Archives de catégorie : Le Coin de Ben Howl

Allez, on va au p’tit coin!

Frénésie du départ

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« Durant la semaine qui précéda le départ pour Arrakis, alors que la frénésie des ultimes préparatifs avait atteint un degré presqu’insupportable, une vieille femme vint rendre visite à la mère du garçon, Paul. »

Dune, Frank HERBERT

 

Hier soir tard écroulé en étoile sur le lit prêt à rejoindre les bras de Morphée à défaut des tiens mon portable vibre. Lola du fin fond de sa banlieue lyonnaise un SMS aux chauds accents d’Amérique latine – j’espère que tu vas bien elle me dit, et je sais que tu vas partir bientôt en voyage (…) et la route est la voie de la vie.

Si tu savais Lola si tu savais…

J’en suis quasiment frénétique je te jure j’ai que ça à la bouche et dans mes yeux lumineux – comme des phares de camions. Morphée veut pas me tendre les bras à la place elle me dit clair et net d’aller me faire foutre. Parce que même Morphée je la saoule avec ça. Parce que ça revient sans cesse. Une valse. Frénétique. Une obsession.

 

Depuis le temps que j’en parle depuis le temps que j’en rêve – sur les ponts au dessus du périph’  ou en voiture la tête penchée à la fenêtre – les bandes blanches qui défilent elles s’espacent elle s’étirent elles m’appellent. Persistance rétinienne c’est ces mêmes bandes blanches qui défilent dans mes rêves – des rêves éveillés parce que Morphée refuse cette nuit encore de m’accueillir – rêves de goudron et de gaz d’échappement.

Rêve réveillé aussi quand je passe en métro au dessus de l’endroit où mon périple va commencer. Dans quatre semaines maintenant. Je me vois à ce spot au petit matin le pouce levé le sourire aux lèvres avec mes godasses mes guenilles mes guêtres mes sacs et mes pancartes. Qu’est-ce que je vais écrire dessus ?

 

BELGIQUE

COLOGNE

BERLIN

ŁÓDŹ

Ou un truc comme ça on verra bien. Ce qui est sûr c’est que cette fois ci c’est à Łódź que je vais – à 1300 Km d’ici. Une invitation et un sourire breton une fois sur place ça se refuse pas – et puis je connais pas encore Łódź c’est l’occasion de découvrir.

Cette fois ci je me la joue cavalier seul et j’irai d’une traite – avaler d’un coup toutes ces bornes sans filet de sécurité je compte bien rester éveillé pendant 48h tenir à coup de café café café café –

au pire dormir sur mes cartons sur le seuil d’une station-service.

 

Si tu savais Lola comme je suis pressé… Dans quatre semaines ! Même du fin fond de ta banlieue lyonnaise tu dois sentir ça tu dois la sentir cette frénésie je le sais. Si tu savais aussi Lola comme j’ai peur comme j’ai les boules. Peur de jamais y arriver – peur surtout de baisser les bras. Tout se joue là Lola je veux savoir si j’en suis capable j’en ai besoin.

 

Et au delà de la route il y a quoi ? La route je commence à la connaître maintenant elle est familière – et je sais que même si c’est les mêmes mauvaises herbes sur le bas-côté les mêmes gaz d’échappement les mêmes bandes blanches qui défilent la route Lola elle est à chaque fois différente. Et si je la refais dans quatre semaines cette route polonaise c’est pour retrouver les sensations que j’ai eues à l’époque – et quelques bouts de moi aussi. Comme si la première fois comme le Petit Poucet j’avais semé des miettes de pain tout au long de l’E42, de l’A4, de l’A2 aussi, et de l’A10 également, mais encore de l’A12 et enfin de l’E30.

 

et de toutes les autres routes et que je devais les récupérer.

Ou plutôt Lola je me vois partir en repérage oui c’est ça un repérage des lieux de tournage d’un GRAND BORDEL – la vie. La vie on est en plein dedans et on y va plein gaz.

 

Si tu savais Lola comme il me tarde de les récupérer ces miettes de vie ces souvenirs en lambeaux comme il me tarde de grimper dans des voitures allez hop pied au plancher recule pas tout droit toujours tout droit – et t’arrêtes surtout pas ZAG ZAG – comme il me tarde de les toucher ses bandes blanches qui défilent comme il me tarde de PUER la sueur les gaz d’échappement le goudron la nuit solitaire le carton mouillé – comme un vieux chat de gouttière on se la refait pas hein Lola ? – un vieux chat de gouttière…

 

Comme il me tarde.

The House of Rising Sun

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Le 13 mai 2012 – un dimanche je me  souviens – je rentre de Bruxelles – anniversaire d’un pote. Le genre de soirées où tu finis par dormir le bide à l’air dans un canap’ plein de confetti.

À pied je fais le chemin de la gare à chez moi – il est 13h j’ai rien à faire, il fait beau, le soleil est au zénith. Et dans les rues de Lille quasi-désertes je traîne mon ombre derrière moi. Le soleil m’éblouit et j’ai une vision.

Une vision divine. Un truc tout con. Un ukulélé. Moi, renvoyé de l’école de musique il y a plus ou moins quinze ans – rebelle avant l’âge de l’être – tout ça parce que j’ai pas le sens du rythme – je me vois jouer de l’ukulélé

Trois jours après, je m’achète l’instrument. Une sorte de guitare de poche à quatre cordes qui sonne super-exotique.

Sur les Internets je trouve quelques tablatures – des moreaux simples à jouer. Le premier soir je sais déjà jouer quelques trucs. Plus les jours passent, plus j’apprends, plus je connais de chansons et plus je me vois faire carrière dans la musique. Quelque chose de grand. Le concert au Stade de France est à portée de main. À moi les tournées, les roadies, les groupies en furie et les partouzes post-concerts hallucinées. Presque célèbre.

Mouais, bon, t’emballes pas mon p’tit B.Howl… faut apprendre d’abord.

Hop je te fais l’air de joyeux anniversaire, je te fais Le Lion est mort ce soir, je te fais d’autres trucs comme ça – c’est la première fois que c’est aussi concret je te jure, le stade de France au bout des doigts…

Et puis je finis un peu par me lasser – je m’aperçois que l’ukulélé, c’est bien, mais au bout d’un moment, quand on prend pas le temps de rentrer dans les subtilités, c’est assez…limité… En gros pour faire court il y a que quatre accords principaux. À toi de les mélanger pour que ça se fasse passer pour une mélodie connue. Mais un jour, subtil ou pas, c’est la révélation – j’apprends à jouer The House of Rising Sun.

Tu peux pas t’imaginer comment je me reconnais dans cette chanson. Comme si j’étais plongé dans des souvenirs que j’ai pas vécus. Le Rising Sun qui m’éblouit comme m’a ébloui cette vision de l’ukulélé le 13/05/2012 non pas à la Nouvelle Orléans mais dans le Vieux Lille. Et cette mère tailleuse de jean tout comme la mienne rapiéçait mes frocs quand j’étais môme – et mon père un silencieux, un observateur, un gambling man. Et ces vieux cartons dans mes armoires qu’est-ce qu’ils contiennent à part les boulets du passé…

Alors j’emporte mon instrument en tournée en road-trip en autostop en Pologne – comme tu le sais déjà. Prêt à le dégainer n’importe où n’importe quand. Question de survie.

Je me souviens de Gdańsk – Camille et moi. À Stoczna Gdańska. Juste devant les chantiers navals. Devant le monument de commémoration. Un étrange sentiment me submerge – mélange de deuil, de devoir de mémoire et d’espoir. Et l’envie de boire un truc.

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Il est 17h, on se pose au Wydział Remontowy Klub Muzyczny. Le pub est désert, seuls deux gars de l’autre côté du bar.

Déjà bourrés.

Ou encore bourrés.

Des ouvriers des chantiers qui ont fini leur journée. L’un d’eux a une guitare. L’autre pousse la chansonnette. Mmm vu les airs qu’ils jouent, je crois qu’ils vont bientôt se mettre à faire The House of Rising Sun. Mes doigts tremblent. J’ai mon ukulélé à portée de main. Ça manque pas. Ils commencent la mélodie en polonais. Hop je prends mon précieux instrument, je fais les accords. La mineur, do, ré, fa, la mineur, do, mi septième. Soudain ils me regardent, hochent la tête en rythme, s’interrompent et s’approchent de moi. Et on joue la chanson ensemble – moitié en polonais moitié en anglais, polyglottes, Dom Wschodzącego Słońcaà la guitare et à l’uké. Splendide. À tel point qu’une fois la chanson finie ils nous paient des coups à Camille et à moi et on rigole tous ensemble à en avoir la tête qui tourne à force de faire teinter nos verres.

 

Ailleurs, quelques jours plus tard… Toujours Camille et moi, à Cracovie cette fois, et plus exactement à Kazimierz – ancien quartier juif, maintenant néo-bobo, branchouille à la coule. Ça a pas mal changé depuis la première fois que j’y suis allé, il y a huit ans… Au coin de la Stradomska et de la Jósefa Dietla une maison me fascine. Sa couleur d’abord – teintes sombres qui s’accordent avec le ciel mais qui dénotent avec les murs jaunâtres des bâtiments alentours. Et puis sa taille, sa majestuosité, ses colonnes, ses rebords de fenêtres. Je la prends en photo de l’autre côté de la rue tellement elle s’accroche à moi. Et c’est avec regret que je dois me détourner d’elle et continuer mon chemin.

