Archives de catégorie : Le Coin de Ben Howl

Allez, on va au p’tit coin!

Le jour où la nuit brûle – partie 1

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Bill squatte chez moi depuis quelques jours. Ce matin petit-déj’ fissa fissa et métro pour aller au boulot. Dans les souterrains je pense à ce soir – la fin de la journée, la fin de la semaine et sa dernière soirée ici. Faudra bien se la faire – vivre à fond la nuit la ville sans fond. Cette perspective me réjouit – hop je dégaine mon portable et lui envoie un SMS : « Ugh ! Comment ça se passe en la casa ? Beatbox ce soir au bord du canal ? Avec harmonica ukulélé et deux illustres troubadours distingués à l’air vespéral ? ». Ouais du beatbox – comme la fois où on en a improvisé sur le belvédère qui dominait la ville et ça a duré des heures des heures on savait parler toutes les langues de Babel après la tour et d’outre-Quiévrain. Anglais-Français-Allemand-Russe-Esperanto- des « Mmmm » et de « Tsss » et des « Bop » aussi. Et la fois où on en a fait aussi – en plein jour cette fois – et en public parmi les hautes herbes pas folles dans les jardins de ce château.

Bill – sa réponse : « Hell yeah ! » – rock’n’roll.

Je suis de bonne humeur énergique et joyeux toute la journée. En rentrant chez moi Bill a déjà fait les courses. Repas simple frugal mais bon – du pain de la sauce provençale qu’on tartine dessus et qu’on saupoudre de comté râpé. Une idée de recette qui vient de Mina, la copine de Bill – Serbe, pianiste, belle comme une déesse et intelligente en plus. Comme dessert des yaourts à la rhubarbe délicieux – Bill en est devenu fan.

On prend nos affaires Bill prend ma guitare qui me sert pas je compte la revendre bientôt je pense et peut-être m’en prendre une autre.

J’embarque:

– mon ukulélé fruit d’une de mes visions il y a plus d’un an qui m’a happé alors que je rentrais chez moi après une soirée sous le soleil au zénith

– mon harmonica qui date de mon séjour assez récent en Bretagne fruit de ma frustration de pas avoir pu embarquer le uké – pas assez de place dans mon sac de bidasse

– un « tssi-tssi » vu que je sais pas comment ça s’appelle fruit de mon week-end à Hambourg en décembre dernier rejoindre dans le froid Anna la Russe – quelle beauté – qui m’avait invité à voir un concert – mais moi c’était pour la voir elle que je me tapais dix-neuf heures de trajet – l’aller ! – et une nuit dehors.

Et c’est bon on part.

Deux grands dadais dadaïstes en bermuda pantalon japonais sandales Converses chemise en lin – ou c’est du chanvre, Bill ? – t-shirt rock’n’roll et chapeau à plume – des pèlerins le regard qui se perd au loin tellement il est à l’affût. B.Howl votre bien dévoué serviteur ici présent – et Bill Burroughs/Graham/ce-que-tu-veux. C’est toi qui voit mec ! B.Howl et Bill. J’en suis particulièrement fier, de celle là…

Et ce parc dans lequel on arrive et qu’on a tellement vu – la dernière fois déguisés intérieurement en peaux-rouges ou en Sioux. Ou en Navajos hi ho hi ho. On pose nos culs et notre attirail sur l’herbe humide. « Tu verras », Bill me dit « les gens vont venir ! ». Devant moi on voit Camille assise à flan d’arbre qui lit je crois – son vélo posé près d’elle. On s’approche d’elle – ça fait un bail qu’on s’est pas vus je suis ravi de la voir. Elle me regarde « Je suis en train de t’écrire une lettre B.Howl » elle me fait. Elle a reconnu Bill – elle l’a vu une ou deux fois – mais pas moi. J’ai tant changé que ça depuis la dernière fois ? On lui propose de se joindre à nous mais elle vient pas c’est pas le moment. Je comprends et on retourne s’asseoir dans notre coin. Les lumières tournoient autour de nous le soir tombe maintenant c’est les dompteurs de feu qui jouent à la flamme des dompteurs de feu des tournicoteurs. Plus loin des zombies aussi des allumés des gens à la coule. Pour s’échauffer on se fait à deux « Le lion est mort ce soir » puis Bill m’apprend « Little Boxes » la chanson du générique de Weeds. Mais c’est pas évident et ça finit par me gonfler.

Je lève la tête – les feux barbares bardent dardent dans la nuit – chantent s’envolent et crépitent. Ne s’épuisent jamais. Là-bas auprès de son arbre Camille écrit – jeux d’ombre et de lumière je me souviens de ses yeux de ses yeux de ses yeux – oniriques – à la lumière des bougies. Me demande si la lettre qu’elle est en train d’écrire je la lirai un jour… Bref j’essaie de pas y penser. J’attrape mon ukulélé et montre à l’habille Bill – je l’assume moins celle là – « Take a walk on the wild side ». Ensuite on se la refait – comme il y a deux ans quasiment jour pour jour. « Mais le matou revient ». Et puis on se tape un délire sur « Mais non mais non ce n’est pas une chanson monotone » – je te la ferai quand tu veux si on se voit un jour, mec. Puis Bill à la gratte accompagné par moi au tssi-tssi enchaîne sur des chants en espéranto en sanskrit en beatbox en n’importe quoi qui monte dans la nuit et disperse et brûle les ombres du ciel – qui finit comme au commencement par un « om »

OOOOOmmmmmmmmmMMMMMmmmmmmm

omni-tout.

