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El Dorado

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Le serveur s’approche avec notre commande sur un plateau: deux cafés au lait, deux jus d’oranges pressées et deux assiettes contenant chacune un large toast avec une gousse d’ail et un pot de pulpe de tomates.

Il pose le tout sur la table et s’en va :

« -Je reviens les français : j’amène l’huile d’olives…

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Il réapparaît l’instant d’après et nous interroge, l’air décontenancé :

-Vous êtes pédés, les gars ?

Je réplique aussitôt pour nous mettre à l’abri de tout soupçon :

– Nous sommes juste de très bons amis.

Le vieux garçon me met en garde :

-Je vous le demande, parce qu’on n’aime pas les pédés ici…

Avant même que je ne réalise qu’il s’agit d’une plaisanterie, il me tape jovialement dans le dos et me rassure :

-Mais je déconne, les mecs ! Déjà, être français c’est pas marrant… Alors, si vous êtes pédés en plus, c’est triste ! Sur ce, bon appétit !

Mac Fly pouffe de rire :

-Tu viens de voir un exemple parfait des gars d’ici : physique et humour rude mais bon cœur au fond…

Mac Fly analyse du regard les petits vieux qui peuplent le comptoir.

-Des fois, je viens prendre mon petit déjeuner et ils sont déjà tous accoudés au bar: ils s’envoient des cafés – cognac, des « bombas » (chocolat au lait avec du rhum ), des liqueurs d’herbes des montagnes…

-Ils ont un foie en inox…

– Quand on est vieux à Casarabonela, la journée se passe toujours de la même façon…

Mac Fly se lance alors dans une description fidèle du quotidien des anciens :

-Le matin, ils démarrent toujours au bistrot avant de farnienter au soleil sur la place du village. Ils papotent jusqu’à environ 13h00, assis sur un banc en petit groupe… Après, ils retournent chez eux casser la croûte et font la sieste… Une fois le roupillon terminé, ils sortent de nouveau et reprennent la conversation entreprise le matin. Enfin, quand le jour décline, ils reviennent au bistrot et jouent aux cartes…

el dorado 2

-On dirait que tu as consacré du temps à les observer !

-Oui, et je dois te dire que j’ai beaucoup vieilli en un an. Depuis que je ne bosse plus, mes journées ressemblent aux leurs… Il soupire et réfléchit : ça a du bon le chômage. On prend le temps d’apprécier le temps. Quand tu sais plus quoi en faire de ton temps, tu le passes au bistrot. Boire un coup ou manger, ici, ça coute deux à trois fois moins cher qu’en France.

Je jette un coup d’œil à l’addition et le constate : nos deux petits déjeuners coûtent seulement 3, 90 euros !

-3,90 euros pour deux copieux petits déjeuners ! C’est rien ! A ce prix là, en France, on te sert une bière ordinaire en 33 cL, et sans le sourire !

-Pourquoi tu crois que je reste ici ? La vie est bien moins chère qu’en France, je profite de la nature et j’ai du soleil 300 jours par an. Avec 900 euros de chômage par mois, je vis très bien… Je loue une baraque dans un coin perdu pour 300 euros toutes charges comprises, et le propriétaire, Antonio, m’offre même le bois de chauffage l’automne et l’hiver… Comme j’ai plus de bagnole, je ne paie plus ni essence ni assurance… Y’a deux bus par jour pour aller à Malaga et dans les villages voisins si j’ai envie de changer d’air. Je n’ai pas besoin de payer d’abonnement internet car la connexion est gratuite à l’espace info du village… Si j’étais au chômage en France, ce ne serait pas la même soupe… Ici, c’est l’Eldorado à côté !

Mac Fly a travaillé 15 mois pour une association d’éducateurs français implantée dans le village. Sitôt son contrat fini, il n’avait plus qu’une idée en tête : rester sur place pendant ses 15 mois d’indemnisation par le pôle emploi, profiter de la région et se consacrer à sa passion : la musique.

-Tu as raison, lui dis-je, même si au fond l’idée me paraît complètement déraisonnable.

-L’année qui vient de passer a été positive sur plein de plans : j’ai pris le temps de composer de la musique, j’ai marché, j’ai récolté les amandes et les oranges dans la montagne, j’ai progressé en espagnol… C’était une bonne année de vacances offerte par le Pôle Emploi !

-T’es unique mec !

Nous terminons tranquillement notre petit déjeuner. A travers la vitre, j’aperçois le clocher de l’église, et au-dessus, le soleil s’élever.

-Bon… Je vais régler la note.

-Mais pourquoi autant d’empressement ? me demande-t-il en roulant une cigarette.

-Comme ça… On a fini de déjeuner, le soleil commence à se lever : c’est le bon moment pour aller randonner, tu trouves pas ?

-Relaxe, mec, me reprend Mac Fly. Le soleil, il va pas s’éclipser !… Tiens, je prendrais bien un second petit déj’ moi, pas toi ?

-Ok ! Je te suis pour un second petit déj’ ! Après tout, on a le temps, c’est vrai…

-Ben ouais, mec… Cool la vie ! Laisse-toi pousser la bite, quoi ! Mouah ! Ah ! Ah !

Il se lève, noue son cheich autour de son cou, embarque sa cigarette roulée et se dirige vers la sortie du café.

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-Tu m’excuses, mec, mais mon poumon droit me demande une clope…

Je vais commander un second petit déjeuner et le rejoins à la sortie du café. Je l’observe en train de fumer et consulte ma montre : il est 09h15 du matin et nous sommes à la fin du mois de novembre. Le soleil commence à inonder de lumière et de douceur les ruelles blanches du village. J’estime qu’à cet instant précis, il doit déjà faire 17°C.

-Après le deuxième petit déjeuner, je me prendrais bien un carajillo m’annonce Mac Fly.

-Qu’est-ce-que c’est ?

-Un café cognac. Ça coûte rien, une connerie comme 1 euro 30… Tu devrais goûter aussi…

-A neuf heures et quart du matin, un café-cognac, c’est un peu trop tôt pour moi… T’oublies pas la rando, mec ?

-Yep ! On attaque la rando après le « desayuno » ( petit déjeûner) et le carajillo, promis !

J’observe le village autour de nous, dont la vue me délecte et me laisse envahir par cette ambiance paisible de village andalou.

-Je me sens bien ici…

-Et ouais mec, j’te l’ai dit, c’est l’Eldorado ! » conclut Mac Fly.

Il a trouvé le mot juste : je ne vois rien à ajouter…

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Ton désert, Simon…

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« Le vrai voyage, ce n’est pas de chercher de nouveaux paysages, mais un nouveau regard »

– Marcel Proust

Teraz jest teraz…

Maintenant c’est maintenant

Ahora es ahora comme on dit ici,

sur la route.

La route jusqu'aux Bardenas

La route espagnole

Ahora es ahora, Simon,

et c’est dans ton désert qu’on arrive.

Nous revoilà en escapade Camille et moi quelques mois après notre périple polonais – téléportés en Espagne cette fois-ci – tenter de trouver un peu de chaleur en plein hiver.

J’y ai cru moi ! J’ai pris mon blouson de mi-saison – mon blouson noir totalement délavé décoloré à force de passer mes nuits dehors – mon blouson de bourlingueur. J’ai aussi pris mes lunettes de soleil et j’ai même hésité à embarquer de la crème solaire –  complètement givré, olé !

Du coup le bilan est laconique. Sans appel. Je me les gèle grave.

Destination l’Espagne donc, et plus précisément les Bardenas Reales.

Ton désert Simon – celui où tu es déjà allé pas mal de fois.

Celui dont tu me parles souvent.

Tu m’as envoyé une flopée de cartes postales. Tu m’as montré des dizaines et des dizaines de – très belles – photos.

Ahora es ahora – et on y va – là, maintenant.

On est parti vers 13h de Tudela. Si on est parti si tard, c’est parce qu’on a fait la java hier soir jusqu’à pas d’heure avec les gens qui nous ont hébergés. On a eu du mal à se lever ce matin, on a beaucoup traîné – du coup on a raté les rares bus qui font la route jusqu’aux Bardenas mais nos hôtes nous ont filé leurs vélos.

