Archives de l’auteur : Ben Howl

À propos Ben Howl

Né en 17 à Leidenstadt, de parents nains connus.

À la recherche d’Arthur Martin

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une belle gazinière

ma belle et fière gazinière

Si comme moi ta cuisinière vient de tomber en rade un matin alors que tu étais peinard en train de te concocter une délicieuse mixture de flocons d’avoine – passés au lait chaud dans la casserole – à l’ancienne ! – en touillant à la louche en bois (reconstitué) – qui te tient par les tripes jusqu’au goûter, voici les étapes qui vont te permettre de faire valoir ta réparation du préjudice subi.

 

1) identifier le coupable

 

C’est l’étape la plus facile ! C’est écrit dessus, comme le Port-Salut. En toutes lettres, un peu snob sur les bords, qui te narguent alors que ta mixture est sur le point de tourner.

c'est écrit dessus

comme le port salut

 

ARTHUR MARTIN ÉLECTROLUX

 

Arthur Martin, tu vas voir de quelle bois je me chauffe, mon gaillard !

 

2) tout savoir sur ton gaillard

 

Grâce à ton ami virtuel qui sait tout sur tout, et son contraire, et inversement, et plus si affinités – celui qui se targue d’avoir un nom rigolo quasi-homonyme de celui de l’auteur des Âmes Mortes – tu peux en savoir plus, beaucoup plus, mettre un visage sur ta cible, sur ta proie.

recherche sur le net

recherche sur les internets

Une photo noir et blanc, mal vieillie – un portrait militaire d’un homme vigoureux, plein de fougue et d’adresse, un air mi-sérieux, mi-amusé.

Et une description froide et précise – scientifico-historique, anesthésique – celle de l’illustre ARTHUR MARTIN-LEAKE :

 

Lieutenant Colonel Arthur Martin-Leake, VC* (4 April 1874 – 22 June 1953) was an English double recipient of the Victoria Cross, the highest award for gallantry in the face of the enemy that can be awarded to British and Commonwealth forces. Martin-Leake was the first of only three men to be awarded the VC twice.

 

OK. Voilà mon gaillard, je te tiens désormais.

T’as beau avoir été militaire, c’est pas ça qui va m’arrêter!

Reste à savoir si, revenu d’entre les morts après plus de soixante ans, tu traînerais pas, par hasard, sur Facebook…

 

3) se défouler un peu

 

Parce que – que ce soit clair entre nous, Arthur – tu vas me le payer ! T’as niqué mes Quaker Oats, t’as gâché ma journée, tu m’as mis le moral à zéro, alors je vais tout faire – TOUT, tu m’entends ? – pour que tu arrêtes de foutre ma vie en l’air. Ça peut aller loin tu sais ! Si tu as un problème, j’ai des frères – trois, pour être précis – et je peux te jurer qu’ils auront aucune pitié pour ta pauvre petite gueule de cuisinière.

 

Tu fais moins le malin maintenant, hein ?

 

Petite quéquette.

 

4) tenter une approche

 

Bon, on se calme… Le réseau social au F imposant m’annonce qu’il y en a plein, des Arthur Martin…

arthur martin facebook

Des Arthur Martin y’en a plein sur Facebook

Fait chier… Autant chercher une aiguille dans une botte de sept lieux. Et je suis pas le Jack

Bauer de la grande époque, moi, ou le MacGyver des temps modernes – je ne te désamorce pas six bombes nucléaires en trois heures, je te fais pas des coups tordus avec mon couteau suisse.

 

Mais je tente ma chance, j’en prends un au hasard et je le contacte, comme ça, discretos.

Il va sans dire que je commence pas la première approche en le menaçant, ce gaillard, comme évoqué dans le troisième point ci-dessus. Non, ce serait trop voyant pour accorder un quelconque crédit aux réparations que j’exige et obtiendrai, quoiqu’il en soit, coûte que coûte, dussé-je traverser les océans avec ma cuisinière sur le dos.

arthur martin conversation facebook

Échange verbal cordial sur Facebook avec Arthur Martin dans la langue de Shakesbeer

5) être un loser et l’admettre

 

Bon, ma patience a des limites. Art’ m’a toujours pas répondu.

Art’ ? Ouais… Arthur Martin, le type que j’ai contacté sur Facebook. Je me permets de l’appeler Art’ – on commence à devenir intimes, lui et moi…

Donc ma patience, je disais, a des limites, Art’ m’a toujours pas répondu… ça fait deux semaines maintenant, et j’ai comme une horrible démangeaison dans les narines. Comme si je sentais que je m’étais fait couillonner. Dès le début. En beauté. Bien comme il faut. Jusqu’au trognon.

Alors, de guerre lasse, en grommelant, j’abandonne.

 

C’est bon, Arthur Martin de mes deux, je me rends, t’as gagné, t’es content ?

 

…Salopard…

 

Et je te préviens, on me la ferai pas deux fois : la semaine prochaine, j’achète une nouvelle cuisinière.

 

Une Hitachi.

 

 

Ça va chier…

 

 

 

Merci à Kler 🙂

ERREUR 404

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Je sais pas vous, mais moi je trouve qu’en ce moment, STuPIDE et CoNTAGIEUX – entre des récits d’autostop à peine intrépides et la description romanesque de paysages désertiques, ne raconte plus grand-chose de vraiment stupide ni de réellement contagieux. Alors faut s’y remettre !

 

Aujourd’hui je vais vous parler d’ERREUR 404.

Kesskecé ?

Pas de suspense insoutenable – levons dès maintenant le voile sur ERREUR 404, le quatuor de rockeurs qui monte qui monte qui monte dans nos contrées.

Reconnaissables entre tous avec leur look de vieux Hipsters tatoués façon malabar goût fraise des bois chimique, leur barbe grandiloquente hirsute et leur collier de tiges de blé noir nouées, J.J (chant et clairon), Art’ (guitalélé), Raf’ (cymbales et grosse caisse) et Igor Vapatrovitch Gonzalez (baguettes et beatbox) se connaissent depuis l’enfance – une enfance passée à courir la jeunesse le long des bidonvilles au charme désuet d’Obies (59) – une période heureuse mais frugale et rustique qui a forgé leur caractère bien trempé – un peu Viking pour les uns, un peu Hun pour les autres.

C’est lors d’un feu de camp/bar mitzvah/rite funéraire païen – préadolescence effarouchée et mèches sur les yeux – que ces quatre garçons dans le vent du nord, tous fans de Boris Vian et des New Kids on the Block, se sont rencontrés pour la première fois. Les panachés et autres légers alcopops aidant, en haut de la colline les langues se sont déliées – « Et si on formait un groupe ? » – la question sonna longtemps dans l’air humide de la plaine – jusqu’au petit matin – comme une évidence chancelante – mais le doute ne planait plus – et c’est ainsi qu’est né le groupe précurseur d’ERREUR 404 – les Gonzatchi – acronyme subtil et éloquent de « Gonzo » et de « mariatchi ».

Après un détour par le bal musette avec des reprises d’Yvette Horner feat. Boy George, puis par le Punk Hardcore Underground Rural (PHUR), le combo nordiste a décidé de passer au rock fort avec tout d’abord HELLO KITTY 69 puis, au tournant des années 2010 – ERREUR 404.

Les caractériser paraît une tache bien ardue pour le parajournaliste néophyte que je suis. Selon leurs propres mots, ERREUR 404 est un mélange entre « Scorpions sous acides » (J.J) et « Kyo à la sauce Nu Metal » (Igor Vapatrovitch Gonzalez) avec « quelques sonorités Beastie Boysiennes » (Art’) et des « samples d’Aznavour de la grande époque » (Raf’).