Allez on se reprend sur « Armstrong je ne suis pas noir » et je me dis que c’est con que j’ai pas pris mon kazoo au cas où… – qui vient de Hambourg aussi pour ceux que ça intéresse, le magasin de musique presqu’en en face du musée des Beatles qui a fermé pour de bon genre quatre mois avant que dans cette ville je débarque tonitruant.

Un groupe deux filles deux gars passent : « Jouez nous quelque chose » Ah ouais Bill ça marche. On distingue pas trop leur visage il fait sombre maintenant. Une des nanas a sur son t-shirt la même photo que moi – les quatre garçons dans le vent traversant le passage piéton d’Abbey Road.

J’ai traversé ce même passage piéton il y a quatre ans. Comme la plupart des touristes qui passent par cet endroit je suppose. Sauf que j’ai aucune photo qui fête l’événement – y’avait personne d’autre que moi et je pouvais pas me prendre en photo tout seul – par contre j’ai signé sur le mur du studio – là aussi comme pas mal de touriste – les murs ont dû être repeints depuis – plusieurs fois.

Bill nous joue un truc qui selon lui « mettra tout le monde d’accord : « Les amants de Saint-Jean » et il se tape même une envolée lyrique à la fin. Le groupe nous quitte. Je sens que pour nous aussi il est temps de bouger. On s’ankylose à force de rester au même endroit. On remballe nos instruments – un dernier regard sur Camille et on prend congé de ce parc on disparaît on s’enveloppe dans le manteau de la nuit.

 

La suite la semaine prochaine…

Zombies

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Une baraque perdue entre la route et les champs de blé – une Hacienda cotonneuse qui a mal vieillie couleur blanc cassé bois peint gonflé érodé peinture craquelée vernis étiolé tuiles bancales fondations branlantes – un peu fantomatique dans ce paysage or blanc gris – route foncée et gros cumulonimbus menaçants – une maison de style colonial.

ALERTE les zombies débarquent la cohue tohu-bohu on se barricade on essaie de s’en sortir ma gueule d’abord les vôtres j’en ai rien à foutre.

Je fonce au premier – les toilettes – vert émeraude humide et décrépi je m’enferme tout va bien les cabinets céramique encore solide propre ma foi en plus il y a de la lecture imaginez les magazines de cul des années quarante noir et blanc les pin-up’s je ne m’ennuierai pas avant un bon moment.

Qui est in qui est out qui est le vectueur qui les attire comme ça ? J’entends des cris la panique effusions de sang ça sent d’ici dans cet endroit étriqué fraîcheur étouffante vraie tuerie dehors tout le monde s’emballe.

On toque à la porte mon heure est venue non pas possible les zombies ne frappent pas avant d’entrer j’ouvre – deux vieilles se pointent pas le temps de faire les présentations pas assez de place pour trois ici mais elles s’en foutent luttent pour leur survie ici la notion d’espace vital n’a aucun sens je les accueille pas à bras ouverts elles s’imposent d’elles-mêmes et toujours ces cris panique souffrance mort sang dehors juste à côté.

Sauvé juste à côté des chiottes un placard renferme une pièce plus grande une salle d’eau plus de place mais il va faire plus noir tant pis pour les pin-up’s dans le noir ces cris panique souffrance j’ai d’autres préoccupations en tête à l’heure actuelle mort zombies une vraie tuerie on s’écharpe là-bas je n’ose imaginer effusions de sang cris PANIQUE mort mort mort plus rien.

Plus un bruit fini le calme après la tempête –

Mais si je sors je le sais ils seront encore là.

Le magazine le robinet la salle d’eau les murs vert émeraude le sang qui s’étale cris ma gorge panique souffrance mort dans la maison de style colonial les vieilles outre-tombe je cherche des survivants du sang du sang du sang des gens qui ne sont pas comme nous zombies ALERTE.

Berechit

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à travers les prés salés

salicornes à volonté

Au commencement – il était une fois – on était poussière et on retournera poussière – le but c’est de profiter de la vie la « seule chose que Dieu nous donne qu’une fois et ne nous rend jamais » – tout le bordel sur notre libre-arbitre nos choix LA LIBERTÉ.

Maintenant Cow-boy je commence à écrire ce texte comme la vie sans trop savoir où ils vont nous mener.

Maintenant on a fait un quart du chemin – vertige quand on pense à la fin on ne sait pas quand elle adviendra on sait juste qu’elle adviendra on s’aveugle on s’abreuve d’alcools d’air pas toujours pur et de gens pas toujours intéressants on fait le tri on garde le meilleur – toujours. Ne pas regarder les phares qui se reflètent nous éblouissent nous embrument et tracer tracer tombeau ouvert pied au plancher vitesse maximum – la mélancolie guette à chaque fois qu’on zieute nos gueules au teint pas frais dans le rétro – quand est-ce que ça sera le grand virage où il n’y aura plus rien derrière nous ?

Maintenant marcher. Nos pas rythment nos corps balancent tournoient chavirent dans la nuit champêtre – profonde et étoilée. Marcher pas le temps de faire le point – avant arrière sac à dos sur les épaules idées plein la tête yeux engourdis par la beauté explosive du simple.

