Archives de l’auteur : Ben Howl

À propos Ben Howl

Né en 17 à Leidenstadt, de parents nains connus.

Berlin Berlin – Partie 1

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Berlin, Berlin

J’ai été amoureux de toi,

j’en été amoureux en toi –

Berlin Berlin

plusieurs fois…

Et désormais je suis perdu.

Berlin Berlin tu m’as ouvert les yeux cette fois là, et j’ai compris à 13 ans le corps et l’âme – bouleversés – que je ratais l’essentiel, je me défilais face à la vie qui défilait devant moi, qui s’étalait, et j’étais trop con pour la croquer, cette putain.

Berlin Berlin où tout courait, vrombissait, tournoyait, craquait, s’élevait, se bousculait aux sons méta-jazziques des cadors d’antan.

Berlin Berlin, qu’es-tu devenue ?

Que suis-je devenu ?

Pourquoi ton charme n’agit plus ?

Berlin Berlin…

On déboule Camille et moi à Berlin Berlin dans une nuit sans étoiles de mi-septembre. C’est un déménageur Breton – je te jure ! – Michel, qui nous prend en lift à l’entrée du Ring et pour les 20 derniers kilomètres, dans un camion Hertz qu’il a loué.

Berlin Berlin première escale de notre périple en auto-stop jusqu’en Pologne. Je te raconte pas l’état dans lequel on est : ça fait 36h qu’on a pas dormi – ou si peu – 2h dans un abri-bus entre 3 et 5h du mat’ la veille à Dortmund, puis une heure au bord d’un champ entre Dortmund et Unna entre 9 et 10h.

En tout donc, même pas 1000km, 15 chauffeurs et 36h de route dont 12h à tournoyer à la sortie de Dortmund pour finir par revenir au même spot – et des rencontres et situations bien zarbos – notamment Roman, l’Ukrainien qui transporte des trucs un peu chelous entre l’Italie et son pays, des Turcs qui nous prennent sur quelques kilomètres à 5h du mat’ à la fin de leur soirée et qui trouvent rien de mieux à faire que de nous filer des baklavas pour nous donner du courage, et un gars totalement ravagé qui a pas hésité à faire demi-tour au milieu d’une route nationale – heureusement à ce moment là peu fréquentée – pour nous prendre alors qu’on était coincés à un spot pourri où on pensait qu’aucune voiture ne pourrait s’arrêter. Le mec en question, musique techno à fond de balle, nous dit que Unna, sa ville, « c’est pas dangereux, parce qu’il y a pas beaucoup d’étrangers », envisage de nous déposer sur l’autoroute, puis finit par nous dropper dans un coin louche de la zone industrielle de Unna qui se trouve – par chance – se situer juste derrière une aire d’autoroute.

Dans son camion Hertz, Michel nous raconte qu’il déménage, il retourne en France parce qu’il vivait à Berlin Berlin avec sa copine, mais depuis qu’elle l’a quitté, il a plus rien à foutre ici.

C’est sur ces paroles que, même si je suis submergé par le sommeil, je fronce les sourcils : dans mon souverêve, Berlin, il y avait tellement de trucs à faire, à découvrir, que tu étais obligé d’y rester, même seul et abandonné de tous.

Il est minuit quand Michel nous dépose à Moabit, juste en face de là où habite Jens, le gars qui nous héberge Camille et moi pour les deux nuits qu’on reste sur place, avant de reprendre la route et de s’attaquer à la Pologne.

On lui fait signe, mais le camion Hertz est déjà loin sur la Turmstraße – demain, Michel doit être en forme pour entasser ses dernières affaires dans le camion Hertz et conclure ainsi sa trépidante et délicate vie Berlinoise.

On perd pas le nord et on sonne chez Jens. Il est là, il nous attend : « Montez ! » il nous dit à l’interphone dans un français assez maîtrisé. En arrivant chez lui, on lui offre le reste des baklavas plus très frais, on se fait une vieille soupe en sachet qui traînait au fond de nos sacs et on discute un peu. Après ses exams, Jens part à Tel Aviv : « C’est là que la fête a lieu !

– Quoi ? » je fais, « et Berlin alors ?

– Quatsch… » (1)

Berlin, la place numéro un de la fête, remplacée par une ville israélienne sans prétention ? OK, autre signe que pas mal de choses ont changé depuis 12 ans…

Il est tard, Jens est déjà en pyjama et il semble aussi crevé que nous, alors Camille et moi on se décrasse un peu – on pue quand même l’essence, le macadam et l’air pas très vivifiant des autoroutes – et on va se coucher.

Berlin Berlin

Ma première nuit Berlinoise depuis 12 ans.

Ma première nuit Berlinoise est courte – je me réveille à 4h – le bruit désagréable des bagnoles et du chemin qu’on a parcouru jusque là comme un Ohrwurm (2) dans les oreilles.

Ma nuit Berlinoise est courte et j’observe la ville depuis la fenêtre de la chambre. Berlin Berlin à l’aube d’un nouveau jour.

Je contemple l’appartement – son agencement me rappelle quelque chose. Mais quoi ?

Je pousse un soupir et je me rendors tant bien que mal.

À 9h, j’entends Jens qui se réveille et se dirige vers la cuisine. Je sors des draps et je viens à sa rencontre. Il se fait un petit déj’ et en prépare un pour ses colocs. On discute un peu des choses qu’il y a à faire dans le coin, des trucs à visiter que j’aurais pas déjà vus ou faits il y a 12 ans.

Son iPod branché sur les enceintes passe une musique. Mais j’ai pas le temps de dégainer mon carnet et un stylo pour me souvenir de hein quoi qu’est-ce ? – qu’il a déjà repris son iBidule et s’apprête à partir à la fac pour réviser ses exams. « Peut-être que ce soir, on ira nager dans un lac si ça vous dit ?

– Peut-être, j’en parlerai à Camille et on te tiendra au courant par téléphone.

– Ça marche. Bonne journée. Profitez bien. »

Je me douche, je profite encore de la cafetière Senseo de Jens puis je retourne dans la chambre.

Berlin Berlin– un nouveau jour et Camille qui dort à poings fermés, je sens qu’elle est partie pour nous faire une grasse mat’. J’essaie tant bien que mal de la secouer. Au bout de cinq minutes d’une bataille d’oreillers farouche avec son corps inerte, elle commence enfin a lever les paupières.

« Alleeeeez Camille, Yalla!, on a d’autres chats à fouetter. Et à Berlin, de jour comme de nuit, les chats sont multicolores.

Enfin, je crois…

Enfin, il y a 12 ans, il étaient multicolores… »

À suivre…

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1) Ici, pourrait se traduire par « Sornette! » ou « N’importe quoi! »

2) littéralement, « ver d’oreille », quand on a une musique qui reste en tête

Big in Berlin

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Les souvenirs – ils vont, ils viennent

comme des roses qu’on sèche avant qu’elles se fanent totalement. On les préserve mais l’éclat – la flamme – reviendra jamais complètement.

Comment décrire ça ?

Comment raconter Berlin – la claque de ma vie, le changement si radical, si profond qui s’est opéré en moi après avoir croqué Berlin ?

Printemps 2001 – un an après avoir croisé la route d’Alexis Markowicz.

Un an, et j’ai pas changé – maladivement timide, introverti, je dessine dans mon coin des histoires de science-fiction absolument absurdes, et je me plonge dans les livres et je me passionne pour le Big Bang et la théorie des cordes.

Printemps 2001 – et on est pas encore vraiment plongé dans le XXIème siècle, à l’ombre des tours mortes.

Printemps 2001 – échange scolaire, une semaine chez mon corres à Berlin.

Printemps 2001 – et un Deutsche Mark = 3,45 Francs.

Printemps 2001 – et à la Gare du Nord toute la classe monte dans un train de nuit direction Berlin Hauptbahnhof.

Le trajet est le plus long de ma jeune vie. La nuit, je me réveille plusieurs fois et je, je sors de ma couchette et je scrute les rails et les paysages qui défilent par la fenêtre. Dans mes souverêves je compte – et vers 4h du mat’ j’ai l’impression que ça fait la septième fois qu’on passe là, à Bruxelles.

