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Walden Pond

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What you get by achieving your goals is not as important as what you become by achieving your goals.
Henry David Thoreau

La première fois que j’ai entendu parler de Walden, ou plutôt que j’ai vu ce nom inscrit, c’était dans On the Road, de Jack Kerouac – le manuscrit original – dans l’un des innombrables textes en préface je crois. Une phrase du genre « Jack Kerouac poursuit la quête du retour à un état sauvage/naturel/de liberté totale, des grands écrivains américains au premier rang desquels figurent Jack London et son Martin Eden ou David Henry Thoreau et son Walden »
À moins que ce soit dans un bouquin de survie – comme « L’apocalypse sans douleurs – mon guide pratique pour réussir sa fin du monde », qui cite Thoreau, j’imagine, pour montrer comment on peut survivre plus de deux ans dans les bois.
Ça peut être, aussi et sans doute, une découverte fortuite, faite en sautant d’hyperlien en hyperlien au fils de mes pérégrinations dans la toile d’araignée mondiale.

 

Walden… J’ai acheté le bouquin. Il était destiné à être mon livre de chevet quand j’ai voulu faire l’expérience de jeûner et de méditer pendant trois jours. Je voulais évacuer les mauvaises ondes, éliminer les toxines, partir loin, faire un voyage intérieur. Le problème c’est que je me suis mal préparé. J’ai bien jeûné, mais j’ai pas vraiment réussi à trouver la paix ou peu importe ce que je pensais chercher. Et je me suis servi du bouquin pour rompre le jeûne et faire mon premier repas. À un moment Thoreau décrit comment il fait son propre pain. J’ai voulu faire pareil – j’avais de la farine et de l’eau, le problème c’était que j’avais pas de levure et que mon four marchait pas. Du coup j’ai mangé une sorte de pâte à sel pas cuite saupoudrée de sucre et de cannelle. Man VS Wild – je crois que Thoreau se serait retourné dans sa tombe.

 

Walden… Quand, quelques semaines après mon expérience de jeûne, Emilia m’a invité chez elle, sur la côte Est des États-Unis, ni une ni deux, sans hésiter, j’ai dit banco.
« Qu’est-ce que tu veux visiter pendant ton séjour ici ? » Emilia m’a demandé. Je savais qu’on allait passer la moitié du temps à New-York, l’autre moitié à Boston. « Je sais pas… À New-York j’aimerais visiter la chambre de Kerouac quand il était étudiant à Columbia…
– … La chambre de… Mais elle existe plus, mon pauvre !
– Ah… Ok. Tant pis… Dans ce cas j’aimerais aller à Columbia, et traîner dans Bowery et dans le Village.
– Oui, si tu veux, ça peut être chouette. Même si, tu sais, ça a beaucoup changé depuis son époque…
– Et à Boston… J’aimerais que tu m’emmènes voir Walden Pond.
– Walden Pond ?
– Oui. L’endroit où Thoreau a construit une cabane dans les années 1840.
– Oui, Ben, je sais ce que c’est. J’y allais parfois, l’été, avec mes parents, quand j’étais gosse. Ça fait un bail que j’y suis pas allée, ça pourrait être cool.
– Oui. Cool. »

Alors j’ai pris un grand avion à réaction, j’ai débarqué à JFK, j’ai vu New-York pour la première fois, suivi les pas de Kerouac, Ginsberg, Burroughs et toute la bande à travers Times Square, Bowery, Washington Square, de Columbia au Village, j’ai pris un bus jusqu’à Boston. Mais pas un bus Greyhound – trop cher… Oui, ça a beaucoup changé depuis l’époque de Kerouac.

Boston m’a parue calme après l’intensité, la frénésie New-Yorkaise – à taille humaine. Avec Emilia on s’est promenés dans un immense parc avant de prendre le train – free riders, sans billet – direction Concord. De la gare on a marché, le long d’une route sans trottoir, pour finalement débouler devant l’étang de Walden.

On est rentrés dans la cabane de Thoreau – enfin une reproduction, à l’identique, déplacée à un autre endroit pour d’obscures raisons. Dedans, une table, une chaise, un lit, le strict nécessaire pour mener une vie d’écrivain ermite pendant quelques années. Et Thoreau lui-même ! – enfin son clone, un gars habillé en tenue d’époque, qui ressemblait quasi à 100 % à ses portraits.