Maintenant déserts forêts – la Terre est à nous – contrées urbaines les prés salés où broutent les vaches au lait crémeux où pousse la salicorne devant derrière nous la mer calme marée basse les vagues descendent des horizons incandescents s’échouent en virevoltant sur le rivage.

Maintenant fuite en avant – pas de boussole abolis les points cardinaux sur les chemins qu’on mène.

Maintenant voyages en train – caisson isolé de l’espace-temps course contre le soleil flambe dans le ciel s’étale sur les paysages qui défilent personne d’habitude ne prête attention aux détails préparatifs de sa venue pas de vision globale de son mouvement – le rythme encore du wagon trace tangue – les crissements au contact des rails – les quais dégoulinant de monde nous collent à la peau – et la fièvre du départ nous prend aux tripes à chaque fois – soif d’aventure jamais satisfaite – son paroxysme non dans les souvenirs et les soirées où on les racontera – simplement dans son accomplissement.

Maintenant ne pas regarder – en arrière – continuer ainsi en roue libre on retombera toujours sur nos pieds on bombera le torse on ne renoncera pas – respirer respirer un pied – devant l’autre – fais tourner la roue debout sur la selle – le train est parti on prendra le suivant sinon on campera là à la sauvage et les nuages gris et la pluie qui découpe là-haut esbroufe notre champ de vision – nous rafraîchit – pense à la vision globale.

Maintenant bien longtemps qu’on n’a pas marché l’un à côté de l’autre en regardant nos pauvres chaussures cramoisies peu à peu rendre l’âme – avant de faire une pause se désaltérer dans le seul bar d’un village fantôme – je constate je dis ça sans regret – c’est ainsi – Amen.

Maintenant Cow-boy je frémille d’impatience je n’attends que ça – je me cramponne à des souvenirs qui s’étiolent jusqu’à la prochaine.

Quand ? Prés salés de la Somme virée chez les FKK de Baden-Württemberg Escaut Namur et sa citadelle un désert-décor-de-cow-boys-comme-toi paumé au fin fond de Navarre autres contrées fascinantes bouillonnantes inexplorées – Quand ?

un voyage en train

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gare de Florence

Je m’assoie par terre dans un train bondé.

La bougie était allumée.

J’ai raté mon train, et celui-ci est bondé.

Bondé. Bombay. Paraphonie.

Bombay, désormais Mumbay. L’Inde. Ce train dans lequel je suis, assis le cul par terre, ça me fait penser à un train indien. Départ : Victoria Station. Destination : inconnue.

Le train est bondé comme un train indien, bousculades au départ, pas de place dans le wagons, mais d’après les grimaces qui se lisent sur les visages, on est bien en France.

Le train bondé, la SNCF c’est plus ce que c’était.

Comme quoi mon pays part vraiment en couille.

Ça pourrait être pire. Les dégâts de la privatisation des chemins de fer, j’ai pu les observer d’assez près. 2008, Pays de Galles. Un train qui menait jusqu’à un patelin paumé appelé Holyhead, le dernier train de la journée. Un train en ferraille, rouillé, qui vrombissait, craquait, crachait, des banquettes en bois, et en guise de chiottes, un trou, un simple trou dans le sol à travers lequel on voyait les broussailles sur les voies défiler.

Je suis assis par terre dans un train bondé, les jambes repliées. Des gens passent, pensant encore qu’ils pourront trouver un endroit où s’asseoir. Ils tirent de ces tronches !… À croire qu’ils ne sont pas heureux de vivre…

La foule rend les gens vaseux.

Je suis assis entre deux voitures. Devant moi, un vélo hissé au plafond. À côté, un gars lit un manga, et ses doigts, quand ils ne tournent pas les pages, s’emmèlent dans les poils de sa barbichette. Près de lui, un gars est recroquevillé, un yogi devant son ordinateur.

Lumières crues. Ciel vespéral qu’on ne voit pas, ou à peine, à la fenêtre des portes « donnant sur la voie ».

J’ai le cul en compote.

Pire qu’à dos de chameau.

Je ne sais pas. Le chameau, je n’ai jamais essayé.

Pire qu’à dos de vache, en tout cas.

Je suis monté sur une vache…

Un voyage pédagogique, je devais avoir 6 ou 7 ans, à la ferme. Dans l’étable, une question à la fermière : « Madame, on monte sur des cheveux, mais pourquoi on utilise pas les vaches ? » Forcément, cette question, il n’y avait que moi pour la poser.

– Tu veux essayer ? »

J’ai hoché la tête et je me suis retrouvé sur un dos dodu coloré de taches blanches et noires.

On n’utilise pas les vaches pour faire du cheval parce que ce n’est pas confortable. Ça, je l’ai compris maintenant.

Maintenant. Je suis accoudé à une barre d’acier. Mon dos supporte le dos d’un autre voyageur sans le sou, lui fait contrepoids, et vice-et-versa. Je ne sais pas si c’est un jeu, qui mène la danse, ou si c’est nécessaire. Si l’un de nos abandonne, l’autre s’affaisse. Il faut juste trouver un équilibre.

Je bloque le passage. Parfois, des gens viennent, des gens arrivent. Souvent sans dire pardon, parfois le portable collé à l’oreille, pour eux je n’existe pas. J’ai peur qu’ils me marchent dessus, si on m’écrase le pied, je suis foutu. Je suis foutu, quoiqu’il en soit.