Je me réveille tant bien que mal au milieu du quai – mes sens sont pas du tout en alerte – et cette langue que tous les voyageurs baragouinent autour de moi en me bousculant souvent – cette langue c’est de l’Allemand. Première fois que j’entends vraiment parler Allemand. Et moi qui maudissait mes parents d’avoir choisi pour moi Allemand LV1, tout ça pour me retrouver dans une bonne classe !

Printemps 2001 – et je monte pour la première fois dans un S-bahn aux couleurs du soleil couchant. Un peu plus tard, je suis happé par mon corres, qui vient me récupérer à l’école où on a rendez-vous. Julius, il s’appelle. Je préfère pas lui dire que j’ai appelé ma gerbille pareil. Dès qu’il me cueille, on galope jusqu’au métro, et on embraye sur douze stations, deux changements, avant d’arriver chez lui. Et dire que moi, j’habite à dix minutes du collège et mon père m’y dépose devant tous les matins…

À l’appart’, Julius me dit, en parlant doucement et en employant le plus de mots français qu’il peut, que sa mère est pas encore rentrée du travail. Il me laisse poser mes affaires dans la chambre d’amis – je me souviens qu’il y a une revue MAD sur une étagère, et puis quand je le rejoins il est dans sa chambre il joue à Diablo II. 17H30 – visiblement il est l’heure de manger parce qu’il fait des va-et-vient dans la cuisine et y ramène du pain industriel grillé et du beurre de cacahuètes. Il mange ses tartines en continuant sa partie. Je le regarde jouer.

Pour m’y préparer, j’ai lu pas mal de bouquins sur les jeux d’héroic-fantasy.

Printemps 2001 – et, le lendemain et les jours suivants, avec ma classe on visite Berlin. Le Pergamon Museum, la Fernsehturm, la Gedächtniskirche en forme de rouge à lèvres, le quartier de Prenzlauer Berg, et surtout, le gros piège à touristes – Checkpoint Charlie. Le Reichstag vient d’inaugurer sa coupole panoramique. Dans le ciel au dessus de Berlin, je compte les grues – il y en a au moins une vingtaine et pour la première fois de ma vie je sens que tout bouge autour de moi, je sens que je suis au beau milieu de l’Histoire en train de se faire.

Pour m’y préparer, j’ai lu pas mal de bouquins sur l’Histoire de Berlin.

Berlin -les grues

Berlin -les grues (2001)

Berlin - Fernsehturm

Berlin – Fernsehturm (2001)

Berlin - Alexanderplatz

Berlin – Alexanderplatz (2001)

Printemps 2001 – j’ai 13 ans et il pleut. Et je passe à côté de Bahnhof Zoo –sans vraiment visiter le zoo – sans vraiment voir la faune et la flore de la gare et de ses alentours – et bizarrement, Christiane F., on l’a jamais étudié en cours d’Allemand.

Pour m’y préparer, j’ai lu pas mal de bouquins sur les enfants de Bahnhof Zoo.

Printemps 2001 – j’ai 13 ans et il pleut. J’ai 13 ans et ce qui est le plus mémorable dans ce séjour – comme dans tous les séjours scolaires j’imagine – c’est quand les profs sont pas là et qu’on est libre de faire toutes les conneries du monde. Et les conneries c’est la visite inopinée d’un blockhaus, un cache-cache dans le Ka-De-We. Et les conneries c’est aussi le Sony Center, tour de verre et de métal érigée au beau milieu de l’ancien no-man’s land de Potsdamer Platz – symbole du capitalisme triomphant – le Sony Center et son lac artificiel – son lac artificiel où je plonge les pieds, et où je crois marcher sur l’eau – et surtout au bord duquel les filles me regardent ‘un œil chelou – genre « Qu’est-ce qu’il fait, lui, là ? ».

Pour m’y préparer, j’ai lu pas mal de bouquins sur les gens qui font n’importe quoi.

Printemps 2001 – je fais ce que je veux – avec insouciance, sans aucune contrainte – et ma prof de français aurait pu le leur répéter, à ces filles tout juste pubères : «  Le ridicule ne tue pas, sinon Ben Howl serait déjà mort. » Elles s’attendent, c’est sûr, à ce qu’on les surprennent, mais pas trop quand même – et surtout pas comme ça !

Printemps 2001 – j’ai 13 ans et je découvre le jazz. Mon corres joue du tuba dans un Band et il se donne en concert à la Kunstfabrik Schlot – le dimanche matin, dans une ambiance feutrée.

Le seul problème, c’est que je suis imperméable à ces relents de Chet Baker, de Duke Ellington et de Count Basie qui me bercent pourtant les oreilles. Pourquoi ?

Parce que, visiblement, je suis encore trop jeune. Et que j’ai pas encore eue la Révélation jazzique.

Parce que, visiblement, la veille, c’était la BOUM. Ouais, la boum, avec ces filles, ces adolescentes de Berlin ou d’ailleurs qui veulent danser avec tout le monde, même avec moi quand les garçons de la classe sont pas dispo pour le quart d’heure américain de Berlin. Ma première boum – dans un lieu de culte protestant, prêté pour l’occasion par le père d’un des corres. Une boum – où les panaché se boivent sous le manteau. Une boum où passe de la musique dégueulasse et où je me sens un peu transparent. Une boum où les filles se sont faites toutes belles, pour, qui sait ? connaître leurs premiers émois.

Une boum, cerise sur le gâteau de tout le séjour, qui me fait devenir grand à Berlin, parce qu’elle me fait prendre conscience, dans la frustration et l’indifférence – moi, pauvre garçon interminablement cloué sur mon banc, de cette impitoyable leçon de vie :

Ce que tu vis est plus important que ce que tu lis.

Urgences

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Me voici aux urgences, mais sans George Clooney – ni même son non moins célèbre quasi-homonyme Georges Clooney.

Rien de grave, je te rassure.

Juste un putain de mal de bide – avec une douleur atroce, inconnue au bataillon, et cette impression hyper-désagréable que toutes mes entrailles se compressent contre mes poumons et bloquent ma respiration.

Je voulais rentrer à l’appart’ et consulter un médecin, mais de là où j’étais, incapable de me rendre chez moi. Alors un véhicule du SAMU m’a déposé aux urgences.

Sur la route de l’hôpital j’ai eu le temps de discuter avec l’ambulancier couvert de tatouages – les études qu’il a dû faire pour en arriver là, son quotidien.

Ensuite le gars du SAMU a rempli mon dossier à l’accueil et on m’a collé dans un fauteuil roulant et on m’a fait rentrer dans une espèce de couloir, une zone tampon entre l’entrée de l’hôpital et les urgences proprement dites.

Et c’est l’attente, l’attente interminable – alors que la douleur se calme peu à peu – mais ne cesse pas totalement.

Je prends mon mal en patience, je lis mon bouquin – où que je sois, j’ai toujours un livre sur moi – cette fois c’est « Le Messie de Dune » de Frank Herbert.

On me demande à combien j’évalue ma douleur sur une échelle qui va de 1 à 10. « 5 », je dis – et j’en sais foutre rien, c’est tellement subjectif tout ça… Mais ça va, la douleur est pas insurmontable – je peux encore trinquer, j’ai pas à me plaindre.

À côté de moi un gars s’installe – un gars chelou qui pue l’alcool – il semble parfois agressif. Putain qu’est-ce que je fous là ? Et la douleur reprend et me cloue au fond du fauteuil roulant. Le type dit qu’il veut aller fumer dehors mais en fait il veut se casser de là.

Je regarde les infirmières, désespéré. Elles doivent en voir des vertes et des pas mûres, celles-là… D’un air bourré de compréhension, une d’entre elles me dit qu’il y a deux personnes avant moi. Une heure après, c’est mon tour. On me met dans un lit roulant, puis dans un box.

les rideaux

les rideaux

Je suis entouré de rideaux – bleu ciel sur les côtés, orange en face. On me demande de mettre une sorte de nuisette pas du tout sexy – une blouse en fait, que je me galère à refermer par derrière.

Je fixe le plafond des yeux. C’est tout ce que je peux faire. Mon bouquin est fini depuis longtemps.

Une infirmière me sort de mes rêveries – elle déboule, et sans perdre de temps, mécaniquement, me fait une prise de sang. Puis elle profite de la perforation veineuse qu’elle vient de faire au creux du coude pour me coller un cathéter dessus et me mettre sous perfusion.