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Cracovie toujours – le jour d’après. Avec Camille on se dore la pilule. C’est le premier jour de l’automne et on est allongés dans l’herbe au beau milieu du parc Jordan, pénards, doigts de pied en éventail, à se la dorloter au soleil. Il doit faire 23°C dehors – un ciel bleu magnifique sans nuages – le jardin d’Eden.

On attend le gars qui nous héberge ce soir. Krzysztof il s’appelle. Il débarque dans la vapeur de la fin d’après-midi. Un petit jeunot tout frêle blond les yeux bleus-blancs aux joues glabres – c’est un artiste je le devine tout de suite – un poète – même si ça a aucun rapport avec ses études d’informatique. Et par le plus grand des hasards, c’est son anniversaire aujourd’hui. On traverse toute la ville. Krzysztof habite à Kazimierz. Avant d’aller poser nos sacs chez lui on dévalise une supérette pour fêter dignement son anniversaire. « Voilà, c’est là », il nous fait en ouvrant la porte d’entrée de son immeuble.

Son immeuble – incroyable – c’est cette immense baraque que j’ai prise en photo hier – la baraque qui avait rien à faire dans cette rue – qui écrase tous les autres bâtiments du coin. Krzysztof explique qu’il vient d’emménager, qu’il est obligé de s’éclairer à la bougie et qu’il a presque pas de meubles. Au deuxième étage on entre et on débarque dans un large couloir. En plein milieu dans l’obscurité se dresse un frigo – au fond un caddie. La chambre de Krzysztof : une frêle penderie en métal, deux matelas, un fauteuil presque disloqué, une table d’appoint Ikea modèle Lack sur laquelle est posée une bouteille de bière vide qui fait office de chandelier. Règne ici une ambiance glauque, quasi-sordide – mais pourtant tout à fait chaleureuse. Autour d’un café-clope on fait connaissance. Le soir s’amorce quand on sort pour essayer la junk food typiquement polonaise – on va à Nowy Plac et on mange des Zapiekanki – des sortes de demi-baguettes nappées gratinées de plein d’ingrédients au choix et à la tête du client dévoreur. Là Kasia nous rejoint – une jolie petite bouille blonde – la meilleure amie de Krzysztof – très attentionnée – une fois revenus dans son appart’ elle sort des bouteilles et aussi un petit gâteau avec une bougie. Krzysztof souffle dessus en faisant un vœu. On chante « Sto lat! » en chœur. Krzysztof nous raconte que la semaine prochaine un de ses postes artistes va exposer dans sa chambre – une sorte de vernissage – alors on discute art contemporain, voyages et poésies. Au bout d’un moment je joue Joyeux Anniversaire à l’Ukulélé puis j’enchaîne sur The House of Rising Sun évidemment. Alors Krzysztof me tient par la main « Viens voir » il me dit et il me fait sortir dans le couloir. « The House of Rising Sun, c’est chez moi ! » En effet c’est écrit sur la porte. L’appart’ de Krzysztof, un ancien lupanar…

Kasia doit s’en aller – prendre le dernier train pour rentrer chez elle – et c’est Sonia qui la relaie au chevet des dix-neuf ans de Krzysztof. Un ou deux verres de vodka – c’est bon, ils sont morts et enterrés et on est sûr qu’ils ne reviendront plus. Krzysztof a 20 ans et on est quatre à se boire des vodka-bières dans sa piaule presque nue.

Deux heures du mat’ – Sonia repart chez elle, Camille va se coucher. Krzysztof et moi on termine nos verres et on refait nos mondes jusqu’à pas d’heure, jusqu’à ce que Morphée ait pitié de nous.

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Au réveil scène de ruines et de désolation. Cire froide sur le sol jonché de mégots bouteilles de bières et de vodka plus ou moins vides cendriers remplis matelas sans dessus-dessous – chambre de camés chambre de damnés – mais dieu qu’elle a du charme, cette House of rising Sun !

La cosmogonie du vide

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Je me balade dans les rues de Lille la nuit – comme souvent, p’tit père, du côté de Wazemmes. Et là soudain c’est pas une superbe blonde platine qui apparaît devant moi non – mais un titre – dans ma tête en gros plan comme les sous-titres d’un épisode de série Z.

LA COSMOGONIE DU VIDE

Bon, très bien, je dis à moi-même… Mais maintenant que j’ai le titre, il me faut une histoire, p’tit père, non ?

Sauf que je creuse un peu, cette histoire apparaît pas.

Flûte, zut, saperlipopette – poils de camembert.

D’habitude, il m’arrive souvent d’avoir une histoire d’abord, et de trouver un titre après, une fois le point final ajouté.

Schéma : Idée ==> histoire ==> titre.

Classique tu me diras. Et généralement là où ça foire c’est entre l’idée et l’histoire…

Mais là j’ai pas d’histoire, et encore moins d’idée !

J’ai beau prier tous les dieux de l’Olympe, p’tit père, j’étais sorti de la réalité un bref instant – une fraction d’éternité. Et me voici désormais – inexorablement – revenu dans la rue sombre et pluvieuse. D’autant plus sombre et pluvieuse que 1) j’ai ni capuche ni parapluie et 2) il fait nuit et je porte encore mes lunettes de soleil – depuis que mes lunettes de vue sont pétées, le matin même de mon départ pour Freiburg. Bon, OK… je suis jamais parti pour Freiburg. Du moins pas ce jour là. Ni même cette année là. C’est juste une histoire, juste un jeu, juste un mensonge. À quel point ?

Toujours cette frontière poreuse – fragile – entre ce que je vois et ce que j’imagine, ce que j’imagine et ce que je vois… Mais p’tit père compte pas sur moi pour t’indiquer s’il y a des points de passage, et s’ils existent, où ils sont…

J’ai le titre – maintenant je dois me dépatouiller avec. Faire des recherches. Et comme d’habitude, je dois faire avec ce que j’ai et commencer par le commencement.

Au début était le verbe.

COSMOGONIE – qu’est-ce que ça signifie ? Le système de la formation de l’univers. Légendaire évidemment – brassé selon les différentes mythologies.

Mouais… je t’avoue que là, franchement, c’est maigre comme piste pour raconter une histoire.

Et le VIDE. Pourquoi ce mot ? Genre NETTOYAGE PAR LE VIDE ? Comme ces 46000 mots que j’ai perdus une fois ? Ou genre le Vide ? Avec une majuscule. Comme le néant ? Celui vers lequel tous on se dirige ? Poussière tu retourneras à la poussière ? C’est quoi ces conneries ?…

Pourquoi le vide, pourquoi pas le CHAOS – un truc rocambolesque, un truc qui envoie du lourd. Qui pourrait être le titre du prochain Rambo. « RAMBO VII : LA COSMOGONIE DU CHAOS» Ouais ! Ça va chier ! Avec plein de sang et de petits Viets qui se font massacrer à grand renfort de mitraillette !

Plus sérieusement, le chaos… Opposition de l’ordre et du désordre. Un joyeux bordel en somme. Je crois qu’à partir d’un certain point de vue, tout à un ordre. C’est juste que de là où nous sommes on a pas accès à la logique qui donne un SENS à tout ça tu crois pas ? Ici et maintenant dans cette rue pluvieuse et noire de Wazemmes.

Non, p’tit père, ici et maintenant c’est pas le chaos qui m’est venu à l’esprit, c’est le VIDE. Opposition du rien contre tout. Et tout ça c’est pas rien…

Les dieux s’ils existent n’aiment pas le vide, je pense. Ouaip ! La Nature a horreur du Vide. On dit que c’est vide, mais en fait c’est juste des éléments qu’on arrive pas encore à identifier. Comme l’antimatière par exemple. Ou des trucs de ce genre – hyper-compliqués, carrément capilotractés. Méga-glucose.

Tu vois bien maintenant p’tit père que c’est pas du vide là, ce que tu vois. Vide de sens, oui – désordonné, sûrement – mais pas vide-tout-court.

Écrire c’est désassembler le vide qui ne l’est pas, le déconstruire, le déstructurer, le malaxer, l’étirer comme un chewing-gum de manière à ce qu’il tienne dans le texte de cette semaine – le transformer pour en faire ensuite… je sais pas… pour enfanter… un Grand et Luxuriant Bordel. Cet univers en formation que je suis en train d’engendrer. Et que tu rends vivant-presque-palpable puisque tu m/le l/vis.

De toute façon, peu nous importe, p’tit père – peu nous importe…

Du moment que ce vide nous a fait passer un peu le temps ensemble.

Le Festival de Jazz de Montreux

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Rouge.

Sang.

Rouge sang.

Rouge sang rouge sang sang rouge

Ça se voit ça se fige dans la rétine et dans la tête et ça résonne comme une horloge.