J’ai raté mon train.

J’ai laissé mon bouquin sur un sac. Peut-être que je vais l’oublier là, consciencieusement. Il voyagera de train en train, de main en main, book-crossing improvisé.

Je me dis que les voyages en train, ça a toujours été source d’inspiration. La majeure partie de mes histoires, je ne les invente pas, elles viennent à moi, soit le matin, quand j’ai, comme tous ces gens, le regard vaseux, soit que je suis à bord de trains comme ça.

Sauf que là, j’ai mal au cul, monstrueusement.

Au plafond, je fixe un crochet, pour se pendre.

Ah non, pour accrocher les vélos.

Celui qui est près de moi, un vélo de compét’, vraiment chouette, « tuné », pas vraiment un Fixie, car il a un frein, mais un seul, à l’avant, un crâne en plastique sur la barre latérale, mode easy rider, cool, des années 2010, un autocollant plastifié glissé, coincé entre les jantes « Paris Chill Racing ».

Je me colle la tempe contre la barre d’acier, pour sentir sa froideur, pour ne pas m’endormir. Si on m’écrase le pied, je suis foutu.

Je rêve éveillé d’un wagon à bestiaux qui parcourt la rive sud du Mississippi. Je sens l’odeur du foin et de la bouse de vache. Je viens de traverser les voies tracées par les pionniers, je vais moi-aussi partir à la conquête de l’Ouest. Et, tant qu’on y est, des autres points cardinaux également.

Le bruit, mécanique, grandiose, arythmique. Déviant. Jazzy. Le bruit des rails qui sillonnent les grandes plaines.

Le vieux Neil me tend la main et tire mon bras pour que je puisse me hisser sur la plateforme.

Désolé, Old Man, de me lamenter. Mais j’ai mal au cul.

Je repense à toutes ces camionnettes, garées sur la parking derrière la gare. Hôtels de passe de fortune. Quand la bougie est allumée, ça veut dire que la voie est libre.

La bougie était allumée.

La Sainte Verge

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C’est stupide.

Une bite.

Ça a un tout petit capuchon et c’est tout ridé.

Et c’est contagieux.

Certainement.

Je veux dire, il y a certainement des tas de microbes pas très très jolis à voir au niveau du gland.

Mais celle d’Esteban, elle est fameuse.

Genre « Je suis une légende ».

Esteban n’a rien à voir avec Will Smith, pourtant, mais depuis le temps qu’on en parle, je pense qu’on peut lever le secret qui entoure cette histoire à six pieds en dessous de la ceinture.

« Quels sont tes rêves ? », je lui ai demandé la première fois qu’on s’est parlés. Question classique, dans mon schéma mental, à chaque fois que je rencontre quelqu’un que je ne connais pas et avec lequel j’ai envie de faire un bout de chemin.

Je ne me souviens plus de sa réponse. C’était il y a tellement longtemps. Ou je n’ai pas envie de la répéter. Tout ce que je peux me permettre de dire, c’est qu’à la fin, forcément, il y a eu le « Et toi ?

– Moi ? », j’ai fait, « Je rêve d’avoir la même verge que toi. »

Il a froncé les sourcils, genre « Je ne vois pas très bien où tu veux en venir, mais OK… »

Ce n’est que bien plus tard qu’il a compris le sens de ma phrase. Flash forward. Fuite en avant.

Encore une fois, j’ai visé juste. Je prédis l’avenir. Balèze.

Une soirée au café, tous ensemble, tous les mêmes, notre inséparable bande de potes. Les conversations s’entremêlent à gogo en même temps que les verres se remplissent, se vident, se re-remplissent et se re-vident. Puis, dans un silence monastique, le choc frontal.

La voix tremblante, Esteban avoue, presqu’à demi-mot, quasi-douloureusement : « Lucy a dit que j’ai une belle verge. »

Si c’est Lucy qui le dit, ça ne peut qu’être vrai.

Bon, je vais mettre tout de suite les choses au clair, hein, Lucy n’est pas une collectionneuse de verges, loin de là. Elle est comme tout le monde, elle en a croisé quelques unes. C’est tout. Mais Lucy ne ment pas, et celle d’Esteban, elle n’est pas comme celle de tout le monde. C’est tout.

Ce soir là, en rentrant chez moi, j’ai eu mal au ventre. La fatalité, l’envie, la jalousie, ou peut-être était-ce l’orge de ma bière qui avait germé.

La question qui tue : « Une belle verge, c’est quoi ? »

Bonne question, Jamie !

Une belle verge n’est pas obligatoirement grande ou grosse. La taille, finalement, importe peu. Et même le goût ne compte pas. L’harmonie de la tonsure des poils du pubis ? La courbure de l’élan érectile? La veine au milieu, peut-être, parfaitement dessinée ?

Que nenni ! C’est juste un ensemble hétéroclite d’éléments, de facteurs, qui, individuellement, ne signifient rien, mais qui, pris comme un tout, s’ordonnent magnifiquement.

Une verge de nature divine.

La sainte verge.

Enfin, je sais pas, je ne l’ai jamais vue, moi, sa belle verge… C’est juste comme ça que je vois les choses.