 

Je vais être clair avec vous – ERREUR 404 c’est d’abord et avant tout :

 

Du gros son qui tache

Des cordes (vocales) qui pètent

Du larsen dans les enceintes

Des bam-bams qui font boum

Des décibels qui déchirent

 

ERREUR 404 en a plein le slip et vous en met plein la tête.

Après quelques tremplins locaux, quelques premières parties de vieux crooners sur le retour et quelques scènes à l’étranger (Mouscron, Steinweiler, Gniew, Riudoms…), après des mois d’errance en Patagonie, ils sont enfin de retour pour dépoussiérer le marché sclérosé et incontinent de la musique légale dématérialisée avec leur premier E.P qui déglingue sa race : « Should I stay or should I milk cows ? » – en écoute en exclusivité dans tous les Intermarchés de France et de Navarre.

mmm… de Navarre uniquement…. Juste celui de Bidache en fait.

 

Un groupe à écouter absolument.

 

Si ce %ùµ*$¨}]@ç de lien veut bien marcher.

Hannover Garbsen – Partie 2

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Toujours 3h du mat’, toujours bloqué dans la nuit encre de Chine sur cette putain d’aire d’autoroute Hannover-Garbsen, et avant de me faire interrompre par Monsieur H. et son texte – qui est, de vous à moi, le fruit d’un travail d’orfèvre – j’étais en train de vous raconter comment j’en étais arrivé là.

Donc, il y a tout d’abord Louis et mon « covoiturage spontané », concept que j’ai inventé pour dire que j’ai foiré l’autostop en beauté en acceptant lâchement de me faire véhiculer moyennant finances. Je sais que Camille aurait pas du tout approuvé ça – pour elle le stop c’est « Si tu me fais payer, je monte pas avec toi. » Heureusement, béni soit Kerouac, qui, quand il a sillonné les routes américaines en large et en travers, a dû, parfois, filer quelques dollars pour faire quelques miles.

Louis me dépose sur l’aire de Lipperland Süd sur les coups de 23h. De là il va à Minden, puis il retourne à Essen. Et demain, et les jours suivants, il fera pareil, ce saint impitoyable.

Adios l’ami ! – je lui fais signe quand il démarre – mais il s’en fout. Les bandes blanches et la vitesse l’attendent.

Pause pipi de nouveau – ce serait dommage de me faire dessus sur la route en salissant le cuir d’un siège passager. Pause bouffe – bananes et petits-beurre, et pause café également – jusqu’à Łódź, ça peut être long.

Si je fais le calcul rapidos, je dirais que j’ai déjà encaissé un tiers des 1600 Km qui me séparent de ma destination. Hanovre est à 100 Km, Berlin à 400 Km. Et ensuite Poznań et la Pologne, enfin…

Pancarte

Pancarte

Je stationne devant la station-service Aral. Je réarrange ma pancarte, la réduis de moitié en retirant tous les endroits que j’ai déjà franchi.

 Pas le temps de finir ma clope, un camion rouge s’arrête devant moi. Le chauffeur descend et s’approche : « I can drive you to Hannover.

– Let’s do that ! »

Avec des signes il m’explique que je dois abandonner ma « pancarte de rechange », un carton sur lequel j’ai rien écrit, histoire d’avoir quelque chose sous la main au cas où j’aurais dévié de ma route. Je suis d’abord réticent, puis je me dis que si je dévie, je ferai avec les moyens du bord. Alors il m’aide à mettre mes sacs dans la cabine et on embarque.

Wow un camion – ça faisait un bail

Mon chauffeur, Carshie (?) me propose du Red Bull et du café – sa glacière est à portée de main et la machine à espresso sur le tableau de bord. Il laisse son paquet de clopes à proximité et me fait comprendre que je peux me servir comme je veux. Un ange ! – un ange qui écoute de la musique pop Bulgare – quand je lui pose des questions il baisse le son pour me répondre.

« Ça fait combien de temps que tu es chauffeur routier ?

– 25 ans.

– Qu’est-ce que ton camion transporte ?

– En général, du courrier et des colis. Je bosse pour Fedex. Mais pour l’instant, rien du tout. Je dois récupérer une cargaison à Berlin et la déposer à l’aéroport d’Hanovre, d’où je viens de partir.

– Tu as de la famille, des enfants ?…

– Ouais, j’ai deux filles. L’aînée a 22 ans. Elle fait des études de droit en Bulgarie. La plus jeune a 17 ans, elle est au lycée à Cologne. »

Dans le camion on domine la route en fonçant dans la nuit. C’est très calme, j’ai pas l’impression qu’on dépasse les 100 Km/h. Mais je suis en forme, enthousiaste et bien confortable sur mon siège. Dans la direction opposée, on aperçoit trois accidents – et les embouteillages qui les accompagnent.

Carshie a les muscles saillants, sa peau est parsemée de tatouages. Je l’observe du coin de l’œil – sa route est encore longue mais il sourit. Après ma série de questions il remet la musique à fond. Première fois de ma vie que j’écoute ces airs traditionnels remixés à la sauce électro – de la Tchalga – et figurez vous que je trouve ça génial…

Vers 1h du mat’ Carshie me dépose sur l’aire d’Hannover-Garbsen. Il a l’air vraiment désolé quand il me dit qu’il peut pas m’amener plus loin. Un grand signe, et c’est un autre ange de la route qui s’obscurcit en s’éloignant.

Voilà, je vous ai raconté comment j’en suis arrivé là. Maintenant ça fait deux heures que je poirote comme un con ici. Il fait un peu froid, adossé aux vitres de la station-service, j’enfile mon sweat-shirt. Le mec de la station-service me fixe des yeux – il s’est d’abord méfié de moi, maintenant il me regarde d’un air attendrissant.

Vue de la station-service

Vue de la station-service

Au niveau des pompes, je roule ma bosse et ma clope – oui, on fait avec l’humour qu’on a – seul à 3h du mat’ sur une aire d’autoroute paumée dans un pays qui n’est pas le sien.

L’aire d’autoroute est immense, pourtant aucune voiture s’arrête pour mettre de l’essence – aucune voiture sauf des « microbus » – des espèces de fourgonnettes sans fenêtres qui traversent l’Allemagne et la Pologne, remplies de passagers entassés dedans. Je les vois sortir des véhicules, hagards, fumer des clopes et se dégourdir les jambes pendant que les chauffeurs font le plein. À chaque fois, leur regard se pose sur moi, rempli de regrets – ils pourront pas me véhiculer.

Tant pis… Mon attention – enfin… toute l’attention que je suis capable d’avoir à cette heure avancée de la nuit – s’est reportée ailleurs. Vers une voiture solitaire qui traîne en plein milieu du parking devant le restoroute. Une voiture immatriculée en Pologne – et dedans, qui dort : mon sauveur.

mon sauveur?

mon sauveur?

J’attends qu’une chose, c’est qu’il se réveille. Quand ce sera le cas, il me verra, et là, c’est obligé, il va me prendre et m’emmener direct jusqu’à Łódź. Je le sais, c’est comme ça que ça va se passer.

En attendant, je fais des rondes dans le coin des camions, où je vois les chauffeurs se garer comme ils peuvent, sortir quelques instants pour vérifier leur cargaison, puis rentrer et tirer les rideaux de leur cabine – avant de se reposer quelques heures pour reprendre la route de nouveau.