Cathéter

Cathéter

La médecin vient me voir – en attendant les résultats elle me fait part de ses observations : d’après elle ce serait un truc que j’aurais mangé au Kazakhstan qui passerait pas. Mouais… Je suis pas convaincu – ça fait quand même [ au moment où j’écris ces lignes, comme je peux de la main gauche – je suis droitier mais je peux pas trop utiliser ma main droite à cause du cathéter ] plus de dix jours que je suis rentré, depuis le temps, des intoxications alimentaires, j’aurais pu avoir trois ou quatre…

La médecin part en laissant le rideau orange ouvert – j’ai vue sur le couloir. Un gars dans une chambre en face s’est « délivré ». Il s’est dépiqué. Il erre hagard dans le couloir – les infirmiers le retrouvent vers les toilettes, pissant le sang de partout, et du sang partout dans la chambre – scène de meurtre sanguinaire – du sang et autre chose que j’arrive pas à identifier – de la merde ? – sur les draps, sur le sol, partout.

J’arrête pas de faire la sieste : un petit roupillon sur le fauteuil roulant, un petit somme sur le lit, sous perf’… Y’a pas à dire, j’ai pas à me plaindre – le service est top, trois étoiles, rien à ajouter.

Mais depuis les tréfonds de mon lit, autour de mon box, j’entends la douleur – des gémissements, des râles, des cris de plus en plus stridents. La souffrance est partout, je ne demande qu’à la fuir.

La fête de l’Huma

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Soyons désinvoltes, n’ayons l’air de rien

– Noir Désir – Tostaky

Cette nuit j’ai encore fait un rêve chelou.

Non, c’est pas vraiment ça.

J’ai rêvé que j’étais à la Fête de l’Humanité et que cette année Lââm était l’invitée d’honneur.

Ouais, tu as bien lu.

LÂÂM.

La fameuse. Celle qui a donné l’un des meilleurs sons hexagonaux et polyphasés des années 1990. La preuve en images:

Je sais pas ce qui m’a pris, ou ce que j’ai pris, mais elle était là, dans le Parc Georges Valbon à la Courneuve, elle donnait une sorte de conférence de presse avant le début des festivités.

Je me demande ce qu’elle devient maintenant…

Non, en fait je m’en fous.

Elle était là, lunettes de soleil sur le nez, sous une bâche, assise à une table en parpaings. Complètement désinvolte. Ses dernières paroles ont été « Bon, c’est pas tout ça, mais faut que je termine, parce que j’ai méga-envie de rentrer chez moi et que j’ai pas envie de rester bloquée dans les embouteillages. »

Et elle avait même pas prononcé ses derniers mots que tout le public, l’air de rien, se ruait déjà vers la grande scène derrière elle, où jouaient… Les Cranberries.

Bref, mon rêve était totalement WTF

La Fête de l’Humanité…

J’y suis allé l’an dernier – l’air de rien que pour voir ce que ça donnait.

Bilan : Asaf Avidan,Giédré que j’ai découverte, Zebda toujours autant motivés, M qui a tout déchiré sur scène, le Staff Benda Bilili et HK et les Saltimbanks que j’ai revus pour l’occasion.

Mais surtout de la boue, énormément de boue – il a pas arrêté de dracher de façon désinvolte pendant tout le week-end jusqu’au dimanche aprèm’ , où je me suis promené dans les rues de Paname, complètement crasseux avec mon harmonica jusqu’à la Gare du Nord, les yeux vitreux d’avoir mal dormi – au camping pendant la nuit l’eau s’était engouffrée sous et dans la tente – arche de Noé de pacotille.

Le camping de la Fête de l'Huma au petit matin

Le camping de la Fête de l’Huma au petit matin

Mais surtout aussi la foule – pas de réseau, ma bande de potes, bande de ploucs, dont j’ai perdu la trace plein de fois – perte de repères – et moi qui flippais au milieu de toute cette masse grouillante et de ce maelstrom tourbillonnant.

Le bar à pates de la section de l'Hurepoix

Le bar à pates de la section de l’Hurepoix

Le stand du Nord et ses célèbres croques au Maroilles

Le stand du Nord et ses célèbres croques au Maroilles

Le Vladimir y liche et ses fameux shooters à 1 Euro

Le Vladimir y liche et ses fameux shooters à 1 Euro

Mais surtout enfin des bières, plein de bières, des shooters à 1 euro, des bédo qui circulent, du maroilles sur le stand du Nord et du thé à la menthe sur le stand pro-palestinien, et puis l’incontournable, le fameux concours-de-danse-à-poil-dans-la-gadoue-que-tu-fais-quand-tu-es-bourré(e) .

Des rires et des larmes, pour la lutte finale.

Je crois qu'ils jouent aux hélicoptères

Je crois qu’ils jouent aux hélicoptères

concours-de-danse-à-poil-dans-la-gadoue-que-tu-fais-quand-tu-es-bourré(e)

concours-de-danse-à-poil-dans-la-gadoue-que-tu-fais-quand-tu-es-bourré(e)

Walden Pond

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What you get by achieving your goals is not as important as what you become by achieving your goals.
Henry David Thoreau

La première fois que j’ai entendu parler de Walden, ou plutôt que j’ai vu ce nom inscrit, c’était dans On the Road, de Jack Kerouac – le manuscrit original – dans l’un des innombrables textes en préface je crois. Une phrase du genre « Jack Kerouac poursuit la quête du retour à un état sauvage/naturel/de liberté totale, des grands écrivains américains au premier rang desquels figurent Jack London et son Martin Eden ou David Henry Thoreau et son Walden »
À moins que ce soit dans un bouquin de survie – comme « L’apocalypse sans douleurs – mon guide pratique pour réussir sa fin du monde », qui cite Thoreau, j’imagine, pour montrer comment on peut survivre plus de deux ans dans les bois.
Ça peut être, aussi et sans doute, une découverte fortuite, faite en sautant d’hyperlien en hyperlien au fils de mes pérégrinations dans la toile d’araignée mondiale.

 

Walden… J’ai acheté le bouquin. Il était destiné à être mon livre de chevet quand j’ai voulu faire l’expérience de jeûner et de méditer pendant trois jours. Je voulais évacuer les mauvaises ondes, éliminer les toxines, partir loin, faire un voyage intérieur. Le problème c’est que je me suis mal préparé. J’ai bien jeûné, mais j’ai pas vraiment réussi à trouver la paix ou peu importe ce que je pensais chercher. Et je me suis servi du bouquin pour rompre le jeûne et faire mon premier repas. À un moment Thoreau décrit comment il fait son propre pain. J’ai voulu faire pareil – j’avais de la farine et de l’eau, le problème c’était que j’avais pas de levure et que mon four marchait pas. Du coup j’ai mangé une sorte de pâte à sel pas cuite saupoudrée de sucre et de cannelle. Man VS Wild – je crois que Thoreau se serait retourné dans sa tombe.

 

Walden… Quand, quelques semaines après mon expérience de jeûne, Emilia m’a invité chez elle, sur la côte Est des États-Unis, ni une ni deux, sans hésiter, j’ai dit banco.
« Qu’est-ce que tu veux visiter pendant ton séjour ici ? » Emilia m’a demandé. Je savais qu’on allait passer la moitié du temps à New-York, l’autre moitié à Boston. « Je sais pas… À New-York j’aimerais visiter la chambre de Kerouac quand il était étudiant à Columbia…
– … La chambre de… Mais elle existe plus, mon pauvre !
– Ah… Ok. Tant pis… Dans ce cas j’aimerais aller à Columbia, et traîner dans Bowery et dans le Village.
– Oui, si tu veux, ça peut être chouette. Même si, tu sais, ça a beaucoup changé depuis son époque…
– Et à Boston… J’aimerais que tu m’emmènes voir Walden Pond.
– Walden Pond ?
– Oui. L’endroit où Thoreau a construit une cabane dans les années 1840.
– Oui, Ben, je sais ce que c’est. J’y allais parfois, l’été, avec mes parents, quand j’étais gosse. Ça fait un bail que j’y suis pas allée, ça pourrait être cool.
– Oui. Cool. »

Alors j’ai pris un grand avion à réaction, j’ai débarqué à JFK, j’ai vu New-York pour la première fois, suivi les pas de Kerouac, Ginsberg, Burroughs et toute la bande à travers Times Square, Bowery, Washington Square, de Columbia au Village, j’ai pris un bus jusqu’à Boston. Mais pas un bus Greyhound – trop cher… Oui, ça a beaucoup changé depuis l’époque de Kerouac.