La belle verge d’Esteban n’est finalement qu’un secret de polichinelle. Le genre de trucs qu’on sort, à tour de rôle, quasiment à chaque fois qu’on se voit. Comme quand on parle de ma sex-tape avec Lucy. Sauf que c’est beaucoup moins glamour, dans mon cas. Bref, passons…

Mais, là, dernièrement, ça s’est un peu barré en sucette. Mary, la nouvelle copine d’Esteban, une lointaine pièce rapportée qui a peu à peu adhéré au groupe et qui en fait, désormais, partie intégrante (au grand plaisir de tout le monde, ceci dit!), n’est pas du même avis que Lucy. « Je ne trouve pas qu’il a une si belle verge que ça, Esteban. »

Ah, merde. Tout part en couille! Y’a plus de repères!

J’ai crû que Lucy allait se lever et qu’il y aurait du crêpage de chignons dans l’air. Ou un combat de catch, dans la boue, d’ailleurs je me frottais déjà les mains à l’idée de les mater, Lucy et Mary, Mary et Lucy, toutes nues toutes les deux, dans la crasse et la sueur.

Mais non, rien de tout ça ne s’est produit. Lucy a tout de suite calmé le jeu par une réplique cinglante : « Je ne peux rien dire sur son état actuel, mais je sais qu’à mon époque, Esteban avait une belle verge. »

Je rappelle que Lucy ne ment pas.

D’un autre côté, j’aimerais croire Mary, si tu savais…

Pas facile de départager le faux du vrai, l’info de l’intox là dedans.

À bien y réfléchir, c’est peut-être ça, finalement, le principe de la réalité et du paradigme.

Diya

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C’est stupide.

Un Pigeon.

Ça a une toute petite tête et ça chie partout.

Et c’est contagieux.

Certainement.

Je veux dire, il y a certainement des tas de microbes pas très très jolis à voir sous les aiss-ailes d’un pigeon, non ?

Diya est arrivée chez moi par une belle matinée de Février. Je ne sais plus quel temps il faisait, en tout cas je suis sûr que c’était en février. Un dimanche. Ça je m’en souviens, parce qu’il y a cette église à côté de chez moi dont les cloches me réveillent à 10h, ce qui, je trouve, n’est pas une vie, ce qui, je trouve, est pire, par exemple, que de trimer 14h par jour dans une usine de composants électroniques de Shenzhen, Chine.

Le sommeil, bordel, c’est important !

Non ?

J’ai tout tenté pour qu’elle ne vienne pas s’incruster.

Je voyais les brindilles s’amonceler, l’une après l’autre. Dès que ça commençait à former un tas consistant, je les virais, hop, d’un coup de balai, net, propre et sans bavure.

Je ne voulais pas qu’on me refasse le coup de Marcelline.

Je m’étais fait avoir une fois, il ne fallait pas pousser le bouchon, je n’allais pas me faire couillonner une deuxième fois, non ?

Et donc, dimanche matin, je prends tranquille mon petit-déj dans la cuisine.

Pour info, d’ailleurs, si ça peut intéresser les millions de lecteurs de ce blog, je ne mange plus de Quaker Oats.

C’est fini.

Non, en fait ce n’est pas fini.

Disons que là, depuis quelques temps, je fais une pause.

Reculer pour mieux sauter.

Dimanche, première clope de la journée. À ma fenêtre. Trois brindilles. Ridicule.

Je ne vais pas passer le balai sur mon rebord de fenêtre (on ne peut pas exactement appeler ça un « balcon »…) pour trois brindilles, non ?

Brossage de dents, tranquille. Je reviens dans la cuisine me prendre un verre d’eau.

Et là, c’est le drame.

L’impression de m’être fait couillonner.

Il y a quelqu’un, là, ou quelque chose, une horrible petite chose sans cervelle et qui pue.

(Et je ne parle pas de moi.)

Une pigeonne.

Tranquille, pénarde, en train de fanfaronner sur les trois brindilles.

Elle me regarde, d’un air innocent, style « je n’ai rien fait, ce n’est pas moi ».

Elle me prend pour un pigeon, non ?

Je panique. Je pense à Greenpeace, ensuite je me dis qu’il n’y a qu’un rapport très lointain entre Greenpeace et ce que je veux penser, je pense donc à la WWF, à la SPA, à Brigitte Bardot.

Et pas dans ses années fastes.

J’ai envie de faire mon Rambo. Mon warrior. Mon Rambo Warrior. (d’où peut-être cette petite pensée pour Greenpeace).

Je pense à arrêter les jeux de mots pourris, ainsi que les feintes nulles sur les juifs, les noirs et les cathos.

Puis je pense tout simplement à empaler cette petite pigeonne de mes deux, à l’étrangler d’une main, à la noyer dans la cuvette des chiottes, à la dégommer au pistolet semi-automatique, à la griller au lance-flammes en faisant un cri comme « Rrrrrrrrrrrrrrhhhhhhhhhhhôôôôôôôôôaaargggggh ».

Après, je rangerais mon matos, puis, avec un peu de suie sur les mains et le visage, sentant un peu l’essence, je dirais un truc du genre « J’aime respirer l’odeur du napalm le matin ».

Clap de fin, générique, on prend une douche et on rentre au bercail.

Sauf que ça ne se passe pas comme ça.