Un des vélos a pas de vitesse, la selle de l’autre défonce l’entrejambe – tu devrais nous voir commencer à pédaler sur les hauteurs de Tudela Simon, tu te serais marré – des amateurs, je te dis !

Après le petit pont à l’entrée de Tudela, on sent vraiment le vent. Le vent glacial, 50-60 Km/h, en pleine face. Et ça sur toute la route, 15 Km jusqu’à l’entrée du désert, près d’Arguedas. Tu m’as pas vendu les choses comme ça Simon, tu m’as jamais dit qu’on pouvait se les peler autant. Et crois moi Cow-Boy, on en chie déjà. Surtout Camille, qui est obligée de pédaler comme un rat avec ses vitesses pétées. Je passe devant – j’essaie tant bien que mal de la couvrir du vent.

On parle pas, tout occupés à lutter contre les forces de la nature. Je cogite pas mal – et la question qui me reste en mémoire c’est « Qu’est-ce que je fous là ? ».

Il pleut et je pleure je sais pas pourquoi.

Bardenas

Bardenas

Autour de nous déjà les paysages du déserts, les collines, les plateaux et les inselbergs. On arrive à distinguer les différentes couches de roches superposées l’une sur l’autre, des sédiments. C’était quoi avant ? Une mer ? Une forêt ou une jungle ? On est rien par rapport au passage du Temps.

Éoliennes. Falaises. Panneaux solaires – et plus loin, à une distance en trompe-l’œil, vagues chemins seules traces de l’Homme ici.

En face la route continue jusqu’à Arguedas – on bifurque sur la droite, un petit sentier qui sent le bousin – des champs où les taureaux paissent – en suivant le chemin on tombe sur le panneau « Bardenas Reales » – et j’ai l’impression de rentrer chez toi par effraction.

Tu m’en as tellement parlé Simon que j’ai fini par m’y voir dans ton désert – avec Camille – tous deux néophytes de ces paysages – à dos de cheval – oui je nous ai vu à l’aventure, au trot, matant ces inselbergs de front et galopant sur les sentiers d’argile.

Bardenas

Bardenas

C’est pas encore fini. Il nous reste une forte montée à attaquer et ensuite, ensuite c’est l’entrée du désert. On pédale on pédale on pédale il pleut il pleut il fait froid froid. Il est 15h30, on est seulement aux portes du désert. En haut de la montée, enfin. Je pose mon vélo et je m’assois par terre, il est temps d’entamer nos sandwichs. Le froid. La pluie. Le vent – le Cierzo qu’on connaissait pas, maintenant on en a plein la gueule. Sec et glacé.

Bardenas Reales

Mes mains sont passées par toutes les couleurs de l’arc en ciel, maintenant elles sont vert pale et je commence à ne plus les sentir. Et ce paysage magnifique de désolation qui nous enterrera tous… Et si on rebroussait chemin ? Camille : « On aura roulé deux heures pour rien. »…

Elle a raison. Yalla !

Je pleure de froid et mes larmes secouées par le vent glacent mes joues. Je lève la tête – les nuages déchiquettent le ciel de façon quasi-chirurgicale. Je comprends que ça sert à rien à de pleurer – les garçons pleurent pas et surtout pas les Cow-boys comme nous pas vrai ?

On enfourche nos vélos à nouveau. On monte encore un peu, puis la descente – faible et venteuse – s’amorce. En bas on prend à gauche – un petit chemin en argile trempé et boueux. Nos vélos s’engluent par endroits, on en est presque aspirés – poussière tu retourneras à la poussière.

Sillons

Sillons

Des ruisseaux vides creusent des sillons. La pluie fine glaciale et pénétrante laisse la place au soleil – bien maigre, le soleil, mais il fait soudain dix degrés de plus, malgré le Cierzo. On s’arrête à côté d’une baraque désertée au beau milieu de nulle part.

Vélo

Vélo

Devant nous s’élève le fameux rocher – celui dont Simon m’a tant parlé – celui qui figure sur les cartes postales qu’il m’a envoyées, les photos qu’il m’a montrées. J’arrive pas à évaluer la distance qui nous sépare de lui. Camille veut rebrousser chemin : « C’est à cinq minutes d’ici. Tu peux y aller, moi je t’attends ici.

– Jamais de la vie. Pas sûr que ce soit si proche, et puis je ne te laisse pas là. Soit on y va ensemble, soit on y va pas. »

Le vent laisse le champ libre aux grandes déclarations. Yalla – Camille reprend son vélo en main et part devant. Putain sans elle je serais même pas arrivé là, et maintenant elle veut baisser les bras ?

Cinq minutes plus tard, on y est. Devant le rocher. Le Castildetierra. La Cheminée de fée. Le truc du désert, ce qu’on doit obligatoirement prendre en photo. Une pancarte explique comment ce rocher si particulier s’est formé au cours du temps. Et elle nous montre son futur : avec l’érosion le haut du rocher va un jour dégringoler et se désintégrer. Poussière… On se prend en photo devant le Castildetierra et on admire le panorama qui s’offre à nous. Aucun bruit sauf celui de la nature, quasiment aucun signe de l’activité humaine.

Castildetierra

Castildetierra

Maintenant qu’on a fini de faire nos touristes on range nos appareils photo et on fait demi-tour.

17h30. Je suis très branché sur l’heure, là, j’ai peur que la nuit s’abatte sur nous tout à coup. Dès que le chemin monte un peu, on descend de nos bécanes et on les pousse à pied. « On sera à Tudela à 19h », je fais à Camille. Pour la motiver. Je ne sais pas si je dois croire ou non à ce que je dis. Et on se remet en selle – une intersection – une montée tortueuse – et à partir de là réjouissance gracieuse – une descente vertigineuse. Et sans vent de face.

C’est parti ! Sur mon vélo je suis un apache, j’existe et j’exulte, je crie à pleins poumons, à 35 Km/Heure

« Waaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaoooooooooooooooooooooooooooooooooooooooouuuuuuuuuuuuuuuuuuuu » et mon cri fait écho – ultime trace dans ce désert qu’on quitte. Puis le panneau « Bardenas Reales » qu’on dépasse dans l’autre sens, et la route qui sent le bousin.

Ahora es ahora et maintenant il est 18h à peine – on arrive à la bifurcation de la grande route. Si tout va bien si on trace on trace on sera de retour à Tudela avant la nuit. Je me retourne et jette un dernier regard sur ces paysages magnifiquement désolés.

Tes paysages Simon – les paysages que tu magnifies et dans lesquels toi tu te perds pas.

W drodze

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Teraz jest teraz et ni une ni deux Camille et moi on monte dans le camion d’un inconnu de la nuit. Les chiens errants se détournent de nous et reprennent leurs vagabondages autour de la station-service EKO TANK. On attend au chaud dans le camion – Camille sur le siège passager, moi sur la banquette – on scrute l’intérieur et on se familiarise avec cet environnement cloisonné – le lieu de travail et de vie de notre chauffeur-sauveur – pendant qu’il met du gasoil et qu’il nettoie ses pare-chocs. Des porte-clés, des grigris accrochés sur le rétro intérieur. Un cendar de fortune plein à craquer près du levier de vitesses et une forte odeur de clope froide mais c’est pas dérangeant parce que ça sent la vie ça sent la route qui s’annonce.

Dans le camion de Czesław

Dans le camion

Je scrute Camille du coin de l’œil en me demandant encore ce qui nous a pris – comment on a fait pour être arrivés là tous les deux. Camille… on partage les 400 coups, les 1001 nuits, les 10 puissance 12 expériences, des parsecs de voyages.

Camille… Je me vois me souvenir de nos vies antérieures c’est pas un hasard tu t’appelais Yashan tu étais mon compagnon de voyage là-bas quelque part parmi les yourtes de Mongolie intérieure sur les steppes où nos regards se posaient debout sur nos chevaux arabes parfois quand tu en buvais tu foutais plein de lait de yak partout sur ta moustache… Il y a des choses qui ne s’expliquent pas.