Cet été là j’ai vingt ans je suis en stage pendant quelques mois en Suisse dans une asso – pas la peine de rentrer dans les détails ici. Je touche une gratification, même pas un salaire – une misère. Je vis dans une coloc hallucinante et géniale – il faudrait que je touche deux trois mots là dessus  – peut-être, un jour, une autre fois… Mes papilles se délectent de la bouffe du coin – des Rösti ! – et j’y capte rien au dialecte local, le suisse-allemand, « Schweizer-deutsch » – ici ça se dit « Schwiizedüütsch », « salut » se dit « Grüezi » alors imagine des mots différents, des mots de tous les jours – je nage dans le pâté. Mais c’est pas grave.

C’est con, mais le premier réflexe que j’ai eu en arrivant ici c’est de chercher s’il y avait des Français dans les parages – je sais pas d’où vient cette idée de vouloir trouver, en ses quelques compatriotes plus ou moins paumés comme toi à l’étranger – des « expat’ », une sorte de foyer merveilleux. Je suis tombé sur un forum sur le site de la Maison des Français à l’Étranger. Et sur des gens qui – comme moi – se demandaient ce qu’ils foutaient là de l’autre côté du Lac Léman.

On s’est rencontrés, un soir, on a bu quelques verres, on a fait les présentations. On vient tous d’horizons, de milieux sociaux différents. Il y a Luc qui bosse à la Bourse, Nathan qui est chez Microsoft, Fred qui est dans le nucléaire, Élise qui fait un stage chez Ernst & Young, et Catherine qui… qui fait quoi d’ailleurs ?

Je crois qu’elle même ne sait pas. Elle nous raconte qu’elle est en dernière année d’école de commerce. Genre le truc où elle a dû sortir de sa campagne et s’endetter sur trente ans pour pouvoir y rentrer et assumer financièrement chaque année universitaire. À Zürich elle avait commencé un stage – dans la Finance what else ? – et elle a dû rentrer chez ses parents en urgence. Puis elle est revenue ici je sais pas pour quelles raisons. Ce qui est sûr c’est que son stage est pas validé – son stage de fin d’études – donc son année est pas validée, donc si elle arrête c’est ses études qui sont pas validées – et que sa timidité – un handicap – cache une bonne grosse remise en question.

Je sais pas qui a proposé cette idée de tous s’embarquer ce soir pour Montreux où se déroule actuellement le festival de jazz.

Moi, du haut de mes vingt piges, j’y connais foutrement rien au jazz – tu noteras d’ailleurs que pour l’instant, j’y mets même pas une majuscule – alors le festival de jazz de Montreux, ça me passe carrément au dessus de la tête. Par contre tu sais que quand une occasion se présente de vagabonder n’importe où, je suis le premier à sauter dessus.

Et nous voilà dans la voiture de fonction de Nathan. Mercedes classe E. Qui vient tout juste de sortir de l’usine. Un rêve de gosse pour des gens comme lui. Sa boîte lui paie l’essence et tous les six mois il a une bagnole toute neuve – de cette même trempe, évidemment.

Élise a pas pu nous accompagner ce samedi soir. Elle est repartie à Lyon rejoindre son copain pour le week-end. Fred Luc et Nathan discutent boulot et projets. Catherine reste silencieuse – comme absente, éteinte. Et je me tais, je contemple la route comme d’habitude quand je suis en voiture. Les enceintes Dolby Surround Digital 5.1 Méga-stereo-de-la-mort-qui-tue diffusent Macy Gray – I try – et je pense à ma copine de l’époque – à des milliers de kilomètres de cette petite route vallonnée qui nous amène à Montreux.

Des embouteillages à l’entrée de la ville, et un calvaire pour se garer. Mais on y est arrivé. On est là dans un parc. Autour de nous des belles gens – toutes endimanchées, en costard chemises ou robes de soirées. Avec mon accoutrement je suis le seul zoulou du coin. Il fait bon ce soir. Une douce chaleur d’un soir de juillet nous enveloppe. Ciel rosé du début d’une courte nuit d’été. On entend au loin quelques concerts. Mais ils sont payants, et les entrées sont chères. Ou ils sont gratuits, mais complets depuis belle lurette.

Luc nous offre un verre de vin glacé. J’apprécie ce noble geste de sa part. Il sait que je suis ric-rac niveau thunes, que je peux pas me permettre d’avoir le même niveau de vie que lui – qui habite dans un appart’ de 120m² avec terrasse juste au dessus de la bourse – mais il fait tout pour me mettre à l’aise avec ça – il me traite comme si j’étais l’égal d’eux. Catherine nous suit, la bouche définitivement close, refuse d’un petit geste le verre que Nathan lui propose – son regard est désespérément vide.

On s’approche d’une scène. Il est vingt-deux heures. Il y aura un concert bien – et on est aux premières loges.

Rouge.

Rouge sang.

J’entends le son rouge sang des saxos, des cymbales qui sont pas encore arrivés.

Les belles gens commencent à arriver, on s’agglutine autour de nous pour pouvoir assister à la performance musicale qui aura lieu bientôt.

Je termine mon gobelet de vin d’un trait.

Rouge sang. Aux premières loges.

Les dernières lueurs du soir.

Et soudain…

Juste devant nous, à même pas deux mètres rouge sang un homme sort une lame la lame fend l’air et fend son voisin au ventre et au visage.

Rouge sang sang rouge qui jaillit de l’arcade sourcilière du type comme l’eau d’un geyser et qui gicle sur nos têtes et nos chemises. Et une grosse ligne sanguinolente, droite, tracée sur son torse de manière quasi-chirugicale.

Rouge sang et sans attendre l’auteur des faits comme dirait la police court s’enfuit s’échappe disparaît dans la foule doggy doggy dog qui s’amasse qui panique. Pssschh – volatilisé.

Quant à l’autre gars, le blessé, il ne l’est que légèrement. Ses jours ne sont pas en danger comme dirait la police.

On se regarde tous. Choqués. Le regard aussi vide que celui de Catherine. Puis on reprend nos esprits. Peu à peu. On veut plus traîner là. Tant pis pour le concert – que le jazz l’emporte. On veut rentrer. C’est tout ce qui nous importe.

Routes sinueuses.

Les phares de la merco dans la nuit rouge sang.

Courbes de l’asphalte giclées de sang plein les vêtements.

Tous les cinq dans la caisse. I try qui repasse. Odeur de cuir trop propre de l’habitacle. Odeur de soufre/sang séché aussi – coincé dans les narines. Pas un pet, pas une mouche qui passe – un silence assourdissant. Et à côté de moi Catherine que je sens trembler.

Soudain elle panique le visage blême elle se met à se tortiller fouille dans sa poche et en ressort un flacon de gélules. Des gélules rouge sang. Vite elle en avale une – ou deux ou trois ou tout ce qu’elle peut gober le flacon qu’elle secoue fait des bruits de shaker – ensuite elle me regarde elle sait que je l’observe « Pour pouvoir dormir » elle dit comme pour clore le débat. Je me tais je détourne le regard et à travers la vitre je me prends les phares des voitures d’en face dans la gueule ils éclairent mon front moite et quelques gouttelettes brunes de sang séché qui n’est pas le mien.

Nathan nous dépose tous à la gare centrale de Zürich. On se dit des « Bonne nuit » fragiles et chacun part dans sa direction – l’air le plus normal possible comme s’il s’était rien passé.

Il se trouve que je retrouve Catherine sur le quai. Je suis juste à côté d’elle mais elle me voit pas. Elle regarde en l’air vers les néons – visage inexpressif, sang séché sur les cheveux qui les colle et les entremêle.

Je la vois monter dans un train rouge sang.

Je vois le train s’éloigner. J’attends le mien de train. J’ai besoin d’une bière, d’un alcool fort ou d’une douche au minimum pour m’enlever de la bouche ce putain de goût de sang rouge sang amer et dégueulasse. Et dans le maelström de mes pensées il est clair à présent que le train qui vient de s’éloigner – le train dans lequel Catherine est montée – légère comme une ombre – presqu’invisible –

 

ce train ne va pas dans la direction de chez elle.

 

Le Bunker

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J’entre dans le bunker.

Attends attends pourquoi tu me parles de bunker ? Tu vas trop vite mec c’est pas comme ça qu’on débute une histoire – ben c’est comment alors ? – il est où le contexte ?

OK voilà le contexte : je rends visite à ma pote Katrin pour le week-end. On s’est connus au lycée, ça commence à remonter maintenant, depuis on s’est revus quelques fois mais c’est surtout par lettres qu’on garde le contact. Elle écrit les siennes sur du papier fleuri, au stylo-plume, écriture précise soignée et aérée. J’aime beaucoup recevoir des lettres de sa part. Maintenant Katrin habite Freiburg. Je profite de ces quelques jours de vacances pour lui rendre visite. C’est bon maintenant t’es content tu l’as ton contexte ?

