Archives de l’auteur : Ben Howl

À propos Ben Howl

Né en 17 à Leidenstadt, de parents nains connus.

Le Shaman Vaudou du Marché de Dantokpa

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04 décembre 2004 – vers neuf heures du mat’ – en plein dans les bouchons de Cotonou – à respirer les brumes épaisses des vapeurs de l’essence frelatée des voitures et des zems zigzagants qui nous frôlent – dans le taxi qui nous emmène Naïma et moi au marché de Dantokpa. Le chauffeur a une tête marrante, il sourit tout le temps et veut même engager la conversation avec nous : « Qu’est-ce que vous faîtes ici ? » et toutes les questions typiques pour touristes auxquelles on a eu droit depuis notre arrivée.

Je laisse Naïma lui répondre. Je contemple les paysages qui s’offrent à nous au travers des vitres sales- en me disant que j’aurais bien pris un troisième café-lait concentré sucré. Ici je vois ce qui doit être une église, avec une grande banderole de tissus déployée au premier étage du bâtiment : « SI TU CRAINS DIEU, VENEZ ICI ». Là, au milieu d’un rond-point mille fois plus bordélique que celui de l’étoile à Paris – mais sans tout son décorum – un rond-point vide – un sapin de Noël. Je suis pas en train d’halluciner. Un sapin de Noël… 28°C , aux portes du désert. Normal.

Je me dis que le nombre d’accidents de zems dans la capitale économique du Bénin est horrifiant, je me dis qu’au moins dans cette voiture, dans cette carcasse de métal on est plus ou moins en sécurité. C’est alors que je me tourne vers Naïma sur le siège arrière et que je vois le sol moitié bitume moitié terre battue défiler. Il y a un trou sous ses pieds ! – d’une bonne soixantaine de centimètres de diamètre. C’est aussi à ce moment que le taxi s’arrête à un stop et que j’entends un bruit fracassant devant nous. Au delà du pare-brise fissuré, la tôle du capot se fend en deux sous mes yeux et se fait éjecter comme un indésirable sur le bas côté. J’inspire profondément. J’essuie la sueur de mon front. Tout va bien. Tout va bien.

Le taxi nous dépose au marché de Dantokpa – le plus grand marché à ciel ouvert d’Afrique de l’Ouest. Notre excursion touristique de la journée. Premier réflexe de Yovo yovo : trouver un guide. Parmi ceux qui attendent là, au coin d’une allée, à alpaguer les touristes pour mieux les arnaquer, on en choisi un – chétif, mignon et innocent. Déodat, six ans – quand on vient à sa rencontre il nous raconte tout de go qu’il se fait appeler Zizou parce qu’il est né le jour de la finale de la coupe du monde – celle de 1998 bien sûr. Six ans le gamin – et c’est en sa compagnie qu’on part se perdre dans la foule de ce trouve-tout gargantuesque et vertigineux.

Zizou et ses copains

Zizou et ses copains

Naïma et Déodat. Faut pas que je les perde de vue. Faut pas que je les perde de vue. Et ça se bouscule tout partout autour de moi, ça se serre tout contre moi. Un autre café-lait concentré sucré pour me tenir alerte – il m’en faut un. Parfois je dois courir rastas au vent dans ce labyrinthe pour rattraper Naïma.

À un stand de bouffe qui pue la friture et la viande laissée au soleil depuis trop longtemps elle me dit : «  On est comme une pointe de lait dans un océan de café. ». Cette phrase me marque et me détend – je suis plus à même de lutter contre la marée humaine qui m’attend à chaque allée, dans chaque coin.

Ici des fabricants de djembés qui s’attellent à la tache – un stand pour touristes – façonner le bois, tirer la peau, la nouer dessus – tout ça pour épater les péquins.

Fabrication d'un djembé

Fabrication d’un djembé

 

Là des animaux. Des lézards. Un petit singe – tout mignon, tout à fait majestueux.

 

Hé mec, tu veux ma photo?

Hé mec, tu veux ma photo?

 

Là des kilomètres de tissus – en tas, plié, déployé. Explosion de couleurs africaines. Du wax. [ou de LA wax?]. Là encore, des pierres plus ou moins précieuses – des fauteuils en bambou ou en ébène gravé. des statues africaines.