C’est bon, yalla ! Le chauffeur monte dans la cabine – on fait les présentations il nous dit qu’il s’appelle Czesław – j’aime bien ce prénom polonais qui se prononce comme « J’ai soif »

Un tour de clés, frein à main levé, levier de vitesse poussé – et c’est parti dans la nuit calme et fraîche. Czesław conduit des camions depuis douze ans, il transporte du courrier.

C’est pas la première fois qu’on monte dans un camion mais ça fait toujours un léger choc. En effet de la cabine on a un panorama imprenable sur la route qui défile au gré de ses phares – la nuit nous appartient.

Camille et moi on contemple sans mot dire Czesław. Il conduit, calme et silencieux, parfois une clope au bec, parfois les deux mains serrées sur le volant. Et parfois il se tourne vers nous. Cheveux roux en pétard, yeux bleus-verts fatigués injectés de sang à force d’avoir trop roulé. Camille : « Il est possédé ce gars »

C‘est dans ce camion – avec Czesław aux yeux de fou – ses tonnes de lettres d’amour qui attendent leurs destinataires et Amy McDonald sur Radio Zet en fond sonore – que minuit ronronne.

Sur cet air .

Césure d’un jour à l’autre – la musique ringard est pour nous imperceptible – la nuit est la même – on trace plein gaz.

Les lampadaires défilent sur le macadam et se reflètent sur nos vitres – guirlandes de Noël qui nous montrent le chemin qui reste à parcourir – 80, 60, 45 puis 30 km –

Nowe Gniew et ses lumières rouges qui scintillent dans nos yeux fatigués – Cyndi Lauper –Time after time.

Rudno Tczew où Michael Jackson chante Billie Jean

Czesław est équipé d’une CB. On a beau pas comprendre le polonais – on devine ce qu’il fait quand il prend le micro – il lance des appels aux autres conducteurs aux environs

On arrive à Pruszcz Gdański – à une vingtaine de kilomètres de Gdańsk. Czesław lance un appel pour savoir si quelqu’un peut nous déposer dans le centre de Gdańsk. Mais personne répond et Czesław a l’air vraiment désolé quand il nous dépose dans une station-service aux abords de Pruszcz Gdański.

Pruszcz Gdański

Pruszcz Gdański

1h du mat’ – on fait le piquet. Il y a bien des gens qui vont à Gdańsk – des mecs bourrés et relous – on a pas envie de monter avec eux. En face de la station-service il y a un hôtel deux étoiles – on traverse la route on entre on se renseigne à la réception afin de connaître le prix des chambres – pas dans notre budget. On apprend qu’il y a des bus ici qui vont jusqu’au centre-ville de Gdańsk – une heure de trajet. Le premier est à 4h du mat’.

On attend encore un peu. « Peut-être que la meilleure solution est d’avancer avec la pancarte », je fais. Camille hoche la tête. Yalla !

Sacs sur nos épaules, un derrière l’autre devant, un pied devant l’autre – on marche sur le trottoir de lampadaire en lampadaire nos ombres se profilent s’étendent s’éteignent. 19 Km jusqu’à Gdańsk. – Camille et la pancarte – tournée dans la direction de nos éventuels improbables futurs chauffeurs.

18,5 km, 18,4 – on approche. Tant qu’il y a un trottoir, toujours le suivre. Voyage au bout de la route. On laisse derrière nous au loin des barres d’immeubles ternes vestiges du réalisme socialiste. « Mais qu’est-ce qu’on fout là ? » je demande – comme souvent quand on traîne comme ça à une heure avancée de la nuit. « … On devrait faire la tournée des bars de Gdańsk, aller en boîte…– et au lieu de ça on se retrouve à Pétaouchnok avec une pancarte de merde en carton ! » Et Camille de répondre : « C’est toi qui es en carton ! » Bien envoyé. Je contemple Camille qui brandit la pancarte – et je me dis que tous les deux, on aurait jamais fait ça tout seul, et que ce qu’on vit, c’est magique. Allez, du courage ! Yalla yalla !

Les camions à côté de nous rugissent à notre passage – rois de la nuit. Yalla Yal…-

Nos cris intérieurs pour se donner du courage sont interrompus par une voiture rouge qui passe devant nous – ralentit. S’arrête. On s’active derrière pour nous faire de la place. Lucie Kasia et Andy dans une Toyota Yaris. Des étudiants qui rentrent chez eux à Gdańsk après avoir bossé toute la soirée On grimpe on est serrés comme des sardines. « Vous avez un endroit où dormir cette nuit ?

– Non. » dit Camille.

– OK. » On voit Andy bidouiller sur son iPhone. Kasia : « Il essaie de vous trouver un endroit où dormir pour cette nuit… » et peu après, Andy : « C’est bon, je vous ai trouvé une auberge de jeunesse près de chez nous.

– Wow ! » Rapide et efficace ! Des sauveurs de la route, encore ! Alors qu’une fois de plus on a rien demandé…

Serrés dans la Yaris, on voit la route défiler – la banlieue de Gdańsk, la zone industrielle – plus de trottoirs ici – à pied on aurait pas pu aller bien loin. Puis l’entrée dans la ville – les grandes avenues, le centre. On s’y attarde pas, on va un peu plus loin, à Oliwa.

1h30, Terminus devant l’auberge Wolna Chata – un hostel cossu, rustique, à prix modique. Lucie, Kasia et Andy nous font un signe et ils repartent chez eux.

Camille et moi on est reçus comme des rois à la réception. Et on découvre qu’on a une chambre de cinq pour nous deux. Une chambre avec des lits ! Des matelas. Des couvertures ! Et de quoi se laver demain.

Parce que qu’est-ce qui nous attend demain ? Où on sera ?

On sait pas.

Et on s’en cogne.

L’essentiel, c’est pas la destination, l’essentiel c’est la route !

 

l'auberge Wolna Chata au petit matin

l’auberge Wolna Chata au petit matin

Comme des Chiens errants au milieu de nulle part

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On the Road, which I keep thinking about : [is] about two guys hitch-hiking to California in search of something they don’t really find, and losing themselves on the road, and coming all the way back hopefull of something else.

– Jack Kerouac, journal, 23/08/1948, première mention de « Sur la Route »

Lille-Berlin : à vol d’oiseau 900 Km – 37 heures, 15 chauffeurs (!)

Berlin-Poznań : 300 Km – 4 heures, 1 chauffeur

Poznan-Toruń : 200 Km – 7 heures, 2 chauffeurs

Toruń-… Presque 6 heures, 2 chauffeurs…

Teraz jest teraz.

Maintenant c’est maintenant.

C’était écrit sur la porte des chiottes d’un bar de Poznań.

Maintenant c’est maintenant. Ici c’est ici et voilà où on est…

Jeudi… Le 13 septembre 2012. Camille et moi on vient de se faire dropper là par un gars de Chełmno. Il nous a pris en lift le temps d’aller ramener sa fille du poney-club et de faire un tour de la ville – nous montrer la vraie ville des amoureux, là où aurait vécu le vrai Saint Valentin.

Teraz jest teraz et maintenant le plan c’est d’aller à Gdańsk.

Teraz jest teraz et maintenant on est sur le parking d’une sorte de restaurant Buffalo Grill au bord de la route. Le gars de Chełmno a voulait nous déposer au péage de l’Autostrada 1 qui mène droit à Gdańsk mais ça lui aurait fait un trop grand détour donc il a préféré nous laisser là.

19h45 – ça fait dix minutes qu’on attend sur le parking. Ciel vespéral, traînées orangées, le soleil est sur le point de se coucher. Il y a quelques voitures en stationnement. Sans doute des gens qui se ravitaillent avant de reprendre la route. Peut-être que parmi eux il y en a qui vont à Gdańsk? Croisons les doigts…

Un mec sort du resto. Il nous regarde, allume une clope et s’avance vers nous. On comprend qu’il nous propose de nous dropper à dix minutes de là sur la route 1. Si on le suit, do widzenia l’autoroute et la pensée agréable de rejoindre Gdańsk en une heure et demi. On hausse les épaules. Tant pis. On lui dit tak tak bardzo dobrze et on le suit jusqu’à sa caisse.