C’est le fait de penser à Bardot. Ça m’a bloqué. Je suis resté là comme un con. « Un pigeon est un animal, tu es un animal » m’a glissé une petite voix dans ma tête, style condescendante, angélique, un peu coconne. La voix de la SNCF, non ?

Non.

Une voix qui sonne faux. La voix de la dame qui bassine tout le monde avec ses histoires de roulottes, de résurrection quand on t’a inscrit à l’insu de ton plein gré au catéchisme alors que toi, tu voulais simplement jouer au foot, non pas avec Bardot, mais avec tes potes.

Le peu que t’en as, il faut les conserver…

Alors je m’extasie devant ce pigeon : « Oh, il est mignon ! », comme Poelvoorde je deviens poète-poète (facile, celle là).

La petite voix me susurre : « Respect, paix et amour.

– Amen », je réponds.

Soudainement, Dieu m’a donné la foi dans le pigeon.

On va l’appeler Diya. « Petite lumière », en hindu.

Je suis trop balèze, pour accoucher de noms comme ça, tout d’un coup. N’hésitez pas à me demander pour votre gosse, faites moi confiance, si vous voulez qu’il passe une enfance pas trop malheureuse… parce qu’entre nous, c’est pire à l’adolescence.

Diya n’a que trois brindilles, elle vient d’arriver, mais elle s’installe. Pas de quoi en faire un lit. Le bourreau est en quête d’une rédemption mais il ne peut rien faire.

Et là, miracle, Marlowe arrive et dépose, une par une, des brindilles sur le rebord de la fenêtre. Diya les saisit et les dispose comme une chef. Une tradition millénaire, un peu comme les nanas qui s’amusent à faire des paniers en osier.

C’est peut-être con, un pigeon, mais ça sait faire un nid.

« Oh, il est mignon ! », je fais quand je vois Marlowe revenir avec une autre brindille.

Je vois une belle solidarité inter-pigeons, comme il n’en existe plus chez les humains.

La foi dans le pigeon.

Pourquoi Marlowe ? C’est une longue histoire… Le bourreau écoute Redemption Song de notre ami Bob (vous avez remarqué ? Bob est toujours notre ami), et il baptise Marlowe « Marlowe », une déformation de « Marley ».

Marlowe s’active à mort à amener tout un tas de brindilles pour que Diya fasse son nid. Le bourreau sait que l’accouchement est proche. Il veut immortaliser ça et va chercher son appareil photo numérique pourri dans le salon. Cette arnaque pourra bien faire une photo jolie, non ?

Non.

Je déboulonne dans la cuisine, le souffle court.

Mais c’est trop tard.

Diya a déjà accouché.

Je suis ému.

J’écoute Le Lac des Cygnes pour fêter ça.

Je pleure de joie.

Ma foi dans le pigeon est plus forte que tout.

Mais je sais au fond de moi que c’est maintenant que les emmerdes vont commencer.

Comme avec Marcelline.

L’an dernier, à la même époque, à peu près, Marcelline a débarqué. À l’époque, je l’ai laissée faire son nid. Au même endroit que Diya, d’ailleurs… ça doit être une place de choix.

Bref, Marcelline a fait son nid, elle a pondu deux œufs, les œufs ont éclos, et puis, je me souviens, c’était un jeudi, enfin à vendredi vers trois heures du matin, hop, un bruit assourdissant retentit dans la nuit.

Le lendemain, au réveil je constate que le nid est vide. Désespérément vide. Marcelline s’est cassée comme une voleuse, avec les deux gosses, et cette salope n’est plus jamais revenue, même pas pour me faire un petit coucou une fois de temps en temps.

Aucune gratitude. Par contre le nid, lui, est resté. Avec des coquilles d’œufs et de la merde partout. Et moi, comme un con, j’ai passé l’aspirateur dessus et j’ai tout dégueulassé.

Cette histoire n’est pas drôle et me traumatise encore aujourd’hui.

Là, je suis blindé, je sais que Diya, Marlowe et le petit ne sont pas amenés à rester. Je me prépare déjà psychologiquement à affronter leur départ, à coup d’anxiolytiques légers.

D’ailleurs, le petit, là, dans sa coquille bien au chaud contre les plumes de sa mère, comment on va l’appeler ?…

J’hésite entre « Pigeon », « John » et « No Name Yet ».

Lâchez vos comm’s pour choisir le nom du gosse !

Non ?

Non.

Peut-être le début de quelque chose

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On est .

Marla, K-Siddy, et moi, sur le capot rutilant d’une Cadillac bleu métallisé, dont la surface luit d’une étrange manière sous ce soleil brûlant du sud de la Californie.

Il doit être treize heures, quatorze heures à peine. Marla vient de se réveiller, et, du siège arrière de la voiture, a demandé à ce qu’on s’arrête pour qu’elle puisse se dégourdir ses belles gambettes quelques minutes. Il n’a fallu que quelques secondes pour qu’on tombe tous les trois d’accord. L’intrépide K-Siddy et moi, on se relaie au volant depuis la Nouvelle Orléans, et on roulait tambour battant depuis trop longtemps pour qu’on se souvienne de notre dernière pause.

K-Siddy, grand maître de l’asphalte, a tourné sec et s’est garé sur le bas-côté. L’endroit est désert, poussiéreux, aride. Tout ce dont on a besoin pour se remettre en selle le plus vite possible.