Freiburg… la ville est jolie mais je m’en cale un peu. Je suis pas venu là pour faire du tourisme mais pour revoir Katrin. J’arrête pas de la regarder discrètement depuis qu’elle m’a cueilli à l’arrivée de mon train – qu’est-ce qu’elle a changé c’est fou… Je la trouve grandie, c’est sûr – grandiose… mais un peu fatiguée aussi, des cernes sous les yeux – une Apache.

On arrive chez elle. Katrin vit dans une coloc à deux pas de la fac, avec quatre étudiants comme elle. L’appart’ est grand et un peu en bordel. Je pose mes affaires dans sa chambre, Katrin m’annonce qu’il y a des gens qui vont passer ici pour l’apéro et qu’ensuite on va aller à une fête. « OK » je dis – même si je visualise pas encore l’immensité de la soirée qui s’offre à moi.

L’appart’ se remplit peu à peu – le stock de boissons lui ne désemplit pas. Un des colocs de Katrin s’est barricadé dans sa chambre. C’est à peine s’il m’a salué tout à l’heure quand je me suis présenté à lui : « J’ai trop fêté hier, mec » – il a lâché – les yeux dans le vague, la langue encore pâteuse. Je peux comprendre…

Dans la salle de bain – tapis de bain en pilou-pilou faux gazon vert pomme. Une pancarte « Only for Quickies ». Je trouve ça fun et le savon sent bon. Je fais des allers-retours balcon/cuisine. Clopes et p’tit punchs dans ma gueule. Je discute avec des gens – les prénoms m’échappent dès qu’ils sont prononcés. Katrin me lance parfois des regards veut savoir si je m’intègre bien si je passe une bonne soirée. Ouais ouais te fais pas de soucis. Souvent les gens viennent vers moi et me demandent : « Mais d’où tu viens petit Français ? Comment tu as connu Katrin ? » Les gobelets en plastique s’entrechoquent et je leur raconte à chaque fois une version différente… Dehors la nuit s’étiole et les gens refont leurs mondes dans les vapeurs alcoolisées. À l’intérieur ça gueule et ça se la joue en musique. Je plains les voisins et le coloc de Katrin qui voudrait juste pioncer bordel.

Minuit passé. Je sais pas qui émet l’idée fumeuse furieuse de « Et si on bougeait ? » C’est vrai – l’apéro aurait dû être fini depuis longtemps – mais là les saladiers – sangria et p’tit punch – sont vides et les bouteilles de Pils des cadavres empilés en vrac dans le couloir. Donc – allez on se bouge !

Et on marche dans les rues de Freiburg la nuit. En chantant à tue-tête pour certains. En marchant à pas chassés ou à cloche-pied pour d’autres. À côte de nous sur la grand-route des voitures filent vers d’autres soirées – peut-être moins tumultueuses que la nôtre mais je peux pas encore l’imaginer.

« C’est là…

– Quoi ? »

On vient de s’arrêter à une intersection paumée et un gars me dit que la suite, c’est là que ça se passe. Je veux bien mais… y’a que dalle… Katrin me fixe des yeux, comme pour dire : ta gueule et suis nous.

Caché derrière des arbres, un chemin. Des gens sur les côtés, à terre, assis ou couchés même pour certains, blousons de cuir et guenilles dans la boue, packs de bières ou vodkas Lidl jamais bien loin. Forte odeur de beuh enivrante. Et déjà des caissons de basse qui doucement font trembler la terre. Et devant nous, dressé contre vents et marées – un bunker. Le lieu de notre perdition.

Voilà. Merde. Ça commence.

On pénètre dans l’endroit. Escalier fendu, humide et ruisselant parfois. Du genre à te casser la gueule au moindre pas que tu fais. Rien à voir avec une boîte de nuit bling-bling. Du lichen sur l’amer béton. Dans la pénombre un mec à crête avec un énorme anneau à l’arcade droite prêt à envoyer valser les boulets et les opportunistes. J’ai l’impression que le groupe se disperse. Je sais pas où sont les autres je crois que j’ai perdu Katrin. Je contemple seul cette nana en face qui le regard suave et scintillant se fait piercer à l’arrache le bas de la nuque. Guerrière rebelle. Sons de marteaux piqueurs. Scies à métaux. Traces de sang sur les murs. Perceuses éclectiques. Grincements de dents. Giclements non-identifiés. Tags à gogo. Le vaste couloir se sépare en deux salles. Ambiance plutôt reggae à droite, plutôt punk à gauche. Ou vice et versa.

Bam Bam.

La déchéance sur la piste de danse. Plus de rêves plus de rêves nous sommes ce que nous faisons.

¡Madre mía! J’ai l’impression de me retrouver dans le générique de Tracks. Wow des gens tout bleus à six heures. Bleu flashy. Joyeux lurons – ils ont dû manger des schtroumpfs. Un semblant de bar là-bas – où tu te sers toi-même de la pression en fût. Aime ton prochain jusqu’à la dernière goutte rampe sur ton prochain comme y’en a deux qui le font en se frottant mutuellement. Décadence virevoltante. Lumière tamisée au fond – des couples s’enlacent – rythmes ralentis, éloge de la chair. Un gars derrière moi – visiteur du soir : « Mais pourquoi tu portes des lunettes de soleil ? » Réponse : « Mes lunettes de vue sont pétées alors je me la pète. » Petit souci en effet ce matin au réveil. Un de mes verre correcteurs a fugué le con, mes lunettes sont inutilisables et les seules lunettes à ma vue sont des lunettes de soleil.

Les chiottes. Odeur de souffre. Passage obligé. Et quand j’y passe ça me fait penser à ça :

Les WC les plus pourris d’Allemagne. On est que des tas de merde, au fond… des crottes qui flottent qui perdent pas espoir. Je les asperge d’urine jusqu’à se qu’elles coulent une à une. Bataille navale du stade anal. Et pendant que j’essaie désespérément de me laver les mains après la petite commission des mecs penchés sur le sèche-mains qui a rendu l’âme dans les années 1970 – l’un d’eux relève la tête, renifle, ses yeux éberlués me fixent à travers mes verres sombres : « Tu veux essayer ?

– C’est quoi ? » je fais.

« Du speed. »

Je refuse.  Pas besoin de ça. Je suis déjà suffisamment à la (ra)masse comme ça. Et comme un prince je sors de ces chiottes caverneuses de ce bunker glauque et étincelant et je retrouve le grand air.

Au seuil du bunker nuit brumeuse cette nuit encore pas d’étoiles dans le ciel.

On est définitivement perdus.

 

à la Bakeri

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4p.m heures locales – quelles heures sont il à Paris, mon cœur ? Mais mon cœur est ailleurs mon cœur est en vadrouille du côté de Williamsburg ce quartier haut en couleur au cœur de Brooklyn, New-York, New-York, USA – plein de liens cher lecteur cher toi mais c’est qu’ici tout défile c’est super-difficile de tout enregistrer j’essaie pourtant je te jure j’essaie de m’exercer d’être un Memory Babe parce que mine de rien Jack mon esprit est dans TA ville mais tout va vite vite tout s’entremêle tout s’entrechatte tout s’entrechoque et se brise aussi parfois – et mon esprit se disperse et ma mémoire solitaire est quelque peu défaillante.

Tu dis que tu as écrit On the Road en trois semaines sur un rouleau – je l’ai vu d’ailleurs ton tapuscrit de 36 mètres de long j’ai eu la chance de le voir – en tournée à Paris – sans benzédrine – sous café uniquement.

Parchemin original de On the Road

Parchemin original de On the Road

Parchemin original de On the Road

Parchemin original de On the Road

Tu carburais au café wow mais comment tu fais parce que maintenant j’en tiens une tasse là de ton café et tu sais quoi ? Il est pas fort du tout ! C’est pas un café ça ! Je sais pas comment vous faîtes chez vous mais il est tellement allongé… On dirait du jus de chaussette. Résultat il est 16h et aujourd’hui j’ai beau avoir déjà ingurgité cinq cafés je suis encore fatigué nase kaputt.

Je traîne des pieds je baille il m’en faut un sixième alors tu me traînes dans cette boutique vers la 7th street – la Bakeri que ça s’appelle – avec un « i » à la place du « y » pour faire tendance? – qui comme son nom l’indique est une boulangerie-pâtisserie. Entrée dans la Bakeri donc – the Smiths en fond sonore. Un café, enfin! – un grand, please! – Et froid – parce que j’aime pas le café chaud – tu sais le café brûlant qui te nique la gorge et les papilles – parce que je suis suis trop pressé pour le laisser refroidir – et comme je suis gourmand comme j’ai faim malgré la patte de dinde rôtie que je viens de m’enfiler au marché de Smorgasburg – un cookie pour l’accompagner!