Puis Déodat/Zizou nous embarque dans un coin « secret » de Dantokpa. Il raconte qu’il émmène jamais les touristes là-bas – je sais pas si on doit le croire ou pas. Naïma et moi on suit Déodat dans tout ce gros bordel ce dédale immense. Et on déboule sans mot dire en trombe vers midi la faim qui commence à nous tirailler le ventre en plein milieu… de centaines de crânes et de mains coupées.

« Humains ? » je demande en désignant ce qui s’étale sous nos yeux.

Le petit Déodat reste silencieux.

« Ça sert à quoi tout ça ? » je me penche vers Naïma.

bénin 075

 

« Du vaudou… », elle répond.

Ces crânes – oiseaux singes… hommes ?… ces os, tous ces trucs là, exposés à l’air libre… C’est pour des sacrifices ? Des offrandes ?

Du vaudou… Je m’enlève de la tête l’image de la Lady Voodoo du jeu Monkey Island – ma première confrontation avec le vaudou – et je me remémore ce que j’en connais depuis notre escapade à Puerto Nuevo avant-hier. Le culte des dieux du peuple Fon. La célébration des forces de la nature….

Le marché l’univers si grouillant de monde si dynamique si bruyant se réduit se dilate – silence. Calme. Mi-apaisant mi inquiétant. Même le ciel a une autre couleur. De gris bleu il passe au jaune pale et sublime les nuages de coton. État second état bizarre.

On est entraînés dans un vortex interréél. Teintes bleutées. Lignes reptiliennes. On est là à Cotonou au marché de Dantokpa mais on est pas là. On est…

Ailleurs…

Et devant nous une apparition. La lèvre inférieure de Déodat tremble un peu quand il murmure : « Le shaman… ».

Il nous observe en silence pendant un long moment. Puis il nous fait signe de le suivre jusqu’à son stand. On obéit sans poser de questions. Au milieu des cranes et des os. Il va nous exorciser, faire jaillir nos démons intérieurs – il va nous libérer. Ou nous jeter un sort ? Yovo yovo – les blancs becs la pointe de lait dans cet océan de café – on sera condamnés éternellement à rester ici, à Cotonou.

Non.

Rien ne se passe.

Tout se passe.

On comprend rien.

On comprend tout.

Puis le shaman vaudou nous tend une carte.

Une carte de visite.

Joliment décorée.

Sur laquelle

il est écrit :

 

 

VICTOR DA SILVA – Assurances tous risques

 

Le shaman du marché de Dantokpa

Le shaman du marché de Dantokpa

Un petit déjeuner à Cotonou

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04 décembre 2004 –

Il doit être à peine six heures quand je me fais réveiller par les rayons du soleil qui perforent la moustiquaire de part en part. La tête dans le pâté je me sors de là tant bien que mal. J’accède au balcon, où je contemple le ciel du matin, un ciel blanc – pâle et laiteux – je m’attendais pas à ce teint là – la ville qui s’active déjà, les gens qui marchent – pagnes et boubous – patchwork aux couleurs bariolées – le stade, les panneaux publicitaires plus ou bien délabrés, les boutiques qui n’ont pas fermé de la nuit, un gars là-bas qui dort sur un toit – enveloppé dans sa moustiquaire de fortune, les voitures – qui en sont au moins à leur troisième ou quatrième vie – qui se noient dans la dense circulation –

 

Le Stade de l'Amitié vu de l'auberge de l'Amitié

Le Stade de l’Amitié vu de l’auberge de l’Amitié

Le dormeur du toit

Le dormeur du toit

 

J’entends le brouhaha des gens qui crient et qui papotent, le tumulte des freins qui crissent, des fourneaux qui crépitent, l’agitation de Cotonou après son énième nuit blanche. Je sens les odeurs de poissons grillés – je me dis que je suis pas si attentif aux sens d’habitude – mais je vois j’entends je sens surtout la poussière et la pollution.