Ronde de nuit

Ronde de nuit

Je commence à broyer du noir – sévère. Je me sens comme au milieu de nulle part, comme cette fois à Dolna Grupa. Sauf que cette fois pas de Camille, pas de Candy Sweet, pas de Lola, pas de Marlène non plus – je suis seul – désespérément seul. Et traîner là au milieu de ses mastodontes d’acier, ça commence à me faire flipper grave.

Je regarde leur plaque d’immatriculation, à mes camions, et j’essaie de deviner d’où ils viennent et quelles routes les a menés jusqu’ici. Mais ce jeu dure pas bien longtemps – j’angoisse et je commence à avoir sommeil.

Énième pause clope à la station-service à côté des microbus compatissants qui défilent à la chaîne, puis j’entame une énième ronde dans le coin des camions. Mon sauveur là-bas seul dans sa caisse est toujours pas réveillé.

Tout à coup, alors que je suis au bout de la troisième rangée de camions, près de la sortie de l’aire d’autoroute, un vrombissement. Soudain, rapide et violent. Et je vois sa voiture filer à toute berzingue. Putain, mon sauveur vient de se casser !

Le chien !

Je misais tout sur lui.

Qu’est-ce que je vais foutre maintenant bordel ?

Je maugrée toute ma misère en traînant des pieds jusqu’à la station-service, où je m’écoule sur le béton, froid et qui pue l’essence. Faut que j’en fasse mon refuge – parce que si ça se trouve, je partirais pas d’ici avant l’aube.

Mais une bagnole déboule. Une vieille merco-benz blanche – début des années 80 je dirais. Immatriculée 75. Paris ! Un Français ! Alors que je me remets debout, son conducteur se pointe vers moi. Et il me dit un truc – un charabia incompréhensible – du polonais ? « Nie mówię po polsku… » je fais. Alors, dans un français sans faille, il me dit : « Je m’appelle Michał. Je vais jusqu’à Poznań. Si ça te dit, je te dépose par là… »

Bien sûr que ça me dit !

Hop, je grimpe et je fous tout mon barda à l’arrière.

Les sauveurs sont jamais ceux qu’on croit et Michał l’ange met les gaz trace la route direction la Pologne.

Hannover Garbsen – Partie 1

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Mais quand je déclare que je ne sais pas si nous arriverons un jour là-bas (…), un petit môme (…) me lance :

– Vous en faîtes pas, vous arriverez.

Je lui demande comment il le sait. « Non seulement vous arriverez mais encore vous repartirez et vous irez ailleurs. Ah ah ah ! »

– Jack Kerouac – Les anges vagabonds.

3h du matin, enveloppé dans la nuit noire de Chine – sans Lune et sans étoiles – sur l’aire d’autoroute d’Hannover-Garbsen, à quelques kilomètres d’Hanovre, sur l’autoroute A2, qui mène tout droit à Berlin, à 300 Km de là.

Hannover-Garbsen – on est déjà passés par là, avec Camille, lors de nos premières péripéties jusqu’en Pologne, mais on y est pas restés longtemps – juste le temps de se faire déposer, souffler un peu et se faire conduire ailleurs.

Banane

Mes sacs à terre, adossé contre le mur de la station-service, je mange une banane et des petits beurre et je pense aux innombrables fois où j’ai fait du stop jusque là. Je pense à Camille, à notre traversée du désert et à toutes les autres fois où on s’est dit « On y arrivera jamais ». Je pense à toutes les fois où on a fini par y arriver, je pense à toutes celles où on a raté le coche. Si je suis là maintenant, dans la nuit, c’est entre autres pour me prouver que je peux y arriver.

J’ai commencé à lever le pouce vers 16h, sur l’aire d’autoroute d’Assevillers Est, du côté de Péronne, sur l’autoroute du Nord – juste avant qu’elle se sépare entre Lille et Valenciennes. Déposé là par un couple d’amis après la pendaison de crémaillère de Sophie et de Jules.

« Lever le pouce »… en fait j’ai même pas eu le temps de le faire. Dès mon arrivée, je me suis précipité aux chiottes me soulager la vessie – acte essentiel avant chaque Grand Voyage. Et là, alors que je me lave les mains, un gars jette un coup d’œil sur ma pancarte.

« Tu passes par Hanovre ?

– Ouais, c’est sur ma route.

– Je peux te déposer vers Minden. Ça sera 30 EUR. »

Louis – c’est son nom – me montre déjà où se situe Minden sur son smartphone mais je vois très bien où c’est. C’est dans ma direction, c’est pas ça le problème. Le problème c’est que j’ai une pancarte, que je suis parti pour faire du stop, c’est à dire me faire déposer d’un endroit à un autre sans bourse délier. Ça contrecarre l’essence même du projet.

« Mais rien n’est gratuit ici, tu sais… » il me dit.

Bon, je pourrais attendre qu’un conducteur accepte de me prendre dans sa caisse – je suis persuadé que je trouverais bien des gens qui pourraient m’emmener plus loin même – mais j’accepte, un peu lâchement. Tant pis, je me dis, j’en ai rien à carrer, c’est pas du stop, c’est du « covoiturage spontané ». Et puis Minden, c’est au delà de l’imbroglio autoroutier de la Rhur, où il y a tant d’autoroutes qui se concentrent, qui s’enchevêtrent, où j’ai eu terriblement de mal à avancer la dernière fois que j’ai fait le voyage. Partir avec lui, ça va m’éviter toute cette merde.

Je monte dans la voiture – un monospace de sept places. À l’avant Louis et Justin, qui conduisent à tour de rôle. À l’arrière, tandis qu’au deuxième rang somnolent une dame et son gosse, au premier rang avec toutes mes affaires je suis entassé entre deux dames d’un certain âge. Plus tard, j’apprends qu’elles font partie de la famille de Louis. Mais ça les dispense pas de payer le trajet aussi. Rien n’est gratuit ici…

La voiture quitte l’aire d’autoroute, et c’est parti.

Le compteur toujours bloqué à 150, on passe la frontière belge en fin d’après-midi, puis la frontière allemande vers 20h30. Cette route, à force de l’avoir prise dans tous les sens, elle me devient familière. J’aime pas trop l’ambiance dans la caisse. La phrase de Louis « rien n’est gratuit ici » me reste dans la gorge, et puis il parle fort et puis il met la musique à fond. Je discute avec l’une des deux dames à mes côtés. Elle vient du Bénin, alors on parle de Cotonou et du marché de Dantokpa. J’imagine qu’en dix ans, pas mal de trucs ont changé. Pas sûr que je m’y retrouverais si je revenais là-bas.

Le gosse – Jan – s’est réveillé. Il pleure parfois mais le plus souvent il reste sage et attentif. Il gazouille – c’est la vie que je sens en lui, c’est la vie que je finis par ressentir dans cette carcasse de métal – je retrouve mon optimisme.

Justin arpente la Rhur dans tous les sens pour déposer, un à un, les passagers. La dame de Cotonou à Mönchengladbach, l’autre dame, Jan et sa mère à Essen. Sa route à lui se termine là aussi.

Je me retrouve seul dans la voiture avec Louis, qui prend le volant pour la dernière partie du trajet. Je reste toujours méfiant. Je viens de lui filer ses trente boules, j’ai pas envie qu’il me largue comme un malpropre au bord de la route.

« Tu sais à quelle aire d’autoroute tu vas me déposer ? » – je lui pose plusieurs fois la question.

Il finit par s’énerver gentiment : « Non. Mais t’inquiète pas ! Il y en a plein, des aires d’autoroute ici. »

Et il rajoute. « C’est un contrat… Tu m’as donné l’argent. Maintenant je dois remplir ma part du deal, tu comprends ? »

Ouais – je comprends.