Tadeusz alias Teddy dispose d’un 4×4 avec son chien derrière – il transporte des bateaux et rentre chez lui près d’Ostróda, dans la région des mille lacs. Gentil comme tout, le bougre. Il nous propose même de l’accompagner là-bas, il peut nous offrir le gîte et le couvert. On hésite mais on refuse. Ça nous éloignerait trop de notre route. Et en plus on a pas de ceinture de sécurité. Et Camille a un peu de mal avec les clebs. Teddy nous jarte à une station-service EKO TANK. On est à moins de 100km de Gdańsk – le panneau qu’on vient de croiser, je crois bien qu’il indique « Dolna Grupa » mais ça figure pas sur ma carte Michelin.

EKO TANK

EKO TANK

Alors je crois surtout que je sais pas où on est.

Teraz jest teraz et à Gdańsk, on a pas d’hébergement pour ce soir.

Mais ça sert à rien de penser à ça.

Gdańsk, on y est même pas.

La station-service est plus ou moins déserte.

Les rares voitures qui s’arrêtent prendre de l’essence ici vont pas jusqu’à Gdańsk– ou ont pas l’intention de nous prendre. Mais on s’en fout. Je suis d’humeur positive – à défaut d’être vraiment optimiste – et il fait pas encore trop froid.

Je regarde tout autour de moi. À droite, la route 1 qui passe par Gniew pour aller jusqu’à Gdańsk. Devant, la forêt. Et derrière la station-service, ce qui doit être Dolna Grupa. Quelques maisons. Un hameau. Pas de lampadaires. Pas de trottoir.

Que dalle.

Je soupire.

Faut que je m’habitue à cet environnement. Peut-être que c’est là où on va passer la nuit.

Je me roule une clope.

Camille a faim. Elle va se chercher un truc dans la boutique de la station-service.

De derrière la vitre je la regarde prendre un paquet de chips et expliquer par geste à la caissière qu’elle voudrait bien aussi un hot-dog prosze ! La nana derrière son comptoir mâchouille son chewing-gum et commence à préparer son hot-dog. Je suis subjugué. Elle enfourche la saucisse dans une sorte de baguette, puis elle fout plein de ketchup dessus. On appelle ça Parówki par ici et je trouve le geste de la nana vachement sensuel, quasi-érotique.

Après 1600 Km d’autostop, un rien peut nous faire fantasmer.

 

Teraz jest teraz et la nuit nous enveloppe désormais. Les minutes, les heures passent, et il fait de plus en plus froid. Camille et moi on alterne : parfois on se met au bord de la route et on fait des signes, des trucs comme ça pour se faire remarquer quand des voitures passent – pour qu’on monte dans l’une d’entre elles et qu’on arrive à Gdańsk si possible avant demain. Mais bien souvent on attend dans la station-service, devant la boutique, là où il y a un peu de lumière.

Camille lit son Bescherelle pour parfaire son allemand. On est en Pologne et elle se met à apprendre son allemand. Alors qu’elle a pas ouvert le bouquin une seule fois quand on a traversé l’Allemagne. Normal…

Le Bescherelle

Le Bescherelle

Je sors mon ukulélé et je gratte quelques accords. Mais le cœur y est pas.

Je fais le tour de la station-service – une énième fois.

Je me roule une clope – une énième fois. Bientôt paquet vide. Et à sec niveau eau. À sec niveau bouffe. À sec niveau argent liquide.

Kurwa masz !

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Un chien s’approche de moi. Un chien errant. Je le contemple. Lui aussi me fixe du regard. Je vois très bien ce qu’il est en train de se dire. On est pareils que lui. Tous seuls au milieu de nulle part. C’est pas demain la veille que Dolna Grupa deviendra un lieu touristique.

Le chien errant

Le chien errant

« Désolé bonhomme » je fais au chien. « J’ai rien pour toi. Et moi aussi j’ai les crocs… »

La station-service, quasi-morte depuis plus d’une heure, commence à s’agiter. Des camions se garent pour passer la nuit ici. Une moto stationne devant la boutique. L’enfourneuse de Parówki sort d’un pas rapide. C’est son copain qui vient la chercher. Il lui file un casque, elle monte derrière lui et la moto démarre de façon tonitruante.

Allez ! Puisque même la Parówki-girl est partie, Camille et moi on se donne un peu d’énergie, on se dit que ça va le faire, on peut y arriver, teraz jest teraz, faut juste se bouger le cul et croire en notre bonne étoile. On se place devant la station-service et comme il fait noir, notre seul moyen de se faire remarquer c’est de chanter. Alors c’est tous nos classiques qui y passent – genre Radio Nostalgie.

Joe Dassin – Siffler sur la Colline et Aux Champs Élysées – pour garder la pêche.

 

22h30 – teraz jest teraz et dans la nuit froide je suis en train de chanter Le Chanteur quand un camion s’arrête et s’engouffre dans la station-service. Jusque là c’est plutôt classique – sauf que le camion en question nous klaxonne alors qu’il fait sa manœuvre. Encore un sauveur ! Il descend du véhicule, on coure vers lui, comme à chaque fois il baragouine un truc, on répond automatiquement « Nie mówię po polsku » – alors il nous montre sa carte. Il va pas à Gdańsk directement mais nous en approche grandement. On le regarde, on hoche la tête et on lui dit « OK ». Il nous fait signe de monter.

C’est parti !

Yalla !

À suivre…

Quelques conseils pour l’autostop

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On va tâter de la route, Jack!

Quelques conseils, après 5000 Km d’autostop…

Avec quelques souvenirs en prime…

et vos propres règles/conseils/témoignages!

 

la route - floue

la route – floue et lumineuse. Elle t’appelle.

1) Être poli et avenant.

Bien se présenter. Quoique… Voir point 7) .

En tout cas, se donner l’air d’être un déchet, ça va pas forcément marcher.

Faut les comprendre, les chauffeurs potentiels, qui te voient surgir du fond des bois ou des hautes herbes, avec tous tes sacs, tout ton attirail, et en plus en guenilles… Malheureusement, bien souvent quand on fait du stop on crapahute, et les vêtements qu’on porte finissent par plus sentir la rose et s’usent assez vite. C’est le jeu quand on bourlingue.

Faut être aimable, comme je viens de le dire. Souriant. Toujours, dans n’importe quelle condition. Qu’il pleuve qu’il vente qu’il neige, qu’il fasse nuit, qu’il tempête, que ça fasse une trentaine d’heures qu’on a pas fermé l’œil.

Une aire d'autoroute aux alentours de Namur

Une aire d’autoroute aux alentours de Namur – dans le froid et la neige

 

Faut sourire, faut que tes yeux soient aussi vifs qu’au petit matin après l’amour, faut que ton visage respire le bonheur, éclaire sa route, au chauffeur.

Sur ton « spot » – la place que tu as choisie pour stationner dans l’attente d’un chauffeur – faut lui donner envie de te prendre en stop.

Faut montrer patte blanche. Rien dans les mains, rien sur la tête, rien que tu puisses cacher. J’ai appris cette leçon en lisant Le Monde en Stop , de Ludovic Hubler.

Et même si les gens te prennent pas, il y en a plein qui te font un signe – tu as du mal à comprendre ce que ça signifie. C’est pour t’encourager dans ton périple ou te dire que tu es pas dans la bonne direction ? – en tout cas, renvoie leur toujours un sourire en retour.

 

2) Prenons notre temps…

[Ouais… J’ai osé…]

Si tu fais du stop, c’est que tu as le temps, et que tu as déjà dans la tête cette idée cette construction mentale que peu importe QUAND tu vas arriver, tu VAS y arriver – tu le sais et c’est tout ce qui compte. Condamné(e) à faire abstraction du temps.

Il m’a fallu quelque temps justement pour arriver à ça : attendre au bord d’une route sans te demander tout le temps : « Quand est-ce que je vais me faire prendre ? » [sic !] – dans le jargon on appelle ça un « lift ».

Le Temps est précieux, et vu que tu bouges pas comme tu voudrais, tu dois le prendre pour observer ce qu’il y a autour de toi.

Le macadam.

Les lignes blanches qui se rejoignent au point de fuite et disparaissent à l’horizon.