La fille au tatoo

La fille au tatoo

Cette fille sur la photo – typique des lieux – que j’ai tenté de capturer discrètement –  « enjoys the day ». C’est pas moi qui clame c’est son tatoo sur l’avant-bras – que j’aperçois à travers la vitre – elle est sur la terrasse – bonnet rouge, bracelets et stylo à la main – elle est en train d’écrire – en train d’écrire sur un carnet – les laptops c’est has been… Elle boit un café dans un verre – pas dans un gobelet transparent en plastique – à la « Weeds » où tu vois toujours l’héroïne de la série boire à la paille des cappuccinos glacés. À un moment elle va se servir au comptoir alors que je t’amène un truc – nos regards se croisent se toisent et se disent tout. Fugace. Je reviens à ma place dans ma petite boîte à tes côtés et je picore sur la table les miettes de mon cookie que j’ai avalé en moins de deux. Maintenant REM – Near wild heaven. Et on discute. De mon ressenti sur New-York cette ville-monde que j’ai tant fantasmée. La tête toujours dans la Lune cachée par les gratte gratte gratte-cieux – et Times Square et ses 10 000 soleils – je suis… ailleurs. C’est bon, le café froid est en train d’agir, je suis en train de recharger les batteries.

By night and with Mickey Mouse

Times Square comme 10000 soleils

Enjoy the day enjoy dit son bras j’enjoy mon séjour et je me suis mis en tête de partir un peu sur tes traces Jack – j’ai dans mon sac toujours ton bouquin – Et les hippopotames ont bouilli vifs dans leurs piscines –de Larimer Street jusqu’à Columbia où tu as étudié – un peu – en passant par le Village et Ozone Park où tu te terrais chez ta mère jusqu’à ce que Neal te sorte de ce trou et que tu partes sur la route –

Coucher de soleil à Williamsburg

Coucher de soleil à Williamsburg

 

Sur le toit du building

Sur le toit du building

et je marche sur les pas de tes errances. Alors, en Amérique, quand le soleil décline et que je vais m’asseoir en haut de ce building sur ce toit, quand je fume ma clope dans la nuit sans étoiles sans étoiles sans même l’étoile du Berger qui s’étiole comme tu dis en effeuillant ses flocons pâle sur la prairie, juste avant la tombée de la nuit complète – moi je pense à enjoyer the day the night je pense même à savourer tout mon séjour et j’ignore ce qui viendra ensuite, je pense à tout ce que je ne vais jamais pouvoir ramener dans l’avion fade du retour, je pense à Jack et je pense à toi, je pense à toi.

We make love...

We make love…

Ton désert, Simon…

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« Le vrai voyage, ce n’est pas de chercher de nouveaux paysages, mais un nouveau regard »

– Marcel Proust

Teraz jest teraz…

Maintenant c’est maintenant

Ahora es ahora comme on dit ici,

sur la route.

La route jusqu'aux Bardenas

La route espagnole

Ahora es ahora, Simon,

et c’est dans ton désert qu’on arrive.

Nous revoilà en escapade Camille et moi quelques mois après notre périple polonais – téléportés en Espagne cette fois-ci – tenter de trouver un peu de chaleur en plein hiver.

J’y ai cru moi ! J’ai pris mon blouson de mi-saison – mon blouson noir totalement délavé décoloré à force de passer mes nuits dehors – mon blouson de bourlingueur. J’ai aussi pris mes lunettes de soleil et j’ai même hésité à embarquer de la crème solaire –  complètement givré, olé !

Du coup le bilan est laconique. Sans appel. Je me les gèle grave.

Destination l’Espagne donc, et plus précisément les Bardenas Reales.

Ton désert Simon – celui où tu es déjà allé pas mal de fois.

Celui dont tu me parles souvent.

Tu m’as envoyé une flopée de cartes postales. Tu m’as montré des dizaines et des dizaines de – très belles – photos.

Ahora es ahora – et on y va – là, maintenant.

On est parti vers 13h de Tudela. Si on est parti si tard, c’est parce qu’on a fait la java hier soir jusqu’à pas d’heure avec les gens qui nous ont hébergés. On a eu du mal à se lever ce matin, on a beaucoup traîné – du coup on a raté les rares bus qui font la route jusqu’aux Bardenas mais nos hôtes nous ont filé leurs vélos.

Un des vélos a pas de vitesse, la selle de l’autre défonce l’entrejambe – tu devrais nous voir commencer à pédaler sur les hauteurs de Tudela Simon, tu te serais marré – des amateurs, je te dis !

Après le petit pont à l’entrée de Tudela, on sent vraiment le vent. Le vent glacial, 50-60 Km/h, en pleine face. Et ça sur toute la route, 15 Km jusqu’à l’entrée du désert, près d’Arguedas. Tu m’as pas vendu les choses comme ça Simon, tu m’as jamais dit qu’on pouvait se les peler autant. Et crois moi Cow-Boy, on en chie déjà. Surtout Camille, qui est obligée de pédaler comme un rat avec ses vitesses pétées. Je passe devant – j’essaie tant bien que mal de la couvrir du vent.

On parle pas, tout occupés à lutter contre les forces de la nature. Je cogite pas mal – et la question qui me reste en mémoire c’est « Qu’est-ce que je fous là ? ».

Il pleut et je pleure je sais pas pourquoi.

Bardenas

Bardenas

Autour de nous déjà les paysages du déserts, les collines, les plateaux et les inselbergs. On arrive à distinguer les différentes couches de roches superposées l’une sur l’autre, des sédiments. C’était quoi avant ? Une mer ? Une forêt ou une jungle ? On est rien par rapport au passage du Temps.

Éoliennes. Falaises. Panneaux solaires – et plus loin, à une distance en trompe-l’œil, vagues chemins seules traces de l’Homme ici.

En face la route continue jusqu’à Arguedas – on bifurque sur la droite, un petit sentier qui sent le bousin – des champs où les taureaux paissent – en suivant le chemin on tombe sur le panneau « Bardenas Reales » – et j’ai l’impression de rentrer chez toi par effraction.

Tu m’en as tellement parlé Simon que j’ai fini par m’y voir dans ton désert – avec Camille – tous deux néophytes de ces paysages – à dos de cheval – oui je nous ai vu à l’aventure, au trot, matant ces inselbergs de front et galopant sur les sentiers d’argile.

Bardenas

Bardenas

C’est pas encore fini. Il nous reste une forte montée à attaquer et ensuite, ensuite c’est l’entrée du désert. On pédale on pédale on pédale il pleut il pleut il fait froid froid. Il est 15h30, on est seulement aux portes du désert. En haut de la montée, enfin. Je pose mon vélo et je m’assois par terre, il est temps d’entamer nos sandwichs. Le froid. La pluie. Le vent – le Cierzo qu’on connaissait pas, maintenant on en a plein la gueule. Sec et glacé.

Bardenas Reales

Mes mains sont passées par toutes les couleurs de l’arc en ciel, maintenant elles sont vert pale et je commence à ne plus les sentir. Et ce paysage magnifique de désolation qui nous enterrera tous… Et si on rebroussait chemin ? Camille : « On aura roulé deux heures pour rien. »…

Elle a raison. Yalla !

Je pleure de froid et mes larmes secouées par le vent glacent mes joues. Je lève la tête – les nuages déchiquettent le ciel de façon quasi-chirurgicale. Je comprends que ça sert à rien à de pleurer – les garçons pleurent pas et surtout pas les Cow-boys comme nous pas vrai ?

On enfourche nos vélos à nouveau. On monte encore un peu, puis la descente – faible et venteuse – s’amorce. En bas on prend à gauche – un petit chemin en argile trempé et boueux. Nos vélos s’engluent par endroits, on en est presque aspirés – poussière tu retourneras à la poussière.

Sillons

Sillons

Des ruisseaux vides creusent des sillons. La pluie fine glaciale et pénétrante laisse la place au soleil – bien maigre, le soleil, mais il fait soudain dix degrés de plus, malgré le Cierzo. On s’arrête à côté d’une baraque désertée au beau milieu de nulle part.

Vélo

Vélo

Devant nous s’élève le fameux rocher – celui dont Simon m’a tant parlé – celui qui figure sur les cartes postales qu’il m’a envoyées, les photos qu’il m’a montrées. J’arrive pas à évaluer la distance qui nous sépare de lui. Camille veut rebrousser chemin : « C’est à cinq minutes d’ici. Tu peux y aller, moi je t’attends ici.

– Jamais de la vie. Pas sûr que ce soit si proche, et puis je ne te laisse pas là. Soit on y va ensemble, soit on y va pas. »

Le vent laisse le champ libre aux grandes déclarations. Yalla – Camille reprend son vélo en main et part devant. Putain sans elle je serais même pas arrivé là, et maintenant elle veut baisser les bras ?

Cinq minutes plus tard, on y est. Devant le rocher. Le Castildetierra. La Cheminée de fée. Le truc du désert, ce qu’on doit obligatoirement prendre en photo. Une pancarte explique comment ce rocher si particulier s’est formé au cours du temps. Et elle nous montre son futur : avec l’érosion le haut du rocher va un jour dégringoler et se désintégrer. Poussière… On se prend en photo devant le Castildetierra et on admire le panorama qui s’offre à nous. Aucun bruit sauf celui de la nature, quasiment aucun signe de l’activité humaine.

Castildetierra

Castildetierra

Maintenant qu’on a fini de faire nos touristes on range nos appareils photo et on fait demi-tour.