Je devrais pas être autant stressé… C’est juste que l’autostop a pas encore fait son œuvre en moi. Au bout de quelques temps, quand tu fais du stop, la route est ton élément, glisser sur le macadam ta seule joie, t’en as plus rien à foutre de savoir où tu vas être déposé, où tu vas et où tu vas dormir ce soir. Mais ça, ça vient pas tout de suite et au début – pendant quelques temps en tout cas, tu angoisses et tu désespères pas mal – avant d’être enfin dans le bain.

Bon, Louis a raison – je dois me détendre. Je respire profondément et je regarde le chapelet de bois autour du rétro intérieur. Je regarde Louis qui parle fort et qui met sa musique à fond – je sais qu’il fait la route Paris-Hanovre plusieurs fois par semaine, par tous temps. J’imagine qu’il en bave, qu’il a dû en voir, des choses pas nettes dans sa vie. Je le vois d’un autre œil, en fin de compte. Je le vois danser la samba, le mambo et la salsa sur son siège, se trémousser, se tortiller, claquer des mains, les yeux rivés sur la route – mélodies latines et africaines à 150 à l’heure au creux de la nuit germanique.

Alors, intérieurement, je remercie ce saint de la route d’avoir posé son regard sur ma pancarte et de m’avoir emmené jusque là.

Et je me trémousse et je claque des mains à mon tour.

Le monde a changé

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Il fut une époque où je sortais pas les poubelles. À la place, je foutais tous les sacs plastiques plein de déchets dans le vide-ordures, je les compressais au max et je bourrinais sur le vide-ordures jusqu’à ce qu’ils tombent cinq étages plus bas. Autant vous dire que ça faisait un raffut du tonnerre. Surtout quand je faisais ça le matin dès le réveil.

Maintenant le monde a changé et toutes les semaines je descends mes poubelles – bon petit citoyen propret et respectueux de ses voisins.

 

Il fut une époque où pour la douche je ne jurais que par le savon de Marseille – même pour les cheveux. Un jour je suis allé chez le coiffeur et qu’il a vu ça, il a dû mettre des gants. À force, une fine couche de savon s’était amassé sur mon crâne et étouffait mon cuir chevelu.

Maintenant le monde a changé et je suis pas réveillé tant que j’ai pas pris ma petite douche – avec gel douche shampoing et tout le toutim – faut que ça frotte, faut que ça mousse.

 

Il fut une époque où j’avais l’impression de squatter chez des gens – tant bien même je payais ma part du loyer. Des bobos-écolos – les pires – du genre à éteindre le chauffage en plein hiver – du genre ère glacière. Du coup je me réveillais souvent vers quatre heures du mat’ – peau transie, tremblante, bleutée – des stalactites de morve gelée qui me pendent au nez.

Maintenant le monde a changé et ici dans ma chambre le soleil me tape sur la gueule tous les matins, je contemple ébloui le ciel qui se drape de couleurs magnifiques pour me saluer et me presser de me bouger le cul, et le soir la lune et sa mer de la tranquillité qui dit qu’elle veillera toujours sur moi.

 

Il fut une époque où j’aimais bien monter à Paname pour le week-end – rien que pour squatter chez Sophie dans son appart’ haussmannien vers Saint Germain les Près – et écumer avec elle – plus ou moins célibataires, plus ou moins fauchés – les sushis-bars flamboyants et les boîtes de jazz feutrées – à la recherche de gens pour nous payer à boire, ou plus si affinités.

Maintenant le monde a changé et quand je veux rendre visite à Sophie au fin fond de sa campagne, je dois monter à Paris, descendre à Montparnasse, ensuite prendre le RER puis le bus et enfin son jules doit venir en caisse me récupérer au terminus.

 

Il fut une époque où, deux fois par an, Marcelline et Diya prenaient possession de ma balustrade et y faisaient leur nid. J’avais l’honneur d’être le premier être humain à assister aux premiers battements d’ailes – bruyants – de leur progéniture. Jules et Verne, Marco et Polo, et Ken – le survivant. Et toute la troupe se cassait de là – du jour au lendemain, sans prévenir, en laissant derrière eux tout leur bordel, toutes leurs merdes de sales pigeons voyageurs.

Maintenant le monde a changé et Marcelline et Diya ne font que passer mais ne se posent plus. Elles ont sans doute peur de Pat’ et Séb’, mes deux poissons noirs qui du fond de leur bocal les toisent de leurs yeux globuleux.

 

Il fut une époque où je bourlinguais avec Camille – 3600 kilomètres sur la route, le pouce levé, le sourire aux lèvres – faire le tour de la Pologne dans la frivolité la plus débridée.

Maintenant le monde a changé et Camille ne m’accompagne plus. La vie, ses routes, ses déviations et ses détours ont eu raison de nous.

 

Maintenant je regarde la lune immense et pâle qui me sourit, je regarde les horaires du prochain bus direction chez Sophie, je regarde Marcelline et Diya roucouler au loin sur les toits, je regarde mes pancartes – vestiges de la Route Polonaise – érigées au rang d’objet d’art ou de collection, je regarde mon gel douche à la pomme, je regarde la poubelle presque pleine – je regarde tout ça par le prisme des souverêves.

Alors j’enfile mes charentaises et je descends mes déchets dans le local poubelles de l’immeuble.

 

Paraît qu’on appelle ça l’évolution.

 

Trois voeux

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24 DÉCEMBRE :

 

Cette année encore je rentre au bercail fêter Noël en famille – je connais le topo à force : un Noël froid, glauque et morose à souhait. Mais cette année contrairement aux années précédentes pour y aller je traîne pas des pieds.

Car Marlène m’a écrit ce matin : « Fais un vœu au pied du sapin, Jason [prononcer JASON, à la Française, comme Jason et les Argonautes], il se réalisera l’année prochaine »

Marlène, Marlène l’Allemande – je sais plus comment on est entrés en contact – ça date d’il y a quelques mois déjà. Des mails sans prétention au début. Puis au fur et à mesure, au fil du temps, de longs échanges, des messages plusieurs fois par semaine. Et par ce qu’elle me raconte, ce qu’elle me montre et ce qui transparaît d’elle, je sais déjà que je la trouve fascinante. Peut-être bien que je suis amoureux… Mais je la connais pas ! Je l’ai jamais vue, je sais même pas à quoi elle ressemble ! C’est tout moi ça – je m’imagine des histoires avec des filles qui existent pas. Des chimères… Je pensais que ça m’était passé depuis la fin de l’adolescence, mais tout porte à croire que j’ai replongé. Triste constat – et j’ai pas de sapin au pied duquel je peux faire un vœu.

Je prépare mes affaires, je fourre les cadeaux pour la famille dans un sac de sport. Je soupire – pas sûr que mes parents aient installé un sapin chez eux cette année. Vu l’ambiance qui règne au repas de Noël chaque année – qui est de pire en pire, ils ont sûrement renoncé à se donner cette peine.

Où je vais faire mon voeu, moi? Car j’y tiens! Si Marlène a dit qu’il se réalisera, il se réalisera. Forcément. Alors je sais pas ce qui me prend, je décide de me rendre à pied à la gare. J’habite à l’autre bout de la ville, mais peu importe, j’ai le temps, il fait plutôt beau pour les premiers jours de l’hiver et comme ça je profite de la fièvre de Noël que je retrouverai pas chez les darrons.

Juste devant la gare, un sapin immense. Comme s’il était apparu rien que pour moi. Car j’en mets ma main à couper, il était pas là hier. C’est un signe… Alors je m’étonne moi-même en me mettant à son pied et en émettant un vœu – qui sort de mon esprit le plus naturellement du monde: Je veux être avec Marlène.