Une douche rapide – à l’eau froide mais vu la température de l’air c’est pas gênant au contraire – je sens plus mes cheveux – les dizaines de mains des coiffeuses qui s’affairaient hier autour de moi quand elles m’ont fait mes tresses me les ont tellement tirés… –

Le salon de coiffure

Le salon de coiffure

 

Je m’habille en quatre-deux et je prépare mes affaires. Dans le couloir Naïma m’attend – déjà prête mais la tête encore plus dans le pâté que moi. Elle a encore fait la java avec les gens du coin dans la cour intérieure de l’auberge de l’amitié – à se déchaîner aux sons des djembés et des xylos jusqu’au bout de la nuit – toujours le même air qu’on finit par radoter, peu importe où on est…

On se dirige vers une maisonnette au toit de tôle – un snack qu’on a repéré avant-hier où ils font des bons petits-déjeuners. Le vieux poste de radio crache comme il peut du zouk bien fort bien grésillant – aux couleurs des matins de Cotonou.

On nous sert du café allongé mais encore amer, dans lequel on dilue tout un tube de lait concentré sucré. Le meilleur café que j’ai bu jusqu’à présent. Et même si le beurre est un peu bizarre – bien pâlot – il fond sur le pain croquant…

le lait concentré Peak.

le lait concentré Peak.

le  beurre pâlot

le beurre pâlot

Bon je vais pas m’éterniser sur mon petit déj’. Et puis au bout d’un moment cette musique ce zouk commercial me saoule.

Un deuxième café-lait concentré sucré pour la route et on est parti ! On marche dans la rue en terre battue parmi les vendeurs d’essence en jarre – importée illégalement du Nigeria voisin – et les vendeurs à la sauvette de poisson grillé.

De l'essence en jarre

De l’essence en jarre

« Qu’est-ce qu’on fait ? On prend un zem ? » je demande.

Un « zem » ou « zémidjan » c’est une mobylette qui fait office de taxi et qui permet de tracer vite vite dans la ville – en divagant entre les voitures. En les frôlant souvent – et parfois en rentrant carrément dedans.

Naïma regarde ses jambes, puis les miennes.

« Vaut mieux pas… »

Ouais… en prenant un zem avant-hier on a tous les deux, sans faire gaffe, collé nos jambes au pot d’échappement. Résultat on a vu un carré de notre peau partir littéralement en fumée et maintenant on a le mollet cramé – et malgré tous les antiseptiques qu’on vaporise, toutes les pommades réhydratantes qu’on passe dessus, nos plaies ont du mal à se résorber.

[Si vous voulez des photos de nos blessures de guerre, c’est en privé que ça se passe…]

« On va prendre une voiture, c’est mieux. »

Naïma lève le bras bien haut pour héler un taxi. Au bout de quelques secondes, on a cinq voitures qui s’immobilisent en cercle autour de nous. Forcément, avec tout notre barda, nos casquettes – enfin la casquette de Naïma, moi je ne peux pas foutre mes rastas nouvellement tressés dans une casquette, j’ai un foulard noué autour du crâne – nos shorts… on ressemble à des touristes. On EST des touristes. Et puis, on est blancs… On les entend souvent, surtout les gamins, nous guetter dans la rue, courir à nos trousses en criant « yovo, yovo ! » – des blancs, des blancs – ça commence un peu à nous saouler – ça veut donc dire qu’on a de l’argent et que pour le chauffeur qu’on choisira la course sera bien avantageuse. L’un d’entre eux hésite même pas à sortir de sa voiture et à dégager le gars qu’il était en train d’acheminer.

C’est pas celui là qu’on va prendre.

Un autre chauffeur nous fait signe – son sourire comme une banane au milieu de la tête. Il semble sympa, la voiture plutôt propre…

On monte dans le taxi.

Qui démarre en trombe.

Enfin… comme elle peut quoi…

La trombe africaine !

Et pendant qu’on déboule dans le dédale des ruelles de Cotonou, le chauffeur se tourne enfin vers nous:

« Vous allez où ?»

Et on répond en chœur: « Au marché de Dantokpa ! »

 

À suivre…

Le Survivant

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« Il n’est pas important de sortir le premier, ce qui importe, c’est d’en sortir vivant. »

 – Bertolt BRECHT

 

C’est pas possible. Elles ont recommencé.

Diya et Marcelline.

Cette fois encore elles s’installent sur ma balustrade.

