Berlin Berlin – Partie 1

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Berlin, Berlin

J’ai été amoureux de toi,

j’en été amoureux en toi –

Berlin Berlin

plusieurs fois…

Et désormais je suis perdu.

Berlin Berlin tu m’as ouvert les yeux cette fois là, et j’ai compris à 13 ans le corps et l’âme – bouleversés – que je ratais l’essentiel, je me défilais face à la vie qui défilait devant moi, qui s’étalait, et j’étais trop con pour la croquer, cette putain.

Berlin Berlin où tout courait, vrombissait, tournoyait, craquait, s’élevait, se bousculait aux sons méta-jazziques des cadors d’antan.

Berlin Berlin, qu’es-tu devenue ?

Que suis-je devenu ?

Pourquoi ton charme n’agit plus ?

Berlin Berlin…

On déboule Camille et moi à Berlin Berlin dans une nuit sans étoiles de mi-septembre. C’est un déménageur Breton – je te jure ! – Michel, qui nous prend en lift à l’entrée du Ring et pour les 20 derniers kilomètres, dans un camion Hertz qu’il a loué.

Berlin Berlin première escale de notre périple en auto-stop jusqu’en Pologne. Je te raconte pas l’état dans lequel on est : ça fait 36h qu’on a pas dormi – ou si peu – 2h dans un abri-bus entre 3 et 5h du mat’ la veille à Dortmund, puis une heure au bord d’un champ entre Dortmund et Unna entre 9 et 10h.

En tout donc, même pas 1000km, 15 chauffeurs et 36h de route dont 12h à tournoyer à la sortie de Dortmund pour finir par revenir au même spot – et des rencontres et situations bien zarbos – notamment Roman, l’Ukrainien qui transporte des trucs un peu chelous entre l’Italie et son pays, des Turcs qui nous prennent sur quelques kilomètres à 5h du mat’ à la fin de leur soirée et qui trouvent rien de mieux à faire que de nous filer des baklavas pour nous donner du courage, et un gars totalement ravagé qui a pas hésité à faire demi-tour au milieu d’une route nationale – heureusement à ce moment là peu fréquentée – pour nous prendre alors qu’on était coincés à un spot pourri où on pensait qu’aucune voiture ne pourrait s’arrêter. Le mec en question, musique techno à fond de balle, nous dit que Unna, sa ville, « c’est pas dangereux, parce qu’il y a pas beaucoup d’étrangers », envisage de nous déposer sur l’autoroute, puis finit par nous dropper dans un coin louche de la zone industrielle de Unna qui se trouve – par chance – se situer juste derrière une aire d’autoroute.

Dans son camion Hertz, Michel nous raconte qu’il déménage, il retourne en France parce qu’il vivait à Berlin Berlin avec sa copine, mais depuis qu’elle l’a quitté, il a plus rien à foutre ici.

C’est sur ces paroles que, même si je suis submergé par le sommeil, je fronce les sourcils : dans mon souverêve, Berlin, il y avait tellement de trucs à faire, à découvrir, que tu étais obligé d’y rester, même seul et abandonné de tous.

Il est minuit quand Michel nous dépose à Moabit, juste en face de là où habite Jens, le gars qui nous héberge Camille et moi pour les deux nuits qu’on reste sur place, avant de reprendre la route et de s’attaquer à la Pologne.

On lui fait signe, mais le camion Hertz est déjà loin sur la Turmstraße – demain, Michel doit être en forme pour entasser ses dernières affaires dans le camion Hertz et conclure ainsi sa trépidante et délicate vie Berlinoise.

On perd pas le nord et on sonne chez Jens. Il est là, il nous attend : « Montez ! » il nous dit à l’interphone dans un français assez maîtrisé. En arrivant chez lui, on lui offre le reste des baklavas plus très frais, on se fait une vieille soupe en sachet qui traînait au fond de nos sacs et on discute un peu. Après ses exams, Jens part à Tel Aviv : « C’est là que la fête a lieu !

– Quoi ? » je fais, « et Berlin alors ?

– Quatsch… » (1)

Berlin, la place numéro un de la fête, remplacée par une ville israélienne sans prétention ? OK, autre signe que pas mal de choses ont changé depuis 12 ans…

Il est tard, Jens est déjà en pyjama et il semble aussi crevé que nous, alors Camille et moi on se décrasse un peu – on pue quand même l’essence, le macadam et l’air pas très vivifiant des autoroutes – et on va se coucher.

Berlin Berlin

Ma première nuit Berlinoise depuis 12 ans.

Ma première nuit Berlinoise est courte – je me réveille à 4h – le bruit désagréable des bagnoles et du chemin qu’on a parcouru jusque là comme un Ohrwurm (2) dans les oreilles.

Ma nuit Berlinoise est courte et j’observe la ville depuis la fenêtre de la chambre. Berlin Berlin à l’aube d’un nouveau jour.

Je contemple l’appartement – son agencement me rappelle quelque chose. Mais quoi ?

Je pousse un soupir et je me rendors tant bien que mal.

À 9h, j’entends Jens qui se réveille et se dirige vers la cuisine. Je sors des draps et je viens à sa rencontre. Il se fait un petit déj’ et en prépare un pour ses colocs. On discute un peu des choses qu’il y a à faire dans le coin, des trucs à visiter que j’aurais pas déjà vus ou faits il y a 12 ans.

Son iPod branché sur les enceintes passe une musique. Mais j’ai pas le temps de dégainer mon carnet et un stylo pour me souvenir de hein quoi qu’est-ce ? – qu’il a déjà repris son iBidule et s’apprête à partir à la fac pour réviser ses exams. « Peut-être que ce soir, on ira nager dans un lac si ça vous dit ?

– Peut-être, j’en parlerai à Camille et on te tiendra au courant par téléphone.

– Ça marche. Bonne journée. Profitez bien. »

Je me douche, je profite encore de la cafetière Senseo de Jens puis je retourne dans la chambre.

Berlin Berlin– un nouveau jour et Camille qui dort à poings fermés, je sens qu’elle est partie pour nous faire une grasse mat’. J’essaie tant bien que mal de la secouer. Au bout de cinq minutes d’une bataille d’oreillers farouche avec son corps inerte, elle commence enfin a lever les paupières.

« Alleeeeez Camille, Yalla!, on a d’autres chats à fouetter. Et à Berlin, de jour comme de nuit, les chats sont multicolores.

Enfin, je crois…

Enfin, il y a 12 ans, il étaient multicolores… »

À suivre…

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1) Ici, pourrait se traduire par « Sornette! » ou « N’importe quoi! »

2) littéralement, « ver d’oreille », quand on a une musique qui reste en tête

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