Il voulait changer de vie.
Je suis là pour ça.
« Il »: Martin Morin – pas encore trente ans – les yeux déjà fatigués les traits tirés les cheveux grisonnants et les narines dévastées – rongé par le stress de la vie qu’il menait. Bossait comme trader ou un truc de ce genre. Alignait les zéros à la fin du mois et signait toujours de ses initiales.
M.M
Pas de femme pas de gosse pas de temps pour ça mais un beau canapé en cuir brossé et une belle bagnole – pas le temps de la conduire évidemment.
Le scénario est simple.
Comme toujours le début doit être fracassant. Rentrer par effraction dans sa chambre d’hôtel – quatre étoiles, champagne offert par la réception – le surprendre au pieu avec son escort en toc, les menacer avec une arme – factice – demander gentiment à la nana d’arrêter de couiner, de prendre ses cliques et ses claques et qu’on la revoit plus traîner ici.
Et commencer à entrer dans le vif.
Du sujet.
D’observation.
Martin s’est vite pris au jeu.
Sans même s’en s’apercevoir.
Mon charme y a été pour beaucoup.
Je lui ai fait faire une erreur de frappe.
Qui a eu pour fâcheuse conséquence un léger traficotage des comptes de sa boîte
la veille du jour de sa démission.
De quoi voir l’avenir tranquillement loin de tout ça.
Et depuis… Deux ans de vagabondages, de fuites à travers les villes et les champs.
Libres.
Des bagnoles qui défilent – des panneaux indicateurs – à contre-sens –
on roule on roule à toute berzingue – pied au plancher – le cœur chaviré.
Une sorte de longue lune de miel.
Et parfois comme maintenant on s’arrête.
Dans un parc parmi les clodos.
Dans une ville qui ne nous connaît pas.
Martin je le contemple
il se la coule douce
caché dans l’herbe étendu jambes et bras écartés
il fume un bon gros Davidoff 3000 comme au bon vieux temps où il tordait les cordons de la bourse et ne vivait pas encore la vie qu’il rêvait –
avant qu’il ne plaque tout et que je l’embarque avec moi là dedans.
Il était promis à de grandes choses.
Il l’est toujours – simplement pas de ces choses auxquelles ses aînés voulaient qu’il tienne.
De ces GRANDES choses – de celles qui ont toujours coulé dans son sang, de celles qui battent sous sa tempe.
J’en suis le révélateur, le catalyseur –
et l’accompagnateur –
Martin s’amuse à saisir l’avenir dans ces volutes qui se dispersent dans le ciel dégagé.
Il tourne la tête vers moi. Je fais semblant de me prélasser pieds nus les yeux clos mâchonne un épi de blé un livre écorné sur la poitrine.
Il me voit respirer calmement – mes petits seins montent et descendent au fur et à mesure de ma respiration.
On est tous les deux crevés
après avoir fait l’amour tout à l’heure
sur les murs d’une usine désaffectée.
Semer les fruits de la renaissance parmi les ruines et les mauvaises herbes.
J’avais envie et mes envies deviennent toujours réalité.
C’est ça la leçon que je veux enseigner à Martin.
Enveloppé dans son blouson de cuir écaillé par toutes ces nuits pluvieuses –
Martin repense à tous nos périples.
Depuis quand ça dure ? Quand il m’a suivi il a dit qu’il finirait perdu.
Au contraire maintenant il a jamais autant eu l’impression de s’être retrouvé.
Il veut changer de vie.
Je suis là pour ça.
Un versement automatique tous les mois.
Une somme rondelette.
Sur un compte en banque.
Aux îles Fidji.
Je suis travailleuse sociale.
Pour bourgeois.
Friqués.
En manque de sensations.
Fortes.