La porte, bordel!

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Tous les matins
TOUS les matins
TOUS LES MATINS

de la semaine

avant de prendre le métro

pour aller au boulot

– je vais être à la bourre

tout est prêt ?

CHECK:

– fenêtre du salon

FERMÉE

– lumière des WC

ÉTEINTE

– lumière de la salle de bain

(TOUJOURS…) PAS DE LUMIÈRE

(depuis des lustres)

(ceci dit c’est bon, j’ai éteint la bougie)

– fenêtre de la cuisine

FERMÉE

– plaques chauffantes

ÉTEINTES

(de toute façon ça fait longtemps que je

ne les utilise plus le matin

de peur de les laisser allumées toute la journée)

Tout ça – je le vérifie

au moins deux fois.

Juste avant d’y aller

je choppe une pomme

la dernière du panier à fruits

mon petit déjeuner

sur le chemin jusqu’au métro

je la coince dans ma gueule

comme une balle ramenée par un

berger allemand

et je ferme la porte.

Dans les escaliers de l’immeuble

deux étages plus bas

parfois au rez-de-chaussée

parfois aussi dans la rue

et une fois même

dans le métro

où j’ai dû faire demi-tour

– c’est là que ça se déclenche :

EST-CE QUE J’AI BIEN FERMÉ MA PORTE À CLÉ

?

ma porte d entree

 

C’est un truc

comme une pression dans mon crâne

dans les méandres de mon cerveau

un coup de flip

qui me hante

qui m’obsède

– un TOC

ou un TIC

je sais plus

– un truc

stupide

et contagieux

– le geste est tellement devenu un réflexe

que t’es même plus sûr de l’avoir fait.

« Évidemment qu’elle est fermée, ta porte !

– Mmm t’es sûr ?

– Non »

Souvent je me rassure : « Oui oui c’est bon… »

mais le doute met longtemps à se dissiper

et j’ai comme un trou d’air

ça m’angoisse

me trotte dans la tête

jusqu’à la station de métro

Pour me convaincre que c’est OK,

pas besoin de vérifier

je me dis même :

« Il y a rien à voler chez toi de toute façon.

Et tu crois que les voleurs vont s’amuser

à aller dans TON immeuble

et à gravir TOUS CES ÉTAGES

pour voler quoi ?

Un ordi, une guitare et un paquet de cacahuètes ?! »

Parfois je succombe –

je remonte à mon étage

pour vérifier

– évidemment qu’elle est fermée, ma porte ! »

et quand je redescends

BIM – ça ne manque pas :

EST-CE QUE J’AI BIEN REFERMÉ MA PORTE À CLÉ

QUAND J’AI VÉRIFIÉ QU’ELLE ÉTAIT FERMÉE

?

Le scorbut et le rheunar

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  • C’est quoi ça ?
  • Quoi quoi ?
  • ÇA ! Le mot que tu viens de mettre ! S.C.O.R.B.U.T…
  • Ça, c’est « scorbut », pourquoi ?
  • Ouais, je vois bien, mais je te demande ce que c’est. T’es sûre que ça existe ?
  • Oui, bien sûr. Le scorbut c’est un genre de maladie…
  • OK. J’en ai jamais entendu parler avant. Alors si tu me claques un mot compte-triple que tu viens d’inventer…
  • Tu m’accuses de tricheuse ? Écoute, bien sûr que ça existe.
  • Si c’est une maladie, la prochaine fois je n’aurais qu’à placer « herpès » ou « syphilis », au moins on connaît toutes les deux. C’est quoi les symptômes ?
  • J’en sais rien. Je crois bien que c’était une maladie que les gars avaient dans les bateaux quand ils faisaient le tour du monde.
  • C’est pas le scorbut, ça. C’est la chiasse. Ou le mal de mer. Et puis, ils avaient qu’à prendre l’avion : ils n’étaient pas certains d’arriver à bon port, mais au moins ça leur aurait éviter tous ces problèmes.
  • Je te parle d’avant, quand les avions n’existaient pas, même pas en rêve.
  • D’accord, mais si tu utilises des mots dont tu ne connais même pas la signification…
  • Aucune règle ne l’interdit, non ?
  • Non, et pour le coup, c’est bien dommage. Tu vas gagner la partie avec un mot qui ne figure même pas dans ton vocabulaire, qui est, au final, assez limité au quotidien,
  • Fous moi la paix… Si tu ne me crois pas, regarde dans le dictionnaire, il est fait pour ça, il t’attend, il t’appelle même !
  • Non, c’est bon, ça ira.
  • À ton tour.
  • Ouais, je sais… Je réfléchis seulement à ce que je vais placer… Voyons voir… C’est bon !
  • R.H.E.U.N.A.R . Rheunar ? Renard ? C’est pas comme ça que ça s’écrit.
  • Mais si !
  • Non, je te dis.
  • OK, j’avoue. MAINTENANT, c’est pas comme ça que ça s’écrit, mais avant, genre au temps de Louis XIV, ça s’écrivait comme ça.
  • J’en suis pas persuadée.
  • À ton tour de vérifier dans le dico, alors !
  • Non, c’est bon.
  • Ah, tu vois ! Tu me crois ! Et si tu me demandes ce que c’est, je te dirais que c’est un animal préhistorique, ancêtre du renard actuel. Il avait des griffes et des écailles.
  • Arrête de te foutre de moi.
  • Je ne me fous pas de toi. L’évolution, tu connais ? Eh ben le rheunar, c’était un dinosaure, tu vois, il mesurait trois mètres de haut et il avait un estomac tellement solide qu’il pouvait bouffer des cactus toute la journée sans choper le scorbut.
  • C’est ça, et ma mère c’est la reine d’Angleterre.
  • Peut-être. Tu sais, on a jamais osé faire des tests génétiques, et vu la réputation de queutard de ton père…
  • Ta gueule ! T’as pas le droit de dire ça.
  • Ta gueule toi-même, d’abord. Aujourd’hui, j’ai comme l’impression qu’on peut tout dire. Regarde, toi, tu places bien « scorbut » et tu rafles cinquante points + mot compte-triple. Je me doute que ce mot est dans le dico, et je m’en fous. Moi, ce que je veux te faire comprendre, c’est qu’on a pas besoin de dictionnaire, de règles, de normes. « Un sens pour chaque mot, pour chaque chose qu’on fait » bla bla bla. À partir du moment où on se comprend l’un l’autre, plus rien n’est important. Tu comprends ?
  • Je crois que je saisis, ouais. Je pense que cette idée m’a traversé l’esprit un jour, en cours de philo…
  • T’aurais dû plus écouter… Bref, c’est ton tour, maintenant.
  • OK, je pioche…. Ah, c’est bien, ça. Hop!
  • Z.J.K.U.F.R.A… Mais ça ne veut RIEN dire !
  • Je sais, c’est le but. Tu l’as dit toi-même : on a pas besoin de dictionnaire. Et en plus, je mène de nouveau la partie.