Emilia a un peu parlé avec lui pendant que j’examinais les lieux.

Thoreau dans sa cabane

Thoreau dans sa cabane

 

La cabane de Thoreau - réplique

La cabane de Thoreau – réplique

Puis on est descendus vers l’étang. On a contourné la plage qui abritait quelques touristes ou des gens qui faisaient bronzette – c’était le début du mois de mai et il faisait particulièrement beau. Le ciel était dégagé, d’un bleu azuréen, et le soleil tapait assez fort. On a pris un chemin de terre entre les arbres pour arriver sur une crique.

Walden Pond

Walden Pond

« La baignade est autorisée ? » j’ai demandé à Emilia.
« Oui. Pour… Ben qu’est-ce que tu fais ? Arrête ! »
J’avais pas attendu la fin de sa phrase pour commencer à me dessaper.
« Mais tu fais quoi là ?
– Bah, j’me baigne !
– Mais… Mais tu n’as même pas de slip de bain.
– Pas grave, j’ai un boxer
– Ni de serviette !
– Pas besoin de serviette. Avec le soleil qu’il y a, je serai sec en deux minutes.
– Arrête Ben…
– Écoute Emilia… Ok, j’ai pas de serviette, j’ai pas de slip de bain. Et alors ? Avoir l’occasion de me baigner dans l’étang de Walden, c’est quelque chose qui se reproduira jamais dans ma vie. Je DOIS le faire, tu comprends ? »

La crique

La crique

Et voilà comment je suis rentré dans l’eau. J’ai pas fait le malin, j’ai pas crié Odiiiiiiiiiiiiiin, je me suis un peu gelé au début, j’ai fait gaffe à rentrer progressivement, et puis j’ai piqué un plongeon, j’ai fait quelques brasses et enfin quelques pirouettes avant de revenir au bord où m’attendait Emilia avec les sandwichs qu’elle avait préparés. Le temps qu’on les mange, j’étais sec.

Promenade autour de l'étang

Promenade autour de l’étang

Ensuite j’ai remis mon futal et ma chemise et on a continué notre balade. J’ai observé Emilia tremper son doigt dans la sève d’un érable et le lécher avec délice. Je l’ai écoutée me parler de toutes les fois où elle allait à Walden avec ses parents et son frère, je l’ai entendue discuter des Blue Laws, ces lois puritaines qui avaient été promulguées dans les anciennes colonies de l’Est des États-Unis. Bien qu’abrogées, Emilia les évoquait pour montrer que bon nombre de ses concitoyens étaient encore très puritains – et après l’épisode de la serviette et du slip de bain je me demandais un peu si ce puritanisme ne l’avait pas un peu contaminée elle aussi.

I went to the woods...

« I went to the woods because I wished to live deliberately, to front only the essential facts of life, and see if I could not learn what it had to teach, and not, when I came to die, discover that I had not lived. »

Une fois qu’on a fait le tour de l’étang on est passés dans la boutique des souvenirs. Le clone de Thoreau a fait sa réapparition – il s’était débarrassé de son accoutrement mode 1840 et avait enfilé un t-shirt et un pantalon en lin – tout ce qu’il y a de plus classique – sauf que des citations de Thoreau étaient imprimées partout sur ses vêtements, et pas seulement ! Le mec avait plein de tatouages le long des bras – d’autres citations de Thoreau et même son portrait et la cabane. Voyant que je l’observais avec attention, il m’a dit : « J’ai trente ans, ça fait vingt ans que je vis avec Thoreau. » Le type connaissait tout de sa vie, et toute son existence tournait autour de son Maître. C’est la première fois que je croisais un fan de ce genre. Avec lui et la caissière du magasin de souvenirs, on a parlé justement de Thoreau, de sa vie, de ce qu’il a laissé en héritage, j’ai acheté quelques cartes postales – entre autres pour Simon, pour Camille, et il a fallu qu’on mette les voiles.

On est monté dans un train – pareil qu’à l’aller, free riders, sauf que là on s’est fait contrôler. On risquait une amende, mais je m’en foutais.