Boston m’a parue calme après l’intensité, la frénésie New-Yorkaise – à taille humaine. Avec Emilia on s’est promenés dans un immense parc avant de prendre le train – free riders, sans billet – direction Concord. De la gare on a marché, le long d’une route sans trottoir, pour finalement débouler devant l’étang de Walden.

On est rentrés dans la cabane de Thoreau – enfin une reproduction, à l’identique, déplacée à un autre endroit pour d’obscures raisons. Dedans, une table, une chaise, un lit, le strict nécessaire pour mener une vie d’écrivain ermite pendant quelques années. Et Thoreau lui-même ! – enfin son clone, un gars habillé en tenue d’époque, qui ressemblait quasi à 100 % à ses portraits.

Emilia a un peu parlé avec lui pendant que j’examinais les lieux.

Thoreau dans sa cabane

Thoreau dans sa cabane

 

La cabane de Thoreau - réplique

La cabane de Thoreau – réplique

Puis on est descendus vers l’étang. On a contourné la plage qui abritait quelques touristes ou des gens qui faisaient bronzette – c’était le début du mois de mai et il faisait particulièrement beau. Le ciel était dégagé, d’un bleu azuréen, et le soleil tapait assez fort. On a pris un chemin de terre entre les arbres pour arriver sur une crique.

Walden Pond

Walden Pond

« La baignade est autorisée ? » j’ai demandé à Emilia.
« Oui. Pour… Ben qu’est-ce que tu fais ? Arrête ! »
J’avais pas attendu la fin de sa phrase pour commencer à me dessaper.
« Mais tu fais quoi là ?
– Bah, j’me baigne !
– Mais… Mais tu n’as même pas de slip de bain.
– Pas grave, j’ai un boxer
– Ni de serviette !
– Pas besoin de serviette. Avec le soleil qu’il y a, je serai sec en deux minutes.
– Arrête Ben…
– Écoute Emilia… Ok, j’ai pas de serviette, j’ai pas de slip de bain. Et alors ? Avoir l’occasion de me baigner dans l’étang de Walden, c’est quelque chose qui se reproduira jamais dans ma vie. Je DOIS le faire, tu comprends ? »

La crique

La crique

Et voilà comment je suis rentré dans l’eau. J’ai pas fait le malin, j’ai pas crié Odiiiiiiiiiiiiiin, je me suis un peu gelé au début, j’ai fait gaffe à rentrer progressivement, et puis j’ai piqué un plongeon, j’ai fait quelques brasses et enfin quelques pirouettes avant de revenir au bord où m’attendait Emilia avec les sandwichs qu’elle avait préparés. Le temps qu’on les mange, j’étais sec.

Promenade autour de l'étang

Promenade autour de l’étang

Ensuite j’ai remis mon futal et ma chemise et on a continué notre balade. J’ai observé Emilia tremper son doigt dans la sève d’un érable et le lécher avec délice. Je l’ai écoutée me parler de toutes les fois où elle allait à Walden avec ses parents et son frère, je l’ai entendue discuter des Blue Laws, ces lois puritaines qui avaient été promulguées dans les anciennes colonies de l’Est des États-Unis. Bien qu’abrogées, Emilia les évoquait pour montrer que bon nombre de ses concitoyens étaient encore très puritains – et après l’épisode de la serviette et du slip de bain je me demandais un peu si ce puritanisme ne l’avait pas un peu contaminée elle aussi.

I went to the woods...

« I went to the woods because I wished to live deliberately, to front only the essential facts of life, and see if I could not learn what it had to teach, and not, when I came to die, discover that I had not lived. »

Une fois qu’on a fait le tour de l’étang on est passés dans la boutique des souvenirs. Le clone de Thoreau a fait sa réapparition – il s’était débarrassé de son accoutrement mode 1840 et avait enfilé un t-shirt et un pantalon en lin – tout ce qu’il y a de plus classique – sauf que des citations de Thoreau étaient imprimées partout sur ses vêtements, et pas seulement ! Le mec avait plein de tatouages le long des bras – d’autres citations de Thoreau et même son portrait et la cabane. Voyant que je l’observais avec attention, il m’a dit : « J’ai trente ans, ça fait vingt ans que je vis avec Thoreau. » Le type connaissait tout de sa vie, et toute son existence tournait autour de son Maître. C’est la première fois que je croisais un fan de ce genre. Avec lui et la caissière du magasin de souvenirs, on a parlé justement de Thoreau, de sa vie, de ce qu’il a laissé en héritage, j’ai acheté quelques cartes postales – entre autres pour Simon, pour Camille, et il a fallu qu’on mette les voiles.

On est monté dans un train – pareil qu’à l’aller, free riders, sauf que là on s’est fait contrôler. On risquait une amende, mais je m’en foutais.

J’avais nagé à Walden Pond, j’avais atteint mon but, le reste n’avait plus aucune importance.

Guns of Brighton – Partie 2

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Évidemment, c’est qu’un rêve – ou une autofiction

Je m’avance vers la mer. M’enfonce sur les galets jusqu’à ce que les vagues soient à quelques mètres de moi. J’hésite à enlever mes chaussures pour tremper mes pieds dans la mer, mais je renonce – trop froid.Il fait trop moche pour que je puisse me baigner ici. Avec quelques degrés de plus, j’aurais osé. Je suis Olaf Orelsonn, rien ne m’arrête, mais les dieux sont contre moi.
Kler et moi on se promène sur la digue.
Ciel gris, mer grise, du gris partout, l’horizon est ténu, la ligne de démarcation gommée, ces bateaux perdus au loin, ils volent sur l’eau ou flottent dans les airs ? Aucune idée, je ressens que le vent qui me fouette le visage.
Sur la digue je prends des dizaine de photos. Une famille se promène, des Anglais téméraires, avec leur paire de chiens. Petits, mignons, enveloppés dans des manteaux créés pour eux, des fashion victims canines, ils s’amusent à se bouffer le cul l’un l’autre – pour se tenir chaud?

Brighton Brighton Brighton Brighton Brighton Brighton Brighton Brighton
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Brighton

Dans le brouillard, là-bas, plus loin, un mastodonte se dessine dans la mer.
Un navire qui aurait heurté un rocher ?
Non, le West Pier – une structure métallique amarrée là, elle tombe en ruines, colonisée par les mouettes et les goélands, les oiseaux de passage, on les entend piailler, on distingue parfois les mouvements de leurs ailes.

Fascinants, ces barres d’acier encastrées les unes sur les autres, fusionnant avec ces morceaux de tôle rouillée, ce chantier au point mort qui a rien à faire là.

Brighton West Pier

Brighton West Pier

Ma Dalton et Lucky Luke entrent au Great Eastern. Ma a son sac à main kitschissime, Luke son balluchon en bandoulière. Avec nos looks respectifs, on peut rentrer dans une banque et la faire sauter, ou dans l’office du Sheriff pour le faire plumer.
Kler commande un whisky-coca. Ils ont toute une flopée, de whiskies, de bourbons et de scotchs, je trouve dommage que Kler dilue du coca dedans, ça gâche le goût subtilement fourmillant, l’arôme complexe du malt distillé.
J’opte pour une bière légère sud-africaine, au fût.
Je bois ma Ale en regardant la pluie crépiter par la fenêtre embuée du pub, tic plic ploc tac tic plic ploc, pendant qu’un groupe de Folk joue. Ça swingue pas mal, le pub est bondé et je suis pas très réceptif à la musique. Je sais juste que le son est plaisant à l’oreille, parfois ça me donne envie de me lever et de danser devant tout le monde, mais je reste assis sur ma chaise, ne me levant que pour aller cloper dans la petite cour derrière le pub, commander une autre bière et me rendre aux toilettes.
Je discute avec des gens – l’alcool aidant, on finit par parler la même langue. Un gars me dit qu’il est « vacuum engineer ». En quoi consiste son boulot, je préfère pas trop poser de questions. « And you? » il me demande.
Je suis dans une ville que je ne connais pas, avec des gens qui ne me connaissent pas. J’ai plus d’identité, je peux être qui je veux, je peux m’appeler Bruno et être marchand de glaces, ou Bernard, enchanté, je fais pousser des salades et des courgettes dans des champs radioactifs, et toi, tu t’appelles comment ?
Le gars vit chez la mère de sa copine. Il les a ramené toutes les deux au pub. Et il se paie des coups devant elles, il finira complètement fait et elles devront le ramasser à la petite cuillère.