Publié originellement ici

Trempés jusqu’aux…

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À cette époque période The Big Lebowski – je bois des White Russians et je traîne souvent du côté des bars et des clubs de la petite rue qui descend vers le centre-ville historique – dans ce bar au parquet cramoisi – miteux crado et mal éclairé – un repère de gangsters et de vieux rockers éternellement sur le retour – ils font des bons White Russians bien dosés et le barman est sympa. Y’m’fait marrer – c’est le coloc d’une pote – chez eux ils ont récupéré des sièges de ciné en guise de fauteuils dans le salon – à 36 balais le mec à la ramasse toujours étudiant en je-sais-pas-combientième-année de je-sais-pas-quoi – lui non plus j’crois y’sait pas quoi. Je m’enfile un verre bien glacé – y m’reste du lait du côté de ma moustache et la fille au bar me regarde chelou parmi les volutes de fumée et le relent de tabac froid et la flagrance masculino-porcine de vieux gars bourrés – et de la bonne musique en fond sonore – maintenant Lou Reed – Take a Walk on the Wild Side – et ses épaules font tou toudou toudou toudou-tou tou toudou toudou…

Qu’est-ce qu’elle m’veut ? Qu’est-ce qu’elle fout là – parmi tous ces dingos ces trouducs qui essaient même pas de la draguer ? Son regard de braise m’invite à venir jusqu’au tabouret à côté d’elle.

J’m’approche de la rouquine j’lui sors le grand jeu « Moi c’est Joe… » – j’lui paie un double scotch et ça lui délie la langue – je la branche – palabres palabres voix roque à force de trop gueuler – faut dire qu’on s’entend à peine avec toute cette musique qui fait trembler le comptoir. Elle met souvent la main dans ses cheveux bouclés – ses ongles ses lèvres sa robe – rouges – la Femme Fatale – le visage effilé le nez aquilin et les bretelles de sa robe qui glissent. J’lui donne de quoi raconter des trucs vaselineux que j’me souviens pas – j’suis bercé par son fort accent russe – elle lâche qu’elle vient de Omsk –  « За здоровье ! » je lance en lui repayant son verre et elle me remercie en m’agrippant le bras quand j’lui dis que j’me casse j’en ai ma dose de ce cloaque puant. « Tu m’emmènes chez toi pour un dernier verre ? »

Si tu veux bébé.

En sortant du bar  j’retrouve l’avenue j’habite à l’autre bout la rouquine qui me met les glandes en émoi me suit. L’avenue que je fais tous les quatre matins l’esprit évaporé. Elle s’arrête une clope au bec elle essaie de l’allumer mais il drache tellement que sa clope mouillée pend du bec. Elle s’voit obligée de la jeter et je vois le filtre rouge-à-lèvres mariner dans une flaque d’eau et finir sa course dans une grille d’égout.

Faut dire qu’y flotte à mort un vrai déluge tropical une pluie chaude de juin qui sous ce ciel en furie pénètre tout – mon t-shirt XXL est une vraie loque et j’te parle même pas de mes pompes en carton-pâte. Mais elle malgré la douche toujours aussi sexy quand les phares des bagnoles la zieutent – sa robe qui lui colle les fesses et l’air toujours digne elle marche bien droite nickel – la Russe rousse. On se trimbale bras dessus – bras dessous – la grande Classe avec un « C » majuscule – j’suis un homme fin moi.

Quelle beauté… Quelle perle… qui hésite pas avec ses pointes à m’écraser deux trois fois mes pompes usées – la fameuse Loi du Talon.

Faut dire qu’avec le recul l’avenue est une vraie piscine les voitures glissent nous on s’y loupe pas et qu’on a vraiment l’air de deux ploucs – mais sur l’moment j’te jure ça donne vraiment l’air qu’on prend une douche tout habillés au clair de lune. Et ça drache ça drache ça finit pas.

Au moins ça nous divertit pas besoin de parler. On arrive tout trempés chez moi ma chambre de bonne dans l’arrière cour sept étages à grimper et elle toujours classe avec ses cheveux de feux et ses hauts-talons – et BIENVENUE Madame dans mon HOME SWEET HOME ! – tout juste sortis du naufrage du Titanic.

