À cette époque période The Big Lebowski – je bois des White Russians et je traîne souvent du côté des bars et des clubs de la petite rue qui descend vers le centre-ville historique – dans ce bar au parquet cramoisi – miteux crado et mal éclairé – un repère de gangsters et de vieux rockers éternellement sur le retour – ils font des bons White Russians bien dosés et le barman est sympa. Y’m’fait marrer – c’est le coloc d’une pote – chez eux ils ont récupéré des sièges de ciné en guise de fauteuils dans le salon – à 36 balais le mec à la ramasse toujours étudiant en je-sais-pas-combientième-année de je-sais-pas-quoi – lui non plus j’crois y’sait pas quoi. Je m’enfile un verre bien glacé – y m’reste du lait du côté de ma moustache et la fille au bar me regarde chelou parmi les volutes de fumée et le relent de tabac froid et la flagrance masculino-porcine de vieux gars bourrés – et de la bonne musique en fond sonore – maintenant Lou Reed – Take a Walk on the Wild Side – et ses épaules font tou toudou toudou toudou-tou tou toudou toudou…
Qu’est-ce qu’elle m’veut ? Qu’est-ce qu’elle fout là – parmi tous ces dingos ces trouducs qui essaient même pas de la draguer ? Son regard de braise m’invite à venir jusqu’au tabouret à côté d’elle.
J’m’approche de la rouquine j’lui sors le grand jeu « Moi c’est Joe… » – j’lui paie un double scotch et ça lui délie la langue – je la branche – palabres palabres voix roque à force de trop gueuler – faut dire qu’on s’entend à peine avec toute cette musique qui fait trembler le comptoir. Elle met souvent la main dans ses cheveux bouclés – ses ongles ses lèvres sa robe – rouges – la Femme Fatale – le visage effilé le nez aquilin et les bretelles de sa robe qui glissent. J’lui donne de quoi raconter des trucs vaselineux que j’me souviens pas – j’suis bercé par son fort accent russe – elle lâche qu’elle vient de Omsk – « За здоровье ! » je lance en lui repayant son verre et elle me remercie en m’agrippant le bras quand j’lui dis que j’me casse j’en ai ma dose de ce cloaque puant. « Tu m’emmènes chez toi pour un dernier verre ? »
Si tu veux bébé.
En sortant du bar j’retrouve l’avenue j’habite à l’autre bout la rouquine qui me met les glandes en émoi me suit. L’avenue que je fais tous les quatre matins l’esprit évaporé. Elle s’arrête une clope au bec elle essaie de l’allumer mais il drache tellement que sa clope mouillée pend du bec. Elle s’voit obligée de la jeter et je vois le filtre rouge-à-lèvres mariner dans une flaque d’eau et finir sa course dans une grille d’égout.
Faut dire qu’y flotte à mort un vrai déluge tropical une pluie chaude de juin qui sous ce ciel en furie pénètre tout – mon t-shirt XXL est une vraie loque et j’te parle même pas de mes pompes en carton-pâte. Mais elle malgré la douche toujours aussi sexy quand les phares des bagnoles la zieutent – sa robe qui lui colle les fesses et l’air toujours digne elle marche bien droite nickel – la Russe rousse. On se trimbale bras dessus – bras dessous – la grande Classe avec un « C » majuscule – j’suis un homme fin moi.
Quelle beauté… Quelle perle… qui hésite pas avec ses pointes à m’écraser deux trois fois mes pompes usées – la fameuse Loi du Talon.
Faut dire qu’avec le recul l’avenue est une vraie piscine les voitures glissent nous on s’y loupe pas et qu’on a vraiment l’air de deux ploucs – mais sur l’moment j’te jure ça donne vraiment l’air qu’on prend une douche tout habillés au clair de lune. Et ça drache ça drache ça finit pas.
Au moins ça nous divertit pas besoin de parler. On arrive tout trempés chez moi ma chambre de bonne dans l’arrière cour sept étages à grimper et elle toujours classe avec ses cheveux de feux et ses hauts-talons – et BIENVENUE Madame dans mon HOME SWEET HOME ! – tout juste sortis du naufrage du Titanic.
Mouais faut sécher les vêtements pas d’autre solution que de se désaper, nan ? Tu veux une bière ? Serre toi dans le frigo. Pendant c’temps moi j’imagine le topo – et j’vais pas y aller par l’autre bout de la cuillère j’te l’garantis ! Voilà on se fout à poil et ensuite – ensuite quoi ? Tu sais très bien comment ça va s’finir tout ça… – ensuite y faut bien faire ce que deux êtres humains un minimum consentants font dans ces moments là tu crois pas ?
Silence – à part la pluie qui crépite là dehors par la fenêtre.
Dans le lavabo j’essore mon t-shirt – Guns N’Roses 1992 à Vincennes – un t-shirt collector mec ! – pendant qu’elle se déshabille – jeu d’ombre et de lumière.
« Brr » je fais « on est trempés jusqu’aux couilles !
– D’ailleurs passe moi une serviette – faut que j’me les sèche. »
– dit le trans sibérien.