Les toilettes du pub valent bien une petite visite. Elles sont joliment décorées. En y entrant, on se retrouve nez-à-nez avec un panneau en zinc des années 1950, indiquant les directions des lignes de métro de Paris. Je pisse entre Ménilmontant et Place de Clichy.

Toilettes du Great Eastern

Pisser entre Ménilmontant et Place de Clichy

Dans la cour, la nuit commence à tomber. J’allume une clope, enveloppé dans un ciel bleu roi, je me sens bien. Je discute encore avec des gens, une dernière pint et on rentre chez Kler.

Plus tard, autre part, le dimanche après-midi, Ma Dalton et Lucky Luke sont dans un parc. Ma visite touche à sa fin et Kler maugrée : « Mais il est pourri, ce parc ! »
Faut dire qu’on cuve de la veille, on est pas au top de notre forme et on déprime un peu.
Ok, ce parc est un peu nul. Et alors ? L’essentiel, ce n’est pas l’endroit où on est, c’est nous. J’essaie tant bien que mal de nous remonter le moral.
Kler dans l’herbe, assise en tailleur, creuse un trou et plonge ses mains dedans, à la recherche de la terre. Puis elle se badigeonne avec, jusque sur ses bras.
Je suis allongé sur une table de pique-nique. J’ai enlevé mes Dr Martens et mes chaussettes, mes pieds respirent enfin. Les orteils en éventail, le ciel devant moi, mes lunettes de soleil sur le nez alors qu’on le cherche encore désespérément, j’essaie de fermer les yeux et de roupiller un peu, mais j’y arrive pas, je regarde les nuages à la recherche d’une forme que je reconnaîtrais.
Kler lève la tête : « Là, je vois quelque chose !
– Quoi ?
– Une sorcière ! »
Peut-être… J’ai du mal à la discerner, cette sorcière. Peut-être parce qu’elle existe pas, mais je ferme les yeux et je finis par la voir.
On discute un peu et les sorcières dans le ciel nous regardent. Je sens la brise se lever, il est temps de rentrer.
Chez elle, pendant que je prépare mes affaires, Kler me montre le site Internet d’un mec qui a construit une maison de hobbit, quasiment écolo, quasiment autosuffisante, pour trois mille livres.
Il faut juste acheter un terrain.
Plein d’images dans la tête, la cabane, la récolte d’eau de pluie, les toilettes sèches, la serre, le jardin potager, les cochons retourneraient la terre, les poules fourniraient des œufs, les chèvres produirait du lait, et Kler, ensuite, en ferait du fromage…
Kler fouille dans ses placards et me tend une pierre : « Tiens, c’est pour toi.
– C’est quoi ?
– Une pierre magique. Shiva Lingam. Ça polarise et absorbe les mauvaises vibes.
Je ne sais pas quoi dire, je ne crois pas au pouvoir des pierres, mais je vais essayer, avec celle-là, je la remercie et je range la pierre dans ma poche. Un ovoïde zébré, bandes beige et noires.
Il est temps pour moi de lever le camp.
Gare de Brighton. Train.
London Victoria Station.
Chemin du retour.
La gare, fourmilière géante, je flâne parmi la foule devant les distributeurs de billets. J’ai acheté un billet aller-retour, moins cher qu’un aller simple, va comprendre pourquoi, il ne me servira pas, je cherche à donner le billet retour Londres-Brighton.
Une fille galère, elle me ressemble, dans son style, dans son attitude, totalement paumée, complètement à sa place.
Je m’approche d’elle et lui tends, sans rien dire mais mes yeux s’expriment à ma place, le billet.
Elle comprend, me dit Thanks, that’s exactly what I was looking for, enfin elle baragouine un truc dans le genre, la tête penchée à quatre vingt-dix degrés, son portable comme une sangsue accrochée à son oreille. Elle saisit le billet, s’éloigne en continuant de parler à son iPhone, elle va rater son train.
Je sors de la gare, déambule dans Victoria Street, trois heures à tuer, je descends la rue, d’un côté les Burger King, Mc Donald’s, KFC et compagnie, de l’autre les pubs – emblématiques, typiques, on dirait qu’ils ont toujours été là.
Big Ben veille sur le petit Ben, sa grande aiguille me guide jusqu’à Westminster Abbey.
Je danse avec les Indignados du dimanche qui poussent la sono au Parliament Square, le champ des plaintes et des illusions perdues.

Londres Parliament Square

Londres Parliament Square

Je prends le Tube, me perds dans les tunnels de la cité underground. Croise un Hobo noir qui chante No Woman No Cry. Sa voix – belle, grave et profonde, sa mélodie – détraquée.
Arrivé à Saint Pancras, un carrot cake, un cappuccino géant dans un Starbucks, je me prépare psychologiquement au vidage de mes poches pleines de pierres précieuses et à la fouille corporelle.
Une fois passée cette attente douloureuse, je monte dans l’Eurostar et regagne ma bonne vieille patrie, mon petit Wazemmes, mon petit bar d’où j’écris ces lignes en buvant un petit rouge et en ayant une pensée pour Ma – Kler – Dalton.
Dans ma poche, le Shiva lingam luit d’une étrange façon.

Guns of Brighton – Partie 1

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Alors comme ça, Brighton serait la ville la plus cool d’Angleterre ?

 

Titre accrocheur, on est d’accord. Titre mensonger ?

 

Difficile à trancher. Disons que c’est subjectif, et que Brighton a le visage de ce qu’on en/y fait.

 

Brighton, la première fois que j’y suis allé, c’était pour y déposer mes frères qui faisaient là-bas un séjour linguistique. Je devais avoir 6 ou 7 ans, et mes parents tenaient absolument à rencontrer la famille d’accueil dans laquelle mes frangins, en pleine éclosion hormonale adolescente, allaient passer trois semaines pendant les vacances d’été. Je me souviens que j’y ai mangé des fish & chips pour la première fois de ma vie. Je me souviens aussi avoir débloqué quand j’ai vu que le couvercle des chiottes de cette famille d’accueil était en POILS ROSES !

 

C’est là que j’ai compris que les Anglais avaient du goût.

 

La deuxième fois que Brighton a croisé ma route, c’est quand j’ai écrit une nouvelle qui se déroulait dans cette ville. Une histoire dans laquelle le héros errait à Brighton en quête d’un écrivain célèbre, icône du Swinging London, qui s’était retiré là, avant de connaître lui-même son quart d’heure de gloire, et, inexorablement. la longue phase de déchéance qui s’en suivait.

 

Et enfin, la troisième fois que Brighton est apparue dans ma vie – et celle que je raconte cette semaine et la semaine prochaine – c’est quand j’ai décidé d’y aller il y a quelques années. D’abord parce que depuis l’incursion que j’y ai faite pendant mon enfance, je pense que j’ai passé un cap et que je suis désormais assez grand pour y découvrir autre chose que des couvercles de chiottes en poils roses. Ensuite parce que je veux voir ce que ça donne vraiment d’errer dans les rues de cette ville, comme le personnage de ma nouvelle. Et enfin, parce que je vais rendre visite à Kler, Kler qui a largué les amarres dans cette ville – à moins qu’elle y ait fait naufrage ?

 

Morceaux choisis :

 

Eurostar, vendredi soir, mon fidèle sac à dos que je trimbale dans mes vagabondages depuis des années, qui a franchi toutes les frontières sans broncher, affronté l’air du Cinque Terre, du Wavel, du Pont Charles et des fjords d’Oslo – mon fidèle sac à dos m’a lâché, problème de fermeture éclair, il veut plus se refermer.