J’avais nagé à Walden Pond, j’avais atteint mon but, le reste n’avait plus aucune importance.

Ton désert, Simon…

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« Le vrai voyage, ce n’est pas de chercher de nouveaux paysages, mais un nouveau regard »

– Marcel Proust

Teraz jest teraz…

Maintenant c’est maintenant

Ahora es ahora comme on dit ici,

sur la route.

La route jusqu'aux Bardenas

La route espagnole

Ahora es ahora, Simon,

et c’est dans ton désert qu’on arrive.

Nous revoilà en escapade Camille et moi quelques mois après notre périple polonais – téléportés en Espagne cette fois-ci – tenter de trouver un peu de chaleur en plein hiver.

J’y ai cru moi ! J’ai pris mon blouson de mi-saison – mon blouson noir totalement délavé décoloré à force de passer mes nuits dehors – mon blouson de bourlingueur. J’ai aussi pris mes lunettes de soleil et j’ai même hésité à embarquer de la crème solaire –  complètement givré, olé !

Du coup le bilan est laconique. Sans appel. Je me les gèle grave.

Destination l’Espagne donc, et plus précisément les Bardenas Reales.

Ton désert Simon – celui où tu es déjà allé pas mal de fois.

Celui dont tu me parles souvent.

Tu m’as envoyé une flopée de cartes postales. Tu m’as montré des dizaines et des dizaines de – très belles – photos.

Ahora es ahora – et on y va – là, maintenant.

On est parti vers 13h de Tudela. Si on est parti si tard, c’est parce qu’on a fait la java hier soir jusqu’à pas d’heure avec les gens qui nous ont hébergés. On a eu du mal à se lever ce matin, on a beaucoup traîné – du coup on a raté les rares bus qui font la route jusqu’aux Bardenas mais nos hôtes nous ont filé leurs vélos.

Un des vélos a pas de vitesse, la selle de l’autre défonce l’entrejambe – tu devrais nous voir commencer à pédaler sur les hauteurs de Tudela Simon, tu te serais marré – des amateurs, je te dis !

Après le petit pont à l’entrée de Tudela, on sent vraiment le vent. Le vent glacial, 50-60 Km/h, en pleine face. Et ça sur toute la route, 15 Km jusqu’à l’entrée du désert, près d’Arguedas. Tu m’as pas vendu les choses comme ça Simon, tu m’as jamais dit qu’on pouvait se les peler autant. Et crois moi Cow-Boy, on en chie déjà. Surtout Camille, qui est obligée de pédaler comme un rat avec ses vitesses pétées. Je passe devant – j’essaie tant bien que mal de la couvrir du vent.

On parle pas, tout occupés à lutter contre les forces de la nature. Je cogite pas mal – et la question qui me reste en mémoire c’est « Qu’est-ce que je fous là ? ».

Il pleut et je pleure je sais pas pourquoi.

Bardenas

Bardenas

Autour de nous déjà les paysages du déserts, les collines, les plateaux et les inselbergs. On arrive à distinguer les différentes couches de roches superposées l’une sur l’autre, des sédiments. C’était quoi avant ? Une mer ? Une forêt ou une jungle ? On est rien par rapport au passage du Temps.

Éoliennes. Falaises. Panneaux solaires – et plus loin, à une distance en trompe-l’œil, vagues chemins seules traces de l’Homme ici.

En face la route continue jusqu’à Arguedas – on bifurque sur la droite, un petit sentier qui sent le bousin – des champs où les taureaux paissent – en suivant le chemin on tombe sur le panneau « Bardenas Reales » – et j’ai l’impression de rentrer chez toi par effraction.

Tu m’en as tellement parlé Simon que j’ai fini par m’y voir dans ton désert – avec Camille – tous deux néophytes de ces paysages – à dos de cheval – oui je nous ai vu à l’aventure, au trot, matant ces inselbergs de front et galopant sur les sentiers d’argile.

Bardenas

Bardenas

C’est pas encore fini. Il nous reste une forte montée à attaquer et ensuite, ensuite c’est l’entrée du désert. On pédale on pédale on pédale il pleut il pleut il fait froid froid. Il est 15h30, on est seulement aux portes du désert. En haut de la montée, enfin. Je pose mon vélo et je m’assois par terre, il est temps d’entamer nos sandwichs. Le froid. La pluie. Le vent – le Cierzo qu’on connaissait pas, maintenant on en a plein la gueule. Sec et glacé.

