi à poil qui jongle de l’un à l’autre et m’étonne pour le coup d’être ambidextre.

Main droite.

Une gorgée.

Pose le verre.

Main droite.

Saisit le bouquin.

Reprends la lecture.

Là où les marque-pages l’ont laissée.

 

Mon marque-page. Procuré lors de mes innombrables pérégrinations parisiennes – juste après avoir vu le tapuscrit de On the Road, en même temps que j’ai acheté le bouquin – The Original Scroll – dans une petite librairie du Vème qui paye pas de mine. Et depuis il me quitte jamais – toujours coincé dans les pages du bouquin que je suis en train de lire – dans mon lit, dans le métro ou sur la route. Autant vous dire qu’il part en lambeaux mais qu’il a une histoire.

 

Ton marque-page aussi, il a une histoire. Une histoire qui rejoint la tienne dans tes propres pérégrinations. Fond bleu ciel – et dessus des images de rues pales et ensoleillées, d’ornements et de céramiques – on se croirait à Lisbonne, Florence ou bien soyons fous! – Saint-Petersbourg. Une histoire qui rejoint la mienne aussi, maintenant qu’il se glisse en compagnie du mien dans les livres que j’emporte partout.

 

Je nous vois tous les deux serrés l’un contre l’autre penchés par la fenêtre pour y contempler le ciel de nuit de 2K14 et ses deux lunes flamboyantes. Maintenant mon verre de rouge se vide et j’en suis au point final de 1Q84 et j’ai pas le droit de te raconter comment ça se termine. Maintenant en 2014 une seule lune me nargue à travers la fenêtre sale – maintenant ça fait longtemps que j’ai pas eu de tes nouvelles. Qu’est-ce que tu deviens, vieille chimère qui me colle à la peau ? Où es tu, à part dans un coin de ma tête ?

Sur le lit tes cheveux d’or disparaissent un par un – tes parfums se dissipent et s’envolent. S’agit-il bien des tiens ? Au fond peu importe – à la fin seuls les souverêves restent. À moi de les faire vivre ou de les taire, selon qu’il y une ou deux lunes, selon qu’on soit en 2014 ou 2K14.

Je finis par m’assoupir peu à peu – vaincu par Morphée une fois de plus. Ton marque-page se fane comme une rose et se désagrège sans un bruit. Sur le lit les jambes et les bras en croix et au centre mon corps trop lourd qui a rien à faire dans ce mausolée – et tout autour éparpillés comme dans une scène d’amour torride mon marque-page et les trois tomes d’1Q84.

J'immortalise le moment juste avant que les souverêves reprennent le dessus.

J’immortalise le moment juste avant que les souverêves reprennent le dessus.

Frénésie du départ

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« Durant la semaine qui précéda le départ pour Arrakis, alors que la frénésie des ultimes préparatifs avait atteint un degré presqu’insupportable, une vieille femme vint rendre visite à la mère du garçon, Paul. »

Dune, Frank HERBERT

 

Hier soir tard écroulé en étoile sur le lit prêt à rejoindre les bras de Morphée à défaut des tiens mon portable vibre. Lola du fin fond de sa banlieue lyonnaise un SMS aux chauds accents d’Amérique latine – j’espère que tu vas bien elle me dit, et je sais que tu vas partir bientôt en voyage (…) et la route est la voie de la vie.

Si tu savais Lola si tu savais…

J’en suis quasiment frénétique je te jure j’ai que ça à la bouche et dans mes yeux lumineux – comme des phares de camions. Morphée veut pas me tendre les bras à la place elle me dit clair et net d’aller me faire foutre. Parce que même Morphée je la saoule avec ça. Parce que ça revient sans cesse. Une valse. Frénétique. Une obsession.

 

Depuis le temps que j’en parle depuis le temps que j’en rêve – sur les ponts au dessus du périph’  ou en voiture la tête penchée à la fenêtre – les bandes blanches qui défilent elles s’espacent elle s’étirent elles m’appellent. Persistance rétinienne c’est ces mêmes bandes blanches qui défilent dans mes rêves – des rêves éveillés parce que Morphée refuse cette nuit encore de m’accueillir – rêves de goudron et de gaz d’échappement.

Rêve réveillé aussi quand je passe en métro au dessus de l’endroit où mon périple va commencer. Dans quatre semaines maintenant. Je me vois à ce spot au petit matin le pouce levé le sourire aux lèvres avec mes godasses mes guenilles mes guêtres mes sacs et mes pancartes. Qu’est-ce que je vais écrire dessus ?

 

BELGIQUE

COLOGNE

BERLIN

ŁÓDŹ

Ou un truc comme ça on verra bien. Ce qui est sûr c’est que cette fois ci c’est à Łódź que je vais – à 1300 Km d’ici. Une invitation et un sourire breton une fois sur place ça se refuse pas – et puis je connais pas encore Łódź c’est l’occasion de découvrir.

Cette fois ci je me la joue cavalier seul et j’irai d’une traite – avaler d’un coup toutes ces bornes sans filet de sécurité je compte bien rester éveillé pendant 48h tenir à coup de café café café café –

au pire dormir sur mes cartons sur le seuil d’une station-service.

 

Si tu savais Lola comme je suis pressé… Dans quatre semaines ! Même du fin fond de ta banlieue lyonnaise tu dois sentir ça tu dois la sentir cette frénésie je le sais. Si tu savais aussi Lola comme j’ai peur comme j’ai les boules. Peur de jamais y arriver – peur surtout de baisser les bras. Tout se joue là Lola je veux savoir si j’en suis capable j’en ai besoin.

 

Et au delà de la route il y a quoi ? La route je commence à la connaître maintenant elle est familière – et je sais que même si c’est les mêmes mauvaises herbes sur le bas-côté les mêmes gaz d’échappement les mêmes bandes blanches qui défilent la route Lola elle est à chaque fois différente. Et si je la refais dans quatre semaines cette route polonaise c’est pour retrouver les sensations que j’ai eues à l’époque – et quelques bouts de moi aussi. Comme si la première fois comme le Petit Poucet j’avais semé des miettes de pain tout au long de l’E42, de l’A4, de l’A2 aussi, et de l’A10 également, mais encore de l’A12 et enfin de l’E30.

 

et de toutes les autres routes et que je devais les récupérer.

Ou plutôt Lola je me vois partir en repérage oui c’est ça un repérage des lieux de tournage d’un GRAND BORDEL – la vie. La vie on est en plein dedans et on y va plein gaz.

 

Si tu savais Lola comme il me tarde de les récupérer ces miettes de vie ces souvenirs en lambeaux comme il me tarde de grimper dans des voitures allez hop pied au plancher recule pas tout droit toujours tout droit – et t’arrêtes surtout pas ZAG ZAG – comme il me tarde de les toucher ses bandes blanches qui défilent comme il me tarde de PUER la sueur les gaz d’échappement le goudron la nuit solitaire le carton mouillé – comme un vieux chat de gouttière on se la refait pas hein Lola ? – un vieux chat de gouttière…

 

Comme il me tarde.