La fille à côté de moi voit que je galère. Elle me tend un lacet rouge sur lequel est pendue une clochette et je le noue autour des lanières. Je sais pas comment elle fait pour pas éclater de rire : j’ai des morceaux de poulet tandoori issus du sandwich que je viens de manger coincés dans les dents et ils se distinguent très nettement lorsque je lui souris pour la remercier.

Passage à la douane, j’angoisse, enlève ma ceinture usée jusqu’à la corde, et tous les bibelots de mes poches, mes grigris, mes porte-bonheur, je me prépare pour la fouille au corps.

Saint Pancras, j’achète un billet pour Brighton à un guichet, je veux un contact humain, après toutes ces mécaniques, ces essieux du train, ces gardes-frontières qui s’acharnent à la tâche, tous des robots.

« Return ? » la dame de son bureau me demande, derrière la vitre en plexiglas.

« No, just single. »

Fuite en avant, le point de non-retour est atteint. Je respire profondément, décale ma montre d’une heure en arrière, et monte dans le train.

L’Angleterre, parfums d’exotisme. La langue anglaise, déjà – ce ton haut-perché, bien accentué, ce Cockney à couper au couteau – la conduite à gauche, les bus londoniens – typiques, rouges carmin à deux étages – les traits physiques des autochtones, moulés par les vents et gonflés par les errances dans les vastes plaines vallonnées de la blanche Albion – les traits culturels aussi, insularité et ouverture, mélange paradoxal d’un peuple, qui, il y a encore un siècle et demi, régnait sur un Empire où le soleil ne se couchait jamais.

Tchou tchou tchik tchou tchou chick – le train avance, le rythme des rails doit m’emporter, me bercer dans un demi-sommeil car je végète, mais j’ai beau être fatigué, les cafés que je me suis pris toute la journée durant me tiennent éveillé – je déprime un peu.

Un gars aux cheveux ébouriffés – ancien punk anar’, quand il était ado, désormais en costume-cravate, la quarantaine bien tassée bien grasse, rentré dans le rang, s’écroule sur son siège, un flan qui s’écrase. Il ferme les yeux, ses joues gonflées et moites luisent à la lumière, il roupille, relève les paupières, re-roupille.

Three Bridges. Le train s’arrête, le type se réveille brusquement et déploie toute son énergie à sortir du train. Il titube, titube, titube jusqu’à la porte. Sur le quai, les passants l’évitent.

L’autre type, assis devant moi, je vois que sa nuque, et parfois ses yeux quand par la fenêtre il fixe un point dans la nuit. Yeux gris, yeux du ciel de ce week-end, transparents, son âme, toute convertie à la Big City Life, prunelles évaporées et constamment tristes.

Ma Dalton ! Voilà à quoi ressemble Kler, venue me chercher à la sortie du train à la gare de Brighton.

Elle porte une longue robe de gitane, un long gilet qui lui tient chaud, et surtout elle tient dans ses mains deux sacs, pas du tout discrets : un sac à main, -vintage ? non, carrément décalé-, et un sac en plastique, vermillon bien pétant, pour que je puisse y ranger mes affaires.

On se promène dans les rues de Brighton parmi les lycéens et les étudiants, les fêtards du vendredi soir qui commencent à peine à se miner – on rentre dans le premier pub venu, Kler commande un Strongbow, je demande à la serveuse de me servir une bière locale pour que je puisse y goûter. Une Strong ale, un peu dégueu, pas strong du tout.

Verres vides, on quitte le bar, on se perd un peu dans le dédale de rues. Kler est arrivée ici il y a quelques semaines, elle connaît pas encore bien la ville, elle la visite en même temps que moi.

Un autre pub, The Prince of Wales, le panneau au dessus de la porte indique « Adult Creche », une pancarte signale une soirée karaoké ce soir. Je sens qu’on va bien se marrer.

The Prince of Wales

The Prince of Wales – photo trouble désolé…

Ma Dalton et moi on décide de chanter « Losing my Religion » . Une autre chanson que je chantais sous la douche quand j’étais gamin.

À la fin on se fait applaudir par les badauds du pub comme les rockeurs mythiques, à la fin de leur tournée, au Wembley Stadium.

Dernier service. Kler et moi, on prend nos verres et on se pose à une table dehors pour fumer une clope. La nuit est fraîche et calme. Un gars du bar, un autre chanteur, sort aussi. Il chantait très bien les morceaux qu’il avait choisis, une voix posée mais puissante.

Il a l’air bourré, mais il a pas de verre à la main.

« Do you wanna drink with us ? », Kler demande.

«  No », il réplique, « I don’t drink.

– Ah », je m’exclame d’un air malicieux, « Me too ! I’m a Mormon ! »

Puis je rajoute « Cheers » en entrechoquant mon verre à celui de Kler.

Les sourcils froncés, le gars me fixe des yeux : « Theoretically, I’m a Mormon. »

Là j’ai envie de disparaître de ma chaise, de m’évaporer dans la nature, de me cacher au fond des bois.

Le mec précise alors : « Well, I’m rather a Mormon-Buddhist. In fact, I don’t know what I am. »

Je dis rien, je comprends ce qu’il veut dire : « Je suis un Mormon, mais je suis cool », je pense qu’un vrai Bouddhiste dirait plutôt un truc totalement perché, mystérieux, du genre : « I am what I am and I am what I am not. »

Le lendemain, je vagabonde dans Brighton. Sur la plage de galets, couleurs orangées, ciel blanc, ni jovial ni menaçant. Au loin, le Pier, jetée qui brise la mer magnifique, sur laquelle se hissent des boutiques, des cafés, des jeux pour les gosses et des bandits manchots.

Sur la plage, attiré par le ressac, je pose mes vêtements en tas sur les galets, je suis nu devant la Manche, La brise iodée, salée me fouette la peau, les vagues vont et viennent, glissent, se frottent en moussant contre les galets – tschouuuuu tssssss tchouuuuuuu, un signe, un appel à me lancer, peu à peu, elles me couvriront, une étrange fusion entre le corps et la nature.

Odiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiinnnnnnnnnn!!!!!!!

Odiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiinnnnnnnnnn!!!!!!!

Je suis un Viking, je suis Olaf Orelsonn, je crie « Ooooodiiiiiin », dans ce tumulte insolent ma voix roque fait écho dans les vents. Je suis un guerrier, je suis un fou, je suis un sage, et je pique une tête aux abords du Valhalla.

Un peu comme ça en fait:

В дороге, в Степи

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Arizona Dream – Goran Bregovic –

 

Je sais pas pourquoi j’ai cette chanson dans la tête.

Peut-être le compositeur – (Ex-)Yougoslave – qui me pousse à regarder encore plus à l’Est.

Peut-être le film – dans mes souverêves à un moment le personnage joué par Johnny Depp traverse en bagnole un cimetière de voitures – des carcasses de ferraille déglinguées empalées sur des piquets les unes sur les autres.

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Et la route qu’on parcourt ensemble, là, maintenant, c’est la même chose.

Vers l’Est toute et propice aux souverêves.

 

Давай Давай !

 

Est-ce qu’il y a vraiment cette scène dans le film ? J’en sais foutre rien.

 

La Lada d’Igor Vapatrovitch. Je connais ce modèle, je l’ai déjà vu en France – pas estampillé Lada bien sûr, mais…

 

Ouais – cette forme – typique d’une Dacia

 

Darla di la lada !

la lada au bord de la route

la lada au bord de la route

 

Dans la voiture d’Igor Vapatrovitch couvertures, chapelet emmêlé autour du rétroviseur intérieur, avertisseur de flics sur le tableau de bord, autoradio MP3 rempli de chansons russes, thermos de café et sans doute reste d’une bouteille de vodka sous le siège conducteur, et matos de pêche dans le coffre.

 

Давай Давай !

 

La steppe – toute plate, qui s’étend sur des centaines de kilomètres carrés – devant derrière tout autour de nous. Végétation quasi-inexistante – monotone. Quelques arbustes inoffensifs, des herbes plus ou moins mauvaises, plus ou moins hautes, pliées, balayées, terrassés, brûlées par les vents et le soleil.

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On s’arrête. Pause pipi.

Il est à peine 5h du matin et il fait déjà parfaitement jour et le soleil tape déjà fort.

