Diya

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C’est stupide.

Un Pigeon.

Ça a une toute petite tête et ça chie partout.

Et c’est contagieux.

Certainement.

Je veux dire, il y a certainement des tas de microbes pas très très jolis à voir sous les aiss-ailes d’un pigeon, non ?

Diya est arrivée chez moi par une belle matinée de Février. Je ne sais plus quel temps il faisait, en tout cas je suis sûr que c’était en février. Un dimanche. Ça je m’en souviens, parce qu’il y a cette église à côté de chez moi dont les cloches me réveillent à 10h, ce qui, je trouve, n’est pas une vie, ce qui, je trouve, est pire, par exemple, que de trimer 14h par jour dans une usine de composants électroniques de Shenzhen, Chine.

Le sommeil, bordel, c’est important !

Non ?

J’ai tout tenté pour qu’elle ne vienne pas s’incruster.

Je voyais les brindilles s’amonceler, l’une après l’autre. Dès que ça commençait à former un tas consistant, je les virais, hop, d’un coup de balai, net, propre et sans bavure.

Je ne voulais pas qu’on me refasse le coup de Marcelline.

Je m’étais fait avoir une fois, il ne fallait pas pousser le bouchon, je n’allais pas me faire couillonner une deuxième fois, non ?

Et donc, dimanche matin, je prends tranquille mon petit-déj dans la cuisine.

Pour info, d’ailleurs, si ça peut intéresser les millions de lecteurs de ce blog, je ne mange plus de Quaker Oats.

C’est fini.

Non, en fait ce n’est pas fini.

Disons que là, depuis quelques temps, je fais une pause.

Reculer pour mieux sauter.

Dimanche, première clope de la journée. À ma fenêtre. Trois brindilles. Ridicule.

Je ne vais pas passer le balai sur mon rebord de fenêtre (on ne peut pas exactement appeler ça un « balcon »…) pour trois brindilles, non ?

Brossage de dents, tranquille. Je reviens dans la cuisine me prendre un verre d’eau.

Et là, c’est le drame.

L’impression de m’être fait couillonner.

Il y a quelqu’un, là, ou quelque chose, une horrible petite chose sans cervelle et qui pue.

(Et je ne parle pas de moi.)

Une pigeonne.

Tranquille, pénarde, en train de fanfaronner sur les trois brindilles.

Elle me regarde, d’un air innocent, style « je n’ai rien fait, ce n’est pas moi ».

Elle me prend pour un pigeon, non ?

Je panique. Je pense à Greenpeace, ensuite je me dis qu’il n’y a qu’un rapport très lointain entre Greenpeace et ce que je veux penser, je pense donc à la WWF, à la SPA, à Brigitte Bardot.

Et pas dans ses années fastes.

J’ai envie de faire mon Rambo. Mon warrior. Mon Rambo Warrior. (d’où peut-être cette petite pensée pour Greenpeace).

Je pense à arrêter les jeux de mots pourris, ainsi que les feintes nulles sur les juifs, les noirs et les cathos.

Puis je pense tout simplement à empaler cette petite pigeonne de mes deux, à l’étrangler d’une main, à la noyer dans la cuvette des chiottes, à la dégommer au pistolet semi-automatique, à la griller au lance-flammes en faisant un cri comme « Rrrrrrrrrrrrrrhhhhhhhhhhhôôôôôôôôôaaargggggh ».

Après, je rangerais mon matos, puis, avec un peu de suie sur les mains et le visage, sentant un peu l’essence, je dirais un truc du genre « J’aime respirer l’odeur du napalm le matin ».

Clap de fin, générique, on prend une douche et on rentre au bercail.

Sauf que ça ne se passe pas comme ça.

C’est le fait de penser à Bardot. Ça m’a bloqué. Je suis resté là comme un con. « Un pigeon est un animal, tu es un animal » m’a glissé une petite voix dans ma tête, style condescendante, angélique, un peu coconne. La voix de la SNCF, non ?

Non.

Une voix qui sonne faux. La voix de la dame qui bassine tout le monde avec ses histoires de roulottes, de résurrection quand on t’a inscrit à l’insu de ton plein gré au catéchisme alors que toi, tu voulais simplement jouer au foot, non pas avec Bardot, mais avec tes potes.

Le peu que t’en as, il faut les conserver…

Alors je m’extasie devant ce pigeon : « Oh, il est mignon ! », comme Poelvoorde je deviens poète-poète (facile, celle là).

La petite voix me susurre : « Respect, paix et amour.