J’ai guetté le moment où elles arrivent, quand mine de rien la première branche se pose.

Signe du nid qu’elle vont construire

et des œufs qu’elles vont choyer.

(Et de la merde qu’elles vont laisser…)

Voilà maintenant Diya est posée – un peu fatiguée après l’accouchement

(ça se dit ça, que les pigeons accouchent ?…)

mais depuis elle a repris du poil de la bête

(enfin dans son cas, « des plumes de la bête »)

et parfois relayée par Marcelline

elle couve deux œufs sous son aile.

Comment je vais les appeler,

ces nouvelles têtes qui vont bientôt éclore ?

Après Marco et Polo

puis Jules et Verne…

Comment je vais les appeler, bordel ?

Allez quoi, un peu de légèreté,

un peu de grâce, de lyrisme,

un peu de poésie !

 

 

MEEEeeeeRDEEee !!!

Quelle conne cette Diya !

C’est stupide, un pigeon –

et c’est contagieux.

Un faux mouvement d’aile,

un geste brusque

et crac –

elle explose l’un des œufs

et tout le jaune tout le blanc

s’éclatent sur elle –

violemment.

 

L’autre œuf n’a rien.

Il se fissure doucement

Il y a de la vie à l’intérieur.

Il est né le divin enfant-pigeon !

Déjà soumis aux dures lois

de la vie et

de la sélection naturelle de mes deux.

Le bébé pigeon

sort sa tête

hideuse et toute poilue.

Comment je vais l’appeler ?

 

KEN.

 

KEN LE SURVIVANT.

 

diya et ken 2 aout 2013

Ken et sa mère, quelques temps après sa naissance

Lille – Marseille – Voiture-bar

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Ils doivent pas beaucoup aimer les piliers de bar, à la SNCF. Je reste debout avec ma canette, immobile à 300 km/h. Il n’y a que deux tabourets de merde dans la voiture-bar. Très design. Mais ni confortable, ni convivial.

Je traîne là depuis une heure. 1664. Une contrariété. Je bois pour la surmonter, faire passer le goût amer que j’ai dans la bouche. Debout. Depuis une heure.

Devant moi, une jeune cougar. Quarante ans bien tassés, mais elle les fait pas. Écrit un SMS à son amant. « Dans deux heures, je serai enfin dans tes bras. J’ai hâte ». J’arrive à lire au dessus de son épaule. Devient-on romantique à l’approche de la ménopause ?

Un gars, studieux, pianote sur les touches de son ordi. Un mémoire à rendre. Vus les graphes et les schémas que je parviens à distinguer, école de commerce ou d’ingénieurs.

À côté, une nana. Un peu trop vieille pour moi. Assez sexy cependant. Elle se fait du mal. Elle vient de commander une salade. Beaucoup de fibres, le moins de gras possible. Et un Coca light. Pour se désaltérer sans prendre du poids. Elle lit Biba. Son premier choix : risotto et Sprite. Elle sera jamais comme ces mannequins des pages qu’elle tourne, dont la silhouette anorexique photoshopée s’étale comme des fils sur les pages de magazine entre deux pubs pour du parfum ou de la crème anti-rides.

 

Quant elle débarque dans le wagon, je suis bourré, avec modération. La 1664 a eu raison de moi. Je suis presque terrassé. Mais je garde la tête haute.

Huit ou neuf ans, la gamine. Style Lorie – ou peu importe la popstar de mes deux à la mode ces temps-ci. Suivie de près par sa mère. L’intelligence n’a rien à voir avec l’hérédité.

La petite commande un sandwich. Elle guide sa mère vers un endroit où s’installer. Sans se retourner, elle passe devant moi et fait, d’une voix fluette : « Mais c’était de l’humour noir, maman » Vu sa tête, le serveur s’en est toujours pas remis. Les sarcasmes, le cynisme, il a du mal à encaisser. Surtout quand c’est proféré par une fillette qui lui arrive à la taille.

Huit ou neuf ans, la gamine. De l’humour noir. Rien que ça ! La mère semble pas y avoir prêté attention.