Les plaines au loin sont ballottés par les vents – les plaines traversées en leur temps par Gengis Khan et ses hordes, et les commerçants de la Route de la Soie.

On pose les pieds sur le bitume, on se dégourdit un peu les jambes, on fait ce qu’on a à faire, et on remonte dans la voiture.

En l’espace(-temps) de cinq minutes, le ciel d’un bleu sans taches s’est modifié, transformé en un ciel gris, ouaté et menaçant – des nuages chargé d’électricité, capables de déverser leurs cruelles trombes en quelques instants.

 

Давай Давай !

 

À un moment Igor Vapatrovitch lève le pied.

Hein quoi qu’est-ce qui nous barre la route, qui fait obstacle à la Lada qui fend les steppes ?

Un troupeau de bovins.

Qui vient de nulle part.

Et qui se dresse comme ça devant nous.

Peinards.

« Dégagez les gueux ! » dit Igor Vapatrovitch.

Du moins, c’est ce que j’imagine qu’il marmonne, en russe, dans sa moustache. Sacré Igor Vapatrovitch !

Les vaches s’écartent.

Pour la plupart.

Je dis ça parce qu’il y en a une qui nous emmerde, qui nous fait l’équivalent d’un gros fuck dans nos faces, ou plus simplement, plus philosophiquement, qui en rien à foutre.

Elle se met à pisser.

La vache !

 

Давай Давай !

 

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la steppe quand soudain...

À un autre moment, on s’arrête, une nouvelle fois.

Se dégourdir les jambes, une nouvelle fois.

Près d’un plan d’eau, et d’une voie ferrée

Au loin, une barque.

C’est un pote d’Igor Vapatrovitch qui pèche !

Igor Vapatrovitch sort de la Lada, s’approche de son copain, le salue et lui demande si la peĉhe est bonne.

La barque du pote d'Igor Vapatrovitch

La barque du pote d’Igor Vapatrovitch

 

Puis on remonte en voiture – il reste deux heures jusqu’à Pavlodar.

 

Давай Давай !

 

Puis on passe à côté d’une stèle – trop vite pour que je puisse la figer en photo, mais suffisamment lentement pour que je puisse déchiffrer le mot inscrit dessus.

 

Спутник

 

Spoutnik, le satellite, le « premier engin placé en orbite autour de la terre », en 1957, qui « marque le début de l’ère spatiale. »

 

Спутник – lancé à partir du cosmodrome de Baïkonour – au Kazakhstan aussi, mais à 1600 km plus au Sud, plus à l’Ouest d’ici, de la route qui mène à Pavlodar

 

Спутник . С – пут – ник : la personne (le suffixe « ник ») avec laquelle (le préfixe « c ») on fait le chemin (la racine « пут »).

 

Спутник – un compagnon de route.

Comme Igor Vapatrovitch.

Comme Marlène, qui, douce et silencieuse, somnole sur mes genoux.

 

Давай Давай !

 

Je sais pas pourquoi cette route – toute conne, toute droite, toute défoncée – me marque autant.

Peut-être parce qu’elle est la somme unificatrice de toutes les routes que j’ai prises avant, de toutes les routes sillonnées pour en arriver là.

 

Давай Давай !

 

Ouais – la route s’arrête pas. Elle est simplement devenue moins sinueuse.

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Steppe by steppe

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Bill me dit que je fais jamais d’introduction dans mes textes. D’habitude je plonge directement les lecteurs et lectrices dans l’action, brute de décoffrage, façon Rambo – sans préliminaires.

Alors, cette fois ci, pour toi, Bill, je vais répondre à ces deux questions :

 

1) Où est-ce que c’est que ça se passe ?

 

Sur la Terre, en Asie Centrale, au Kazakhstan, entre Astana et Pavlodar, à bord d’une voiture qui fonce, fonce à travers les steppes.

 

2) Qu’est-ce que je fous là ?

 

Comme je le disais à Armelle qui s’inquiétait de pas voir Marlène dans mon avant-dernier texte, en me demandant « Elle est où Marlène ? », et quand je lui avais répondu que « Marlène elle était chez sa mère », eh bien en fait j’ai un peu mitonné – en fait Marlène elle était chez sa lointaine tante.

Conversation sur Facebook avec Armelle

Conversation sur Facebook avec Armelle

Sa vieille tante qu’elle voit pas souvent.

Sa tante qui est une « Allemande de la Volga ».

Sa tante qui vit au Kazakhstan, à Pavlodar plus exactement.

Sa tante chez qui je suis le bienvenu.

 

Alors moi, tu me connais, quand on me dit « viens », et quand j’en ai l’occasion, je me jette dans le premier moyen de transport venu – avion, paquebot, limousine, étalon des plaines – et j’arrive en deux-deux.

 

Et la manière dont Marlène m’a dit de venir. « Viens, viens… », langoureusement… comment ne pas succomber à ce genre de trucs…

 

Et en plus, gros coup de bol – depuis quelques jours, plus besoin de visa pour les ressortissants Français pour des séjours de moins de quinze jours ( – bon, tu me connais, avec la veine que j’ai, ce n’est que quand je me suis déplacé à Paname, et que j’avais devant moi la secrétaire de l’Ambassade du Kazakhstan, que j’ai été au courant de cette information…)

 

En bref, tous les signes étaient là – c’est comme si le Kazakhstan m’ouvrait grand les bras.

 

Train – avion – escale à Minsk – avion de nouveau – 15 heures de gamberge, quatre heures de décalage horaire, et j’arrive à l’aéroport d’Astana à 3h du mat’.

Marlène m’a dit qu’elle serait là, qu’elle m’attendrait à la sortie. Je la crois – mais ça m’empêche pas de flipper : est-ce qu’elle sera là ? Qu’est-ce que je vais faire si elle est pas là ? Attendre le premier bus, me rendre à la gare – mais j’ai même pas de thunes et je sais même pas comment ça se dit « gare » en kazakhe…

 

Je montre patte blanche au contrôle des passeports, je récupère mon bagage en soute et je sors de la zone d’arrivée. Et Marlène est bien là, elle vient juste d’arriver, elle aussi – mais pas de temps à perdre, on sort de l’aéroport et on se dirige vers un parking. Sur lequel nous attend une Lada Largus ( pour les connaisseurs/connaisseuses ) presque neuve. Et dedans : sa tante et le copain de celle-ci, qui sont venus jusque là uniquement pour venir me chercher.

Je fais un signe de tête à la тетя (1) de Marlène, qui dort profondément sur le siège passager. Son copain sort de la voiture – jogging, tricot de corps, treillis militaire, cheveux poivre et sel clairsemés sous sa casquette, rides qui tracent des sillons plein d’histoires sur son visage, moustache bien fournie, à la Nietzsche (pour les connaisseurs/connaisseuses), petits yeux noirs cachés par des binocles à gros verres. S’il y a quelqu’un qui a le même style que lui, c’est bien mon père. Marlène me présente : « B.Howl, voici Igor Vapatrovitch. »

Igor Vapatrovitch sort un paquet de clopes de la poche de son treillis, en met une à sa bouche, m’en propose une mais je refuse – j’essaie d’arrêter. Et il me tend la main pour me saluer.

Ah chouette ! Je vais pouvoir montrer à Marlène mes talents cachés en Russe, que je me galère à apprendre depuis quelques semaines – je vais l’épater ça c’est sûr.

« Здравствуйте! как прошла поездка? » Igor Vapatrovitch me dit.

«  Да да ! », je réponds, tout fier. (2)

 

Marlène me propose du café dans un thermos et une banane, et j’accepte – histoire de tenir le coup pendant le trajet.

Le trajet – Astana – Pavlodar, ça fait 437 Km (merci Google Maps).

Pour être à l’aéroport d’Astana à 3h du mat’, Marlène me dit qu’ils ont dû partir à 20h de Pavlodar. Si je fais le calcul rapidos, on en a donc pour à peu près sept heures de route – mais après 250 Km en train et 5700 Km en avion je suis plus à ça près.

 

En voiture Simone !