Mouais faut sécher les vêtements pas d’autre solution que de se désaper, nan ? Tu veux une bière ? Serre toi dans le frigo. Pendant c’temps moi j’imagine le topo – et j’vais pas y aller par l’autre bout de la cuillère j’te l’garantis ! Voilà on se fout à poil et ensuite – ensuite quoi ? Tu sais très bien comment ça va s’finir tout ça… – ensuite y faut bien faire ce que deux êtres humains un minimum consentants font dans ces moments là tu crois pas ?

Silence – à part la pluie qui crépite là dehors par la fenêtre.

Dans le lavabo j’essore mon t-shirt – Guns N’Roses 1992 à Vincennes – un t-shirt collector mec ! – pendant qu’elle se déshabille – jeu d’ombre et de lumière.

« Brr » je fais « on est trempés jusqu’aux couilles !

– D’ailleurs passe moi une serviette – faut que j’me les sèche. »

– dit le trans sibérien.

Le jour où la nuit brûle – partie 3

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Nous revoilà Bill et moi – votre illustre conteur B.Howl – pour cet ultime épisode – repartis dans la nuit après le parc et les rives du canal – maintenant je veux emmener l’autre coyote dans un autre parc – le parc aux grilles rouges où je fais de temps à autres, en été, de délicieux pique-niques dans l’herbe fraîche. On se dandine sur les trottoirs du vieux quartier – le quartier chic maintenant – il y a vingt ans un vrai taudis entre les dingues et les paumés les putes et les camés quand la pipe s’évaluait encore en francs et quand l’héro était moins coupée – trottoirs couverts d’aiguilles et de capotes de fortune. Les temps ont changé – le présent c’est maintenant et soudain dans cette rue remplie de bars Bill stoppe net – à l’affût des boum boum de la musique et du bruit. On entre dans un bar gay et lesbien et rien à foutre on commence à se déchaîner parce que ce son qui nous vrille les tympans c’est juste qu’on en a besoin là maintenant. Quelques minutes plus tard en dansant sans faire exprès je bouscule quelqu’un. Je me retourne dis pardon le mec a un billet de vingt entre les mains. Le barman. Il nous fixe des yeux : « Faut consommer maintenant. » C’est pas ce qu’on a prévu alors on prend nos affaires et on se casse de là sans rechigner.

En marchant « Tu sais Bill, un jour j’ai eu une vision. Faire le tour du monde avec toi. Je nous ai vu marcher le long des chemins. Ton côté mystique. Chamane. Je nous voyais vagabonder près des églises orthodoxes bourlinguer sur les rives du Gange nous deux à la recherche ultime du Dharma. J’ai voulu t’en parler mais ce jour là quand je t’ai appelé tu étais occupé. Et puis depuis j’ai jamais osé discuter de ça avec toi… » Tu me réponds sans hésiter : « Non mec, c’est pas dans mes plans. » Message reçu – le rêve était plaisant en tout cas.

On arrive vers la place devant les terrasses bondées des restos qui se veulent chics mais où la bouffe est dégueu – des pièges à touristes. Et au milieu des gens avec des guitares un accordéon et un djembé. On se joint à eux tout naturellement. Bill déballe pas sa gratte il observe note contemple. Moi je veux faire du tssi-tssi mais avant que je retrouve la petite bête au fond de mon sac les musicos sont sur le point de se barrer. Cinq minutes avant ils s’exclamaient : « Vous voulez nous suivre ? » et là ils se taillent et nous ignorent. Classique. Encore une fois restez, côtoyez nous mais pas trop – après on risque de se mélanger et ça craint. Et encore une fois on reprend notre chemin – éclairé par la nuit qu’on veut percer. On passe dans une rue piétonne et commerçante. À cette heure là elle est vide mais les enseignes clignotent encore. Bill appelle une pote et s’éloigne un peu de moi. Une pote qui arrive pas à expliquer ce qu’il lui arrive – elle vient de tomber amoureuse. Leur conversation dure huit minutes. Moi ça me dérange pas je m’en fous mais je commence mine de rien à sentir la fatigue et finalement j’ai pas envie d’aller traîner au parc aux grilles rouges – en plus il doit être fermé à cette heure ci. Je veux aller dans mon bistrot préféré mais quand Bill raccroche au téléphone il est pas motivé. « Alors on rentre chez moi ? » « Ouais. »

On baisse les bras – mais vaut mieux – la nuit en a encore pour un bout de temps avant de se faire jour mais c’est pas du dépit et ça veut pas dire qu’on a abandonné. On a percé la nuit ouais – d’aussi loin qu’on pouvait. Camille  – Double Merlu et leur bande – le serveur du bar pas sympa – les musicos près de la place – ça fait déjà une bonne plâtrée de noctambules… On remettra ça une autre fois quand j’aurai de nouveau le plaisir d’héberger l’ami Bill. « C’est trop fort B.Howl comment tu abordes les gens… Jamais je ferais ça tout seul. » « Moi non plus Bill – c’est parce que je suis avec toi. ». Dans les cinq cent derniers mètres qui séparent la nuit de la ville à mon chez-moi on croise un gars qui me taxe une clope. « Flo » il dit qu’il s’appelle il a l’air un peu défoncé. Bill s’étonne : « Pourquoi tu portes une étoile de David comme pendentif ? » Flo : « Ah ! La croix ? » « Ouais… Enfin l’étoile… » « Bah je sais pas ce que ça représente. C’est juste un pote qui me l’a donné une fois – et je la porte depuis qu’il est mort. » Bill lui explique ce que ça signifie. Il est très intéressé par les religions et la spiritualité, Bill – très mystique aussi: « Ça représente deux triangles inversés qui s’imbrique l’un à l’autre. Fusion de l’univers visible et de l’univers invisible. » Flo se sent un peu gêné un peu inculte mais il écoute avec attention. Faut pas être gêné on est toujours l’inculte de quelqu’un. Et ce qui compte c’est d’être curieux de tout. On s’assoit sur le trottoir à côté des pipis de chiens et on discute. On parle de karma, de bouquins et d’expériences sensorielles de hasard-qui-n’existe-pas et de vies après la mort. Et on parle de bonheur – aussi. Tout à fait le genre de conversations que peuvent avoir quelques oiseaux de passage flamboyants à une heure avancée de la nuit. Le présent c’est maintenant. Et on quitte Flo qui doit rejoindre ses potes et chacun de nous repart en ayant appris des trucs. Une fois arrivés chez moi je tire la nuit comme un rideau et je repars la brûler – les paupières closes, rêve-éveillé.

