Le scorbut et le rheunar

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  • C’est quoi ça ?
  • Quoi quoi ?
  • ÇA ! Le mot que tu viens de mettre ! S.C.O.R.B.U.T…
  • Ça, c’est « scorbut », pourquoi ?
  • Ouais, je vois bien, mais je te demande ce que c’est. T’es sûre que ça existe ?
  • Oui, bien sûr. Le scorbut c’est un genre de maladie…
  • OK. J’en ai jamais entendu parler avant. Alors si tu me claques un mot compte-triple que tu viens d’inventer…
  • Tu m’accuses de tricheuse ? Écoute, bien sûr que ça existe.
  • Si c’est une maladie, la prochaine fois je n’aurais qu’à placer « herpès » ou « syphilis », au moins on connaît toutes les deux. C’est quoi les symptômes ?
  • J’en sais rien. Je crois bien que c’était une maladie que les gars avaient dans les bateaux quand ils faisaient le tour du monde.
  • C’est pas le scorbut, ça. C’est la chiasse. Ou le mal de mer. Et puis, ils avaient qu’à prendre l’avion : ils n’étaient pas certains d’arriver à bon port, mais au moins ça leur aurait éviter tous ces problèmes.
  • Je te parle d’avant, quand les avions n’existaient pas, même pas en rêve.
  • D’accord, mais si tu utilises des mots dont tu ne connais même pas la signification…
  • Aucune règle ne l’interdit, non ?
  • Non, et pour le coup, c’est bien dommage. Tu vas gagner la partie avec un mot qui ne figure même pas dans ton vocabulaire, qui est, au final, assez limité au quotidien,
  • Fous moi la paix… Si tu ne me crois pas, regarde dans le dictionnaire, il est fait pour ça, il t’attend, il t’appelle même !
  • Non, c’est bon, ça ira.
  • À ton tour.
  • Ouais, je sais… Je réfléchis seulement à ce que je vais placer… Voyons voir… C’est bon !
  • R.H.E.U.N.A.R . Rheunar ? Renard ? C’est pas comme ça que ça s’écrit.
  • Mais si !
  • Non, je te dis.
  • OK, j’avoue. MAINTENANT, c’est pas comme ça que ça s’écrit, mais avant, genre au temps de Louis XIV, ça s’écrivait comme ça.
  • J’en suis pas persuadée.
  • À ton tour de vérifier dans le dico, alors !
  • Non, c’est bon.
  • Ah, tu vois ! Tu me crois ! Et si tu me demandes ce que c’est, je te dirais que c’est un animal préhistorique, ancêtre du renard actuel. Il avait des griffes et des écailles.
  • Arrête de te foutre de moi.
  • Je ne me fous pas de toi. L’évolution, tu connais ? Eh ben le rheunar, c’était un dinosaure, tu vois, il mesurait trois mètres de haut et il avait un estomac tellement solide qu’il pouvait bouffer des cactus toute la journée sans choper le scorbut.
  • C’est ça, et ma mère c’est la reine d’Angleterre.
  • Peut-être. Tu sais, on a jamais osé faire des tests génétiques, et vu la réputation de queutard de ton père…
  • Ta gueule ! T’as pas le droit de dire ça.
  • Ta gueule toi-même, d’abord. Aujourd’hui, j’ai comme l’impression qu’on peut tout dire. Regarde, toi, tu places bien « scorbut » et tu rafles cinquante points + mot compte-triple. Je me doute que ce mot est dans le dico, et je m’en fous. Moi, ce que je veux te faire comprendre, c’est qu’on a pas besoin de dictionnaire, de règles, de normes. « Un sens pour chaque mot, pour chaque chose qu’on fait » bla bla bla. À partir du moment où on se comprend l’un l’autre, plus rien n’est important. Tu comprends ?
  • Je crois que je saisis, ouais. Je pense que cette idée m’a traversé l’esprit un jour, en cours de philo…
  • T’aurais dû plus écouter… Bref, c’est ton tour, maintenant.
  • OK, je pioche…. Ah, c’est bien, ça. Hop!
  • Z.J.K.U.F.R.A… Mais ça ne veut RIEN dire !
  • Je sais, c’est le but. Tu l’as dit toi-même : on a pas besoin de dictionnaire. Et en plus, je mène de nouveau la partie.

Publié originellement ici

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