Les herbes folles au bord des routes.

Les fougères.

Les détritus.

Les merdes.

Même ça c’est beau. Baudelairien.

« Tu m’as donné de la merde et j’en ai fait de l’or. »

– ou quelque chose comme ça…

 

3) Ne prévois pas (trop) par où tu vas passer.

Voilà. Tu connais ta destination. Elle est inscrite sur ta pancarte. Les étapes avant d’y arriver… oublie les !

La route te réserve bien des surprises. Il se peut même que tu y arrives jamais, à ta destination. Et alors ? Tu sais qu’un jour, tu arriveras quelque part.

Pour aller à Berlin, j’envisageais de passer par Hanovre.

Couper la distance en deux, passer la nuit à Hanovre pour pouvoir, le lendemain, frais et dispo, lever le pouce au bord de la Bundesautobahn A2 – le chemin qui mène tout droit à Berlin.

Hanovre on l’a jamais vu, même de loin. À la place on a pu voir des moulins à la frontière belge, un Burger King sur une aire d’autoroute entre Aix-la-Chapelle et Cologne, une station de tram à Dortmund dans laquelle on a essayé de dormir – Glückaufstrasse… et on est quand même arrivés à Berlin – et Dieu sait que c’était loin d’être gagné d’avance tellement on s’était fourvoyés.

Dortmund - Glückaufstrasse

Dortmund – Glückaufstrasse

La brume sur la route au petit matin

La brume sur la route près d’Unna au petit matin

 

Une autre fois Paris-Rennes – sans que ce soit prévu, on est passé par la forêt de Rambouillet, on s’est arrêtés à Chartres visiter la cathédrale, on a mangé une banane dans une station-service abandonnée à la Ferté Bernard – et j’en passe…

En train on serait montés à Montparnasse, on serait descendu à Rennes – ça aurait été plus rapide, mais on aurait jamais vu tous ces endroits.

 4) Éloigne toi de la ville autant que tu le peux…

Selon moi le plus difficile quand tu fais du stop, c’est de sortir de la ville et d’y entrer. Une fois que tu lèves le pouce sur les aires de repos, tu suis juste la cadence, c’est pas très compliqué.

Pour sortir de la ville, il faut te rendre à ton premier spot. Cherche le toujours en périphérie, le plus loin possible de la ville, le plus près possible d’un axe routier important comme une rocade ou un truc de ce genre.

Si tu lèves le pouce en pleine ville, les chances de trouver un lift sont assez minces. La majorités des gens qui prennent le volant en ville le font pour aller d’un point A à un point B… tous deux situés à l’intérieur de la ville.

L’un des échecs les plus retentissants de ma jeune et précaire carrière d’autostoppeur est le jour où on a voulu faire Londres-Stonehenge en stop. Sûre de lui, mon acolyte me dit « Oui oui, je sais quelle direction on prend. Oui oui, je connais un bon spot éloigné de la ville. » Naïf, je l’ai suivi, sans me renseigner.

Et voilà où il a voulu commencer à lever le pouce:

Hyde Park - pas un bon spot

Hyde Park – pas un bon spot

HYDE PARK, bordel! En plein centre de Londres… Un super spot pour les concerts  mais pas du tout pour chopper un lift!

On a quand même essayé… une heure…. et puis on s’est promenés de ce côté là de Londres, à courir après les écureuils.

 

5) Tant qu’il y a encore un trottoir, marche !

Une des règles apprises au cours du temps : quand tu es à un endroit et que tu t’apprêtes à lever le pouce, attends et zieute un peu : il y a un trottoir ? Qui va dans la direction de la route que tu veux prendre ? Suis le aussi loin que tu peux !

Pourquoi ?

Un bon spot - Aire de Villaine la Gonais

Un bon spot – Aire de Villaine la Gonais

Parce que d’une, ça va « faire le tri » : tu vas continuer dans la direction que tu veux prendre alors que parmi les voitures beaucoup vont emprunter d’autres routes. À la fin de ton trottoir, tu as plus de chance de tomber sur un chauffeur qui va dans la même direction que toi.

Et de deux… Tu fais du stop, t’es pas avachi devant ta télé. Reste pas stoïque. Te mouvoir. C’est ça la clé. C’est con à comprendre mais en te voyant marcher au bord de la route, les chauffeurs vont accorder plus de crédit à ta démarche. Tu auras plus de chance de chopper un lift.

Bon… tu marches, mais ça t’empêche pas de lever le pouce quand même. Et de coincer ta pancarte à l’arrière de ton sac à dos de manière à ce qu’elle soit bien visible.

 

6) Les chauffeurs.

C’est dangereux de se faire prendre en stop par des inconnus. C’est vrai, bien sûr, et je vais pas nier ça ou prouver le contraire. En même temps, c’est un peu l’essence de l’autostop, non ?

Simplement, je vais tenter de recontextualiser. Si monter dans une voiture d’un inconnu est flippant – et j’ai flippé de nombreuses fois… – prendre un inconnu en stop l’est tout autant.

Tu es à ton spot, une voiture s’est arrêtée, tu dois faire un choix rapidement… il s’agit d’une question de CONFIANCE mais oublie pas qu’en tant qu’autostoppeur, c’est TOI qui choisis si tu acceptes le lift qu’on te propose ou si tu attends une prochaine chance.

 

7) Le storytelling

… Ou l’art de raconter une histoire…

J’ai appris cette règle en Belgique. Gijs, un couch-surfeur de Gand adepte de l’autostop nous a raconté qu’il existe un concours où le but est d’aller en stop de Bruxelles à Barcelone et d’arriver là-bas le plus vite possible – un peu comme ce concours là. Les gagnants de l’édition 2011 s’étaient déguisés en mariés !

Ouaip… Leurs vêtements, leurs attitudes racontaient une histoire, et comme ça transparaissaient au travers d’eux, la chance qu’une voiture s’arrête sur leur chemin se trouvait amplifiée.

[Je me demande s’ils se sont vraiment mariés, depuis…]

Sur ton spot, vends du rêve.

Une fois, j’avais pris quelques instruments de musique avec moi, dont mon ukulélé qui dépassait de mon sac de bidasse. Et dans la voiture qui nous prend, le gamin à l’arrière lâche sa PSP sur laquelle il avait les yeux rivés et me demande : « C’est pour quoi faire ? ». Je lui ai raconté qu’on faisait un atelier musical dans une école d’un quartier défavorisé de Lublin… Bon, c’est un mensonge… mais c’était mon premier essai de storytelling…

Si tu n’as pas de costume de marié(e) à portée de main, tu peux personnaliser ta pancarte. Faire péter les couleurs.

La rendre flashy, attractive, sensuelle, bonasse…

De cette faon aussi tu peux (bien) te faire remarquer.

Un bon spot - entre Nogent le Rotrou et la Ferté Bernard

Un bon spot – entre Nogent le Rotrou et la Ferté Bernard

 

8) « Peut importe la destination, l’essentiel c’est la Route. »

– avec un R majuscule, parfaitement.

C’est ce que je dis tout le temps. Pour me porter chance avant de lever le pouce. Pour me donner du courage dans les moments où je doute et où je veux renoncer…. Parce que c’est vrai, surtout !

Un exemple magistral : une fois, paumés en Silésie. Presque 20h. Déposés à un péage, la nuit commence à tomber, les phares aveuglants des voitures dans les yeux – le trafic, le trafic, mais rien pour poser les sacs, s’asseoir, se reposer…

Un péage en Silésie

Un péage en Silésie

Le genre de moment où tu te dis : « Mais qu’est-ce que je fous là ? ». Et là, pile à ce moment, au moment où tu désespères, au moment où tu craques… Une Limousine Rolls Royce. Qui passe sous nos yeux. On se regarde, on hausse les épaules : « Allez, yalla, on tente, advienne que pourra ! » on lève notre pancarte – POZNAN – à 300 Km de là. Et à la surprise générale… La porte de la Limousine s’ouvre, et le chauffeur nous fait signe de monter.

Trois heures dans une Rolls Royce.

La surprise de la route.

L’essentiel.