Bardenas Reales

Mes mains sont passées par toutes les couleurs de l’arc en ciel, maintenant elles sont vert pale et je commence à ne plus les sentir. Et ce paysage magnifique de désolation qui nous enterrera tous… Et si on rebroussait chemin ? Camille : « On aura roulé deux heures pour rien. »…

Elle a raison. Yalla !

Je pleure de froid et mes larmes secouées par le vent glacent mes joues. Je lève la tête – les nuages déchiquettent le ciel de façon quasi-chirurgicale. Je comprends que ça sert à rien à de pleurer – les garçons pleurent pas et surtout pas les Cow-boys comme nous pas vrai ?

On enfourche nos vélos à nouveau. On monte encore un peu, puis la descente – faible et venteuse – s’amorce. En bas on prend à gauche – un petit chemin en argile trempé et boueux. Nos vélos s’engluent par endroits, on en est presque aspirés – poussière tu retourneras à la poussière.

Sillons

Sillons

Des ruisseaux vides creusent des sillons. La pluie fine glaciale et pénétrante laisse la place au soleil – bien maigre, le soleil, mais il fait soudain dix degrés de plus, malgré le Cierzo. On s’arrête à côté d’une baraque désertée au beau milieu de nulle part.

Vélo

Vélo

Devant nous s’élève le fameux rocher – celui dont Simon m’a tant parlé – celui qui figure sur les cartes postales qu’il m’a envoyées, les photos qu’il m’a montrées. J’arrive pas à évaluer la distance qui nous sépare de lui. Camille veut rebrousser chemin : « C’est à cinq minutes d’ici. Tu peux y aller, moi je t’attends ici.

– Jamais de la vie. Pas sûr que ce soit si proche, et puis je ne te laisse pas là. Soit on y va ensemble, soit on y va pas. »

Le vent laisse le champ libre aux grandes déclarations. Yalla – Camille reprend son vélo en main et part devant. Putain sans elle je serais même pas arrivé là, et maintenant elle veut baisser les bras ?

Cinq minutes plus tard, on y est. Devant le rocher. Le Castildetierra. La Cheminée de fée. Le truc du désert, ce qu’on doit obligatoirement prendre en photo. Une pancarte explique comment ce rocher si particulier s’est formé au cours du temps. Et elle nous montre son futur : avec l’érosion le haut du rocher va un jour dégringoler et se désintégrer. Poussière… On se prend en photo devant le Castildetierra et on admire le panorama qui s’offre à nous. Aucun bruit sauf celui de la nature, quasiment aucun signe de l’activité humaine.

Castildetierra

Castildetierra

Maintenant qu’on a fini de faire nos touristes on range nos appareils photo et on fait demi-tour.

17h30. Je suis très branché sur l’heure, là, j’ai peur que la nuit s’abatte sur nous tout à coup. Dès que le chemin monte un peu, on descend de nos bécanes et on les pousse à pied. « On sera à Tudela à 19h », je fais à Camille. Pour la motiver. Je ne sais pas si je dois croire ou non à ce que je dis. Et on se remet en selle – une intersection – une montée tortueuse – et à partir de là réjouissance gracieuse – une descente vertigineuse. Et sans vent de face.

C’est parti ! Sur mon vélo je suis un apache, j’existe et j’exulte, je crie à pleins poumons, à 35 Km/Heure

« Waaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaoooooooooooooooooooooooooooooooooooooooouuuuuuuuuuuuuuuuuuuu » et mon cri fait écho – ultime trace dans ce désert qu’on quitte. Puis le panneau « Bardenas Reales » qu’on dépasse dans l’autre sens, et la route qui sent le bousin.

Ahora es ahora et maintenant il est 18h à peine – on arrive à la bifurcation de la grande route. Si tout va bien si on trace on trace on sera de retour à Tudela avant la nuit. Je me retourne et jette un dernier regard sur ces paysages magnifiquement désolés.

Tes paysages Simon – les paysages que tu magnifies et dans lesquels toi tu te perds pas.