Marla sort un sandwich de la poche de son gilet, tout ratatiné dans du papier alu, et se met à le mordiller nonchalamment. Quand elle me le tend, un bout de bacon reste au coin de sa bouche chocolatée. J’ai envie de venir le lui prendre, sans vergogne, mais j’abandonne l’idée, je suis trop fatigué pour cela.

Le corps étiré de K-Siddy se redresse du capot, et il s’en va faire quelques pas devant nous, ses Wayfarer contrefaites sur le museau, une bouteille de San Pelegrino d’une main, une bouteille de Whisky de l’autre. Ses lèvres vont de l’une à l’autre avec une régularité digne d’un chef d’orchestre. Alternance de boissons pour s’hydrater et trouver la force de continuer de rouler.

Moi, je suis à la bière. Je sirote ma Beck’s a petites gorgées, genre « je l’ai bien méritée ». Les yeux mi-clos, éblouis par le soleil, mon dos crame sur le capot. Je me caresse le ventre en contemplant mes jean’s et ma ceinture, élimés, par endroits déchiquetés.

K-Siddy se dirige vers la portière et s’essouffle sur le siège conducteur. Déjà, c’est l’heure de repartir.

Marla monte devant, je prend sa place. À mon tour de faire un somme.

La Cadillac rejoint la route dans un nuage de poussière, et, tandis qu’elle crapahute sur le bitume, la radio diffuse What a Wonderful World.

Version Ramones, évidemment.

Fondu au noir.

The End.

Stop.

Rewind.

On n’est pas là du tout.

Il doit être treize heures, quatorze heures à peine.

Je me caresse bien le ventre, c’est même très agréable. Mais je suis en caleçon, amorphe. Dans un trois-pièces miteux. Pas au sud de la Californie, mais 2800 miles plus au nord, plus à l’est. Douzième rue, New York City. Mon appart’. Mon lit.

Hey ho, let’s go!

Marla va bientôt débarquer. Il faut que je me prépare.

Je souffle une dernière fois sur le joint, pas frais. Il date d’hier et de la venue de Tom chez moi, à l’improviste, bien évidemment. Je l’éteins quelque part entre les draps, dans ce que j’espère être un cendrier improvisé.

J’ouvre les yeux. Couleur laiteuse autour de moi. Lait caillé, à bien y réfléchir. Le genre de teinte qu’on retrouve dans toutes les bonnes cliniques, au service des soins palliatifs. Et l’odeur dégueulasse qui va avec.

J’ouvre la fenêtre pour aérer, dans le ciel la même couleur lait-caca, et en plus, c’est déprimant, il pleut. La pluie froide, typique de New York, qui transperce tous tes vêtements et te glace le sang.

Réflexion matinale n° 4813

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Certains matins je le regarde tourner, comme un con, pendant une minute. Aujourd’hui, pendant que mon bol de lait se réchauffe dans le micro-ondes, je contemple le verso de la boîte de Quaker Oats.

On a la classe ou on l’a pas.

Et je me dis que la nana, là, à droite, c’est un fake. Dans son attitude, rien ne colle à ce qu’elle devrait être en train de faire, c’est à dire, tout simplement, manger des Quaker Oats.

Non, au lieu de ça, elle se retrouve avec un gueule de conne et un strabisme un brin divergent (doux euphémisme).

On dirait qu’elle a vu le loup. Un gros loup, alors. Ou un monstre genre Hulk.

Sur la boîte, toujours, il y a quelques astérisques. Des contre-indications?

Regardons ça de plus près: la première * précise: « dans le cadre d’une alimentation variée et équilibrée et d’un mode de vie sain ».

Ici, c’est mal barré. Dans ce grand foutoir, tout n’est que bordel, débauche et décadence.

Next.

La deuxième * (ou plutôt **) indique: « cahiers de nutrition et diététique, 2001, ISSN 0007-9960, vol. 36, n°I., pp56-68 ».

En gros, cultive toi un peu, toi qui n’a rien d’autre à foutre de tes journées que de bloquer sur le verso des boîtes de céréales, bouge tes fesses, va prendre l’air, direction la bibliothèque, et amuse toi à chercher ce putain de magazine.

Next.

J’ai la chanson d’hier soir dans la tête. Non 4 Blondes – What’s up. À ranger dans les catégories : « chanson culte de toute une génération (en y réfléchissant, ce n’était pas la mienne) » et « méga-gros tube d’un groupe dont on n’a jamais plus entendu parler ensuite ».

La chanson qui m’a aidé à tomber dans les bras de Morphée, à défaut de tomber dans ceux de quelqu’un d’autre. Je suis d’ailleurs persuadé que Morphée s’est étalée sur tout le long de mon lit King-Size parce que dans mon sommeil aucunement réparateur je me suis vraiment senti à l’étroit.

Next.

Non, en fait.

 

« and so I cry sometimes

when I’m lying in bed

just to get it all out

what’s in my head

and I am feeling a little peculiar

and so I wake in the morning

and I step outside
and I take a deep breath

and I get real high

and I scream at the top of my lungs

what’s going on ?

and I say. hey hey hey hey

I said hey. what’s going on ?»

Un Ohrwurm. Il faut que je pense à autre chose, sinon cette chanson va me poursuivre toute la journée.