La Limousine

La Limousine

 

Mais j’apprends… Et je commence à comprendre, en lisant Sur la Route Again, de Guillaume Chérel – que la destination aussi… elle est peut-être importante finalement…

 

Maintenant, à vous de jouer ! Si vous avez des remarques, des conseils, des témoignages, des points à ajouter ou à améliorer, ça se passe dans les commentaires, sur Facebook ou sur ce blog !

 

Quelques liens :

 hitch-wiki

Le pouceux

Le Shaman Vaudou du Marché de Dantokpa

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04 décembre 2004 – vers neuf heures du mat’ – en plein dans les bouchons de Cotonou – à respirer les brumes épaisses des vapeurs de l’essence frelatée des voitures et des zems zigzagants qui nous frôlent – dans le taxi qui nous emmène Naïma et moi au marché de Dantokpa. Le chauffeur a une tête marrante, il sourit tout le temps et veut même engager la conversation avec nous : « Qu’est-ce que vous faîtes ici ? » et toutes les questions typiques pour touristes auxquelles on a eu droit depuis notre arrivée.

Je laisse Naïma lui répondre. Je contemple les paysages qui s’offrent à nous au travers des vitres sales- en me disant que j’aurais bien pris un troisième café-lait concentré sucré. Ici je vois ce qui doit être une église, avec une grande banderole de tissus déployée au premier étage du bâtiment : « SI TU CRAINS DIEU, VENEZ ICI ». Là, au milieu d’un rond-point mille fois plus bordélique que celui de l’étoile à Paris – mais sans tout son décorum – un rond-point vide – un sapin de Noël. Je suis pas en train d’halluciner. Un sapin de Noël… 28°C , aux portes du désert. Normal.

Je me dis que le nombre d’accidents de zems dans la capitale économique du Bénin est horrifiant, je me dis qu’au moins dans cette voiture, dans cette carcasse de métal on est plus ou moins en sécurité. C’est alors que je me tourne vers Naïma sur le siège arrière et que je vois le sol moitié bitume moitié terre battue défiler. Il y a un trou sous ses pieds ! – d’une bonne soixantaine de centimètres de diamètre. C’est aussi à ce moment que le taxi s’arrête à un stop et que j’entends un bruit fracassant devant nous. Au delà du pare-brise fissuré, la tôle du capot se fend en deux sous mes yeux et se fait éjecter comme un indésirable sur le bas côté. J’inspire profondément. J’essuie la sueur de mon front. Tout va bien. Tout va bien.

Le taxi nous dépose au marché de Dantokpa – le plus grand marché à ciel ouvert d’Afrique de l’Ouest. Notre excursion touristique de la journée. Premier réflexe de Yovo yovo : trouver un guide. Parmi ceux qui attendent là, au coin d’une allée, à alpaguer les touristes pour mieux les arnaquer, on en choisi un – chétif, mignon et innocent. Déodat, six ans – quand on vient à sa rencontre il nous raconte tout de go qu’il se fait appeler Zizou parce qu’il est né le jour de la finale de la coupe du monde – celle de 1998 bien sûr. Six ans le gamin – et c’est en sa compagnie qu’on part se perdre dans la foule de ce trouve-tout gargantuesque et vertigineux.

Zizou et ses copains

Zizou et ses copains

Naïma et Déodat. Faut pas que je les perde de vue. Faut pas que je les perde de vue. Et ça se bouscule tout partout autour de moi, ça se serre tout contre moi. Un autre café-lait concentré sucré pour me tenir alerte – il m’en faut un. Parfois je dois courir rastas au vent dans ce labyrinthe pour rattraper Naïma.

À un stand de bouffe qui pue la friture et la viande laissée au soleil depuis trop longtemps elle me dit : «  On est comme une pointe de lait dans un océan de café. ». Cette phrase me marque et me détend – je suis plus à même de lutter contre la marée humaine qui m’attend à chaque allée, dans chaque coin.

Ici des fabricants de djembés qui s’attellent à la tache – un stand pour touristes – façonner le bois, tirer la peau, la nouer dessus – tout ça pour épater les péquins.

Fabrication d'un djembé

Fabrication d’un djembé

 

Là des animaux. Des lézards. Un petit singe – tout mignon, tout à fait majestueux.

 

Hé mec, tu veux ma photo?

Hé mec, tu veux ma photo?

 

Là des kilomètres de tissus – en tas, plié, déployé. Explosion de couleurs africaines. Du wax. [ou de LA wax?]. Là encore, des pierres plus ou moins précieuses – des fauteuils en bambou ou en ébène gravé. des statues africaines.

Puis Déodat/Zizou nous embarque dans un coin « secret » de Dantokpa. Il raconte qu’il émmène jamais les touristes là-bas – je sais pas si on doit le croire ou pas. Naïma et moi on suit Déodat dans tout ce gros bordel ce dédale immense. Et on déboule sans mot dire en trombe vers midi la faim qui commence à nous tirailler le ventre en plein milieu… de centaines de crânes et de mains coupées.

« Humains ? » je demande en désignant ce qui s’étale sous nos yeux.

Le petit Déodat reste silencieux.

« Ça sert à quoi tout ça ? » je me penche vers Naïma.

bénin 075

 

« Du vaudou… », elle répond.

Ces crânes – oiseaux singes… hommes ?… ces os, tous ces trucs là, exposés à l’air libre… C’est pour des sacrifices ? Des offrandes ?

Du vaudou… Je m’enlève de la tête l’image de la Lady Voodoo du jeu Monkey Island – ma première confrontation avec le vaudou – et je me remémore ce que j’en connais depuis notre escapade à Puerto Nuevo avant-hier. Le culte des dieux du peuple Fon. La célébration des forces de la nature….

Le marché l’univers si grouillant de monde si dynamique si bruyant se réduit se dilate – silence. Calme. Mi-apaisant mi inquiétant. Même le ciel a une autre couleur. De gris bleu il passe au jaune pale et sublime les nuages de coton. État second état bizarre.

On est entraînés dans un vortex interréél. Teintes bleutées. Lignes reptiliennes. On est là à Cotonou au marché de Dantokpa mais on est pas là. On est…

Ailleurs…

Et devant nous une apparition. La lèvre inférieure de Déodat tremble un peu quand il murmure : « Le shaman… ».

Il nous observe en silence pendant un long moment. Puis il nous fait signe de le suivre jusqu’à son stand. On obéit sans poser de questions. Au milieu des cranes et des os. Il va nous exorciser, faire jaillir nos démons intérieurs – il va nous libérer. Ou nous jeter un sort ? Yovo yovo – les blancs becs la pointe de lait dans cet océan de café – on sera condamnés éternellement à rester ici, à Cotonou.

Non.

Rien ne se passe.

Tout se passe.

On comprend rien.

On comprend tout.

Puis le shaman vaudou nous tend une carte.

Une carte de visite.

Joliment décorée.

Sur laquelle

il est écrit :

 

 

VICTOR DA SILVA – Assurances tous risques

 

Le shaman du marché de Dantokpa

Le shaman du marché de Dantokpa

Un petit déjeuner à Cotonou

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04 décembre 2004 –

Il doit être à peine six heures quand je me fais réveiller par les rayons du soleil qui perforent la moustiquaire de part en part. La tête dans le pâté je me sors de là tant bien que mal. J’accède au balcon, où je contemple le ciel du matin, un ciel blanc – pâle et laiteux – je m’attendais pas à ce teint là – la ville qui s’active déjà, les gens qui marchent – pagnes et boubous – patchwork aux couleurs bariolées – le stade, les panneaux publicitaires plus ou bien délabrés, les boutiques qui n’ont pas fermé de la nuit, un gars là-bas qui dort sur un toit – enveloppé dans sa moustiquaire de fortune, les voitures – qui en sont au moins à leur troisième ou quatrième vie – qui se noient dans la dense circulation –

 

Le Stade de l'Amitié vu de l'auberge de l'Amitié

Le Stade de l’Amitié vu de l’auberge de l’Amitié

Le dormeur du toit

Le dormeur du toit

 

J’entends le brouhaha des gens qui crient et qui papotent, le tumulte des freins qui crissent, des fourneaux qui crépitent, l’agitation de Cotonou après son énième nuit blanche. Je sens les odeurs de poissons grillés – je me dis que je suis pas si attentif aux sens d’habitude – mais je vois j’entends je sens surtout la poussière et la pollution.

