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Lille – Marseille – Voiture-bar

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Ils doivent pas beaucoup aimer les piliers de bar, à la SNCF. Je reste debout avec ma canette, immobile à 300 km/h. Il n’y a que deux tabourets de merde dans la voiture-bar. Très design. Mais ni confortable, ni convivial.

Je traîne là depuis une heure. 1664. Une contrariété. Je bois pour la surmonter, faire passer le goût amer que j’ai dans la bouche. Debout. Depuis une heure.

Devant moi, une jeune cougar. Quarante ans bien tassés, mais elle les fait pas. Écrit un SMS à son amant. « Dans deux heures, je serai enfin dans tes bras. J’ai hâte ». J’arrive à lire au dessus de son épaule. Devient-on romantique à l’approche de la ménopause ?

Un gars, studieux, pianote sur les touches de son ordi. Un mémoire à rendre. Vus les graphes et les schémas que je parviens à distinguer, école de commerce ou d’ingénieurs.

À côté, une nana. Un peu trop vieille pour moi. Assez sexy cependant. Elle se fait du mal. Elle vient de commander une salade. Beaucoup de fibres, le moins de gras possible. Et un Coca light. Pour se désaltérer sans prendre du poids. Elle lit Biba. Son premier choix : risotto et Sprite. Elle sera jamais comme ces mannequins des pages qu’elle tourne, dont la silhouette anorexique photoshopée s’étale comme des fils sur les pages de magazine entre deux pubs pour du parfum ou de la crème anti-rides.

 

Quant elle débarque dans le wagon, je suis bourré, avec modération. La 1664 a eu raison de moi. Je suis presque terrassé. Mais je garde la tête haute.

Huit ou neuf ans, la gamine. Style Lorie – ou peu importe la popstar de mes deux à la mode ces temps-ci. Suivie de près par sa mère. L’intelligence n’a rien à voir avec l’hérédité.

La petite commande un sandwich. Elle guide sa mère vers un endroit où s’installer. Sans se retourner, elle passe devant moi et fait, d’une voix fluette : « Mais c’était de l’humour noir, maman » Vu sa tête, le serveur s’en est toujours pas remis. Les sarcasmes, le cynisme, il a du mal à encaisser. Surtout quand c’est proféré par une fillette qui lui arrive à la taille.

Huit ou neuf ans, la gamine. De l’humour noir. Rien que ça ! La mère semble pas y avoir prêté attention.

Si elle savait où ça pourrait la mener si elle persévérait dans cette voie…

La fille a l’air brillante. Sa mère, totalement conne. Je sais d’avance comment ça va se finir. Quel gâchis… Ou bien elle va devoir se calmer, par la force des choses, ou bien elle se sentira exclue pendant la plus grande partie de sa vie. Aucunement jugée à sa juste valeur. Et elle risque d’en souffrir.

À force d’humour noir, c’est son âme qui risque de se remplir de noirceur.

Je le sais. J’en suis à ma deuxième canette.1664. Une gorgée, et ça fera un litre tout rond. Un litre, le strict minimum pour retrouver ma lucidité. J’aurais pu devenir autre chose. Quelque chose de mieux.

La fillette repasse devant moi – son humour noir remplit mes narines mélancoliques.

Quel gâchis. Je jette un regard sur la gamine.

Je l’aime déjà.

Sois forte.

Je croise les doigts.

Tu as de l’avenir.

Il file.

À 300 km/h.