 

Le jour où la nuit brûle – partie 2

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Et là sans transition nous voilà Bill et moi en chemin direction le canal où la nuit s’offre à nous pour de nouvelles aventures. En marchant je reçois un SMS de Camille – ravie d’avoir vue Bill et de lui avoir parlé. J’avais pas remarqué qu’ils s’étaient échangés quelques mots – à ce moment là j’étais sûrement en train de mettre nos quelques déchets dans une poubelle. « Vous avez discuté de quoi Camille et toi ? » je demande. « De ses études », il me répond. Camille est en stage de fin d’études – une période charnière – et elle traîne des tas de questions derrière elle – la plus importante devant être « Qu’est-ce que je fais APRÈS ? » . Camille… – elle se pose toujours beaucoup de questions. Et Bill aussi – et il écoute aussi. Au canal y’a plein de monde sur les berges – à tel point que je sais pas on va se mettre pour continuer notre délicieux délire nocturne. On marche on avance parmi les gens – et on se fait accoster par deux gars. Y’en a un qui s’appelle « Double » – surnom trop chelou – parce que de multiples déformations de son nom – que j’ai pas du tout retenu – ont donné au fil des âges « Brou » puis « Brou Brou » puis « Double Brou » et enfin « Double ». Hyper-logique et encore plus compliqué que les pirouettes pyrotechno-lexicales qui ont donné « B.Howl ». Son compagnon de fortune s’appelle Merlu – parce que son prénom à lui c’est Colin. Ils traînent là avec leur bande de potes – ils picolent de la vodka dans des bouteilles de Volvic avec leur BMX et leur radio ils écoutent du reggae et du dubstep. Ça me rappelle une nuit de grand n’importe quoi avec Camille justement où on a fini au Batofar sur les bords de Seine – pour une grosse soirée dubstep jusqu’au petit matin avec du son qui pulsait pulsait des basses qui bourrinaient bourrinaient – à en faire trembler le navire ! L’eau sombre du canal luit – les lampadaires. Ronds incandescents feux immobiles dans le noir de l’eau et du monde tout autour. On parle de barbes mal rasées. « La mienne », je fais, « c’est un ACCIDENT, OK ??!! » – pas le temps de me raser ça pousse tellement vite ces trucs là – et surtout pas de lumière dans ma salle de bain depuis quelques mois maintenant.

Merlu : « Je viens bientôt rejoindre ma copine. »

Bill : « Elle s’appelle comment ? »

Merlu : « Mina. »

Bill : « La mienne aussi ! »

Votre aimable serviteur : « C’est peut-être la même… »

Vérification faîte – non.

Avec Double on parle tags. Ce mec tague partout. « Des beaux trucs ou des graffitis ? » je demande un peu connement. « De tout » il me répond. « Mais je fais gaffe à pas faire chier les gens. Tu comprends – la ville est à nous et y’a des types qui nous imposent à tout bout de champ leurs merdes architecturales qui enlaidissent le paysage urbain. Alors je me permets tout modestement de remettre un peu de désordre de chaos dans tout ça. Je me réapproprie la ville. Je marque mon territoire. »

Montrer à la ville que tu existes… Flash – je me retrouve l’histoire d’un instant à Five Pointz – NYC.

Je sens encore qu’il nous faut partir – j’ai du mal à rester sur place – et j’ai tellement de trucs à voir à vivre à montrer à Bill. On rejoint la bande de potes de Double et Merlu qu’on avait pas approchée jusque là pour leur dire au revoir. Ils sont chargés – et pas qu’à blanc. Ils s’enregistrent en faisant du rap avec une GoPro. On écoute un gars qui crache son slam – vas-y vas-y – mais à la fin on s’aperçoit que c’est pas une impro – dommage… En deux temps trois mouvements la vidéo se retrouve sur Youtube. À toi de la trouver si tu veux, mec. Si t’es brave tu pourras même me filer le lien du clip dans les commentaires. Merci d’avance. Ces zozios de la nuit me font penser à Stupeflip – vite ! En concert un grand pogo – pire que ça – une vraie boucherie. J’étais avec Candy au premier rang c’était hardcore le public était déchaîné j’ai failli être écartelé-écrabouillé sur les barrières qui séparaient la scène du public. Je sais pas comment Nana a fait pour supporter tout ça. J’ai failli aussi perdre mes lunettes plusieurs fois – et quand j’en ai eu marre – c’est à dire assez vite et que j’ai voulu m’extirper de tout ce bordel j’ai marché sur un truc dur – ça a fait « Crouic ». Je crois que ma Dr Marten’s a écrasé une main.

On finit en aparté avec Merlu à parler communisme/marxisme, les extrêmes, fondamentalisme religieux, Palestine, communautarisme vs. œcuménisme.

La nuit est noire – l’air est chaud – brûlant.

Bill et moi on se tire avant d’évoquer la paix dans le monde et dans les ménages.