Puis j’entre dans la gare en haussant les épaules. Pas sûr que ça marche, mais au moins on aura essayé…

 

03 MARS :

 

Marlène est là tout près de moi. Assise de l’autre côté de la table basse du salon. Si je tends le bras, je peux même la toucher. Incroyable non ? Je me souviens maintenant pourquoi elle m’a contacté il y a quelques mois – elle quittait Leipzig et sa Saxe natale et débarquait dans ma ville, elle voulait avoir des infos sur les choses à faire et les choses à voir. Elle est arrivée il y a un mois à peine. Notre première rencontre a été… bizarre. Bizarre de voir pour la première fois quelqu’un que, par la force des choses, le plus grand des hasards, tu connais déjà beaucoup. La première fois qu’on s’est vu, on s’est beaucoup baladé, dans la vieille ville, autour des remparts, le long du canal. Depuis, on se promène souvent aux mêmes endroits, à la tombée de la nuit. Nos petites habitudes. Parfois, on s’arrête net et on lève les yeux au ciel pour compter les étoiles. Et on parle, on parle… Je m’étonne de sa maîtrise de la langue française. Elle parle presqu’aussi bien français que moi – c’est dire… Une fois je lui ai demandé « Ça fait combien de temps que tu pratiques le français ?

– Trois ans, presque quatre. »

Après six ans d’allemand LV1, je lui arrive même pas à la cheville…

Être à ses côtés m’apaise, comme une longue séance de yoga, dont les effets se font encore ressentir les jours d’après. Je crois que j’ai plus changé en l’espace d’un mois que ces deux dernières années.

Marlène est à côté de moi. Assise de l’autre côté de la table basse du salon. Ce soir, je l’ai invitée à voir un film chez moi. On boit du vin blanc. C’est elle qui sert. La bouteille arrive à sa fin. Alors elle me la tend et dit : « Fais un vœu, Jason ! Et ensuite, souffle vite dans la bouteille pour qu’il se réalise. »

C’est quoi cette connerie ?

« Qui me dit que ça va marcher ? » Je fais.

«  Ça va marcher si tu veux que ça marche ! » Elle rétorque.

« Pourtant le vœu que j’ai fait au pied du sapin, il s’est pas encore réalisé.

– Sois patient. Ça viendra… »

Je suis pas convaincu, mais je m’exécute. Je tiens la bouteille avec précaution, je fais mon vœu, je le pense très fort, j’y crois à fond, je souffle sur la bouteille qui résonne un peu, et avant de la poser sur la table basse je la bouche avec la main pour empêcher mon vœu de s’envoler.

Mon vœu… Un vœu tout simple – impossible : Vivre une grande et belle histoire d’amour avec Marlène.

 

06 AVRIL – hier soir

 

Marlène chez moi une fois encore, tous deux côte à côte autour de la table basse du salon, nos culs posés sur des coussins, on regarde silencieusement deux bougies crépiter et distiller leurs ombres mouvantes sur le plafond. J’ai réaménagé la pièce, ça fait des années que je me dis que je dois changer les meubles de place et je le fais jamais. Par manque de temps ou par fainéantise. Marlène la trouve plus zen. La bouteille de vin est vide. « C’est le moment de faire un vœu ! » elle lance. Elle me tend la bouteille. Je lâche mon vœu dedans. Je souhaite répéter mon deuxième vœu, je souhaite qu’il devienne réalité.

Elle fait son vœu. Puis son léger accent chantant qui me fait flancher me demande : « C’était quoi ton vœu ?

– J’ai pas le droit de te le dire, sinon il va pas se réaliser.

– Qu’est-ce que t’en sais ? »

Pause. À cet instant mon cœur bat la chamade. J’arrive pas à la regarder dans les yeux. Qu’est-ce qu’elle est belle, bordel… Si je m’approche de sa bouche, qu’est-ce qu’il va se passer ? Je l’imagine se lever et fuir de chez moi en courant. Le gros vent. J’ai 14 ans de nouveau.

On se calme… Je suis sur un terrain glissant, faut que j’arrive à me dépêtrer de là. Faut que je garde la tête froide, que je m’en sorte la tête haute.

« Bon OK. Je te dis mon vœu. Mais s’il se réalise pas, tu me files 200 Euros en guise de dédommagement, ça marche ? »

Et je lui tends la main pour qu’elle scelle le deal.

Je suis vil, je suis vénal. Machiavél……..

Elle soupire, balance ma main au loin, attrape mon col de chemise et agrippe ma bouche

 

 

pour y déposer le plus beau et le plus doux des baisers.

Chercher des petits-pains

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Premières lueurs du jour qui te percent les pupilles. Je me réveille une fois de plus dans un lit qui est pas le mien. Odeur désagréable – amère, puante – dans la bouche – trop fumé hier, et trop bu – du mauvais vin – je pue à dix kilomètres. Je regarde le plafond en essayant de reprendre mes esprits, de retrouver ne serait-ce qu’une vision d’ensemble du puzzle décomposé de la soirée d’hier. Et de la nuit…

Merde…

Elle dort sur le côté. Bien loin de moi. Elle ronfle un peu, paisible – elle me tourne le dos. Peut-être qu’elle aussi préfère oublier. Elle a l’air jolie, de dos. Je veux dire, elle a l’air d’avoir de jolis cheveux, elle a un beau dos, charmant – … J’espère… Je veux dire… merde…

Par contre elle a tiré toute la couette cette nuit. Je comprends mieux pourquoi je me suis gelé les miches. J’ai le cuir chevelu qui me démange. Toujours allongé, je me gratte les cheveux, je scrute mes pieds, mes jambes, je zieute le bas de mon ventre. Ma bite flasque qui déclare forfait. Qui voudrait bien disparaître dans la nature, se recroqueviller dans sa coquille. Comme un escargot. Mais c’est qu’une limace. Elle est belle, ma condition d’homme !

C’est bon, ça me revient. Les événements d’hier. Par bribes – de plus en plus nettes. Merde…

Je me suis encore fait niquer comme un bleu. D’abord le pub aux néons criards. Ensuite le dernier verre – « Chez toi ou chez moi ?

– Mmm…

– Chez moi. J’ai du bordeaux.

– Mmm… j’aime pas trop le bordeaux.

– Chez moi quand même. Allez viens, tu sais bien qu’on s’en fout que tu aimes pas le bordeaux !… »

Tellement cliché…

« Mmm… Bon, OK, d’accord… »

Inutile de résister, surtout pas à cette heure tardive. Au mieux il y a de la bonne musique de chambre et son lit est confortable, au pire la gnôle est gratuite. Ça vaut bien quelques sacrifices.

B.Howl – une âme tellement charitable…

Je me dresse tant bien que mal. Coup d’œil au réveil – un truc vintage posé sur la table de chevet parmi quelques Musso, quelques Levy, un Gavalda et un flacon de verni à ongles violet. Sans doute que c’est ce flacon qui m’a séduit chez elle, non ? Si elle est pourvue d’une once d’originalité…

Je soupire.

Le réveil indique 8h12.

J’ai la dalle.

Je sors du lit. Je glisse sur une capote usagée. Deux autres capotes traînent plus loin. Usagées aussi – mais vides, celles là, par contre. Grands dieux, tant de fois que ça ?…

Merde.

