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La Sainte Verge

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C’est stupide.

Une bite.

Ça a un tout petit capuchon et c’est tout ridé.

Et c’est contagieux.

Certainement.

Je veux dire, il y a certainement des tas de microbes pas très très jolis à voir au niveau du gland.

Mais celle d’Esteban, elle est fameuse.

Genre « Je suis une légende ».

Esteban n’a rien à voir avec Will Smith, pourtant, mais depuis le temps qu’on en parle, je pense qu’on peut lever le secret qui entoure cette histoire à six pieds en dessous de la ceinture.

« Quels sont tes rêves ? », je lui ai demandé la première fois qu’on s’est parlés. Question classique, dans mon schéma mental, à chaque fois que je rencontre quelqu’un que je ne connais pas et avec lequel j’ai envie de faire un bout de chemin.

Je ne me souviens plus de sa réponse. C’était il y a tellement longtemps. Ou je n’ai pas envie de la répéter. Tout ce que je peux me permettre de dire, c’est qu’à la fin, forcément, il y a eu le « Et toi ?

– Moi ? », j’ai fait, « Je rêve d’avoir la même verge que toi. »

Il a froncé les sourcils, genre « Je ne vois pas très bien où tu veux en venir, mais OK… »

Ce n’est que bien plus tard qu’il a compris le sens de ma phrase. Flash forward. Fuite en avant.

Encore une fois, j’ai visé juste. Je prédis l’avenir. Balèze.

Une soirée au café, tous ensemble, tous les mêmes, notre inséparable bande de potes. Les conversations s’entremêlent à gogo en même temps que les verres se remplissent, se vident, se re-remplissent et se re-vident. Puis, dans un silence monastique, le choc frontal.

La voix tremblante, Esteban avoue, presqu’à demi-mot, quasi-douloureusement : « Lucy a dit que j’ai une belle verge. »

Si c’est Lucy qui le dit, ça ne peut qu’être vrai.

Bon, je vais mettre tout de suite les choses au clair, hein, Lucy n’est pas une collectionneuse de verges, loin de là. Elle est comme tout le monde, elle en a croisé quelques unes. C’est tout. Mais Lucy ne ment pas, et celle d’Esteban, elle n’est pas comme celle de tout le monde. C’est tout.

Ce soir là, en rentrant chez moi, j’ai eu mal au ventre. La fatalité, l’envie, la jalousie, ou peut-être était-ce l’orge de ma bière qui avait germé.

La question qui tue : « Une belle verge, c’est quoi ? »

Bonne question, Jamie !

Une belle verge n’est pas obligatoirement grande ou grosse. La taille, finalement, importe peu. Et même le goût ne compte pas. L’harmonie de la tonsure des poils du pubis ? La courbure de l’élan érectile? La veine au milieu, peut-être, parfaitement dessinée ?

Que nenni ! C’est juste un ensemble hétéroclite d’éléments, de facteurs, qui, individuellement, ne signifient rien, mais qui, pris comme un tout, s’ordonnent magnifiquement.

Une verge de nature divine.

La sainte verge.

Enfin, je sais pas, je ne l’ai jamais vue, moi, sa belle verge… C’est juste comme ça que je vois les choses.

La belle verge d’Esteban n’est finalement qu’un secret de polichinelle. Le genre de trucs qu’on sort, à tour de rôle, quasiment à chaque fois qu’on se voit. Comme quand on parle de ma sex-tape avec Lucy. Sauf que c’est beaucoup moins glamour, dans mon cas. Bref, passons…

Mais, là, dernièrement, ça s’est un peu barré en sucette. Mary, la nouvelle copine d’Esteban, une lointaine pièce rapportée qui a peu à peu adhéré au groupe et qui en fait, désormais, partie intégrante (au grand plaisir de tout le monde, ceci dit!), n’est pas du même avis que Lucy. « Je ne trouve pas qu’il a une si belle verge que ça, Esteban. »

Ah, merde. Tout part en couille! Y’a plus de repères!

J’ai crû que Lucy allait se lever et qu’il y aurait du crêpage de chignons dans l’air. Ou un combat de catch, dans la boue, d’ailleurs je me frottais déjà les mains à l’idée de les mater, Lucy et Mary, Mary et Lucy, toutes nues toutes les deux, dans la crasse et la sueur.

Mais non, rien de tout ça ne s’est produit. Lucy a tout de suite calmé le jeu par une réplique cinglante : « Je ne peux rien dire sur son état actuel, mais je sais qu’à mon époque, Esteban avait une belle verge. »

Je rappelle que Lucy ne ment pas.

D’un autre côté, j’aimerais croire Mary, si tu savais…

Pas facile de départager le faux du vrai, l’info de l’intox là dedans.

À bien y réfléchir, c’est peut-être ça, finalement, le principe de la réalité et du paradigme.