 

Suite et fin la semaine prochaine…

Le jour où la nuit brûle – partie 1

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Bill squatte chez moi depuis quelques jours. Ce matin petit-déj’ fissa fissa et métro pour aller au boulot. Dans les souterrains je pense à ce soir – la fin de la journée, la fin de la semaine et sa dernière soirée ici. Faudra bien se la faire – vivre à fond la nuit la ville sans fond. Cette perspective me réjouit – hop je dégaine mon portable et lui envoie un SMS : « Ugh ! Comment ça se passe en la casa ? Beatbox ce soir au bord du canal ? Avec harmonica ukulélé et deux illustres troubadours distingués à l’air vespéral ? ». Ouais du beatbox – comme la fois où on en a improvisé sur le belvédère qui dominait la ville et ça a duré des heures des heures on savait parler toutes les langues de Babel après la tour et d’outre-Quiévrain. Anglais-Français-Allemand-Russe-Esperanto- des « Mmmm » et de « Tsss » et des « Bop » aussi. Et la fois où on en a fait aussi – en plein jour cette fois – et en public parmi les hautes herbes pas folles dans les jardins de ce château.

Bill – sa réponse : « Hell yeah ! » – rock’n’roll.

Je suis de bonne humeur énergique et joyeux toute la journée. En rentrant chez moi Bill a déjà fait les courses. Repas simple frugal mais bon – du pain de la sauce provençale qu’on tartine dessus et qu’on saupoudre de comté râpé. Une idée de recette qui vient de Mina, la copine de Bill – Serbe, pianiste, belle comme une déesse et intelligente en plus. Comme dessert des yaourts à la rhubarbe délicieux – Bill en est devenu fan.

On prend nos affaires Bill prend ma guitare qui me sert pas je compte la revendre bientôt je pense et peut-être m’en prendre une autre.

J’embarque:

– mon ukulélé fruit d’une de mes visions il y a plus d’un an qui m’a happé alors que je rentrais chez moi après une soirée sous le soleil au zénith

– mon harmonica qui date de mon séjour assez récent en Bretagne fruit de ma frustration de pas avoir pu embarquer le uké – pas assez de place dans mon sac de bidasse

– un « tssi-tssi » vu que je sais pas comment ça s’appelle fruit de mon week-end à Hambourg en décembre dernier rejoindre dans le froid Anna la Russe – quelle beauté – qui m’avait invité à voir un concert – mais moi c’était pour la voir elle que je me tapais dix-neuf heures de trajet – l’aller ! – et une nuit dehors.

Et c’est bon on part.

Deux grands dadais dadaïstes en bermuda pantalon japonais sandales Converses chemise en lin – ou c’est du chanvre, Bill ? – t-shirt rock’n’roll et chapeau à plume – des pèlerins le regard qui se perd au loin tellement il est à l’affût. B.Howl votre bien dévoué serviteur ici présent – et Bill Burroughs/Graham/ce-que-tu-veux. C’est toi qui voit mec ! B.Howl et Bill. J’en suis particulièrement fier, de celle là…

Et ce parc dans lequel on arrive et qu’on a tellement vu – la dernière fois déguisés intérieurement en peaux-rouges ou en Sioux. Ou en Navajos hi ho hi ho. On pose nos culs et notre attirail sur l’herbe humide. « Tu verras », Bill me dit « les gens vont venir ! ». Devant moi on voit Camille assise à flan d’arbre qui lit je crois – son vélo posé près d’elle. On s’approche d’elle – ça fait un bail qu’on s’est pas vus je suis ravi de la voir. Elle me regarde « Je suis en train de t’écrire une lettre B.Howl » elle me fait. Elle a reconnu Bill – elle l’a vu une ou deux fois – mais pas moi. J’ai tant changé que ça depuis la dernière fois ? On lui propose de se joindre à nous mais elle vient pas c’est pas le moment. Je comprends et on retourne s’asseoir dans notre coin. Les lumières tournoient autour de nous le soir tombe maintenant c’est les dompteurs de feu qui jouent à la flamme des dompteurs de feu des tournicoteurs. Plus loin des zombies aussi des allumés des gens à la coule. Pour s’échauffer on se fait à deux « Le lion est mort ce soir » puis Bill m’apprend « Little Boxes » la chanson du générique de Weeds. Mais c’est pas évident et ça finit par me gonfler.

Je lève la tête – les feux barbares bardent dardent dans la nuit – chantent s’envolent et crépitent. Ne s’épuisent jamais. Là-bas auprès de son arbre Camille écrit – jeux d’ombre et de lumière je me souviens de ses yeux de ses yeux de ses yeux – oniriques – à la lumière des bougies. Me demande si la lettre qu’elle est en train d’écrire je la lirai un jour… Bref j’essaie de pas y penser. J’attrape mon ukulélé et montre à l’habille Bill – je l’assume moins celle là – « Take a walk on the wild side ». Ensuite on se la refait – comme il y a deux ans quasiment jour pour jour. « Mais le matou revient ». Et puis on se tape un délire sur « Mais non mais non ce n’est pas une chanson monotone » – je te la ferai quand tu veux si on se voit un jour, mec. Puis Bill à la gratte accompagné par moi au tssi-tssi enchaîne sur des chants en espéranto en sanskrit en beatbox en n’importe quoi qui monte dans la nuit et disperse et brûle les ombres du ciel – qui finit comme au commencement par un « om »

OOOOOmmmmmmmmmMMMMMmmmmmmm

omni-tout.

Allez on se reprend sur « Armstrong je ne suis pas noir » et je me dis que c’est con que j’ai pas pris mon kazoo au cas où… – qui vient de Hambourg aussi pour ceux que ça intéresse, le magasin de musique presqu’en en face du musée des Beatles qui a fermé pour de bon genre quatre mois avant que dans cette ville je débarque tonitruant.