– Amen », je réponds.

Soudainement, Dieu m’a donné la foi dans le pigeon.

On va l’appeler Diya. « Petite lumière », en hindu.

Je suis trop balèze, pour accoucher de noms comme ça, tout d’un coup. N’hésitez pas à me demander pour votre gosse, faites moi confiance, si vous voulez qu’il passe une enfance pas trop malheureuse… parce qu’entre nous, c’est pire à l’adolescence.

Diya n’a que trois brindilles, elle vient d’arriver, mais elle s’installe. Pas de quoi en faire un lit. Le bourreau est en quête d’une rédemption mais il ne peut rien faire.

Et là, miracle, Marlowe arrive et dépose, une par une, des brindilles sur le rebord de la fenêtre. Diya les saisit et les dispose comme une chef. Une tradition millénaire, un peu comme les nanas qui s’amusent à faire des paniers en osier.

C’est peut-être con, un pigeon, mais ça sait faire un nid.

« Oh, il est mignon ! », je fais quand je vois Marlowe revenir avec une autre brindille.

Je vois une belle solidarité inter-pigeons, comme il n’en existe plus chez les humains.

La foi dans le pigeon.

Pourquoi Marlowe ? C’est une longue histoire… Le bourreau écoute Redemption Song de notre ami Bob (vous avez remarqué ? Bob est toujours notre ami), et il baptise Marlowe « Marlowe », une déformation de « Marley ».

Marlowe s’active à mort à amener tout un tas de brindilles pour que Diya fasse son nid. Le bourreau sait que l’accouchement est proche. Il veut immortaliser ça et va chercher son appareil photo numérique pourri dans le salon. Cette arnaque pourra bien faire une photo jolie, non ?

Non.

Je déboulonne dans la cuisine, le souffle court.

Mais c’est trop tard.

Diya a déjà accouché.

Je suis ému.

J’écoute Le Lac des Cygnes pour fêter ça.

Je pleure de joie.

Ma foi dans le pigeon est plus forte que tout.

Mais je sais au fond de moi que c’est maintenant que les emmerdes vont commencer.

Comme avec Marcelline.

L’an dernier, à la même époque, à peu près, Marcelline a débarqué. À l’époque, je l’ai laissée faire son nid. Au même endroit que Diya, d’ailleurs… ça doit être une place de choix.

Bref, Marcelline a fait son nid, elle a pondu deux œufs, les œufs ont éclos, et puis, je me souviens, c’était un jeudi, enfin à vendredi vers trois heures du matin, hop, un bruit assourdissant retentit dans la nuit.

Le lendemain, au réveil je constate que le nid est vide. Désespérément vide. Marcelline s’est cassée comme une voleuse, avec les deux gosses, et cette salope n’est plus jamais revenue, même pas pour me faire un petit coucou une fois de temps en temps.

Aucune gratitude. Par contre le nid, lui, est resté. Avec des coquilles d’œufs et de la merde partout. Et moi, comme un con, j’ai passé l’aspirateur dessus et j’ai tout dégueulassé.

Cette histoire n’est pas drôle et me traumatise encore aujourd’hui.

Là, je suis blindé, je sais que Diya, Marlowe et le petit ne sont pas amenés à rester. Je me prépare déjà psychologiquement à affronter leur départ, à coup d’anxiolytiques légers.

D’ailleurs, le petit, là, dans sa coquille bien au chaud contre les plumes de sa mère, comment on va l’appeler ?…

J’hésite entre « Pigeon », « John » et « No Name Yet ».

Lâchez vos comm’s pour choisir le nom du gosse !

Non ?

Non.

Peut-être le début de quelque chose

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On est .

Marla, K-Siddy, et moi, sur le capot rutilant d’une Cadillac bleu métallisé, dont la surface luit d’une étrange manière sous ce soleil brûlant du sud de la Californie.

Il doit être treize heures, quatorze heures à peine. Marla vient de se réveiller, et, du siège arrière de la voiture, a demandé à ce qu’on s’arrête pour qu’elle puisse se dégourdir ses belles gambettes quelques minutes. Il n’a fallu que quelques secondes pour qu’on tombe tous les trois d’accord. L’intrépide K-Siddy et moi, on se relaie au volant depuis la Nouvelle Orléans, et on roulait tambour battant depuis trop longtemps pour qu’on se souvienne de notre dernière pause.