17h30. Je suis très branché sur l’heure, là, j’ai peur que la nuit s’abatte sur nous tout à coup. Dès que le chemin monte un peu, on descend de nos bécanes et on les pousse à pied. « On sera à Tudela à 19h », je fais à Camille. Pour la motiver. Je ne sais pas si je dois croire ou non à ce que je dis. Et on se remet en selle – une intersection – une montée tortueuse – et à partir de là réjouissance gracieuse – une descente vertigineuse. Et sans vent de face.

C’est parti ! Sur mon vélo je suis un apache, j’existe et j’exulte, je crie à pleins poumons, à 35 Km/Heure

« Waaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaoooooooooooooooooooooooooooooooooooooooouuuuuuuuuuuuuuuuuuuu » et mon cri fait écho – ultime trace dans ce désert qu’on quitte. Puis le panneau « Bardenas Reales » qu’on dépasse dans l’autre sens, et la route qui sent le bousin.

Ahora es ahora et maintenant il est 18h à peine – on arrive à la bifurcation de la grande route. Si tout va bien si on trace on trace on sera de retour à Tudela avant la nuit. Je me retourne et jette un dernier regard sur ces paysages magnifiquement désolés.

Tes paysages Simon – les paysages que tu magnifies et dans lesquels toi tu te perds pas.

W drodze

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Teraz jest teraz et ni une ni deux Camille et moi on monte dans le camion d’un inconnu de la nuit. Les chiens errants se détournent de nous et reprennent leurs vagabondages autour de la station-service EKO TANK. On attend au chaud dans le camion – Camille sur le siège passager, moi sur la banquette – on scrute l’intérieur et on se familiarise avec cet environnement cloisonné – le lieu de travail et de vie de notre chauffeur-sauveur – pendant qu’il met du gasoil et qu’il nettoie ses pare-chocs. Des porte-clés, des grigris accrochés sur le rétro intérieur. Un cendar de fortune plein à craquer près du levier de vitesses et une forte odeur de clope froide mais c’est pas dérangeant parce que ça sent la vie ça sent la route qui s’annonce.

Dans le camion de Czesław

Dans le camion

Je scrute Camille du coin de l’œil en me demandant encore ce qui nous a pris – comment on a fait pour être arrivés là tous les deux. Camille… on partage les 400 coups, les 1001 nuits, les 10 puissance 12 expériences, des parsecs de voyages.

Camille… Je me vois me souvenir de nos vies antérieures c’est pas un hasard tu t’appelais Yashan tu étais mon compagnon de voyage là-bas quelque part parmi les yourtes de Mongolie intérieure sur les steppes où nos regards se posaient debout sur nos chevaux arabes parfois quand tu en buvais tu foutais plein de lait de yak partout sur ta moustache… Il y a des choses qui ne s’expliquent pas.

C’est bon, yalla ! Le chauffeur monte dans la cabine – on fait les présentations il nous dit qu’il s’appelle Czesław – j’aime bien ce prénom polonais qui se prononce comme « J’ai soif »

Un tour de clés, frein à main levé, levier de vitesse poussé – et c’est parti dans la nuit calme et fraîche. Czesław conduit des camions depuis douze ans, il transporte du courrier.

C’est pas la première fois qu’on monte dans un camion mais ça fait toujours un léger choc. En effet de la cabine on a un panorama imprenable sur la route qui défile au gré de ses phares – la nuit nous appartient.

Camille et moi on contemple sans mot dire Czesław. Il conduit, calme et silencieux, parfois une clope au bec, parfois les deux mains serrées sur le volant. Et parfois il se tourne vers nous. Cheveux roux en pétard, yeux bleus-verts fatigués injectés de sang à force d’avoir trop roulé. Camille : « Il est possédé ce gars »

C‘est dans ce camion – avec Czesław aux yeux de fou – ses tonnes de lettres d’amour qui attendent leurs destinataires et Amy McDonald sur Radio Zet en fond sonore – que minuit ronronne.

Sur cet air .

Césure d’un jour à l’autre – la musique ringard est pour nous imperceptible – la nuit est la même – on trace plein gaz.

Les lampadaires défilent sur le macadam et se reflètent sur nos vitres – guirlandes de Noël qui nous montrent le chemin qui reste à parcourir – 80, 60, 45 puis 30 km –

Nowe Gniew et ses lumières rouges qui scintillent dans nos yeux fatigués – Cyndi Lauper –Time after time.

Rudno Tczew où Michael Jackson chante Billie Jean

Czesław est équipé d’une CB. On a beau pas comprendre le polonais – on devine ce qu’il fait quand il prend le micro – il lance des appels aux autres conducteurs aux environs

On arrive à Pruszcz Gdański – à une vingtaine de kilomètres de Gdańsk. Czesław lance un appel pour savoir si quelqu’un peut nous déposer dans le centre de Gdańsk. Mais personne répond et Czesław a l’air vraiment désolé quand il nous dépose dans une station-service aux abords de Pruszcz Gdański.

Pruszcz Gdański

Pruszcz Gdański

1h du mat’ – on fait le piquet. Il y a bien des gens qui vont à Gdańsk – des mecs bourrés et relous – on a pas envie de monter avec eux. En face de la station-service il y a un hôtel deux étoiles – on traverse la route on entre on se renseigne à la réception afin de connaître le prix des chambres – pas dans notre budget. On apprend qu’il y a des bus ici qui vont jusqu’au centre-ville de Gdańsk – une heure de trajet. Le premier est à 4h du mat’.

On attend encore un peu. « Peut-être que la meilleure solution est d’avancer avec la pancarte », je fais. Camille hoche la tête. Yalla !

Sacs sur nos épaules, un derrière l’autre devant, un pied devant l’autre – on marche sur le trottoir de lampadaire en lampadaire nos ombres se profilent s’étendent s’éteignent. 19 Km jusqu’à Gdańsk. – Camille et la pancarte – tournée dans la direction de nos éventuels improbables futurs chauffeurs.

18,5 km, 18,4 – on approche. Tant qu’il y a un trottoir, toujours le suivre. Voyage au bout de la route. On laisse derrière nous au loin des barres d’immeubles ternes vestiges du réalisme socialiste. « Mais qu’est-ce qu’on fout là ? » je demande – comme souvent quand on traîne comme ça à une heure avancée de la nuit. « … On devrait faire la tournée des bars de Gdańsk, aller en boîte…– et au lieu de ça on se retrouve à Pétaouchnok avec une pancarte de merde en carton ! » Et Camille de répondre : « C’est toi qui es en carton ! » Bien envoyé. Je contemple Camille qui brandit la pancarte – et je me dis que tous les deux, on aurait jamais fait ça tout seul, et que ce qu’on vit, c’est magique. Allez, du courage ! Yalla yalla !

Les camions à côté de nous rugissent à notre passage – rois de la nuit. Yalla Yal…-

Nos cris intérieurs pour se donner du courage sont interrompus par une voiture rouge qui passe devant nous – ralentit. S’arrête. On s’active derrière pour nous faire de la place. Lucie Kasia et Andy dans une Toyota Yaris. Des étudiants qui rentrent chez eux à Gdańsk après avoir bossé toute la soirée On grimpe on est serrés comme des sardines. « Vous avez un endroit où dormir cette nuit ?

– Non. » dit Camille.

– OK. » On voit Andy bidouiller sur son iPhone. Kasia : « Il essaie de vous trouver un endroit où dormir pour cette nuit… » et peu après, Andy : « C’est bon, je vous ai trouvé une auberge de jeunesse près de chez nous.

– Wow ! » Rapide et efficace ! Des sauveurs de la route, encore ! Alors qu’une fois de plus on a rien demandé…

Serrés dans la Yaris, on voit la route défiler – la banlieue de Gdańsk, la zone industrielle – plus de trottoirs ici – à pied on aurait pas pu aller bien loin. Puis l’entrée dans la ville – les grandes avenues, le centre. On s’y attarde pas, on va un peu plus loin, à Oliwa.

1h30, Terminus devant l’auberge Wolna Chata – un hostel cossu, rustique, à prix modique. Lucie, Kasia et Andy nous font un signe et ils repartent chez eux.

Camille et moi on est reçus comme des rois à la réception. Et on découvre qu’on a une chambre de cinq pour nous deux. Une chambre avec des lits ! Des matelas. Des couvertures ! Et de quoi se laver demain.

Parce que qu’est-ce qui nous attend demain ? Où on sera ?

On sait pas.

Et on s’en cogne.

L’essentiel, c’est pas la destination, l’essentiel c’est la route !

 

l'auberge Wolna Chata au petit matin

l’auberge Wolna Chata au petit matin

Comme des Chiens errants au milieu de nulle part

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On the Road, which I keep thinking about : [is] about two guys hitch-hiking to California in search of something they don’t really find, and losing themselves on the road, and coming all the way back hopefull of something else.

– Jack Kerouac, journal, 23/08/1948, première mention de « Sur la Route »

Lille-Berlin : à vol d’oiseau 900 Km – 37 heures, 15 chauffeurs (!)

Berlin-Poznań : 300 Km – 4 heures, 1 chauffeur

Poznan-Toruń : 200 Km – 7 heures, 2 chauffeurs

Toruń-… Presque 6 heures, 2 chauffeurs…

Teraz jest teraz.