On embarque dans la Lada, on quitte le parking et on s’éloigne rapidement des voies rapides qui jouxtent l’aéroport, direction à l’Est toute ! Il est à peine 4h du mat’ et déjà l’aurore darde ses rayons d’argent à travers les écharpes de brume (à 1:10, pour les non-connaisseurs/non-connaisseuses)

Igor Vapatrovitch parle Russe, et Marlène me traduit ce qu’il dit en direct. Et Igor Vapatrovitch dans la bouche de Marlène dit qu’à son âge avancé on a pas besoin de beaucoup dormir, et à part la sieste de dix minutes qu’il vient de faire en m’attendant sur le parking de l’aéroport, ça fait 48 heures qu’il a pas dormi.

Puis Igor Vapatrovitch se tait, et Marlène me glisse une réflexion personnelle : « Igor Vapatrovitch, c’est tout un phénomène. »

Devant cette affirmation, et ce personnage, je ne peux qu’acquiescer et rester coi.

 

On passe tout près d’un poste de police. Marlène m’explique que les flics qui sont là-dedans n’arrêtent que les voitures étrangères – histoire de soutirer un peu d’argent à leur conducteur. Heureusement, la Lada a une plaque d’immatriculation kazakhe et Igor Vapatrovitch continue de rouler tranquillou…

 

Tranquillou ?

J’ai les yeux rivés sur le compteur – l’aiguille pointe quasiment tout le temps à plus de 120 Km/h. Ensuite, mon regard se pose sur la route. La route – totalement défoncée – j’ai pas vu une route autant défoncée depuis le Bénin – et Igor Vapatrovitch – ce bon gaillard, ce vieux bougre ! – mène la Lada tambour battant, et évite pied au plancher les trous et les bosses.

 

Давай Давай ! (3)

 

Je suggère – j’exige! – qu’Igor Vapatrovitch soit sacré champion automobile dans les plus brefs délais.

 

Moi j’ai peur, je me cramponne comme je peux, je panique, je vois le compteur, je vois Igor Vapatrovitch hyper-confiant, je flippe comme un porc – c’est horrible je suis un gros peureux, une fiotte! – je revois le compteur, je revois Igor Vapatrovitch hyper-confiant – alors je me calme: tout va bien se passer.

 

Marlène me calme aussi… Elle pose un cousin sur mes genoux et pique un roupillon. J’essaie de faire la même chose, accoudé à la fenêtre, mais pas moyen, malgré la fatigue. On est trop chahutés. Je suis tellement chahuté, ouais, et tellement fatigué que j’ai l’impression d’avoir déjà vécu les scènes qui s’offrent à moi – la route, cette carlingue dans laquelle on est chamboulés de toutes parts. Une réminiscence ou un souverêve ? Je divague…

 

Je caresse les cheveux de Marlène, je lui masse le crâne en contemplant les paysages qui défilent tout autour de nous. Les steppes. Des centaines de kilomètres carrés d’herbes plus ou moins hautes, plus ou moins séchées – des buissons, des arbustes tordus par les vents – mais aucun arbre. Et au loin les montagnes. Et au dessus le ciel changeant, instable, dont les couleurs se font parfois joyeuses, et parfois menaçantes. Et au milieu de tout ça, sur la route capricieuse quasi-déserte, la Lada. Comme si on avait rien à faire là. Comme si on allait à contre-courant.

 

Давай Давай !

 

 

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1) Tata

2) Bonjour ! Comment s’est passé ton voyage ?

– Oui oui !

3) Allez allez !

L’Aigle Noir

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Pâle septembre.

 

Début septembre dans la rue commerçante de Lille. Dehors, il pleut à torrent. Quelle idée d’avoir choisi ce jour là pour faire de l’accrobranche avec Mélanie ?

Elle est déjà là, elle m’attend sous un porche, une clope au bec. En t-shirt. Comme moi. Toute trempée. Comme moi.

« Bon, je crois que c’est mort pour l’accrobranche… » elle fait.

J’acquiesce en levant les yeux au ciel.

« Du coup qu’est-ce qu’on fait ? »

Silence. Mélanie lâche sa clope et finit par répondre :

« On a qu’à s’acheter une bouteille de vin et faire une sieste chez moi. »

Ses plans me plaisent. C’est vrai qu’hier j’ai encore fait fort et je suis pas mal fatigué – une sieste ce sera pas de refus. Et le pinard c’est en bonus – histoire de se consoler de ce temps pourave.

Quelle idée de snober le métro et de faire la route jusqu’à chez Mélanie à pied alors qu’il pleut comme vache qui pisse?

Quelle idée a Mélanie en commençant à chanter l’Aigle Noir?

 

Un beau jour, ou peut-être une nuit…

 

Je me souviens de la première fois que j’ai entendu cette chanson. C’était en 1997, j’étais en CM2. Notre instit’ consacrait deux heures par semaine pour faire de l’éveil musical. On devait faire des exposés sur des compositeurs de musique classique – Bizet, Puccini, Tchaïkovski.

Je me souviens que mon exposé, c’était sur Bizet. J’avais choisi Bizet parce que ma chienne s’appelait Carmen. Et pour l’exposé je m’étais pas foulé : le pote avec qui je trainais tout le temps avait imprimé la fiche de Georges Bizet sur Encarta.

Encarta…

Une autre époque…

Mais un jour de fin novembre, en cours d’éveil musical, notre instit’ nous a dit que l’exposé prévu cette semaine là serait reporté parce qu’il voulait nous parler de Barbara.

Elle était morte la veille.

Je me souviens qu’il avait parlé d’elle avec une grande conviction. Comme s’il la connaissait personnellement. Comme si elle avait beaucoup compté pour lui.

Et il nous a mis la chanson. L’Aigle Noir.

 

Un beau jour, ou peut-être une nuit…

 

Je me souviens avoir tremblé. C’était l’une des première fois que j’écoutais un CD sur une chaîne stéréo. Je trouvais le son pur. Et au-delà de ça, la mélodie, les paroles me transperçaient. Ça m’emmenait loin.

 

Je me souviens qu’après ce jour là, et pendant des années, sous la douche, je chantais l’Aigle Noir. Plusieurs fois, de ma voix de soprane – ma voix préadolescente. Comme un leitmotiv.

 

C’est dingue comment une chanson que tu t’es approprié(e) une fois te revient dans ta face comme un boomerang alors que pendant des années tu ne l’as pas écoutée et comment tu te l’appropries de nouveau. Tu oublies pas la première fois, comment tu étais, ce que tu as perçu – mais sur la base de ces souvenirs tu recontextualises, tu construis une autre histoire sur le même morceau.

 

Un beau jour, ou peut-être une nuit…

 

Une fois arrivés chez Mélanie, on débouchonne la bouteille de vin rouge qu’on a achetée en passant. Dans sa chambre, je nous sers un verre pendant qu’elle met le morceau sur son ordi. C’est dingue comment l’Aigle Noir sur Youtube, ça rend mieux que Mélanie qui la chante, même si elle la chante de tout son cœur, même si elle la chante avec conviction.

 

Ça fait quinze ans que je l’ai pas écoutée. Quinze ans. Tant de choses se sont passées. Et puis tellement rien, finalement.

 

Je me souviens de ce que j’avais ressenti, je me souviens des frissons qui me parcouraient l’échine – et c’est la même chose, et pourtant les frissons que j’ai maintenant sont pas les mêmes.

 

Je fais plus attention à certains trucs dans la musique auxquels j’avais pas fait attention avant. Les percus surtout – à 0:37 – qui déploient toute l’intensité de la chanson.

 

La version est pas forcément la même que dans mes souverêves.

 

Un beau jour, ou peut-être une nuit…

 

La bouteille de vin est vide. Nos esprits sont embués. Nos vêtements sèchent tant bien que mal, roulés en boule par terre dans la chambre de Mélanie. Et nous tout nus dans son lit.

Au milieu du nulle part mes souverêves, son visage surgit, et son regard, son regard…

Juste avant de se blottir l’un contre l’autre. Juste avant que nos corps se frottent. Juste avant de se mélanger. Parmi nos étoiles, nos étoiles.

 

On se mélange on est pas ensemble. On se mélange pour se prouver à nous mêmes, prouver à autrui, qu’on est capable de faire l’amour, qu’on est capable de ressentir de l’amour. Des sensations. Des sentiments. Pur(e)s. Sans ambiguïté.

 

Un beau jour, ou peut-être une nuit…