Je me rhabille avec difficulté – j’enfile mon calbute comme l’équilibriste du cirque. Puis mon jean, ma chemise et mes godasses et plusieurs fois je manque de me casser la gueule. Je vadrouille dans l’appart’ je me dis qu’elle a des bons goûts déco quand je vois les posters dans sa cuisine. Dans l’évier je choure une tasse je la nettoie vite fait et j’y verse la fin de la cafetière. Le café froid de la veille, y’a que ça de vrai ! Puis je finis par trouver les chiottes où je dépose quelques amis à la piscine je prends bien soin d’éviter de tirer la chasse et enfin direction la salle de bain où je me passe un coup d’eau sur la nuque histoire de bien me réveiller, et d’emprunter son dentifrice histoire de pas schlinguer, d’être un minimum présentable aujourd’hui.

Il a l’air de faire beau dehors. Je prends quelques thunes, je laisse mon manteau traîner sur le canap’, et je fais, bon cœur : « Je vais chercher des petits-pains. »

En guise de réponse j’entends une sorte de meuglement – je crois que ça veut dire « Oui ». À l’entrée sur un meuble je prends ses clés ainsi qu’une clope – une lucky pour me faire passer la pâteuse.

Et j’emprunte pas l’ascenseur j’emmerde l’ascenseur je descends les escaliers en sautillant tel Arturo Bandini – un Arturo Bandini de pacotilles – un Casanova stakhanoviste qui a rien dans le froc. Je me suis fait niquer comme un bleu.

Dans la rue je demande à une vieille qui promène son chien où c’est que je peux trouver une boulangerie. Elle et son yorkshire me regardent avec méfiance. Oui je suis un débauché oui je sens la chatte – et alors ? Faut que j’en profite, non, avant de devenir comme vous… – vous trouvez pas ?

La vieille finit par accoucher – la boulangerie est deux rues plus loin. « Merci bien », je dis. Et je file fissa et je sais bien que j’ai la vieille et son foutu clebs sur les talons.

Je sautille nonchalamment sur le trottoir – je me crois dans Billy Elliot. Je suis Billy Elliot. La boulangerie est à une rue. J’allume la clope je marche lentement en fixant le caniveau et je pense à tous ces maris, tous ces amants qui annoncent à leur femme au petit matin qu’ils vont chercher des petits pains et qui reviennent jamais.

J’envisage sérieusement de faire la même.

Sauf que moi je me suis fait niquer comme un bleu j’ai laissé mon manteau là-bas. Mon manteau qui contient les clés de chez moi mes papiers mon blé et mon portable.

Je vais chercher ces foutus petits-pains et je reviens, furax, jusqu’à son immeuble.

Je sonne. Exprès. Plusieurs fois. Jusqu’à ce qu’elle se sorte enfin le cul de son plumard et qu’elle vienne m’ouvrir.

« T’as pris la clé, pourtant, non ?»

Il n’y a pas de petites vengeances.

« Ah oui. Oui oui. C’est vrai. J’avais zappé. Désolé. Mais j’ai des petits-pains. »

– Je t’ai dit hier que je préférais les croissants…»

Merde.

Le marque-page

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« Viens, mon beau chat, sur mon corps amoureux

Retiens les griffes de ta patte

et laisse moi regarder dans tes beaux yeux

mêlés de métal et d’agate »

Charles Baudelaire

 

Combien de fois j’ai pu penser à réciter ces vers en caressant des chevilles à la nuque ton corps doux et moite d’après l’amour – en effleurant de mes grands doigts ta chaude toison – en t’entendant doucement ronronner comme une chatte – en observant attentivement tes pupilles diluées se perdre tantôt sur le ciel de nuit là-bas derrière la fenêtre embuée, tantôt sur le plafond ombragé de la chambre – comme pour reprendre pied dans la réalité étrange de notre moment.

Le lit défait. Les draps encore emplis de ton parfum nébuleux – inaltéré. Tes cheveux d’or qui apparaissent ici ou là entre les plis de la couette si on fait bien attention. Les jambes et les bras en croix et au centre mon corps trop lourd qui a rien à faire dans ce mausolée – souillent l’immaculé. Je lis Murakami – 1Q84.

1Q84 – une histoire qui se situe entre deux mondes – le monde de l’année 1984 et le monde – parallèle mais pas vraiment – de 1Q84 – où brillent deux lunes dans le ciel mais où les gens vivent, meurent – et s’aiment – vraiment sous les lunes. Deux mondes qui s’entrecroisent – dans lequel des deux on est finalement ?

C’est grâce à Murakami que je t’ai rencontrée. C’est lui qui nous a rapprochés. J’aime bien Murakami – sa poésie, son univers, les saveurs enivrantes et mystérieuses qu’il distille entre les lignes. Je m’étais résigné à ne pas lire 1Q84, j’en avais entendu des mauvais échos et je trouvais que ça valait pas la peine de le lire, je préférais rester sur mes bonnes veilles références – Kerouac Bukowski et Cendrars – familières, confortables, sécurisantes – c’est ta force de persuasion massive qui m’a poussé à me procurer les trois tomes de ce pavé et à les lire jusqu’ici. D’un côté 1Q84, de l’autre un verre de rouge, entre les deux moi à poil qui jongle de l’un à l’autre et m’étonne pour le coup d’être ambidextre.

Main droite.

Une gorgée.

Pose le verre.

Main droite.

Saisit le bouquin.

Reprends la lecture.

Là où les marque-pages l’ont laissée.

 

Mon marque-page. Procuré lors de mes innombrables pérégrinations parisiennes – juste après avoir vu le tapuscrit de On the Road, en même temps que j’ai acheté le bouquin – The Original Scroll – dans une petite librairie du Vème qui paye pas de mine. Et depuis il me quitte jamais – toujours coincé dans les pages du bouquin que je suis en train de lire – dans mon lit, dans le métro ou sur la route. Autant vous dire qu’il part en lambeaux mais qu’il a une histoire.

 

Ton marque-page aussi, il a une histoire. Une histoire qui rejoint la tienne dans tes propres pérégrinations. Fond bleu ciel – et dessus des images de rues pales et ensoleillées, d’ornements et de céramiques – on se croirait à Lisbonne, Florence ou bien soyons fous! – Saint-Petersbourg. Une histoire qui rejoint la mienne aussi, maintenant qu’il se glisse en compagnie du mien dans les livres que j’emporte partout.

 

Je nous vois tous les deux serrés l’un contre l’autre penchés par la fenêtre pour y contempler le ciel de nuit de 2K14 et ses deux lunes flamboyantes. Maintenant mon verre de rouge se vide et j’en suis au point final de 1Q84 et j’ai pas le droit de te raconter comment ça se termine. Maintenant en 2014 une seule lune me nargue à travers la fenêtre sale – maintenant ça fait longtemps que j’ai pas eu de tes nouvelles. Qu’est-ce que tu deviens, vieille chimère qui me colle à la peau ? Où es tu, à part dans un coin de ma tête ?

Sur le lit tes cheveux d’or disparaissent un par un – tes parfums se dissipent et s’envolent. S’agit-il bien des tiens ? Au fond peu importe – à la fin seuls les souverêves restent. À moi de les faire vivre ou de les taire, selon qu’il y une ou deux lunes, selon qu’on soit en 2014 ou 2K14.

Je finis par m’assoupir peu à peu – vaincu par Morphée une fois de plus. Ton marque-page se fane comme une rose et se désagrège sans un bruit. Sur le lit les jambes et les bras en croix et au centre mon corps trop lourd qui a rien à faire dans ce mausolée – et tout autour éparpillés comme dans une scène d’amour torride mon marque-page et les trois tomes d’1Q84.

J'immortalise le moment juste avant que les souverêves reprennent le dessus.

J’immortalise le moment juste avant que les souverêves reprennent le dessus.