Un groupe deux filles deux gars passent : « Jouez nous quelque chose » Ah ouais Bill ça marche. On distingue pas trop leur visage il fait sombre maintenant. Une des nanas a sur son t-shirt la même photo que moi – les quatre garçons dans le vent traversant le passage piéton d’Abbey Road.

J’ai traversé ce même passage piéton il y a quatre ans. Comme la plupart des touristes qui passent par cet endroit je suppose. Sauf que j’ai aucune photo qui fête l’événement – y’avait personne d’autre que moi et je pouvais pas me prendre en photo tout seul – par contre j’ai signé sur le mur du studio – là aussi comme pas mal de touriste – les murs ont dû être repeints depuis – plusieurs fois.

Bill nous joue un truc qui selon lui « mettra tout le monde d’accord : « Les amants de Saint-Jean » et il se tape même une envolée lyrique à la fin. Le groupe nous quitte. Je sens que pour nous aussi il est temps de bouger. On s’ankylose à force de rester au même endroit. On remballe nos instruments – un dernier regard sur Camille et on prend congé de ce parc on disparaît on s’enveloppe dans le manteau de la nuit.

 

La suite la semaine prochaine…

Zombies

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Une baraque perdue entre la route et les champs de blé – une Hacienda cotonneuse qui a mal vieillie couleur blanc cassé bois peint gonflé érodé peinture craquelée vernis étiolé tuiles bancales fondations branlantes – un peu fantomatique dans ce paysage or blanc gris – route foncée et gros cumulonimbus menaçants – une maison de style colonial.

ALERTE les zombies débarquent la cohue tohu-bohu on se barricade on essaie de s’en sortir ma gueule d’abord les vôtres j’en ai rien à foutre.

Je fonce au premier – les toilettes – vert émeraude humide et décrépi je m’enferme tout va bien les cabinets céramique encore solide propre ma foi en plus il y a de la lecture imaginez les magazines de cul des années quarante noir et blanc les pin-up’s je ne m’ennuierai pas avant un bon moment.

Qui est in qui est out qui est le vectueur qui les attire comme ça ? J’entends des cris la panique effusions de sang ça sent d’ici dans cet endroit étriqué fraîcheur étouffante vraie tuerie dehors tout le monde s’emballe.

On toque à la porte mon heure est venue non pas possible les zombies ne frappent pas avant d’entrer j’ouvre – deux vieilles se pointent pas le temps de faire les présentations pas assez de place pour trois ici mais elles s’en foutent luttent pour leur survie ici la notion d’espace vital n’a aucun sens je les accueille pas à bras ouverts elles s’imposent d’elles-mêmes et toujours ces cris panique souffrance mort sang dehors juste à côté.

Sauvé juste à côté des chiottes un placard renferme une pièce plus grande une salle d’eau plus de place mais il va faire plus noir tant pis pour les pin-up’s dans le noir ces cris panique souffrance j’ai d’autres préoccupations en tête à l’heure actuelle mort zombies une vraie tuerie on s’écharpe là-bas je n’ose imaginer effusions de sang cris PANIQUE mort mort mort plus rien.

Plus un bruit fini le calme après la tempête –

Mais si je sors je le sais ils seront encore là.

Le magazine le robinet la salle d’eau les murs vert émeraude le sang qui s’étale cris ma gorge panique souffrance mort dans la maison de style colonial les vieilles outre-tombe je cherche des survivants du sang du sang du sang des gens qui ne sont pas comme nous zombies ALERTE.

Berechit

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à travers les prés salés

salicornes à volonté

Au commencement – il était une fois – on était poussière et on retournera poussière – le but c’est de profiter de la vie la « seule chose que Dieu nous donne qu’une fois et ne nous rend jamais » – tout le bordel sur notre libre-arbitre nos choix LA LIBERTÉ.

Maintenant Cow-boy je commence à écrire ce texte comme la vie sans trop savoir où ils vont nous mener.

Maintenant on a fait un quart du chemin – vertige quand on pense à la fin on ne sait pas quand elle adviendra on sait juste qu’elle adviendra on s’aveugle on s’abreuve d’alcools d’air pas toujours pur et de gens pas toujours intéressants on fait le tri on garde le meilleur – toujours. Ne pas regarder les phares qui se reflètent nous éblouissent nous embrument et tracer tracer tombeau ouvert pied au plancher vitesse maximum – la mélancolie guette à chaque fois qu’on zieute nos gueules au teint pas frais dans le rétro – quand est-ce que ça sera le grand virage où il n’y aura plus rien derrière nous ?

Maintenant marcher. Nos pas rythment nos corps balancent tournoient chavirent dans la nuit champêtre – profonde et étoilée. Marcher pas le temps de faire le point – avant arrière sac à dos sur les épaules idées plein la tête yeux engourdis par la beauté explosive du simple.

Maintenant déserts forêts – la Terre est à nous – contrées urbaines les prés salés où broutent les vaches au lait crémeux où pousse la salicorne devant derrière nous la mer calme marée basse les vagues descendent des horizons incandescents s’échouent en virevoltant sur le rivage.

Maintenant fuite en avant – pas de boussole abolis les points cardinaux sur les chemins qu’on mène.

Maintenant voyages en train – caisson isolé de l’espace-temps course contre le soleil flambe dans le ciel s’étale sur les paysages qui défilent personne d’habitude ne prête attention aux détails préparatifs de sa venue pas de vision globale de son mouvement – le rythme encore du wagon trace tangue – les crissements au contact des rails – les quais dégoulinant de monde nous collent à la peau – et la fièvre du départ nous prend aux tripes à chaque fois – soif d’aventure jamais satisfaite – son paroxysme non dans les souvenirs et les soirées où on les racontera – simplement dans son accomplissement.

