Nous revoilà Bill et moi – votre illustre conteur B.Howl – pour cet ultime épisode – repartis dans la nuit après le parc et les rives du canal – maintenant je veux emmener l’autre coyote dans un autre parc – le parc aux grilles rouges où je fais de temps à autres, en été, de délicieux pique-niques dans l’herbe fraîche. On se dandine sur les trottoirs du vieux quartier – le quartier chic maintenant – il y a vingt ans un vrai taudis entre les dingues et les paumés les putes et les camés quand la pipe s’évaluait encore en francs et quand l’héro était moins coupée – trottoirs couverts d’aiguilles et de capotes de fortune. Les temps ont changé – le présent c’est maintenant et soudain dans cette rue remplie de bars Bill stoppe net – à l’affût des boum boum de la musique et du bruit. On entre dans un bar gay et lesbien et rien à foutre on commence à se déchaîner parce que ce son qui nous vrille les tympans c’est juste qu’on en a besoin là maintenant. Quelques minutes plus tard en dansant sans faire exprès je bouscule quelqu’un. Je me retourne dis pardon le mec a un billet de vingt entre les mains. Le barman. Il nous fixe des yeux : « Faut consommer maintenant. » C’est pas ce qu’on a prévu alors on prend nos affaires et on se casse de là sans rechigner.
En marchant « Tu sais Bill, un jour j’ai eu une vision. Faire le tour du monde avec toi. Je nous ai vu marcher le long des chemins. Ton côté mystique. Chamane. Je nous voyais vagabonder près des églises orthodoxes bourlinguer sur les rives du Gange nous deux à la recherche ultime du Dharma. J’ai voulu t’en parler mais ce jour là quand je t’ai appelé tu étais occupé. Et puis depuis j’ai jamais osé discuter de ça avec toi… » Tu me réponds sans hésiter : « Non mec, c’est pas dans mes plans. » Message reçu – le rêve était plaisant en tout cas.
On arrive vers la place devant les terrasses bondées des restos qui se veulent chics mais où la bouffe est dégueu – des pièges à touristes. Et au milieu des gens avec des guitares un accordéon et un djembé. On se joint à eux tout naturellement. Bill déballe pas sa gratte il observe note contemple. Moi je veux faire du tssi-tssi mais avant que je retrouve la petite bête au fond de mon sac les musicos sont sur le point de se barrer. Cinq minutes avant ils s’exclamaient : « Vous voulez nous suivre ? » et là ils se taillent et nous ignorent. Classique. Encore une fois restez, côtoyez nous mais pas trop – après on risque de se mélanger et ça craint. Et encore une fois on reprend notre chemin – éclairé par la nuit qu’on veut percer. On passe dans une rue piétonne et commerçante. À cette heure là elle est vide mais les enseignes clignotent encore. Bill appelle une pote et s’éloigne un peu de moi. Une pote qui arrive pas à expliquer ce qu’il lui arrive – elle vient de tomber amoureuse. Leur conversation dure huit minutes. Moi ça me dérange pas je m’en fous mais je commence mine de rien à sentir la fatigue et finalement j’ai pas envie d’aller traîner au parc aux grilles rouges – en plus il doit être fermé à cette heure ci. Je veux aller dans mon bistrot préféré mais quand Bill raccroche au téléphone il est pas motivé. « Alors on rentre chez moi ? » « Ouais. »
On baisse les bras – mais vaut mieux – la nuit en a encore pour un bout de temps avant de se faire jour mais c’est pas du dépit et ça veut pas dire qu’on a abandonné. On a percé la nuit ouais – d’aussi loin qu’on pouvait. Camille – Double Merlu et leur bande – le serveur du bar pas sympa – les musicos près de la place – ça fait déjà une bonne plâtrée de noctambules… On remettra ça une autre fois quand j’aurai de nouveau le plaisir d’héberger l’ami Bill. « C’est trop fort B.Howl comment tu abordes les gens… Jamais je ferais ça tout seul. » « Moi non plus Bill – c’est parce que je suis avec toi. ». Dans les cinq cent derniers mètres qui séparent la nuit de la ville à mon chez-moi on croise un gars qui me taxe une clope. « Flo » il dit qu’il s’appelle il a l’air un peu défoncé. Bill s’étonne : « Pourquoi tu portes une étoile de David comme pendentif ? » Flo : « Ah ! La croix ? » « Ouais… Enfin l’étoile… » « Bah je sais pas ce que ça représente. C’est juste un pote qui me l’a donné une fois – et je la porte depuis qu’il est mort. » Bill lui explique ce que ça signifie. Il est très intéressé par les religions et la spiritualité, Bill – très mystique aussi: « Ça représente deux triangles inversés qui s’imbrique l’un à l’autre. Fusion de l’univers visible et de l’univers invisible. » Flo se sent un peu gêné un peu inculte mais il écoute avec attention. Faut pas être gêné on est toujours l’inculte de quelqu’un. Et ce qui compte c’est d’être curieux de tout. On s’assoit sur le trottoir à côté des pipis de chiens et on discute. On parle de karma, de bouquins et d’expériences sensorielles de hasard-qui-n’existe-pas et de vies après la mort. Et on parle de bonheur – aussi. Tout à fait le genre de conversations que peuvent avoir quelques oiseaux de passage flamboyants à une heure avancée de la nuit. Le présent c’est maintenant. Et on quitte Flo qui doit rejoindre ses potes et chacun de nous repart en ayant appris des trucs. Une fois arrivés chez moi je tire la nuit comme un rideau et je repars la brûler – les paupières closes, rêve-éveillé.