Si elle savait où ça pourrait la mener si elle persévérait dans cette voie…

La fille a l’air brillante. Sa mère, totalement conne. Je sais d’avance comment ça va se finir. Quel gâchis… Ou bien elle va devoir se calmer, par la force des choses, ou bien elle se sentira exclue pendant la plus grande partie de sa vie. Aucunement jugée à sa juste valeur. Et elle risque d’en souffrir.

À force d’humour noir, c’est son âme qui risque de se remplir de noirceur.

Je le sais. J’en suis à ma deuxième canette.1664. Une gorgée, et ça fera un litre tout rond. Un litre, le strict minimum pour retrouver ma lucidité. J’aurais pu devenir autre chose. Quelque chose de mieux.

La fillette repasse devant moi – son humour noir remplit mes narines mélancoliques.

Quel gâchis. Je jette un regard sur la gamine.

Je l’aime déjà.

Sois forte.

Je croise les doigts.

Tu as de l’avenir.

Il file.

À 300 km/h.

L’Ex

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Le verre de bière à sa bouche, il me dit Faut que tu avances, mec –

 

Un jour il te viendra l’idée conne de jeter un coup d’œil sur son profil Facebook,

de remarquer qu’elle s’est trouvée un copain –

plus moche que toi, pour sûr, par contre elle elle s’est vachement embellie, bizarrement – en tout cas tu l’as jamais connue aussi rayonnante –

et ils ont l’air si bien ensemble, un vrai petit couple en vacances –

décor italien, sourire aux lèvres, main dans la main – elle est heureuse.

 

Le jour suivant tu remarqueras quelque part que finalement, son petit copain est devenu son fiancé – puis ils se marient et tu n’es même pas invité à la cérémonie – couple épanoui, tu n’aurais jamais fait le poids.

 

Un beau jour, tu t’aperçois par le prisme Facebookien qu’elle est enceinte, puis maman.

Comblée.

 

Alors que toi, toi qui es comme elle tombé sur le champ de bataille de l’Amour, tombé dix pieds sous terre –

 

t’en es encore à bouffer du gravier.

Dans (m)(s)a ligne de mire

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Dans (m)(s)a ligne de mire il y a

ces deux années de perspectives

Ces textes crachés instantanés

perdus sur les Internets

ces mots inventés

qui reviennent tout le temps –

stupides et contagieux.

 

Dans sa ligne de mire il y a

Ce mec qui marche toujours parmi les ombres

le froid la nuit tombée au bord du canal

– démarche chaloupée dans les feuilles mortes qui pourrissent

les lampadaires qui fonctionnent plus

– sans ses écouteurs désormais

– cassés broyés rincés –

mais bientôt la lumière stridente du métro.

Dans le métro parfois

la fille aux cheveux tondus

– portrait-mirage de la Femme Piège

– il l’a toujours pas abordée.

 

Dans sa ligne de mire il y a

Au petit déjeuner plus de Quaker Oats

il en a bouffé jusqu’à écœurement

– depuis il se la joue plus sobre et plus cancérigène

avec les cafés-clopes qu’il s’enchaîne.

En partant de chez lui les matins

pour aller au boulot

après avoir craché ses mots

le tic ou le toc a disparu

il vérifie plus que sa porte est fermée

– comme s’il en était guéri.

 

Dans sa ligne de mire il y a

le Chrysler Building

des déserts

des villes

la vie

des boîtes glauques

des bars louches

et autres décors fantasmagorés

avant de les avoir vus en vrai.

 

Dans sa ligne de mire il y a

Hélène,

la veuve-enfant qui pleure son mariage irréalisé

les zombies qui le hantent encore

qui sont plus là ou qui ont jamais existé

éphémèrimaginés

souverêvés.

 

Dans sa ligne de mire il y a

ces verges qui font du yoyo

ces pigeons casaniers

Diya Marcelline et le petit dernier

Ken le survivant

 

Dans sa ligne de mire il y a

ces textes encore inachevés

ces mots envolés perdus

ces couleurs chaudes ou délavées

ces jeans troués

ces radeaux de la méduse

ces parfums d’alcôve

au gré des rencontres

 

Dans sa ligne de mire il y a

tous les concerts toutes les soirées

à pogoter dans l’espace

flaques de bière chaude sur les parquets

 

Dans sa ligne de mire il y a

tous ces voyages en train

ces milliers kilomètres de routes macadamisées

tous ces points A ces points B

quelque chose a changé, sans doute

il comprend que la destination est peut-être importante

– finalement.