K-Siddy, grand maître de l’asphalte, a tourné sec et s’est garé sur le bas-côté. L’endroit est désert, poussiéreux, aride. Tout ce dont on a besoin pour se remettre en selle le plus vite possible.

Marla sort un sandwich de la poche de son gilet, tout ratatiné dans du papier alu, et se met à le mordiller nonchalamment. Quand elle me le tend, un bout de bacon reste au coin de sa bouche chocolatée. J’ai envie de venir le lui prendre, sans vergogne, mais j’abandonne l’idée, je suis trop fatigué pour cela.

Le corps étiré de K-Siddy se redresse du capot, et il s’en va faire quelques pas devant nous, ses Wayfarer contrefaites sur le museau, une bouteille de San Pelegrino d’une main, une bouteille de Whisky de l’autre. Ses lèvres vont de l’une à l’autre avec une régularité digne d’un chef d’orchestre. Alternance de boissons pour s’hydrater et trouver la force de continuer de rouler.

Moi, je suis à la bière. Je sirote ma Beck’s a petites gorgées, genre « je l’ai bien méritée ». Les yeux mi-clos, éblouis par le soleil, mon dos crame sur le capot. Je me caresse le ventre en contemplant mes jean’s et ma ceinture, élimés, par endroits déchiquetés.

K-Siddy se dirige vers la portière et s’essouffle sur le siège conducteur. Déjà, c’est l’heure de repartir.

Marla monte devant, je prend sa place. À mon tour de faire un somme.

La Cadillac rejoint la route dans un nuage de poussière, et, tandis qu’elle crapahute sur le bitume, la radio diffuse What a Wonderful World.

Version Ramones, évidemment.

Fondu au noir.

The End.

Stop.

Rewind.

On n’est pas là du tout.

Il doit être treize heures, quatorze heures à peine.

Je me caresse bien le ventre, c’est même très agréable. Mais je suis en caleçon, amorphe. Dans un trois-pièces miteux. Pas au sud de la Californie, mais 2800 miles plus au nord, plus à l’est. Douzième rue, New York City. Mon appart’. Mon lit.

Hey ho, let’s go!

Marla va bientôt débarquer. Il faut que je me prépare.

Je souffle une dernière fois sur le joint, pas frais. Il date d’hier et de la venue de Tom chez moi, à l’improviste, bien évidemment. Je l’éteins quelque part entre les draps, dans ce que j’espère être un cendrier improvisé.

J’ouvre les yeux. Couleur laiteuse autour de moi. Lait caillé, à bien y réfléchir. Le genre de teinte qu’on retrouve dans toutes les bonnes cliniques, au service des soins palliatifs. Et l’odeur dégueulasse qui va avec.

J’ouvre la fenêtre pour aérer, dans le ciel la même couleur lait-caca, et en plus, c’est déprimant, il pleut. La pluie froide, typique de New York, qui transperce tous tes vêtements et te glace le sang.

Réflexion matinale n° 4813

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Certains matins je le regarde tourner, comme un con, pendant une minute. Aujourd’hui, pendant que mon bol de lait se réchauffe dans le micro-ondes, je contemple le verso de la boîte de Quaker Oats.

On a la classe ou on l’a pas.

Et je me dis que la nana, là, à droite, c’est un fake. Dans son attitude, rien ne colle à ce qu’elle devrait être en train de faire, c’est à dire, tout simplement, manger des Quaker Oats.

Non, au lieu de ça, elle se retrouve avec un gueule de conne et un strabisme un brin divergent (doux euphémisme).

On dirait qu’elle a vu le loup. Un gros loup, alors. Ou un monstre genre Hulk.

Sur la boîte, toujours, il y a quelques astérisques. Des contre-indications?

Regardons ça de plus près: la première * précise: « dans le cadre d’une alimentation variée et équilibrée et d’un mode de vie sain ».

Ici, c’est mal barré. Dans ce grand foutoir, tout n’est que bordel, débauche et décadence.

Next.

La deuxième * (ou plutôt **) indique: « cahiers de nutrition et diététique, 2001, ISSN 0007-9960, vol. 36, n°I., pp56-68 ».

En gros, cultive toi un peu, toi qui n’a rien d’autre à foutre de tes journées que de bloquer sur le verso des boîtes de céréales, bouge tes fesses, va prendre l’air, direction la bibliothèque, et amuse toi à chercher ce putain de magazine.

Next.

J’ai la chanson d’hier soir dans la tête. Non 4 Blondes – What’s up. À ranger dans les catégories : « chanson culte de toute une génération (en y réfléchissant, ce n’était pas la mienne) » et « méga-gros tube d’un groupe dont on n’a jamais plus entendu parler ensuite ».