Maintenant c’est maintenant.

C’était écrit sur la porte des chiottes d’un bar de Poznań.

Maintenant c’est maintenant. Ici c’est ici et voilà où on est…

Jeudi… Le 13 septembre 2012. Camille et moi on vient de se faire dropper là par un gars de Chełmno. Il nous a pris en lift le temps d’aller ramener sa fille du poney-club et de faire un tour de la ville – nous montrer la vraie ville des amoureux, là où aurait vécu le vrai Saint Valentin.

Teraz jest teraz et maintenant le plan c’est d’aller à Gdańsk.

Teraz jest teraz et maintenant on est sur le parking d’une sorte de restaurant Buffalo Grill au bord de la route. Le gars de Chełmno a voulait nous déposer au péage de l’Autostrada 1 qui mène droit à Gdańsk mais ça lui aurait fait un trop grand détour donc il a préféré nous laisser là.

19h45 – ça fait dix minutes qu’on attend sur le parking. Ciel vespéral, traînées orangées, le soleil est sur le point de se coucher. Il y a quelques voitures en stationnement. Sans doute des gens qui se ravitaillent avant de reprendre la route. Peut-être que parmi eux il y en a qui vont à Gdańsk? Croisons les doigts…

Un mec sort du resto. Il nous regarde, allume une clope et s’avance vers nous. On comprend qu’il nous propose de nous dropper à dix minutes de là sur la route 1. Si on le suit, do widzenia l’autoroute et la pensée agréable de rejoindre Gdańsk en une heure et demi. On hausse les épaules. Tant pis. On lui dit tak tak bardzo dobrze et on le suit jusqu’à sa caisse.

Tadeusz alias Teddy dispose d’un 4×4 avec son chien derrière – il transporte des bateaux et rentre chez lui près d’Ostróda, dans la région des mille lacs. Gentil comme tout, le bougre. Il nous propose même de l’accompagner là-bas, il peut nous offrir le gîte et le couvert. On hésite mais on refuse. Ça nous éloignerait trop de notre route. Et en plus on a pas de ceinture de sécurité. Et Camille a un peu de mal avec les clebs. Teddy nous jarte à une station-service EKO TANK. On est à moins de 100km de Gdańsk – le panneau qu’on vient de croiser, je crois bien qu’il indique « Dolna Grupa » mais ça figure pas sur ma carte Michelin.

EKO TANK

EKO TANK

Alors je crois surtout que je sais pas où on est.

Teraz jest teraz et à Gdańsk, on a pas d’hébergement pour ce soir.

Mais ça sert à rien de penser à ça.

Gdańsk, on y est même pas.

La station-service est plus ou moins déserte.

Les rares voitures qui s’arrêtent prendre de l’essence ici vont pas jusqu’à Gdańsk– ou ont pas l’intention de nous prendre. Mais on s’en fout. Je suis d’humeur positive – à défaut d’être vraiment optimiste – et il fait pas encore trop froid.

Je regarde tout autour de moi. À droite, la route 1 qui passe par Gniew pour aller jusqu’à Gdańsk. Devant, la forêt. Et derrière la station-service, ce qui doit être Dolna Grupa. Quelques maisons. Un hameau. Pas de lampadaires. Pas de trottoir.

Que dalle.

Je soupire.

Faut que je m’habitue à cet environnement. Peut-être que c’est là où on va passer la nuit.

Je me roule une clope.

Camille a faim. Elle va se chercher un truc dans la boutique de la station-service.

De derrière la vitre je la regarde prendre un paquet de chips et expliquer par geste à la caissière qu’elle voudrait bien aussi un hot-dog prosze ! La nana derrière son comptoir mâchouille son chewing-gum et commence à préparer son hot-dog. Je suis subjugué. Elle enfourche la saucisse dans une sorte de baguette, puis elle fout plein de ketchup dessus. On appelle ça Parówki par ici et je trouve le geste de la nana vachement sensuel, quasi-érotique.

Après 1600 Km d’autostop, un rien peut nous faire fantasmer.

 

Teraz jest teraz et la nuit nous enveloppe désormais. Les minutes, les heures passent, et il fait de plus en plus froid. Camille et moi on alterne : parfois on se met au bord de la route et on fait des signes, des trucs comme ça pour se faire remarquer quand des voitures passent – pour qu’on monte dans l’une d’entre elles et qu’on arrive à Gdańsk si possible avant demain. Mais bien souvent on attend dans la station-service, devant la boutique, là où il y a un peu de lumière.

Camille lit son Bescherelle pour parfaire son allemand. On est en Pologne et elle se met à apprendre son allemand. Alors qu’elle a pas ouvert le bouquin une seule fois quand on a traversé l’Allemagne. Normal…

Le Bescherelle

Le Bescherelle

Je sors mon ukulélé et je gratte quelques accords. Mais le cœur y est pas.

Je fais le tour de la station-service – une énième fois.

Je me roule une clope – une énième fois. Bientôt paquet vide. Et à sec niveau eau. À sec niveau bouffe. À sec niveau argent liquide.

Kurwa masz !

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Un chien s’approche de moi. Un chien errant. Je le contemple. Lui aussi me fixe du regard. Je vois très bien ce qu’il est en train de se dire. On est pareils que lui. Tous seuls au milieu de nulle part. C’est pas demain la veille que Dolna Grupa deviendra un lieu touristique.

Le chien errant

Le chien errant

« Désolé bonhomme » je fais au chien. « J’ai rien pour toi. Et moi aussi j’ai les crocs… »

La station-service, quasi-morte depuis plus d’une heure, commence à s’agiter. Des camions se garent pour passer la nuit ici. Une moto stationne devant la boutique. L’enfourneuse de Parówki sort d’un pas rapide. C’est son copain qui vient la chercher. Il lui file un casque, elle monte derrière lui et la moto démarre de façon tonitruante.

Allez ! Puisque même la Parówki-girl est partie, Camille et moi on se donne un peu d’énergie, on se dit que ça va le faire, on peut y arriver, teraz jest teraz, faut juste se bouger le cul et croire en notre bonne étoile. On se place devant la station-service et comme il fait noir, notre seul moyen de se faire remarquer c’est de chanter. Alors c’est tous nos classiques qui y passent – genre Radio Nostalgie.

Joe Dassin – Siffler sur la Colline et Aux Champs Élysées – pour garder la pêche.

 

22h30 – teraz jest teraz et dans la nuit froide je suis en train de chanter Le Chanteur quand un camion s’arrête et s’engouffre dans la station-service. Jusque là c’est plutôt classique – sauf que le camion en question nous klaxonne alors qu’il fait sa manœuvre. Encore un sauveur ! Il descend du véhicule, on coure vers lui, comme à chaque fois il baragouine un truc, on répond automatiquement « Nie mówię po polsku » – alors il nous montre sa carte. Il va pas à Gdańsk directement mais nous en approche grandement. On le regarde, on hoche la tête et on lui dit « OK ». Il nous fait signe de monter.

C’est parti !

Yalla !

À suivre…

Quelques conseils pour l’autostop

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On va tâter de la route, Jack!

Quelques conseils, après 5000 Km d’autostop…

Avec quelques souvenirs en prime…

et vos propres règles/conseils/témoignages!

 

la route - floue

la route – floue et lumineuse. Elle t’appelle.

1) Être poli et avenant.

Bien se présenter. Quoique… Voir point 7) .

En tout cas, se donner l’air d’être un déchet, ça va pas forcément marcher.

Faut les comprendre, les chauffeurs potentiels, qui te voient surgir du fond des bois ou des hautes herbes, avec tous tes sacs, tout ton attirail, et en plus en guenilles… Malheureusement, bien souvent quand on fait du stop on crapahute, et les vêtements qu’on porte finissent par plus sentir la rose et s’usent assez vite. C’est le jeu quand on bourlingue.

Faut être aimable, comme je viens de le dire. Souriant. Toujours, dans n’importe quelle condition. Qu’il pleuve qu’il vente qu’il neige, qu’il fasse nuit, qu’il tempête, que ça fasse une trentaine d’heures qu’on a pas fermé l’œil.

Une aire d'autoroute aux alentours de Namur

Une aire d’autoroute aux alentours de Namur – dans le froid et la neige

 

Faut sourire, faut que tes yeux soient aussi vifs qu’au petit matin après l’amour, faut que ton visage respire le bonheur, éclaire sa route, au chauffeur.

Sur ton « spot » – la place que tu as choisie pour stationner dans l’attente d’un chauffeur – faut lui donner envie de te prendre en stop.

Faut montrer patte blanche. Rien dans les mains, rien sur la tête, rien que tu puisses cacher. J’ai appris cette leçon en lisant Le Monde en Stop , de Ludovic Hubler.

Et même si les gens te prennent pas, il y en a plein qui te font un signe – tu as du mal à comprendre ce que ça signifie. C’est pour t’encourager dans ton périple ou te dire que tu es pas dans la bonne direction ? – en tout cas, renvoie leur toujours un sourire en retour.