 

Dans sa ligne de mire il y a

tous ces parcs luxuriants

appels à se loutrer

mais le vent tourne

l’herbe s’amollit

les paysages défilent

et le ciel est changeant.

 

Dans ma ligne de mire il y a ces deux années de perspectives

Et au delà la ligne d’horizon

où se rejoignent les points de fuite

discordants.

Je me vois

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Je me vois me lever à l’aube avant même le soleil

Je me vois boire mon café froid fumer mon cigare en contemplant les lueurs du ciel qui s’étiole

Je me vois débarrasser mon bureau – papiers paperasse bouquins cartes postales miettes de pain

Je me vois y poser la machine à écrire et le rouleau que j’ai préparé

Je me vois enfiler une tenue de guerrier Maasaï ou je-ne-sais-quoi

Je me vois taper à la machine plus fort et mieux que ça plus vite plus vite là je me galère un peu pas encore bien réveillé

Je me vois écouter du jazz Dizzy Gillespie Thelonious le grand Monk un peu de jazz manouche aussi et de l’électro-be-bop.

Je me vois boire du maté au coca rouler des cigarettes avec mes doigts noirs et crasseux et en fumer du matin au soir

Je me vois plus regarder les toucher juste taper taper

Je me vois maudire le retour à la ligne pas automatique

Je me vois écrire écrire dessiner des lignes des chemins faire pas mal de digressions mais toujours en moi des idées claires un projet – tout raconter ça va sortir comme c’est venu

Je me vois martyriser le papier qui glisse comme sur un rouleau compresseur

Je me vois écrire et m’amuser de la poésie et des mots des mots que j’aurai inventé comme le mot souverêve

Je me vois écrire écrire dans l’extase la précipitation et les souverêves justement les touches comme des mitraillettes j’ai pas encore dit ma dernière cartouche épuisé mes derniers mots

Je me vois penser à tout ça les yeux dans le vague

Je me vois interconnecté avec la machine mon moi voûté sur la chaise

Je me vois tout dire

Je me vois me servir parfois de mes carnets de voyages journaux intimes déchiffrer tout ce que j’ai pu y puiser y cacher tout ceci doit sortir au grand jour

Je me vois me servir de toute mon énergie sexuelle et tout donner dans cet élan masturbatoire

Je me vois les lettres gicler s’assembler fécondation d’idées étranges mélange de papier et d’encre

Je me vois pas arrêter pas renoncer continuer jusqu’au bout de la feuille de la route

Je me vois me souvenir de nos vies antérieures c’est pas un hasard tu t’appelais Yashan tu étais mon compagnon de voyage là-bas quelque part parmi les yourtes de Mongolie intérieure sur les steppes où nos regards se posaient debout sur nos chevaux arabes parfois quand tu en buvais tu foutais plein de lait de yak partout sur ta moustache

Je me vois tripper ainsi comme sous drogues ou pire possédé

Je me vois les bras en mouvement je danse je danse sur la machine et le jazz le sax dans les oreilles les choses de l’esprit tout est clair clair je trace je trace.

46000 mots

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« Perdre 46000 mots c’est comme éjaculer dans un mouchoir – c’est contre-productif » Anne Onyme.

 

Cette semaine juste quelques mots pour vous dire que je viens d’en perdre 46000, justement, des mots.

Quarante-six mille. Un peu plus même.

La retranscription du carnet de voyages de mes vacances en Irlande cet été.

J’étais tranquillement installé à la table de ma cuisine – ma table d’écriture – en calbute, juste après le réveil une douche et un café-clope au rebord de ma fenêtre – encore dans le cake alors que l’aube pointait à peine le bout du nez – j’écoutais Neil Young – une de mes chansons préférées.

QUAND SOUDAIN…

Mon ordi a freezé – le son s’est figé, plus moyen de bouger le curseur, écran paralysé. Pas eu d’autre choix que de redémarrer le salaud.