Tiens, « Ohrwurm »… je ne sais pas quel est le mot en français. « Bourdonnement »? J’ai l’impression, en tout cas, que l’expression idoine dans la langue de Molière et de Patrick Sébastien n’a pas toute la force, toute la poésie qu’évoque le mot allemand. « Ohrwurm »: vers d’oreille. Pas mal, hein?

Next.

Le micro-ondes sonne, mon lait est prêt. Je me fais une sorte de porridge – alors là, non seulement le terme est dénué de force et de poésie, mais en plus je ne sais pas comment l’écrire.

Dans le lait je rajoute mes fuckin’ Quaker Oats ainsi que du chocolat en poudre Poulain 1848.

On a la classe ou on l’a pas.

Et au moins, ça va me tenir le ventre jusqu’à midi.

En Next je me fais du Ricoré.

Je regarde les boîtes: des idées recettes et les informations nutritionnelles.

Des astérisques aussi, mais très terre-à-terre. Pas du genre à partir en live comme celles de la boîte de Quaker Oats.

Next, je pense à ma boîte d’haricots blancs que je vais utiliser peut-être bientôt, pour nous faire un English Breakfast.

En Next, enfin, dans mon oreille, le tube de Non 4 Blondes est remplacé par les Red Hot, Aeroplane.

On a la classe ou on l’a pas.

Bleu, ça me rappelle

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Bleu, ça me rappelle l’ambiance luminescente de la soirée où nos regards se sont croisés, recroisés, percés,

Bleu, ça me rappelle le drap où on a fait l’amour pour la première fois, dans le lit trop petit de ta chambre qui n’était pas la tienne,

Bleu, ça me rappelle tes yeux, dans lesquels je me noyais, dans lesquels je me voyais, et dans lesquels je me trouvais beau,

Bleu, ça me rappelle mon peignoir trop grand pour toi que tu enfilais après ta douche quand tu la prenais chez moi,

Bleu, ça me rappelle le beau Danube dans lequel on s’est baignés tout nus quand on est allés à Vienne pour fêter nos deux ans,

Bleu, ça me rappelle le parfum que tu avais quand on a fait une balade en foret,

Bleu, ça me rappelle la Terre qui l’est comme une orange, autour de laquelle on voulait voyager, et, en attendant, le monde qu’on refaisait, avant de se coucher, en partageant un joint dans le jardin de chez tes parents,

Bleu, ça me rappelle le ciel qu’on observait en scrutant les nuages et en leur imaginant des formes qui n’existaient pas,

Bleu, ça me rappelle tes cheveux qui volaient dans tous les sens quand on dansait, bourrés tous les deux, sur du Iggy Pop,

Bleu, ça me rappelle ta voiture qui n’était plus capable de nous emmener très loin,

Bleu, ça me rappelle tous ces films de cinglés – pardon, d’ « art et d’essai » – que tu me forçais à voir avec toi,

Bleu, ça me rappelle la musique de ton iPod qu’on écoutait dans le train,

Bleu, ça me rappelle celui que je me suis fait lorsque j’ai – sans succès – tenté de déboucher ton évier,

Bleu, ça me rappelle ton pull en cachemire qui faisait des peluches quand on se blottissait l’un contre l’autre,

Bleu, ça me rappelle ta peau entre une et deux heures du matin,

Bleu, ça me rappelle l’enseigne du supermarché où on faisait nos courses,

Bleu, ça me rappelle l’écran de mon ordinateur quand je t’attendais,

Bleu, ça me rappelle le bruit que tu faisais, quand tu rentrais d’on-ne-sait-où, tard dans la nuit,

Bleu, ça me rappelle les colères folles dans lesquelles on rentrait, chacun notre tour et de plus en plus souvent,

Bleu, ça me rappelle le sac poubelle dans lequel tu avais mis toutes mes affaires,

Bleu, ça me rappelle tes lèvres quand tu m’as dit : « Va t’en, va t’en maintenant, je n’ai plus envie de te voir »

Bleu, ça me rappelle toutes les choses qu’on aurait pu faire et qu’on a jamais fait,

Bleu, ça me rappelle tant de souvenirs sans importance et notre histoire qu’on a gâchée, chacun à sa façon.

Comme on sait si bien le faire.

 

Texte originellement publié ici

Hélène

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Elle tournoyait autour de nous comme une petite voleuse. La fée Clochette de notre Pays Imaginaire.

On avait 14 ou 15 ans. Des gosses à la recherche d’un point de chute et, peut-être, d’une raison valable de ne pas abandonner le combat. Et elle était là, tout autour de nous, et elle chavirait nos cœurs. Sans faire exprès. L’un après l’autre, parfois simultanément, on tombait dans le panneau, comme les Troyens à la vue du Cheval.

On s’asseyait, tous les trois, sur le vieux banc qui bordait le parc, on arrêtait de gamberger et on se racontait comment ça sera, plus tard, plus tard.

Plus tard.

Notre route sera une odyssée de tous les instants. Paysages magnifiques, rencontres fortuites et inoubliables, aventures aux parfums d’exotisme. La Terre sera notre terrain de jeu.

En attendant, on était là, sur ce banc pourri, parmi les feuilles d’automne. Au milieu de nous elle nous tenait chaud et nous on s’oubliait un peu.

Ouais. On fera le tour du monde. Le tour de notre monde.

Au fond de nous, on savait tous les deux que ce ne sera jamais le sien.