 

2) Prenons notre temps…

[Ouais… J’ai osé…]

Si tu fais du stop, c’est que tu as le temps, et que tu as déjà dans la tête cette idée cette construction mentale que peu importe QUAND tu vas arriver, tu VAS y arriver – tu le sais et c’est tout ce qui compte. Condamné(e) à faire abstraction du temps.

Il m’a fallu quelque temps justement pour arriver à ça : attendre au bord d’une route sans te demander tout le temps : « Quand est-ce que je vais me faire prendre ? » [sic !] – dans le jargon on appelle ça un « lift ».

Le Temps est précieux, et vu que tu bouges pas comme tu voudrais, tu dois le prendre pour observer ce qu’il y a autour de toi.

Le macadam.

Les lignes blanches qui se rejoignent au point de fuite et disparaissent à l’horizon.

Les herbes folles au bord des routes.

Les fougères.

Les détritus.

Les merdes.

Même ça c’est beau. Baudelairien.

« Tu m’as donné de la merde et j’en ai fait de l’or. »

– ou quelque chose comme ça…

 

3) Ne prévois pas (trop) par où tu vas passer.

Voilà. Tu connais ta destination. Elle est inscrite sur ta pancarte. Les étapes avant d’y arriver… oublie les !

La route te réserve bien des surprises. Il se peut même que tu y arrives jamais, à ta destination. Et alors ? Tu sais qu’un jour, tu arriveras quelque part.

Pour aller à Berlin, j’envisageais de passer par Hanovre.

Couper la distance en deux, passer la nuit à Hanovre pour pouvoir, le lendemain, frais et dispo, lever le pouce au bord de la Bundesautobahn A2 – le chemin qui mène tout droit à Berlin.

Hanovre on l’a jamais vu, même de loin. À la place on a pu voir des moulins à la frontière belge, un Burger King sur une aire d’autoroute entre Aix-la-Chapelle et Cologne, une station de tram à Dortmund dans laquelle on a essayé de dormir – Glückaufstrasse… et on est quand même arrivés à Berlin – et Dieu sait que c’était loin d’être gagné d’avance tellement on s’était fourvoyés.

Dortmund - Glückaufstrasse

Dortmund – Glückaufstrasse

La brume sur la route au petit matin

La brume sur la route près d’Unna au petit matin

 

Une autre fois Paris-Rennes – sans que ce soit prévu, on est passé par la forêt de Rambouillet, on s’est arrêtés à Chartres visiter la cathédrale, on a mangé une banane dans une station-service abandonnée à la Ferté Bernard – et j’en passe…

En train on serait montés à Montparnasse, on serait descendu à Rennes – ça aurait été plus rapide, mais on aurait jamais vu tous ces endroits.

 4) Éloigne toi de la ville autant que tu le peux…

Selon moi le plus difficile quand tu fais du stop, c’est de sortir de la ville et d’y entrer. Une fois que tu lèves le pouce sur les aires de repos, tu suis juste la cadence, c’est pas très compliqué.

Pour sortir de la ville, il faut te rendre à ton premier spot. Cherche le toujours en périphérie, le plus loin possible de la ville, le plus près possible d’un axe routier important comme une rocade ou un truc de ce genre.

Si tu lèves le pouce en pleine ville, les chances de trouver un lift sont assez minces. La majorités des gens qui prennent le volant en ville le font pour aller d’un point A à un point B… tous deux situés à l’intérieur de la ville.

L’un des échecs les plus retentissants de ma jeune et précaire carrière d’autostoppeur est le jour où on a voulu faire Londres-Stonehenge en stop. Sûre de lui, mon acolyte me dit « Oui oui, je sais quelle direction on prend. Oui oui, je connais un bon spot éloigné de la ville. » Naïf, je l’ai suivi, sans me renseigner.

Et voilà où il a voulu commencer à lever le pouce:

Hyde Park - pas un bon spot

Hyde Park – pas un bon spot

HYDE PARK, bordel! En plein centre de Londres… Un super spot pour les concerts  mais pas du tout pour chopper un lift!

On a quand même essayé… une heure…. et puis on s’est promenés de ce côté là de Londres, à courir après les écureuils.

 

5) Tant qu’il y a encore un trottoir, marche !

Une des règles apprises au cours du temps : quand tu es à un endroit et que tu t’apprêtes à lever le pouce, attends et zieute un peu : il y a un trottoir ? Qui va dans la direction de la route que tu veux prendre ? Suis le aussi loin que tu peux !

Pourquoi ?

Un bon spot - Aire de Villaine la Gonais

Un bon spot – Aire de Villaine la Gonais

Parce que d’une, ça va « faire le tri » : tu vas continuer dans la direction que tu veux prendre alors que parmi les voitures beaucoup vont emprunter d’autres routes. À la fin de ton trottoir, tu as plus de chance de tomber sur un chauffeur qui va dans la même direction que toi.

Et de deux… Tu fais du stop, t’es pas avachi devant ta télé. Reste pas stoïque. Te mouvoir. C’est ça la clé. C’est con à comprendre mais en te voyant marcher au bord de la route, les chauffeurs vont accorder plus de crédit à ta démarche. Tu auras plus de chance de chopper un lift.

Bon… tu marches, mais ça t’empêche pas de lever le pouce quand même. Et de coincer ta pancarte à l’arrière de ton sac à dos de manière à ce qu’elle soit bien visible.

 

6) Les chauffeurs.

C’est dangereux de se faire prendre en stop par des inconnus. C’est vrai, bien sûr, et je vais pas nier ça ou prouver le contraire. En même temps, c’est un peu l’essence de l’autostop, non ?

Simplement, je vais tenter de recontextualiser. Si monter dans une voiture d’un inconnu est flippant – et j’ai flippé de nombreuses fois… – prendre un inconnu en stop l’est tout autant.

Tu es à ton spot, une voiture s’est arrêtée, tu dois faire un choix rapidement… il s’agit d’une question de CONFIANCE mais oublie pas qu’en tant qu’autostoppeur, c’est TOI qui choisis si tu acceptes le lift qu’on te propose ou si tu attends une prochaine chance.

 

7) Le storytelling

… Ou l’art de raconter une histoire…

J’ai appris cette règle en Belgique. Gijs, un couch-surfeur de Gand adepte de l’autostop nous a raconté qu’il existe un concours où le but est d’aller en stop de Bruxelles à Barcelone et d’arriver là-bas le plus vite possible – un peu comme ce concours là. Les gagnants de l’édition 2011 s’étaient déguisés en mariés !

Ouaip… Leurs vêtements, leurs attitudes racontaient une histoire, et comme ça transparaissaient au travers d’eux, la chance qu’une voiture s’arrête sur leur chemin se trouvait amplifiée.

[Je me demande s’ils se sont vraiment mariés, depuis…]

Sur ton spot, vends du rêve.

Une fois, j’avais pris quelques instruments de musique avec moi, dont mon ukulélé qui dépassait de mon sac de bidasse. Et dans la voiture qui nous prend, le gamin à l’arrière lâche sa PSP sur laquelle il avait les yeux rivés et me demande : « C’est pour quoi faire ? ». Je lui ai raconté qu’on faisait un atelier musical dans une école d’un quartier défavorisé de Lublin… Bon, c’est un mensonge… mais c’était mon premier essai de storytelling…

Si tu n’as pas de costume de marié(e) à portée de main, tu peux personnaliser ta pancarte. Faire péter les couleurs.

La rendre flashy, attractive, sensuelle, bonasse…

De cette faon aussi tu peux (bien) te faire remarquer.

Un bon spot - entre Nogent le Rotrou et la Ferté Bernard

Un bon spot – entre Nogent le Rotrou et la Ferté Bernard

 

8) « Peut importe la destination, l’essentiel c’est la Route. »

– avec un R majuscule, parfaitement.

C’est ce que je dis tout le temps. Pour me porter chance avant de lever le pouce. Pour me donner du courage dans les moments où je doute et où je veux renoncer…. Parce que c’est vrai, surtout !

Un exemple magistral : une fois, paumés en Silésie. Presque 20h. Déposés à un péage, la nuit commence à tomber, les phares aveuglants des voitures dans les yeux – le trafic, le trafic, mais rien pour poser les sacs, s’asseoir, se reposer…

Un péage en Silésie

Un péage en Silésie

Le genre de moment où tu te dis : « Mais qu’est-ce que je fous là ? ». Et là, pile à ce moment, au moment où tu désespères, au moment où tu craques… Une Limousine Rolls Royce. Qui passe sous nos yeux. On se regarde, on hausse les épaules : « Allez, yalla, on tente, advienne que pourra ! » on lève notre pancarte – POZNAN – à 300 Km de là. Et à la surprise générale… La porte de la Limousine s’ouvre, et le chauffeur nous fait signe de monter.

Trois heures dans une Rolls Royce.

La surprise de la route.

L’essentiel.

La Limousine

La Limousine

 

Mais j’apprends… Et je commence à comprendre, en lisant Sur la Route Again, de Guillaume Chérel – que la destination aussi… elle est peut-être importante finalement…

 

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Quelques liens :

 hitch-wiki

Le pouceux