Maintenant ne pas regarder – en arrière – continuer ainsi en roue libre on retombera toujours sur nos pieds on bombera le torse on ne renoncera pas – respirer respirer un pied – devant l’autre – fais tourner la roue debout sur la selle – le train est parti on prendra le suivant sinon on campera là à la sauvage et les nuages gris et la pluie qui découpe là-haut esbroufe notre champ de vision – nous rafraîchit – pense à la vision globale.

Maintenant bien longtemps qu’on n’a pas marché l’un à côté de l’autre en regardant nos pauvres chaussures cramoisies peu à peu rendre l’âme – avant de faire une pause se désaltérer dans le seul bar d’un village fantôme – je constate je dis ça sans regret – c’est ainsi – Amen.

Maintenant Cow-boy je frémille d’impatience je n’attends que ça – je me cramponne à des souvenirs qui s’étiolent jusqu’à la prochaine.

Quand ? Prés salés de la Somme virée chez les FKK de Baden-Württemberg Escaut Namur et sa citadelle un désert-décor-de-cow-boys-comme-toi paumé au fin fond de Navarre autres contrées fascinantes bouillonnantes inexplorées – Quand ?

un voyage en train

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gare de Florence

Je m’assoie par terre dans un train bondé.

La bougie était allumée.

J’ai raté mon train, et celui-ci est bondé.

Bondé. Bombay. Paraphonie.

Bombay, désormais Mumbay. L’Inde. Ce train dans lequel je suis, assis le cul par terre, ça me fait penser à un train indien. Départ : Victoria Station. Destination : inconnue.

Le train est bondé comme un train indien, bousculades au départ, pas de place dans le wagons, mais d’après les grimaces qui se lisent sur les visages, on est bien en France.

Le train bondé, la SNCF c’est plus ce que c’était.

Comme quoi mon pays part vraiment en couille.

Ça pourrait être pire. Les dégâts de la privatisation des chemins de fer, j’ai pu les observer d’assez près. 2008, Pays de Galles. Un train qui menait jusqu’à un patelin paumé appelé Holyhead, le dernier train de la journée. Un train en ferraille, rouillé, qui vrombissait, craquait, crachait, des banquettes en bois, et en guise de chiottes, un trou, un simple trou dans le sol à travers lequel on voyait les broussailles sur les voies défiler.

Je suis assis par terre dans un train bondé, les jambes repliées. Des gens passent, pensant encore qu’ils pourront trouver un endroit où s’asseoir. Ils tirent de ces tronches !… À croire qu’ils ne sont pas heureux de vivre…

La foule rend les gens vaseux.

Je suis assis entre deux voitures. Devant moi, un vélo hissé au plafond. À côté, un gars lit un manga, et ses doigts, quand ils ne tournent pas les pages, s’emmèlent dans les poils de sa barbichette. Près de lui, un gars est recroquevillé, un yogi devant son ordinateur.

Lumières crues. Ciel vespéral qu’on ne voit pas, ou à peine, à la fenêtre des portes « donnant sur la voie ».

J’ai le cul en compote.

Pire qu’à dos de chameau.

Je ne sais pas. Le chameau, je n’ai jamais essayé.

Pire qu’à dos de vache, en tout cas.

Je suis monté sur une vache…

Un voyage pédagogique, je devais avoir 6 ou 7 ans, à la ferme. Dans l’étable, une question à la fermière : « Madame, on monte sur des cheveux, mais pourquoi on utilise pas les vaches ? » Forcément, cette question, il n’y avait que moi pour la poser.

– Tu veux essayer ? »

J’ai hoché la tête et je me suis retrouvé sur un dos dodu coloré de taches blanches et noires.

On n’utilise pas les vaches pour faire du cheval parce que ce n’est pas confortable. Ça, je l’ai compris maintenant.

Maintenant. Je suis accoudé à une barre d’acier. Mon dos supporte le dos d’un autre voyageur sans le sou, lui fait contrepoids, et vice-et-versa. Je ne sais pas si c’est un jeu, qui mène la danse, ou si c’est nécessaire. Si l’un de nos abandonne, l’autre s’affaisse. Il faut juste trouver un équilibre.

Je bloque le passage. Parfois, des gens viennent, des gens arrivent. Souvent sans dire pardon, parfois le portable collé à l’oreille, pour eux je n’existe pas. J’ai peur qu’ils me marchent dessus, si on m’écrase le pied, je suis foutu. Je suis foutu, quoiqu’il en soit.

J’ai raté mon train.

J’ai laissé mon bouquin sur un sac. Peut-être que je vais l’oublier là, consciencieusement. Il voyagera de train en train, de main en main, book-crossing improvisé.

Je me dis que les voyages en train, ça a toujours été source d’inspiration. La majeure partie de mes histoires, je ne les invente pas, elles viennent à moi, soit le matin, quand j’ai, comme tous ces gens, le regard vaseux, soit que je suis à bord de trains comme ça.

Sauf que là, j’ai mal au cul, monstrueusement.

Au plafond, je fixe un crochet, pour se pendre.

Ah non, pour accrocher les vélos.

Celui qui est près de moi, un vélo de compét’, vraiment chouette, « tuné », pas vraiment un Fixie, car il a un frein, mais un seul, à l’avant, un crâne en plastique sur la barre latérale, mode easy rider, cool, des années 2010, un autocollant plastifié glissé, coincé entre les jantes « Paris Chill Racing ».

Je me colle la tempe contre la barre d’acier, pour sentir sa froideur, pour ne pas m’endormir. Si on m’écrase le pied, je suis foutu.