Hacienda José

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Je débarque à Zürich avec des tonnes de bagages – mes vingt printemps à peine éclos – période un peu précaire où tu es plus vraiment ado, où tu es pas encore totalement adulte – le temps des métamorphoses. De la gare centrale de Zürich je saute dans le premier S-Bahn ligne 12 direction Brugg AG. C’est qu’une fois posé dans la wagon que je sens à quel point le voyage a été crevant – depuis quelques jours j’arrête pas entre les préparatifs, hier la dernière fête avant le départ, et le vagabondage dans Paris en tirant derrière moi valises sacs et tracas. Mais pas le temps de souffler quelques arrêts et j’y suis – Glanzenberg, Dietikon, dans la vallée de la Limmat. De la gare le plan indique qu’il faut prendre à droite et monter la colline. Je suis dans les parages je le sais, la Urdorferstrasse, mais j’arrive pas à trouver ma destination – jusqu’au moment où elle se dresse, immense, devant moi – ma demeure pour ces quatre prochains mois – la Hacienda José.

Hacienda José

Hacienda José

Un ancien cloître – Sankt Josefsheim – reconverti en coloc gigantesque. J’ai découvert l’endroit grâce à un site de colocations, j’ai tenté le coup et alors que j’y mettais pas un kopek on a accepté de me louer une chambre. « On » : Freddo, le gardien des lieux, le chef de file de toute la coloc, celui qui a le dernier mot lorsqu’il faut prendre des décisions. C’est lui qui m’accueille quand je sonne à la porte, complètement paumé et déboussolé, et qui me fait visiter les lieux.

La coloc – quatre étages, reliés entre eux par des escaliers et même un ascenseur, trois cuisines, cinq salles de bain. Des lieux de vie, des chambres qui se comptent plus, un immense jardin, une salle de répét’ dans la cave, et… une ancienne chapelle reconvertie en salle de concerts. Y habitent une vingtaine de personnes, de tous âges et de tous horizons, que je découvre et fréquente pendant ces quatre mois. Freddo le grand sachem, celui dont le nom figure sur le bail commun, qui a ses appartements au premier avec sa femme et ses deux petites filles. David le punk à qui on la refait pas, sa compagne Rebecca et leur petite Anja. Carla qui est là depuis le tout début – qui fait partie des meubles presque. Margg le steward qui se requinque ici entre deux tours du monde jet-laggués. Marco le père fraîchement divorcé qui se donne du temps pour se reconstruire et tenter d’obtenir la garde de ses gamins. Luigi l’étudiant fêtard qui rentre toujours à pas d’heure totalement décalqué – quand il rentre… Vicky qui bosse à mort et se serre la ceinture avant de repartir pour l’Australie. Lisa et Peter, deux étudiants un peu plus âgés que moi – on dirait que ces deux là se tournent autour – la grande question c’est de savoir si enfin un jour ils se mettront ensemble. Verena, tendre et attentionnée, et son poulain sans étable fixe – une fois elle l’a fait venir brouter dans le jardin histoire de tondre la pelouse de façon écologique – et les autres – plus ou moins arrimés ici, plus ou moins de passage. Tous font l’effort de pas me parler Schwiizerdüütsch – un dialecte à la ramasse auquel malgré toute la volonté du monde j’ai jamais rien compris. Et dans tout ce joyeux bordel, dès le début, un accueil chaleureux, festif presque – comme si j’étais attendu depuis longtemps. Freddo m’explique les règles de vie, puis, avec Carla et Lisa, il m’aide à m’installer. J’occupe deux pièces sous les combles. Mon bureau et ma chambre avec vue sur le jardin et les montagnes au loin.

Tous les jeudis, un vacarme monstre provenant des fondations de la Hacienda. Freddo, David et Margg – quand il est là – envoient du rock fort dans la salle de répét’.

La salle de répét' dans la cave

La salle de répét’ dans la cave

Toutes les semaines, une tâche ménagère est assignée à chacun. Généralement on s’y met à plusieurs, avec Verena et Carla, histoire d’y aller tous en chœur dans la joie et la bonne humeur. Tous les mardis, un rituel – toute la coloc a droit à l’un de mes dessins, s’imprégnant de l’ambiance calme, suave et dézinguée de la Hacienda.

Marionnettes

« N°8 : Marionnettes »
« Le crocodile veut simplement bouffer la grenouille…
« Mais c’est pas une grenouille ni un crocodile! C’est juste des gants! »

N°9 : Suicide dans le jardin

N°9 : Suicide dans le jardin

Tous les premiers dimanches du mois, toute la coloc se réunit autour d’un repas. Histoire de discuter des problèmes rencontrés, des projets à venir, et de prendre des décisions quant aux choses qui doivent l’être et qui nous concernent tous. Ça permet de calmer les tensions, de faire avancer les choses et de pas laisser dépérir l’endroit. C’est comme ça que j’ai exercé mes talents de cuisto avec mes tiramisu, c’est aussi comme ça que je me suis vu proposer de repeindre tout le rez de chaussée, ou que j’ai aidé à mettre en place un coin potager dans le jardin.

Tout le monde s'active dans le jardin

Tout le monde s’active dans le jardin

Tous les mois également, la chapelle se transforme en salle de concerts. Elle accueille un mini-festival de Jazz pour faire concurrence à celui de Montreux, ou de jeunes groupes de rock locaux. Et tous les jours, plein de surprises.

La chapelle

La chapelle

 

Concert de jazz à la Hacienda

Concert de jazz à la Hacienda

Cet endroit, c’est le paradis sur Terre. Mon paradis… Imaginez un peu – le calme, la chaleur humaine, et tous les jours des découvertes luxuriantes. À titre d’exemple, alors que ça faisait trois mois que je vivais là, un truc tout con, j’utilise l’ascenseur pour la première fois. Et c’est là que je remarque qu’il peut m’emmener jusqu’au sous-sol – alors que j’y ai zoné, de temps en temps, au sous-sol, et que j’y ai jamais remarqué une porte d’ascenseur. Alors ni une ni deux, en mode aventurier, j’appuie sur le bouton pour voir où ça va bien pouvoir me mener. Et je découvre – au bout de trois mois ! – tout un pan du sous-sol que je connaissais pas.

Anja, ses boucles d’or, ses grands yeux et ses petits doigts. Tous les matins, je prends mon petit déjeuner avec elle et sa mère. Rebecca dont le ventre s’arrondit de jour en jour – elle a annoncé au dernier repas mensuel qu’elle attend son deuxième marmot. Et Anja du haut de ses un an et demi qui mange délicatement sa compote en faisant attention à pas en foutre partout et qui me regarde, éberluée, m’engloutir mon méga-bol de céréales comme un gros porc. Et Anja qui est tellement habituée à me voir squatter à ses côtés le matin qu’elle m’appelle « Papa ! ». Alors tous les matins je me permets de la corriger : « Non Anja, je ne suis pas ton père. Ton père c’est David, et il est déjà parti au travail. Moi c’est Ben. B.E.N… » Mais rien y fait, ça veut pas rentrer. Le lendemain c’est « Papa ! » toujours – à en devenir un peu gênant – je sais plus où me mettre le jour où elle balance « Papa ! » devant son père en me pointant du doigt… Et Anja, le dernier jour, alors que je fais mes adieux à la Hacienda, je la prends dans les bras, je la soulève, je la fixe des yeux et je lui glisse à l’oreille : « Anja, tu peux pas t’en rendre compte, mais merci d’avoir été là… Tu as été pour moi une rose au Paradis. Je sais pas si je te reverrai un jour, et si jamais je reviens, sans doute que tu te souviendras absolument pas de moi. Alors je voulais dire que je t’aime, Anja, et je te souhaite une belle et longue vie. Prends soin de toi et de tes parents. Adieux. » Et Anja que j’éloigne de moi et alors que je tourne les talons, la gorge remplie d’émotions, Anja qui crie : « Beeeeennnn !!! »

Je quitte la Hacienda alors que son cri résonne encore et que la neige automnale commence déjà à recouvrir les sommets des montagnes pas si lointaines que ça. Je quitte la Hacienda avec mes valises et mes sacs. Je quitte la Hacienda je vacille et je tremble. Car j’y laisse une partie de moi – Anja, David, Freddo, Marco, Lisa, Margg, Peter, Verena et les autres.