Une douche rapide – à l’eau froide mais vu la température de l’air c’est pas gênant au contraire – je sens plus mes cheveux – les dizaines de mains des coiffeuses qui s’affairaient hier autour de moi quand elles m’ont fait mes tresses me les ont tellement tirés… –

Le salon de coiffure

Le salon de coiffure

 

Je m’habille en quatre-deux et je prépare mes affaires. Dans le couloir Naïma m’attend – déjà prête mais la tête encore plus dans le pâté que moi. Elle a encore fait la java avec les gens du coin dans la cour intérieure de l’auberge de l’amitié – à se déchaîner aux sons des djembés et des xylos jusqu’au bout de la nuit – toujours le même air qu’on finit par radoter, peu importe où on est…

On se dirige vers une maisonnette au toit de tôle – un snack qu’on a repéré avant-hier où ils font des bons petits-déjeuners. Le vieux poste de radio crache comme il peut du zouk bien fort bien grésillant – aux couleurs des matins de Cotonou.

On nous sert du café allongé mais encore amer, dans lequel on dilue tout un tube de lait concentré sucré. Le meilleur café que j’ai bu jusqu’à présent. Et même si le beurre est un peu bizarre – bien pâlot – il fond sur le pain croquant…

le lait concentré Peak.

le lait concentré Peak.

le  beurre pâlot

le beurre pâlot

Bon je vais pas m’éterniser sur mon petit déj’. Et puis au bout d’un moment cette musique ce zouk commercial me saoule.

Un deuxième café-lait concentré sucré pour la route et on est parti ! On marche dans la rue en terre battue parmi les vendeurs d’essence en jarre – importée illégalement du Nigeria voisin – et les vendeurs à la sauvette de poisson grillé.

De l'essence en jarre

De l’essence en jarre

« Qu’est-ce qu’on fait ? On prend un zem ? » je demande.

Un « zem » ou « zémidjan » c’est une mobylette qui fait office de taxi et qui permet de tracer vite vite dans la ville – en divagant entre les voitures. En les frôlant souvent – et parfois en rentrant carrément dedans.

Naïma regarde ses jambes, puis les miennes.

« Vaut mieux pas… »

Ouais… en prenant un zem avant-hier on a tous les deux, sans faire gaffe, collé nos jambes au pot d’échappement. Résultat on a vu un carré de notre peau partir littéralement en fumée et maintenant on a le mollet cramé – et malgré tous les antiseptiques qu’on vaporise, toutes les pommades réhydratantes qu’on passe dessus, nos plaies ont du mal à se résorber.

[Si vous voulez des photos de nos blessures de guerre, c’est en privé que ça se passe…]

« On va prendre une voiture, c’est mieux. »

Naïma lève le bras bien haut pour héler un taxi. Au bout de quelques secondes, on a cinq voitures qui s’immobilisent en cercle autour de nous. Forcément, avec tout notre barda, nos casquettes – enfin la casquette de Naïma, moi je ne peux pas foutre mes rastas nouvellement tressés dans une casquette, j’ai un foulard noué autour du crâne – nos shorts… on ressemble à des touristes. On EST des touristes. Et puis, on est blancs… On les entend souvent, surtout les gamins, nous guetter dans la rue, courir à nos trousses en criant « yovo, yovo ! » – des blancs, des blancs – ça commence un peu à nous saouler – ça veut donc dire qu’on a de l’argent et que pour le chauffeur qu’on choisira la course sera bien avantageuse. L’un d’entre eux hésite même pas à sortir de sa voiture et à dégager le gars qu’il était en train d’acheminer.

C’est pas celui là qu’on va prendre.

Un autre chauffeur nous fait signe – son sourire comme une banane au milieu de la tête. Il semble sympa, la voiture plutôt propre…

On monte dans le taxi.

Qui démarre en trombe.

Enfin… comme elle peut quoi…

La trombe africaine !

Et pendant qu’on déboule dans le dédale des ruelles de Cotonou, le chauffeur se tourne enfin vers nous:

« Vous allez où ?»

Et on répond en chœur: « Au marché de Dantokpa ! »

 

À suivre…

Lille – Marseille – Voiture-bar

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Ils doivent pas beaucoup aimer les piliers de bar, à la SNCF. Je reste debout avec ma canette, immobile à 300 km/h. Il n’y a que deux tabourets de merde dans la voiture-bar. Très design. Mais ni confortable, ni convivial.

Je traîne là depuis une heure. 1664. Une contrariété. Je bois pour la surmonter, faire passer le goût amer que j’ai dans la bouche. Debout. Depuis une heure.

Devant moi, une jeune cougar. Quarante ans bien tassés, mais elle les fait pas. Écrit un SMS à son amant. « Dans deux heures, je serai enfin dans tes bras. J’ai hâte ». J’arrive à lire au dessus de son épaule. Devient-on romantique à l’approche de la ménopause ?

Un gars, studieux, pianote sur les touches de son ordi. Un mémoire à rendre. Vus les graphes et les schémas que je parviens à distinguer, école de commerce ou d’ingénieurs.

À côté, une nana. Un peu trop vieille pour moi. Assez sexy cependant. Elle se fait du mal. Elle vient de commander une salade. Beaucoup de fibres, le moins de gras possible. Et un Coca light. Pour se désaltérer sans prendre du poids. Elle lit Biba. Son premier choix : risotto et Sprite. Elle sera jamais comme ces mannequins des pages qu’elle tourne, dont la silhouette anorexique photoshopée s’étale comme des fils sur les pages de magazine entre deux pubs pour du parfum ou de la crème anti-rides.

 

Quant elle débarque dans le wagon, je suis bourré, avec modération. La 1664 a eu raison de moi. Je suis presque terrassé. Mais je garde la tête haute.

Huit ou neuf ans, la gamine. Style Lorie – ou peu importe la popstar de mes deux à la mode ces temps-ci. Suivie de près par sa mère. L’intelligence n’a rien à voir avec l’hérédité.

La petite commande un sandwich. Elle guide sa mère vers un endroit où s’installer. Sans se retourner, elle passe devant moi et fait, d’une voix fluette : « Mais c’était de l’humour noir, maman » Vu sa tête, le serveur s’en est toujours pas remis. Les sarcasmes, le cynisme, il a du mal à encaisser. Surtout quand c’est proféré par une fillette qui lui arrive à la taille.

Huit ou neuf ans, la gamine. De l’humour noir. Rien que ça ! La mère semble pas y avoir prêté attention.

Si elle savait où ça pourrait la mener si elle persévérait dans cette voie…

La fille a l’air brillante. Sa mère, totalement conne. Je sais d’avance comment ça va se finir. Quel gâchis… Ou bien elle va devoir se calmer, par la force des choses, ou bien elle se sentira exclue pendant la plus grande partie de sa vie. Aucunement jugée à sa juste valeur. Et elle risque d’en souffrir.

À force d’humour noir, c’est son âme qui risque de se remplir de noirceur.

Je le sais. J’en suis à ma deuxième canette.1664. Une gorgée, et ça fera un litre tout rond. Un litre, le strict minimum pour retrouver ma lucidité. J’aurais pu devenir autre chose. Quelque chose de mieux.

La fillette repasse devant moi – son humour noir remplit mes narines mélancoliques.

Quel gâchis. Je jette un regard sur la gamine.

Je l’aime déjà.

Sois forte.

Je croise les doigts.

Tu as de l’avenir.

Il file.

À 300 km/h.

Berechit

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à travers les prés salés

salicornes à volonté

Au commencement – il était une fois – on était poussière et on retournera poussière – le but c’est de profiter de la vie la « seule chose que Dieu nous donne qu’une fois et ne nous rend jamais » – tout le bordel sur notre libre-arbitre nos choix LA LIBERTÉ.

Maintenant Cow-boy je commence à écrire ce texte comme la vie sans trop savoir où ils vont nous mener.