« C’est bon » je me suis dit « de toute façon j’utilise un traitement de texte spécial qui enregistre automatiquement et régulièrement mon texte. » – si on veut il compte les mots, il donne le pourcentage de l’objectif du jour à atteindre – il imite même le bruit de la frappe à la machine à écrire – c’est vous dire…

La machine redémarre, je lance le logiciel. Et là

PLUS RIEN.

J’ouvre mon document avec un autre traitement de texte – un programme plus normal – WYSIWYG on appelle ça – et on trouve que c’est normal…

Ouf, tout est là – il manque juste deux ou trois lignes – la sauvegarde automatique les a pas prises en compte – pas grave ça ira vite pour rattraper tout ça.

Je ferme le premier logiciel. Je ferme le second sans rien modifier. Et je relance le premier.

PLUS RIEN – bis.

Je relance le second. Et là

PLUS RIEN LÀ NON PLUS.

Mon texte s’est envolé.

46000 mots.

Des mois de travail. Des soirées entières avachi sur mon tabouret avec Blur en fond sonore

Pas le temps de paniquer je dois me préparer fissa pour aller bosser.

Allez bordel, restons positifs !

Soyons désinvoltes, n’ayons l’air de rien

 

J’ai compris la leçon – c’est pas grave c’est le destin le hasard la – triste – fortune – de mes deux.

Ça veut simplement dire qu’il est peut-être temps de passer à autre chose.

J’ai d’autres carnets de voyages qui attendent d’être retranscrits. J’ai d’autres projets, d’autres choses à raconter. Beaucoup plus intéressantes.

Et ensuite – plus tard – quand j’aurai le temps et quand j’aurai plus ce bordel coincé dans la gorge comme un vieux crachat dans une glotte – PEUT-ÊTRE que je me replongerai à nouveau dans mes souvenirs et que je re-retranscrirai mes vacances.

D’ailleurs, il se pourrait même que ce soit mieux.

Parce que là, honnêtement, ces 46000 mots –

Quarante-six mille. Un peu plus même –

c’est absolument pas montrable. Pas romançable.

C’est nul, ça part dans tous les sens, ça concerne que moi moi MOI et personne pourrait les lire.

De la matière brute.

Toute bonne à être malaxée broyée chiée mélangée transformée incorporée dans un texte qui – LUI – le sera – romancé.

Inch’Allah.

 

46000 mots envolés.

Mais au moins ça m’a fait les dents.

Je chantais ? Eh bien, je danse maintenant.

Parmi les Fellaheen

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Cracovie, Amsterdam, Luxembourg, Louvain, New-York, Lille ou Paris –

ou ailleurs

peu importe où.

Je me souviens de ces parcs

grandes étendues d’herbe plus ou moins verte

odeur de gazon tondu ou de merde de chien écrasée.

Un appel à s’allonger.

À faire comme eux, là –

fellaheen 4

Nobles clochards le cul posé sur les journaux dépliés qu’ils viennent de lire.

On y parle de retraites, de tsunamis nucléaires, de Syrie et eux mangent sagement leurs raviolis froids à même la boîte de conserve.

Je les contemple dans la lumière rasante d’un après-midi d’automne.

Barbes de trois mois cheveux crépus

vêtements qui puent

Peaux rouges qui scintillent parmi les feuilles qui tombent et glissent sur eux.

Je pose mon manteau sur l’herbe encore humide

enlève mes veilles Dr Martens – usées par la pluie la neige la bière et les milliers de kilomètres qu’elle et moi on a faits ensemble –

pour sentir l’herbe le vent le froid sur chacun de mes orteils.

Fellaheen 3

Ils font ce qui vient dans leur tête

au moment où ça vient

pas besoin d’explication – wham wham.

Des Beats. Des Fellaheen.

Loin de chez eux.

Tous des dézingués de l’Interzone

Interlopes déshérités dépossédés de tout sauf du Grand Air

qu’ils ne sentent déjà plus

dans les vapeurs alcoolisées

Fantômes doublés de pochtrons.

Fellaheen 2

Ce mec là ne doit même plus savoir si dans sa bouteille

c’est de la piquette ou de l’eau de pluie.

Il reste là figé

par tous temps.

Il y en a deux là-bas qui sortent du lot

comme s’il n’avaient rien à foutre là

Le mec fume un cigare, la fille est allongée

son regard se pose sur moi.