Je rêve éveillé d’un wagon à bestiaux qui parcourt la rive sud du Mississippi. Je sens l’odeur du foin et de la bouse de vache. Je viens de traverser les voies tracées par les pionniers, je vais moi-aussi partir à la conquête de l’Ouest. Et, tant qu’on y est, des autres points cardinaux également.

Le bruit, mécanique, grandiose, arythmique. Déviant. Jazzy. Le bruit des rails qui sillonnent les grandes plaines.

Le vieux Neil me tend la main et tire mon bras pour que je puisse me hisser sur la plateforme.

Désolé, Old Man, de me lamenter. Mais j’ai mal au cul.

Je repense à toutes ces camionnettes, garées sur la parking derrière la gare. Hôtels de passe de fortune. Quand la bougie est allumée, ça veut dire que la voie est libre.

La bougie était allumée.

La Sainte Verge

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C’est stupide.

Une bite.

Ça a un tout petit capuchon et c’est tout ridé.

Et c’est contagieux.

Certainement.

Je veux dire, il y a certainement des tas de microbes pas très très jolis à voir au niveau du gland.

Mais celle d’Esteban, elle est fameuse.

Genre « Je suis une légende ».

Esteban n’a rien à voir avec Will Smith, pourtant, mais depuis le temps qu’on en parle, je pense qu’on peut lever le secret qui entoure cette histoire à six pieds en dessous de la ceinture.

« Quels sont tes rêves ? », je lui ai demandé la première fois qu’on s’est parlés. Question classique, dans mon schéma mental, à chaque fois que je rencontre quelqu’un que je ne connais pas et avec lequel j’ai envie de faire un bout de chemin.

Je ne me souviens plus de sa réponse. C’était il y a tellement longtemps. Ou je n’ai pas envie de la répéter. Tout ce que je peux me permettre de dire, c’est qu’à la fin, forcément, il y a eu le « Et toi ?

– Moi ? », j’ai fait, « Je rêve d’avoir la même verge que toi. »

Il a froncé les sourcils, genre « Je ne vois pas très bien où tu veux en venir, mais OK… »

Ce n’est que bien plus tard qu’il a compris le sens de ma phrase. Flash forward. Fuite en avant.

Encore une fois, j’ai visé juste. Je prédis l’avenir. Balèze.

Une soirée au café, tous ensemble, tous les mêmes, notre inséparable bande de potes. Les conversations s’entremêlent à gogo en même temps que les verres se remplissent, se vident, se re-remplissent et se re-vident. Puis, dans un silence monastique, le choc frontal.

La voix tremblante, Esteban avoue, presqu’à demi-mot, quasi-douloureusement : « Lucy a dit que j’ai une belle verge. »

Si c’est Lucy qui le dit, ça ne peut qu’être vrai.

Bon, je vais mettre tout de suite les choses au clair, hein, Lucy n’est pas une collectionneuse de verges, loin de là. Elle est comme tout le monde, elle en a croisé quelques unes. C’est tout. Mais Lucy ne ment pas, et celle d’Esteban, elle n’est pas comme celle de tout le monde. C’est tout.

Ce soir là, en rentrant chez moi, j’ai eu mal au ventre. La fatalité, l’envie, la jalousie, ou peut-être était-ce l’orge de ma bière qui avait germé.

La question qui tue : « Une belle verge, c’est quoi ? »

Bonne question, Jamie !

Une belle verge n’est pas obligatoirement grande ou grosse. La taille, finalement, importe peu. Et même le goût ne compte pas. L’harmonie de la tonsure des poils du pubis ? La courbure de l’élan érectile? La veine au milieu, peut-être, parfaitement dessinée ?

Que nenni ! C’est juste un ensemble hétéroclite d’éléments, de facteurs, qui, individuellement, ne signifient rien, mais qui, pris comme un tout, s’ordonnent magnifiquement.

Une verge de nature divine.

La sainte verge.

Enfin, je sais pas, je ne l’ai jamais vue, moi, sa belle verge… C’est juste comme ça que je vois les choses.

La belle verge d’Esteban n’est finalement qu’un secret de polichinelle. Le genre de trucs qu’on sort, à tour de rôle, quasiment à chaque fois qu’on se voit. Comme quand on parle de ma sex-tape avec Lucy. Sauf que c’est beaucoup moins glamour, dans mon cas. Bref, passons…

Mais, là, dernièrement, ça s’est un peu barré en sucette. Mary, la nouvelle copine d’Esteban, une lointaine pièce rapportée qui a peu à peu adhéré au groupe et qui en fait, désormais, partie intégrante (au grand plaisir de tout le monde, ceci dit!), n’est pas du même avis que Lucy. « Je ne trouve pas qu’il a une si belle verge que ça, Esteban. »

Ah, merde. Tout part en couille! Y’a plus de repères!

J’ai crû que Lucy allait se lever et qu’il y aurait du crêpage de chignons dans l’air. Ou un combat de catch, dans la boue, d’ailleurs je me frottais déjà les mains à l’idée de les mater, Lucy et Mary, Mary et Lucy, toutes nues toutes les deux, dans la crasse et la sueur.

Mais non, rien de tout ça ne s’est produit. Lucy a tout de suite calmé le jeu par une réplique cinglante : « Je ne peux rien dire sur son état actuel, mais je sais qu’à mon époque, Esteban avait une belle verge. »

Je rappelle que Lucy ne ment pas.

D’un autre côté, j’aimerais croire Mary, si tu savais…

Pas facile de départager le faux du vrai, l’info de l’intox là dedans.

À bien y réfléchir, c’est peut-être ça, finalement, le principe de la réalité et du paradigme.