Maintenant on a fait un quart du chemin – vertige quand on pense à la fin on ne sait pas quand elle adviendra on sait juste qu’elle adviendra on s’aveugle on s’abreuve d’alcools d’air pas toujours pur et de gens pas toujours intéressants on fait le tri on garde le meilleur – toujours. Ne pas regarder les phares qui se reflètent nous éblouissent nous embrument et tracer tracer tombeau ouvert pied au plancher vitesse maximum – la mélancolie guette à chaque fois qu’on zieute nos gueules au teint pas frais dans le rétro – quand est-ce que ça sera le grand virage où il n’y aura plus rien derrière nous ?

Maintenant marcher. Nos pas rythment nos corps balancent tournoient chavirent dans la nuit champêtre – profonde et étoilée. Marcher pas le temps de faire le point – avant arrière sac à dos sur les épaules idées plein la tête yeux engourdis par la beauté explosive du simple.

Maintenant déserts forêts – la Terre est à nous – contrées urbaines les prés salés où broutent les vaches au lait crémeux où pousse la salicorne devant derrière nous la mer calme marée basse les vagues descendent des horizons incandescents s’échouent en virevoltant sur le rivage.

Maintenant fuite en avant – pas de boussole abolis les points cardinaux sur les chemins qu’on mène.

Maintenant voyages en train – caisson isolé de l’espace-temps course contre le soleil flambe dans le ciel s’étale sur les paysages qui défilent personne d’habitude ne prête attention aux détails préparatifs de sa venue pas de vision globale de son mouvement – le rythme encore du wagon trace tangue – les crissements au contact des rails – les quais dégoulinant de monde nous collent à la peau – et la fièvre du départ nous prend aux tripes à chaque fois – soif d’aventure jamais satisfaite – son paroxysme non dans les souvenirs et les soirées où on les racontera – simplement dans son accomplissement.

Maintenant ne pas regarder – en arrière – continuer ainsi en roue libre on retombera toujours sur nos pieds on bombera le torse on ne renoncera pas – respirer respirer un pied – devant l’autre – fais tourner la roue debout sur la selle – le train est parti on prendra le suivant sinon on campera là à la sauvage et les nuages gris et la pluie qui découpe là-haut esbroufe notre champ de vision – nous rafraîchit – pense à la vision globale.

Maintenant bien longtemps qu’on n’a pas marché l’un à côté de l’autre en regardant nos pauvres chaussures cramoisies peu à peu rendre l’âme – avant de faire une pause se désaltérer dans le seul bar d’un village fantôme – je constate je dis ça sans regret – c’est ainsi – Amen.

Maintenant Cow-boy je frémille d’impatience je n’attends que ça – je me cramponne à des souvenirs qui s’étiolent jusqu’à la prochaine.

Quand ? Prés salés de la Somme virée chez les FKK de Baden-Württemberg Escaut Namur et sa citadelle un désert-décor-de-cow-boys-comme-toi paumé au fin fond de Navarre autres contrées fascinantes bouillonnantes inexplorées – Quand ?

un voyage en train

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gare de Florence

Je m’assoie par terre dans un train bondé.

La bougie était allumée.

J’ai raté mon train, et celui-ci est bondé.

Bondé. Bombay. Paraphonie.

Bombay, désormais Mumbay. L’Inde. Ce train dans lequel je suis, assis le cul par terre, ça me fait penser à un train indien. Départ : Victoria Station. Destination : inconnue.

Le train est bondé comme un train indien, bousculades au départ, pas de place dans le wagons, mais d’après les grimaces qui se lisent sur les visages, on est bien en France.

Le train bondé, la SNCF c’est plus ce que c’était.

Comme quoi mon pays part vraiment en couille.

Ça pourrait être pire. Les dégâts de la privatisation des chemins de fer, j’ai pu les observer d’assez près. 2008, Pays de Galles. Un train qui menait jusqu’à un patelin paumé appelé Holyhead, le dernier train de la journée. Un train en ferraille, rouillé, qui vrombissait, craquait, crachait, des banquettes en bois, et en guise de chiottes, un trou, un simple trou dans le sol à travers lequel on voyait les broussailles sur les voies défiler.

Je suis assis par terre dans un train bondé, les jambes repliées. Des gens passent, pensant encore qu’ils pourront trouver un endroit où s’asseoir. Ils tirent de ces tronches !… À croire qu’ils ne sont pas heureux de vivre…

La foule rend les gens vaseux.

Je suis assis entre deux voitures. Devant moi, un vélo hissé au plafond. À côté, un gars lit un manga, et ses doigts, quand ils ne tournent pas les pages, s’emmèlent dans les poils de sa barbichette. Près de lui, un gars est recroquevillé, un yogi devant son ordinateur.

Lumières crues. Ciel vespéral qu’on ne voit pas, ou à peine, à la fenêtre des portes « donnant sur la voie ».

J’ai le cul en compote.

Pire qu’à dos de chameau.

Je ne sais pas. Le chameau, je n’ai jamais essayé.

Pire qu’à dos de vache, en tout cas.

Je suis monté sur une vache…

Un voyage pédagogique, je devais avoir 6 ou 7 ans, à la ferme. Dans l’étable, une question à la fermière : « Madame, on monte sur des cheveux, mais pourquoi on utilise pas les vaches ? » Forcément, cette question, il n’y avait que moi pour la poser.

– Tu veux essayer ? »

J’ai hoché la tête et je me suis retrouvé sur un dos dodu coloré de taches blanches et noires.

On n’utilise pas les vaches pour faire du cheval parce que ce n’est pas confortable. Ça, je l’ai compris maintenant.

Maintenant. Je suis accoudé à une barre d’acier. Mon dos supporte le dos d’un autre voyageur sans le sou, lui fait contrepoids, et vice-et-versa. Je ne sais pas si c’est un jeu, qui mène la danse, ou si c’est nécessaire. Si l’un de nos abandonne, l’autre s’affaisse. Il faut juste trouver un équilibre.

Je bloque le passage. Parfois, des gens viennent, des gens arrivent. Souvent sans dire pardon, parfois le portable collé à l’oreille, pour eux je n’existe pas. J’ai peur qu’ils me marchent dessus, si on m’écrase le pied, je suis foutu. Je suis foutu, quoiqu’il en soit.

J’ai raté mon train.

J’ai laissé mon bouquin sur un sac. Peut-être que je vais l’oublier là, consciencieusement. Il voyagera de train en train, de main en main, book-crossing improvisé.

Je me dis que les voyages en train, ça a toujours été source d’inspiration. La majeure partie de mes histoires, je ne les invente pas, elles viennent à moi, soit le matin, quand j’ai, comme tous ces gens, le regard vaseux, soit que je suis à bord de trains comme ça.

Sauf que là, j’ai mal au cul, monstrueusement.

Au plafond, je fixe un crochet, pour se pendre.

Ah non, pour accrocher les vélos.

Celui qui est près de moi, un vélo de compét’, vraiment chouette, « tuné », pas vraiment un Fixie, car il a un frein, mais un seul, à l’avant, un crâne en plastique sur la barre latérale, mode easy rider, cool, des années 2010, un autocollant plastifié glissé, coincé entre les jantes « Paris Chill Racing ».

Je me colle la tempe contre la barre d’acier, pour sentir sa froideur, pour ne pas m’endormir. Si on m’écrase le pied, je suis foutu.

Je rêve éveillé d’un wagon à bestiaux qui parcourt la rive sud du Mississippi. Je sens l’odeur du foin et de la bouse de vache. Je viens de traverser les voies tracées par les pionniers, je vais moi-aussi partir à la conquête de l’Ouest. Et, tant qu’on y est, des autres points cardinaux également.

Le bruit, mécanique, grandiose, arythmique. Déviant. Jazzy. Le bruit des rails qui sillonnent les grandes plaines.

Le vieux Neil me tend la main et tire mon bras pour que je puisse me hisser sur la plateforme.

Désolé, Old Man, de me lamenter. Mais j’ai mal au cul.

Je repense à toutes ces camionnettes, garées sur la parking derrière la gare. Hôtels de passe de fortune. Quand la bougie est allumée, ça veut dire que la voie est libre.

La bougie était allumée.