Je quitte mon Paradis – métamorphosé. Maintenant que je l’ai savouré, je sais ce qu’il me reste à faire. Je dois tourner la page et avancer – devenir adulte, l’accepter, enfin – t’es peut-être coriace, mais la vie, le temps qui passe, ils sont plus forts que toi tu sais ? Ça sert à rien de t’accrocher mon grand…

Je quitte mon Paradis, et dans le train du retour, contre la fenêtre, jusqu’à Paris, je pleure en silence.

Commandante

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Ce soir c’est mardi et comme tous les mardis, c’est soirée Karaoké au resto Soleil – un bar populo sympa qui fait des pizzas et des bières pas cher. J’ai une histoire particulière avec cet endroit. C’est là où il y a un peu plus d’un an je me suis pété le pied en dansant du rock avec Camille. Je sais pas ce qui nous a pris ce soir là, on a commencé à se trémousser pendant que deux filles braillaient au micro Rock around the Clock – elles chantaient complètement faux mais on s’en foutait nous ce qu’on voulait c’était bouger peu importe comment. Alors on a dansé – j’ai pris Camille par la taille, je l’ai faite tournoyer, l’ai récupérée au bond – hop, déhanché du feu de dieu et je m’apprêtais à la mener vers moi pour la faire valser encore une fois quand je me suis appuyé de tout mon poids sur le côté du pied – et là ça s’est passé très vite, j’ai entendu un craquement suivi d’une vive douleur. J’étais incapable de poser le pied à terre et je me suis écroulé comme une merde sur le sol dégueulasse en plein milieu des gens. Camille m’a regardé chuter lamentablement, elle m’a aidé à me relever et d’un air dont je me souviendrais toute ma vie – genre « Allez, une petite chute c’est pas bien grave B.Howl tu as connu pire ! » – elle m’a lancé « Je te prends une bière ? ». J’ai acquiescé évidemment, je lui ai même souri alors que les traits de mon visages se tordaient de douleur et je l’ai attendue debout le pied en l’air accoudé à un tabouret. Une fois nos bières bues on est sortis dehors pour s’en fumer une. C’est dans le froid de la rue que la douleur s’est renforcée – une douleur ancrée, permanente – c’est là que j’ai compris que je pourrai pas marcher de sitôt. Alors Camille a appelé un taxi et on est rentrés chez elle. Le lendemain, la douleur avait toujours pas disparue alors je suis allé aux urgences et quelques heures plus tard le verdict est tombé – pied foulé – trois semaines de béquilles à la Docteur House et une démarche encore plus chaloupée.

Ce soir c’est mardi et c’est la première fois que je retourne au Resto Soleil depuis ces événements, accompagné de Candy la sweet Candy et de ses potes. À l’entrée on se commande des pizzas et des bières et on se dirige dans l’arrière salle où le karaoké à lieu. L’animateur fait les derniers réglages. Il est marrant et aime bien titiller les gens qui osent chanter. Premier arrivé premier servi alors on indique vite nos noms sur la feuille de l’ordre de passage avec les chansons qu’on va faire. Les lieux se remplissent peu à peu, nos pizzas arrivent on les déguste en écoutant les têtes brûlées qui inaugurent la soirée. On se marre beaucoup en entendant les voix qui crient de façon insupportable dans les micros. Candy me dit que ça fait longtemps qu’elle a pas fait de karaoké. Elle est née et a vécu une grande partie de sa vie en Équateur, « Là-bas j’en faisais souvent » elle me dit et j’ai du mal à discerner le soupçon de nostalgie qu’il y a dans ses yeux.

Des filles braillent de la variété française – les mêmes filles que l’année dernière – elles chantent toujours aussi faux et squattent le micro trop souvent à mon goût – je soupire la salle désemplie pas et je comprends pas pourquoi les gens restent dans ces moments là – ils devraient fuir, se barrer le plus loin possible pour plus les entendre et préserver leur santé auditive. Peut-être qu’ils sont comme nous – le bien-être de leurs oreilles peut bien être sacrifié ce soir sur l’autel du spectacle que les brailleuses nous offrent. Je termine ma bière c’est mon tour. « B.Howl va vous interpréter Le Chanteur » lance l’animateur en me filant le micro. Le Chanteur… un rituel, histoire de bien échauffer la voix.

Après j’enchaîne sur Comme elle vient et Where did you sleep last night – entrecoupé par les brailleuses qui font leur show. Puis vient le tour de Candy. Elle termine son mojito et s’apprête à prendre le micro. Mais elle est interrompu dans son geste – car soudain quelqu’un déboule dans la salle et gueule : « HUGO CHÁVEZ VIENT DE MOURIR ! HUGO CHÁVEZ VIENT DE MOURIR !! » Et là des murmures des cris des discussions à foison – on savait que le dirigeant Vénézuelien était à l’hôpital, mais personne semblait s’y attendre. « D’où tu sais ça ? » on demande ici et là – « La radio », « La télé », « Sur le téléphone » – ça va très vite – Caracas est à 8000 Km pourtant l’info a déjà fait le tour du monde et le tour du resto soleil – une info brute de décoffrage et je récolte les réactions à chaud – certains ici comme un seul homme se lèvent dans la masse, le poing levé. On dirait que pour eux – plus que pour le Venezuela peut-être – une page se tourne. « ¡Viva la revolución! » on entend.

L’animateur veut reprendre la main sur sa soirée karaoké. « Et maintenant Candy va vous interpréter Hasta Siempre ! » – bon ben c’est raté…

Alors que des gens scandent encore ¡Viva la revolución! Candy se met à chanter – la salle est en feu l’ambiance est électrique Hugo Chávez vient de mourir et la chanson vient à point nommé on dirait – comme si c’était prémédité comme si Candy savait comme si elle avait eu l’info avant tout le monde – mais non c’est impossible – « Je voulais juste chanter un truc en espagnol, un truc pas trop relou. » Alors elle entame le refrain c’est la première fois que je l’entends parler espagnol, Candy, je suis surpris par le timbre de sa voix – tellement différent – c’est aussi la première fois que je l’entends chanter aussi je crois bien. Et elle envoie du lourd :

 

Aquí se queda la clara
La entrañable transparencia
De tu querida presencia
Comandante Che Guevara

 

Même celles et ceux qui s’en calent de la mort de Chávez sont touchés par la voix de Candy… Même moi. Surtout moi. J’en reste scotché, à la fixer des yeux, cette grâce équatorienne – à m’en retourner les tripes. Du moins, jusqu’à ce qu’une meuf totalement bourrée pire que bourrée même s’empare du deuxième micro et décide de chanter avec elle. Là, ça devient terrible. Catastrophique.

Ce soir c’est mardi. Mardi 5 mars 2013 et Hugo Chávez est mort et Candy vient de chanter Hasta Siempre. Ça fait déjà beaucoup pour une seule soirée.