La chanson qui m’a aidé à tomber dans les bras de Morphée, à défaut de tomber dans ceux de quelqu’un d’autre. Je suis d’ailleurs persuadé que Morphée s’est étalée sur tout le long de mon lit King-Size parce que dans mon sommeil aucunement réparateur je me suis vraiment senti à l’étroit.

Next.

Non, en fait.

 

« and so I cry sometimes

when I’m lying in bed

just to get it all out

what’s in my head

and I am feeling a little peculiar

and so I wake in the morning

and I step outside
and I take a deep breath

and I get real high

and I scream at the top of my lungs

what’s going on ?

and I say. hey hey hey hey

I said hey. what’s going on ?»

Un Ohrwurm. Il faut que je pense à autre chose, sinon cette chanson va me poursuivre toute la journée.

Tiens, « Ohrwurm »… je ne sais pas quel est le mot en français. « Bourdonnement »? J’ai l’impression, en tout cas, que l’expression idoine dans la langue de Molière et de Patrick Sébastien n’a pas toute la force, toute la poésie qu’évoque le mot allemand. « Ohrwurm »: vers d’oreille. Pas mal, hein?

Next.

Le micro-ondes sonne, mon lait est prêt. Je me fais une sorte de porridge – alors là, non seulement le terme est dénué de force et de poésie, mais en plus je ne sais pas comment l’écrire.

Dans le lait je rajoute mes fuckin’ Quaker Oats ainsi que du chocolat en poudre Poulain 1848.

On a la classe ou on l’a pas.

Et au moins, ça va me tenir le ventre jusqu’à midi.

En Next je me fais du Ricoré.

Je regarde les boîtes: des idées recettes et les informations nutritionnelles.

Des astérisques aussi, mais très terre-à-terre. Pas du genre à partir en live comme celles de la boîte de Quaker Oats.

Next, je pense à ma boîte d’haricots blancs que je vais utiliser peut-être bientôt, pour nous faire un English Breakfast.

En Next, enfin, dans mon oreille, le tube de Non 4 Blondes est remplacé par les Red Hot, Aeroplane.

On a la classe ou on l’a pas.

Bleu, ça me rappelle

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Bleu, ça me rappelle l’ambiance luminescente de la soirée où nos regards se sont croisés, recroisés, percés,

Bleu, ça me rappelle le drap où on a fait l’amour pour la première fois, dans le lit trop petit de ta chambre qui n’était pas la tienne,

Bleu, ça me rappelle tes yeux, dans lesquels je me noyais, dans lesquels je me voyais, et dans lesquels je me trouvais beau,

Bleu, ça me rappelle mon peignoir trop grand pour toi que tu enfilais après ta douche quand tu la prenais chez moi,

Bleu, ça me rappelle le beau Danube dans lequel on s’est baignés tout nus quand on est allés à Vienne pour fêter nos deux ans,

Bleu, ça me rappelle le parfum que tu avais quand on a fait une balade en foret,

Bleu, ça me rappelle la Terre qui l’est comme une orange, autour de laquelle on voulait voyager, et, en attendant, le monde qu’on refaisait, avant de se coucher, en partageant un joint dans le jardin de chez tes parents,

Bleu, ça me rappelle le ciel qu’on observait en scrutant les nuages et en leur imaginant des formes qui n’existaient pas,

Bleu, ça me rappelle tes cheveux qui volaient dans tous les sens quand on dansait, bourrés tous les deux, sur du Iggy Pop,

Bleu, ça me rappelle ta voiture qui n’était plus capable de nous emmener très loin,

Bleu, ça me rappelle tous ces films de cinglés – pardon, d’ « art et d’essai » – que tu me forçais à voir avec toi,

Bleu, ça me rappelle la musique de ton iPod qu’on écoutait dans le train,

Bleu, ça me rappelle celui que je me suis fait lorsque j’ai – sans succès – tenté de déboucher ton évier,

Bleu, ça me rappelle ton pull en cachemire qui faisait des peluches quand on se blottissait l’un contre l’autre,

Bleu, ça me rappelle ta peau entre une et deux heures du matin,

Bleu, ça me rappelle l’enseigne du supermarché où on faisait nos courses,

Bleu, ça me rappelle l’écran de mon ordinateur quand je t’attendais,

Bleu, ça me rappelle le bruit que tu faisais, quand tu rentrais d’on-ne-sait-où, tard dans la nuit,

Bleu, ça me rappelle les colères folles dans lesquelles on rentrait, chacun notre tour et de plus en plus souvent,

Bleu, ça me rappelle le sac poubelle dans lequel tu avais mis toutes mes affaires,

Bleu, ça me rappelle tes lèvres quand tu m’as dit : « Va t’en, va t’en maintenant, je n’ai plus envie de te voir »

Bleu, ça me rappelle toutes les choses qu’on aurait pu faire et qu’on a jamais fait,

Bleu, ça me rappelle tant de souvenirs sans importance et notre histoire qu’on a gâchée, chacun à sa façon.

