Tombé dans ma tombe

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C’est comme ça que l’histoire commence. C’est le Père Lachaise qui rencontre la Mère Lefauteuil.

Soupir.

Non – blague nulle. J’y peux rien, j’essaie toujours de détendre l’atmosphère – surtout dans les moments pas faciles comme celui-là.

Soupir.

En vrai je sais pas trop comment l’histoire commence. Mais je sais où elle se finit. Ici, sous cette pierre grise, perdue au milieu de toutes les allées du Père Lachaise par un matin de printemps pluvieux comme Paris sait si bien les cracher. La procession vient de s’achever. Je vois de mon maigre piédestal des tas de gueules tristes emmitouflées dans leurs mouchoirs détrempés. Musique d’ambiance – morbide et vaine – ça se prête à l’occasion, OK – mais c’est pas celle que j’avais prévue. Je voyais plus un truc de ce genre – mais bon, on choisit pas sa musique d’enterrement – on choisit pas de mourir non plus, tu me diras. Surtout à notre âge. Enterré là à l’ombre de nos 17 ans.

Soupir.

Des oiseaux piaillent dans les cimes des bouleaux. J’ai envie de leur clouer le bec. Il vont pas me gonfler éternellement j’espère.

Soupir.

J’aurais aimé qu’on disperse mes cendres aux quatre vents. Il paraît qu’on a plus le droit – enfin c’est vachement réglementé. Je me demande si des lois aussi connes existent là où je sombre petit à petit.

Soupir.

Impression d’être enterré vivant – il fait chaud ici – et ça grouille de vers – odeur putride. Rien ne se perd rien ne crée tout se transforme – j’étouffe un cri munchien.

Soupir.

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Pas mal, l’épitaphe, hein ? Ça en bouche un coin… C’est ma mère qui a eu l’idée – inconsolable, ma mère – j’ai failli ne pas la reconnaître parmi la foule – le visage défiguré – une vraie fontaine Wallace – j’aurais jamais cru de ma vie qu’on pouvait pleurer à en faire déborder des fleuves comme ça…

Souupir.

Bon, pareil… J’ai pas eu mon mot à dire. À vrai dire, le texte, je trouve ça un peu gnan-gnan, limite cucul. J’aurais bien aimé un truc un peu plus rock. Du genre ΚΑΤΑ ΤΟΝ ΔΑΙΜΟΝΑ ΕΑΥΤΟΥ – « fidèle à son propre démon » – une épitaphe apposée sur la tombe de Jim Morrison à quelques petites dizaines de mètres de moi.

Soupir.

Ou bien DON’T TRY – ah elle est pas mal celle là – sur la pierre tombale de Bukowski – pour retirer toute intention à ses visiteurs admirateurs de venir pisser dessus.

Soupir.

Bon… c’est pas que je me fais chier, mais faut que j’y aille. On m’appelle, là haut.

« Je me suis bien amusé. Au revoir et merci. »

Dernier soupir.

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