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Trois voeux

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24 DÉCEMBRE :

 

Cette année encore je rentre au bercail fêter Noël en famille – je connais le topo à force : un Noël froid, glauque et morose à souhait. Mais cette année contrairement aux années précédentes pour y aller je traîne pas des pieds.

Car Marlène m’a écrit ce matin : « Fais un vœu au pied du sapin, Jason [prononcer JASON, à la Française, comme Jason et les Argonautes], il se réalisera l’année prochaine »

Marlène, Marlène l’Allemande – je sais plus comment on est entrés en contact – ça date d’il y a quelques mois déjà. Des mails sans prétention au début. Puis au fur et à mesure, au fil du temps, de longs échanges, des messages plusieurs fois par semaine. Et par ce qu’elle me raconte, ce qu’elle me montre et ce qui transparaît d’elle, je sais déjà que je la trouve fascinante. Peut-être bien que je suis amoureux… Mais je la connais pas ! Je l’ai jamais vue, je sais même pas à quoi elle ressemble ! C’est tout moi ça – je m’imagine des histoires avec des filles qui existent pas. Des chimères… Je pensais que ça m’était passé depuis la fin de l’adolescence, mais tout porte à croire que j’ai replongé. Triste constat – et j’ai pas de sapin au pied duquel je peux faire un vœu.

Je prépare mes affaires, je fourre les cadeaux pour la famille dans un sac de sport. Je soupire – pas sûr que mes parents aient installé un sapin chez eux cette année. Vu l’ambiance qui règne au repas de Noël chaque année – qui est de pire en pire, ils ont sûrement renoncé à se donner cette peine.

Où je vais faire mon voeu, moi? Car j’y tiens! Si Marlène a dit qu’il se réalisera, il se réalisera. Forcément. Alors je sais pas ce qui me prend, je décide de me rendre à pied à la gare. J’habite à l’autre bout de la ville, mais peu importe, j’ai le temps, il fait plutôt beau pour les premiers jours de l’hiver et comme ça je profite de la fièvre de Noël que je retrouverai pas chez les darrons.

Juste devant la gare, un sapin immense. Comme s’il était apparu rien que pour moi. Car j’en mets ma main à couper, il était pas là hier. C’est un signe… Alors je m’étonne moi-même en me mettant à son pied et en émettant un vœu – qui sort de mon esprit le plus naturellement du monde: Je veux être avec Marlène.

Puis j’entre dans la gare en haussant les épaules. Pas sûr que ça marche, mais au moins on aura essayé…

 

03 MARS :

 

Marlène est là tout près de moi. Assise de l’autre côté de la table basse du salon. Si je tends le bras, je peux même la toucher. Incroyable non ? Je me souviens maintenant pourquoi elle m’a contacté il y a quelques mois – elle quittait Leipzig et sa Saxe natale et débarquait dans ma ville, elle voulait avoir des infos sur les choses à faire et les choses à voir. Elle est arrivée il y a un mois à peine. Notre première rencontre a été… bizarre. Bizarre de voir pour la première fois quelqu’un que, par la force des choses, le plus grand des hasards, tu connais déjà beaucoup. La première fois qu’on s’est vu, on s’est beaucoup baladé, dans la vieille ville, autour des remparts, le long du canal. Depuis, on se promène souvent aux mêmes endroits, à la tombée de la nuit. Nos petites habitudes. Parfois, on s’arrête net et on lève les yeux au ciel pour compter les étoiles. Et on parle, on parle… Je m’étonne de sa maîtrise de la langue française. Elle parle presqu’aussi bien français que moi – c’est dire… Une fois je lui ai demandé « Ça fait combien de temps que tu pratiques le français ?

– Trois ans, presque quatre. »

Après six ans d’allemand LV1, je lui arrive même pas à la cheville…

Être à ses côtés m’apaise, comme une longue séance de yoga, dont les effets se font encore ressentir les jours d’après. Je crois que j’ai plus changé en l’espace d’un mois que ces deux dernières années.

Marlène est à côté de moi. Assise de l’autre côté de la table basse du salon. Ce soir, je l’ai invitée à voir un film chez moi. On boit du vin blanc. C’est elle qui sert. La bouteille arrive à sa fin. Alors elle me la tend et dit : « Fais un vœu, Jason ! Et ensuite, souffle vite dans la bouteille pour qu’il se réalise. »

C’est quoi cette connerie ?

« Qui me dit que ça va marcher ? » Je fais.

«  Ça va marcher si tu veux que ça marche ! » Elle rétorque.

« Pourtant le vœu que j’ai fait au pied du sapin, il s’est pas encore réalisé.

– Sois patient. Ça viendra… »

Je suis pas convaincu, mais je m’exécute. Je tiens la bouteille avec précaution, je fais mon vœu, je le pense très fort, j’y crois à fond, je souffle sur la bouteille qui résonne un peu, et avant de la poser sur la table basse je la bouche avec la main pour empêcher mon vœu de s’envoler.

Mon vœu… Un vœu tout simple – impossible : Vivre une grande et belle histoire d’amour avec Marlène.

 

06 AVRIL – hier soir

 

Marlène chez moi une fois encore, tous deux côte à côte autour de la table basse du salon, nos culs posés sur des coussins, on regarde silencieusement deux bougies crépiter et distiller leurs ombres mouvantes sur le plafond. J’ai réaménagé la pièce, ça fait des années que je me dis que je dois changer les meubles de place et je le fais jamais. Par manque de temps ou par fainéantise. Marlène la trouve plus zen. La bouteille de vin est vide. « C’est le moment de faire un vœu ! » elle lance. Elle me tend la bouteille. Je lâche mon vœu dedans. Je souhaite répéter mon deuxième vœu, je souhaite qu’il devienne réalité.

Elle fait son vœu. Puis son léger accent chantant qui me fait flancher me demande : « C’était quoi ton vœu ?

– J’ai pas le droit de te le dire, sinon il va pas se réaliser.

– Qu’est-ce que t’en sais ? »

Pause. À cet instant mon cœur bat la chamade. J’arrive pas à la regarder dans les yeux. Qu’est-ce qu’elle est belle, bordel… Si je m’approche de sa bouche, qu’est-ce qu’il va se passer ? Je l’imagine se lever et fuir de chez moi en courant. Le gros vent. J’ai 14 ans de nouveau.

On se calme… Je suis sur un terrain glissant, faut que j’arrive à me dépêtrer de là. Faut que je garde la tête froide, que je m’en sorte la tête haute.

« Bon OK. Je te dis mon vœu. Mais s’il se réalise pas, tu me files 200 Euros en guise de dédommagement, ça marche ? »

Et je lui tends la main pour qu’elle scelle le deal.

Je suis vil, je suis vénal. Machiavél……..

Elle soupire, balance ma main au loin, attrape mon col de chemise et agrippe ma bouche

 

 

pour y déposer le plus beau et le plus doux des baisers.