Ils se lèvent et viennent à ma rencontre.

Présentations rapides

Martin et Moïra

enchantés.

B.Howl.

Idem.

Ce qu’on va faire demain ? Aucune idée. Attends de voir ce qui va se passer ce soir.

Ils s’éloignent et me laissent la tête dans l’herbe et les yeux dans les nuages.

Martin et Moïra…

J’imagine leur vie.

En cavale.

Travailleuse sociale

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Il voulait changer de vie.

Je suis là pour ça.

« Il »: Martin Morin – pas encore trente ans – les yeux déjà fatigués les traits tirés les cheveux grisonnants et les narines dévastées – rongé par le stress de la vie qu’il menait. Bossait comme trader ou un truc de ce genre. Alignait les zéros à la fin du mois et signait toujours de ses initiales.

M.M

Pas de femme pas de gosse pas de temps pour ça mais un beau canapé en cuir brossé et une belle bagnole – pas le temps de la conduire évidemment.

 

Le scénario est simple.

Comme toujours le début doit être fracassant. Rentrer par effraction dans sa chambre d’hôtel – quatre étoiles, champagne offert par la réception – le surprendre au pieu avec son escort en toc, les menacer avec une arme – factice – demander gentiment à la nana d’arrêter de couiner, de prendre ses cliques et ses claques et qu’on la revoit plus traîner ici.

Et commencer à entrer dans le vif.

Du sujet.

D’observation.

 

Martin s’est vite pris au jeu.

Sans même s’en s’apercevoir.

Mon charme y a été pour beaucoup.

Je lui ai fait faire une erreur de frappe.

Qui a eu pour fâcheuse conséquence un léger traficotage des comptes de sa boîte

la veille du jour de sa démission.

De quoi voir l’avenir tranquillement loin de tout ça.

Et depuis… Deux ans de vagabondages, de fuites à travers les villes et les champs.

Libres.

Des bagnoles qui défilent – des panneaux indicateurs – à contre-sens –

on roule on roule à toute berzingue – pied au plancher – le cœur chaviré.

Une sorte de longue lune de miel.

Et parfois comme maintenant on s’arrête.

Dans un parc parmi les clodos.

Dans une ville qui ne nous connaît pas.

 

Martin je le contemple

il se la coule douce

caché dans l’herbe étendu jambes et bras écartés

il fume un bon gros Davidoff 3000 comme au bon vieux temps où il tordait les cordons de la bourse et ne vivait pas encore la vie qu’il rêvait –

avant qu’il ne plaque tout et que je l’embarque avec moi là dedans.

Il était promis à de grandes choses.

Il l’est toujours – simplement pas de ces choses auxquelles ses aînés voulaient qu’il tienne.

De ces GRANDES choses – de celles qui ont toujours coulé dans son sang, de celles qui battent sous sa tempe.

J’en suis le révélateur, le catalyseur –

et l’accompagnateur –

 

Martin s’amuse à saisir l’avenir dans ces volutes qui se dispersent dans le ciel dégagé.

Il tourne la tête vers moi. Je fais semblant de me prélasser pieds nus les yeux clos mâchonne un épi de blé un livre écorné sur la poitrine.

Il me voit respirer calmement – mes petits seins montent et descendent au fur et à mesure de ma respiration.

 

On est tous les deux crevés

après avoir fait l’amour tout à l’heure

sur les murs d’une usine désaffectée.

Semer les fruits de la renaissance parmi les ruines et les mauvaises herbes.

J’avais envie et mes envies deviennent toujours réalité.

C’est ça la leçon que je veux enseigner à Martin.

Enveloppé dans son blouson de cuir écaillé par toutes ces nuits pluvieuses –

Martin repense à tous nos périples.

Depuis quand ça dure ? Quand il m’a suivi il a dit qu’il finirait perdu.

Au contraire maintenant il a jamais autant eu l’impression de s’être retrouvé.

Il veut changer de vie.

Je suis là pour ça.

Un versement automatique tous les mois.

Une somme rondelette.

Sur un compte en banque.

Aux îles Fidji.

Je suis travailleuse sociale.

Pour bourgeois.

Friqués.

En manque de sensations.

Fortes.