Comme on sait si bien le faire.

 

Texte originellement publié ici

Hélène

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Elle tournoyait autour de nous comme une petite voleuse. La fée Clochette de notre Pays Imaginaire.

On avait 14 ou 15 ans. Des gosses à la recherche d’un point de chute et, peut-être, d’une raison valable de ne pas abandonner le combat. Et elle était là, tout autour de nous, et elle chavirait nos cœurs. Sans faire exprès. L’un après l’autre, parfois simultanément, on tombait dans le panneau, comme les Troyens à la vue du Cheval.

On s’asseyait, tous les trois, sur le vieux banc qui bordait le parc, on arrêtait de gamberger et on se racontait comment ça sera, plus tard, plus tard.

Plus tard.

Notre route sera une odyssée de tous les instants. Paysages magnifiques, rencontres fortuites et inoubliables, aventures aux parfums d’exotisme. La Terre sera notre terrain de jeu.

En attendant, on était là, sur ce banc pourri, parmi les feuilles d’automne. Au milieu de nous elle nous tenait chaud et nous on s’oubliait un peu.

Ouais. On fera le tour du monde. Le tour de notre monde.

Au fond de nous, on savait tous les deux que ce ne sera jamais le sien.

Vitraux

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My Lady s'avance vers l'autel

Elle entre la première et s’avance dans l’église comme si elle savait depuis longtemps ce qu’elle venait y chercher. Je ne fais que la suivre, ombre passagère parmi les arcs, je me faufile vers elle, à travers le damier de pierre.

Vu de loin, de dos, avec son long manteau noir en vison synthétique, elle ressemble à une veuve pleurant son amant perdu.

Le sac plastique qui luit étrangement dans sa main et qui fait tache sur la photo, c’est le reste de notre pique-nique au parc. Summum d’une rayonnante journée d’hiver. Allégorie du bonheur.

Je revois l’herbe encore mouillée, sa bouche s’ouvrant un peu, entre deux rasades de coca light, pour gober un peu de bouffe végétarienne, et notre cul tout froid et tout sale quand il a fallu se résigner et quitter ce petit coin de paradis.

La lumière m’éclaire violemment, je suis obligé de plisser les yeux pour capter la scène.

Le lieu est gigantesque, son poids nous écrase mais le silence qui y règne nous apaise. Et la chaleur que les vitraux étincelants dégagent nous invite au voyage.

C’est ce genre de voyage qui l’a amené ici.

C’est ce genre de voyage qui l’a transporté aux Amériques, quelques temps – une éternité, plus tôt.

Son premier amour.

Son premier fiancé.

Et le volte-face, au jour J, juste devant l’autel.

Je l’imagine, sa robe blanche traînant derrière elle, faire demi-tour, tout balayer sur son passage, fuir une vie dont elle ne voulait pas, renier son destin et se précipiter vers un autre chose qu’elle seule devrait définir.

Toutes les photos du monde ne pourront jamais rendre cette image et expliquer ce choix.

Je le comprends. Je la connais.

Dans ma tête, les orgues grondent.

Je contemple les vitraux, la lumière qui vient, larme par larme, s’y désassembler , j’ai envie de crier mais je me tais.

Je souris.

Parfums d’alcôve

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Morcheeba. Big Calm en boucle.

Ad libidum.

Mes yeux s’ouvrent et se ferment au rythme des basses. Dans l’air tiède, nu sous la couette, j’émerge d’une nuit sans rêves. Trop courte pour ça.

L’aube s’agite. Le ciel est chaud, chaleureux.

Cotonneux, caverneux, brûlant.

L’enfer sur Terre.

Reflets de napalm, paupières fragiles. Odeur de souffre et de transpiration, mêlée à celle des parfums d’alcôve.

Elle se réveille. Discrètement, je disparais du lieu du drame. Elle se redresse un peu sur l’oreiller. Je me glisse, fantôme de feu et de lumière, désintégré, vers la fenêtre.

« Tu fais quoi? »

Avant que ces couleurs, si particulières, ces saveurs orientales, ne s’évanouissent, je saisis l’instant.

On sait que ça ne durera pas.

Un autre morceau passe. Prémisse de la catastrophe annoncée.

Morcheeba toujours. Fragments of Freedom.

Ad libidum. Decrescendo.

On sait que ça ne durera pas.

Ça fait partie du jeu, de la beauté de la chose.

Pour conjurer le sort, on fait l’amour.

Deux fois.

La première pour la forme.

La seconde pour le souvenir.

Bientôt il fera jour, totalement, on s’abandonne l’un l’autre avant de tout abandonner.

Et on partira, chacun de son côté.

 

Tout seul

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Personne sur Facebook.

Aucune réponse aux SMS que j’essaime. Pourtant j’insiste, j’harcèle, deséspérement. Mon téléphone portable ne vibre pas.

J’appelle des soi-disant potes, au hasard de l’ordre d’apparence des contacts de mon répertoire. Personne ne décroche. Je ne me laisse pas la peine de laisser un message sur les répondeurs.

On fait le mort ?

Silence glaçant.

On a coupé les réseaux ou quoi?

Un doute. De mon lit, je me précipite à la fenêtre.

Personne dans la rue. Pas un cri, pas un bruit. Même le vent se tait. Pas une lumière ne défie la nuit d’hiver. Pas de phare, pas de vie à l’horizon.

Je suis seul.

Après le déluge.

Comment j’ai rencontré ta mère

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Années 80.

Une boom chez Isa. Elle me tient, dès le premier regard. Je l’évite toute la soirée. Pour la faire languir, bien lui faire comprendre que ce ne sera pas facile.

Une autre soirée, puis une autre encore. On se tourne autour comme deux chats en chaleur. Des après-midis au café avec la bande. Un slow, Joe Dassin sur une vieille cassette. Au flipper je fais le malin. Un Charleston. The Cure – Lullaby. Moi et ma coupe mi-Forbans mi-Robert Smith. Elle et ses socquettes Benetton et son foulard, le même que Renaud, en plus propret.

M’asseoir cinq minutes sur un banc avec elle. Lui tenir la main. L’embrasser furtivement, lui montrer comment c’est chez mes parents, regarder sous sa jupe dans les escaliers et la prendre dans leur lit. Se dépêcher de se rhabiller, d’arranger sa coiff’ à la Jeanne Mas et la présenter aux darrons quand ils rentrent du boulot.

S’embrasser encore le lendemain, langoureux baiser devant le lycée. On ne se quittera pas. On ira à New York ensemble. On franchira le rideau de fer. Ce jour là, nos yeux se disent: tout est possible.

 

 

Années 2010.

Une des 561 friends d’Isa. Je checke son profil sur Facebook. Je like:

– des photos d’elle en zombie durant une soirée Fin du Monde (bientôt),

– le lien vers le dernier épisode de sa websérie préférée (je partage).

On se retweete l’un l’autre. On s’échange des mails, puis nos 07.

Je capte pas la 3G mais j’arrive à la rejoindre au cinéma.

On veut s’embrasser, epic fail, j’arrive pas à choper sa langue avec nos binocles 3D.

On se retrouve dans un lieu neutre et lumineux, sans lunettes. Au McDo, sur son iPhone elle me montre son année Erasmus à Tampere, je lui montre mon stage à Shenzen.

Un Sundae plus tard, on est dans ma chambre.

Je noue la capote et lui demande de partir avant que mon père rentre. Il sera encore grognon et vidé. N-ième entretien à Pôle Emploi.

Je la rassure: oui, on va se revoir.

Pus tard.

Session webcam sur Skype?

 

Souvent je me réveille

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Souvent je me réveille avec :

  1. un puissant mal de crâne, une haleine fétide et un estomac retourné ;
  2. une groupie éphémère dont je ne me souviens ni du nom, ni de celui du parfum qui émane de son bas-ventre, ni de la façon dont elle arrivée là, et qui me sussure à l’oreille « Encore une fois ? Mais vite, parce qu’après je dois aller au bahut. » ;
  3. des idées plein la tête, éparpillées sur les kilomètres cubes d’un esprit anéanti-bulé.

Et quand j’ouvre les yeux et que je me prends ce connard de soleil dans la gueule, elles se sont déjà évaporées.

La journée commence bien.